Texte intégral
Plan d'urgence pour l'hiver (19 octobre 1994)
Journée de la solidarité
J'ai choisis d'ouvrir cette journée de la solidarité en rendant visite au Centre d'Action Social Protestant. Alors qu'il s'agit de demander aux français d'être plus solidaires avec le plus démunis, ou durement frappés par les épreuves de la vie, il m'a en effet paru normal, de commencer par rencontrer celles et ceux qui n'ont plus de foyer, les sans-abris. C'est aussi ma façon de dire aux français que ces personnes sont des citoyens à part entière. Les difficultés passagères qu'elles traversent n'en font pas hommes et des femmes moins dignes.
Cette journée de la solidarité est l'occasion pour tous les français de se montrer plus attentifs aux autres. L'exclusion n'est pas qu'une question de revenus ou de moyens matériels. Souvent, elle est le résultat d'accidents, de ruptures familiales, de handicap, de situation d'échecs répétés, d'illettrisme ou d'incompréhension culturelle. J'étais hier soir dans la permanence téléphonique de SOS femmes battues. L'isolement affectif et la grande détresse morale de celles qui appellent à l'aide m'a profondément touchée. Pourtant, nombre d'entre elles occupent une situation sociale les mettant à l’abri du besoin. Mais pour autant, elles ont besoin de notre solidarité.
J'ai présenté vendredi dernier une cinquantaine de mesures visant à favoriser l'insertion et la réinsertion de tous ceux de nos concitoyens qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale et professionnelle.
Les mesures que j'ai annoncées vendredi concernent plusieurs millions de personnes. Aujourd'hui, je vous présente un dispositif complémentaire qui ne concerne que quelques dizaines de milliers de personnes : celui de l'organisation concrète de l'accueil en hiver.
Je voudrais tout de suite m'insurger contre deux idées fausses :
L'accueil d'urgence n'est pas réservé à l'hiver. Il y a en France plus de 35 000 places pour accueillir ceux qui n'ont plus de toit. Elles appartiennent en grande partie au dispositif des CHRS sur lequel je vais revenir. Je ne peux laisser dire qu'on ne s'occupe des sans-abris qu'en hiver : cela est inexact.
Les personnes à la rue ne sont pas des citoyens à part ; ce sont des citoyens comme les autres. Certains d'entre eux parviennent à trouver dans la journée de petites activités ; certains ont même un emploi. Ils n'ont, si vous me permettez cette expression, « tout simplement pas » de logement. Accueillons-les avec un minimum d'humanité. Ne jetons pas sur eux un regard chargé de mépris ; ne leur laissons pas croire que nous portons un jugement sur leur passé.
J'en viens maintenant au dispositif pour l'hiver et à ses nouveautés.
Il existe, dès qu'il fait froid, une priorité absolue : pouvoir accueillir, à tout moment de l'hiver, les personnes qui n'ont pas de domicile stable, ou qui dorment habituellement dans des abris de fortune, inhabitables par temps très froid.
À tout moment de l'hiver, cela veut dire quelles que soient les conditions météorologiques. Nous pouvons cette année, avoir à faire face à un hiver comme ceux que nous avons eu depuis plusieurs années, c'est-à-dire un hiver je dirai « normalement froid ».
Mais, nous ne devons pas écarter pour autant l'éventualité d'un hiver plus rigoureux que la moyenne. Il faut donc nous organiser pour pouvoir gérer, le cas échéant, une période prolongée de très grand froid. Mais nous devons également pouvoir héberger toutes les personnes qui en ont besoin pendant quelques jours seulement, si, par exemple, comme cela s'est produit il y a cinq ou six ans, nous avions dans la capitale plusieurs jours de neige abondante.
Par ailleurs, certaines personnes ne fréquentent les dispositifs sociaux qu'en hiver à travers ces centres d'accueil d'urgence. Il nous faut donc profiter de l'hiver pour entamer avec eux un processus d'insertion.
Ces deux objectifs – pouvoir accueillir tout le monde et pouvoir entamer des processus d'insertion – étant posés, le dispositif repose sur différents principes.
1) D'abord, c'est au niveau départemental que doit être assurée la gestion du plan pour l'hiver. C'est en effet, dans le cadre du département, mieux qu'au niveau régional, et bien sûr, qu'au niveau national, que l'on peut recenser l'ensemble des capacités, des initiatives et des bonnes volontés permettant d'organiser et de gérer le dispositif pour l'hiver.
2) J'ai ensuite souhaité que toute cette opération soit menée avec le concours actif du monde associatif et notamment avec les associations de solidarité, qui jouent un rôle tout à fait irremplaçable.
Et je tiens ici à leur rendre publiquement hommage, pour le travail exemplaire qu'elles accomplissent, sur le terrain, dans des conditions parfois difficiles, au service de populations durement éprouvées par la crise économique.
3) Il conviendra aussi que les actions menées par l'État soient pleinement articulées avec celles que conduisent pour leur part les collectivités locales et notamment les communes, qui font tous les ans et feront cette année encore, un effort tout particulier pour héberger les populations les plus démunies.
Les actions suivantes seront engagées :
1) Dans chaque département, les Préfets recensent l'ensemble des capacités d'accueil mobilisables, pour les dispositifs de première, deuxième et troisième urgence. Ce recensement sera prêt pour le 1er novembre.
Les Préfets pourront mobiliser tous les services de l'État et sensibiliser les collectivités locales afin de repérer, ensemble, les lieux susceptibles d'être reconvertis en structures d'hébergement d'urgence pour des périodes de durée variable.
2) Environ 15 000 places, dont 4 650 en Ile-de-France, seront mobilisées pour l'accueil de première urgence.
Ce chiffre est nettement supérieur à celui de l'année dernière ; il augmente d'environ 20 %.
Dans chaque département, un dispositif d'accueil permanent est mis en place. Il comprendra un dispositif de « veille administrative, pour permettre aux associations de connaître à tout moment le nombre de places disponibles, au moins une permanence téléphonique, au minimum jusqu'à 23 heures. Dans les grandes villes, un numéro vert pourra être mis en place en accord avec les collectivités locales.
Dans les grandes agglomérations, le dispositif devra être adapté à la situation de grande précarité et de grande détresse des personnes sans-abri.
Dans le but d'humaniser le dispositif, le fonctionnement des centres d'accueil d'urgence sera adapté aux situations particulières des personnes hébergées.
Des places seront ouvertes dès le 1er novembre en fonction des conditions météorologiques. Un effort particulier sera fait en faveur de l'accueil des femmes, des familles et des jeunes. Par ailleurs, les horaires d'ouverture seront étendus. On ne devrait plus avoir à se présenter avant 17 heures et se retrouver à la rue dès 6 heures du matin après avoir libéré les lieux. Une partie des capacités d'accueil sera ouverte toute la journée, en particulier pour les sans-abri ayant trouvé un travail de nuit ou pour héberger des personnes dont l'état de santé demande de rester à l'intérieur sans pour autant nécessiter une hospitalisation.
Par ailleurs trois mesures nouvelles renforcent le dispositif :
Nous proposerons aux maires des grandes agglomérations de créer un SAMU SOCIAL, c'est-à-dire un ensemble d'actions mobiles permettant d'aller au-devant des personnes sans-abri. Ces actions permettront de repérer les situations d'urgence et de proposer directement un accueil de nuit. Par grand froid des actions mobiles constituent en effet le seul moyen de convaincre les « récalcitrants » de rejoindre un abri.
Dans les grandes agglomérations, devrait être créée au moins une structure d'accueil du type « Boutique de solidarité ». Une « Boutique de solidarité » met à la disposition des personnes sans-abri pendant la journée une consigne, une boite à lettre, es douches, une laverie, etc. Elle est un lieu d'information et d'échanges qui facilite l'accès aux droits et l'accès aux soins.
Dans certains centres, des permanences médico-sociales permettront de régulariser la couverture sociale des hébergés et d'orienter les malades vers les structures de soins.
Pour mener à bien ces actions, l'État fera pour l'hiver prochain un effort exceptionnel. Près de 200 MF seront affectés au fonctionnement des centres. Plus précisément, l'État a assuré l'année dernière le financement du dispositif au travers des crédits « pauvreté-précarité » à hauteur de 40 MF auxquels se sont ajoutés 12 MF en cours d'année. Cette année, plus de 140 MF seront dégagés pour des actions à court, moyen et long terme, compte-tenu des innovations prévues : Samu Social pour aller au-devant des personnes sans-abri, lieux d'accueil de jour, adaptation des horaires, etc. Ces chiffres sont détaillés dans le dossier de presse.
S'ajoutent à cela, les 55 MF consacrés au financement des associations de solidarité au travers des conventions d'objectifs.
De plus, l'État financera des investissements pour créer de nouvelles capacités d'hébergement. 100 MF sont réservés à cet effet sur le budget du ministère du logement.
Voilà pour l'hiver. Comme je vous l'ai dit, l'hébergement d'urgence existe tout l'année. Il est en grande partie assuré par les centres d'hébergement et de réadaptation sociale.
Je rappelle que les 700 centres offrent 33 000 places d'hébergement et constituent un ultime recours et une opportunité pour repartir dans la vie.
Les missions de ces centres sont l'hébergement d'urgence et l'aide à la réinsertion en favorisant un accès au logement, à l'emploi, à la santé, au recouvrement des droits et à la régularisation des situations administratives. Le financement des centres qui représente environ 2 milliards en 1994 est assuré par l'État, et leur gestion confiée à des associations.
1995 constituera pour les CHRS une année charnière. Les moyens seront renforcés : les budgets sont en augmentation de 10 % et 500 places nouvelles vont être ouvertes.
Je voudrais enfin rappeler avant de conclure que différentes mesures spécifiquement en faveur des personnes sans-abri ont été prises récemment, en matière d'accès aux soins en particulier.
L'aide médicale pour les SDF est prise en charge par l'État. Bien que l'admission à cette aide médicale soit automatique, les délais de délivrance des cartes qui y donnent droit sont encore trop longs. C'est pourquoi je viens de décider que l'aide médicale à la charge de l'État serait gérée par les Caisses Primaires d'Assurance Maladie qui possèdent les moyens techniques et humains pour le faire plus rapidement. Cette mesure était réclamée par les associations depuis plusieurs années.
Par ailleurs, un effort a été demandé depuis plusieurs mois aux hôpitaux pour qu'ils s'adaptent à l'ensemble des populations qui ont besoin de soins hospitaliers. Aujourd'hui, plus de 120 hôpitaux ont signé avec l'État une convention de soins gratuits pour les personnes très marginalisées et 50 ont mis en place un espace d'accueil et d'aide médicale. Par ailleurs, j'ai décidé d'affecter des crédits pour ouvrir des permanences médico-sociales dans certains centres d'hébergement.
Mais attention, nous devons veiller à ne pas créer des filières discriminatoires mais à adapter l'ensemble du système de soins aux populations les plus démunies.
C'est dans cet esprit que je travaille et que, il y a un an déjà, j'ai rappelé aux hôpitaux leur obligation d'accueillir tous les malades pour leur donner tous les soins dont ils ont besoin.
Parmi les autres mesures prises récemment en faveur des sans-abris, je souhaite signaler la possibilité d'obtenir une carte nationale d'identité grâce à une domiciliation dans une association. Je souhaite également rappeler le soutien supplémentaire que nous allons apporter aux réseaux qui travaillent dans le domaine de l'aide alimentaire et accomplissent un travail tout à fait admirable.
Enfin pour conclure, je rappellerai que nous avons une exigence absolue : être en mesure d'accueillir, à tout moment de l'hiver, les personnes qui n'ont pas d'abri. Il s'agit là, comme chacun peut le comprendre, de l'expression la plus naturelle de la solidarité nationale.
Mais il nous faut aller plus loin, et lutter sans relâche contre ce cancer social qu'est l'exclusion. C‘est une des tâches prioritaires que s'est assigné le gouvernement. C'est un combat qui demande la mobilisation de tous.
Journée de la solidarité, le mercredi 19 octobre 1994
Monsieur le Président,
Monsieur le Délégué général,
Mesdames, Messieurs,
Je tiens à vous dire d'abord la joie que j'éprouve à être parmi vous. Je reconnais ici bien des visages d'animateurs inlassables, d'innovateurs, de responsables. Par ma présence, je veux témoigner de ma solidarité envers vous tous dans vos efforts, vos difficultés mais aussi votre espérance.
Il m'appartient donc de conclure une journée qui a bénéficié d'une assistance nombreuse ici-même dans le cadre de la Cité des Sciences de la Villette, mais également en province où un public très attentif a suivi et participé aux manifestations et débats organisés sous l'égide des préfets et avec le concours des directions départementales des affaires sanitaires et sociales.
La solidarité ne s'affirme jamais mieux que dans les épreuves. C'est vrai s'agissant des individus comme des nations. Cette journée a contribué, j'en suis persuadée, à cette mobilisation si nécessaire, dont un nombre de plus en plus grand de Français a désormais conscience.
Elle aura permis aux acteurs que vous êtes de réfléchir ensemble sur le sens de leur engagement, les résultats de leur action, afin de trouver dans cette réflexion même un stimulant nouveau pour mener à bien les tâches qui nous attendent.
Chacun l'a observé : depuis quelques semaines se sont déroulées des rencontres et manifestations autour du thème du lien social, de l'exclusion et de la solidarité. Cette journée vient en point d'orgue d'un débat national, et peut être d'une prise de conscience collective.
Mais cette journée est aussi différente. L'idée d'une manifestation sur le thème de la solidarité n'est certes pas nouvelle puisque mes prédécesseurs en avaient organisé de semblables. Mais celle-ci a été conçue et organisée autour des associations et, en étroite concertation avec elles, en commun par mon ministère et le Conseil National de la Vie Associative qui représente l'ensemble du mouvement associatif. Elle témoigne de la reconnaissance par l'État du rôle essentiel des acteurs et notamment des associations d'intérêt général dans la mise en œuvre des politiques publiques. Elle traduit la volonté de voir développer leur action au travers d'un partenariat plus fort et plus exigeant avec la puissance publique et ce dans tous les domaines qui concernent la solidarité : travail, emploi, insertion professionnelle, insertion sociale et culturelle, habitat, environnement, santé, prévention, sports.
Cette journée ne se réduit pas à un dialogue si cordial et fructueux, soit-il, entre mon ministère et les associations. Elle veut rendre compte de l'immense expérience acquise par les associations non seulement dans l'aide sur le terrain mais aussi dans la capacité d'écoute. Cette attention portée aux autres, ce sens des responsabilités a souvent permis de découvrir d'autres réalités, de trouver des solutions plus adaptées mais aussi d'innover, inspirant par là même l'action de l'État. C'est là à mon sens, j'y reviendrai, une dimension essentielle de cette journée.
Les difficultés économiques nées dans notre pays, du bouleversement de l'économie mondiale en cours depuis plusieurs années pourraient avoir, et dans une certaine mesure ont déjà eu, des conséquences préoccupantes pour la cohésion sociale de notre société. Le risque se situe à mon sens à deux niveaux : celui des grands mécanismes de solidarité mis en place après la guerre et tout au long de ce que l'on appelle parfois les « trente glorieuses » ; celui de la montée d'un phénomène d'exclusion voire de rejet, de groupes importants de nos concitoyens.
On ne le dira jamais assez : sans les institutions de la protection sociale collective, jamais notre pays n'aurait pu supporter – supporter douloureusement, mais supporter quand même, les difficultés économiques qui se sont accumulées au cours des vingt dernières années, et notamment la dramatique croissance du chômage.
Ce sont elles qui ont permis que chacun, quelle que soit sa situation, puisse être soigné dans de bonnes conditions, que le niveau de vie des personnes âgées soit maintenu et même augmenté que les familles ne soient pas plongées dans la misère par le chômage des parents. Mesure-t-on à quel point, sans ce filet de sécurité, auquel est venu s'ajouter le revenu minimum d'insertion, la situation de beaucoup de nos compatriotes aurait été littéralement dramatique ?
La solidarité collective a joué en leur faveur et il faut que nous fassions en sorte qu'à l'avenir elle puisse continuer à le faire.
Les Français nous le demandent, et marquent leur attachement sans faille à ces institutions, parce qu'ils savent ce qu'ils leur doivent. Le gouvernement y est déterminé. Il l'a démontré depuis un an et demi et le démontrera encore à l'avenir.
Face à la menace que fait peser sur notre système de protection sociale la détérioration de ses comptes, c'est-à-dire l'écart croissant entre la progression trop rapide des dépenses, et le ralentissement des recettes, le gouvernement ne s'est pas ainsi contenté de poser, après d'autres, le diagnostic mais il a voulu s'attaquer aux causes. Dès l'origine nous avons pris la mesure des effets dévastateurs pour les finances publiques dans l'immédiat, mais également à terme pour le bien-être et la sécurité de l'ensemble des assurés sociaux, du report constamment différé de réformes reconnues par tous comme indispensables et urgentes. Qu'il s'agisse des dépenses de santé ou des régimes de retraite, notre système de protection sociale s'est construit et a vécu depuis 1945 autour du principe de la solidarité entre générations. Nous avons entendu assurer la sauvegarde de la retraite par répartition, et enrayer la croissance insupportable des dépenses de santé. La principale menace pour la pérennité du système eût été l'inaction.
La réforme du régime des retraites, l'amélioration du soutien apporté aux familles, séparation des branches pour garantir leurs ressources en clarifiant les comptes, mise en place d'une maîtrise médicalisée des dépenses de santé et, dans un domaine qui ne relève pas de ma compétence ministérielle, la remise à flot de l'Unedic : telles ont été en dix-huit mois les grandes priorités de notre action marquée par quatre grandes lois.
Beaucoup n'y croyaient pas : qui aurait pronostiqué que la réforme des retraites, devant laquelle les gouvernements reculaient depuis des années, serait adoptée et acceptée dans des conditions que nous savons ? qui aurait pu passer que la politique de maîtrise médicalisée des dépenses de santé produirait en 1994 une inflexion aussi spectaculaire de la croissance de ces dépenses, en la divisant par trois au cours des sept premiers mois de l'année ?
Bien entendu, il s'agit d'une œuvre de longue haleine. À l'arrivée de l'actuel gouvernement, l'écart entre la croissance des recettes et celle des dépenses était de cinq points. Autrement dit le déficit s'aggravait chaque année de façon spectaculaire. Nous allons vraisemblablement, en 1994 réussir à faire disparaître cet écart, alignant pour la première fois depuis longtemps la croissance des dépenses sur celle des recettes, pourtant particulièrement faible cette année à cause de la situation de l'emploi. Il restera ensuite à remonter la pente, c'est-à-dire après avoir stabilisé le déficit, à le faire progressivement disparaître, car nous n'accepterons pas la permanence d'un déséquilibre des comptes sociaux.
La responsabilité de l'État, c'est d'abord de sauvegarder ce réseau de solidarité collective qui constitue la première ligne de défense de la société contre les exclusions. Ma conviction et ma détermination sur ce point sont entières.
Mais, vous l'avez dit Monsieur le Président, les aléas de l'existence se sont déplacés. Si le traitement par la règle générale, à l'initiative de l'État, reste plus que jamais nécessaire, nous avons désormais aussi, et je reprends vos propres termes, à gérer des situations particulières, à répondre à des demandes qui émanent de petits groupes en situation d'échec social : jeunes sans qualification à la sortie parfois prématurée du système scolaire, chômeurs de longue durée, victimes de situations familiales délicates, de la dégradation de certains quartiers sous équipés, de la désertification des zones rurales.
C'est précisément pour répondre à ces situations particulières, que le réseau de la protection collective laisse échapper, que j'ai annoncé voici quelques jours un ensemble de mesures pour lutter contre l'exclusion.
La prise en compte des multiples situations dans lesquelles se trouvent les personnes en situation d'exclusion, ou en voie de l'être, nécessite un ensemble de mesures très ciblées.
C'est pourquoi, nous avons choisi une approche fine et diversifiée, un ensemble de mesures qui permet de répondre plus efficacement à tous les cas de figure. Notre ambition est de n'oublier personne.
Ces mesures concernent l'accès à l'emploi, l'accès aux soins, le logement, les situations d'urgence et de rupture et le soutien aux associations.
Ce n'est pas le lieu d'en reprendre le détail. Chacun comprend bien toutefois que c'est l'accès à l'emploi qui est au cœur de nos difficultés et que c'est donc sur ce point qu'il faut porter l'effort principal.
L'accès à l'emploi dans le secteur marchand, tout d'abord : il correspond au souhait des intéressés, qui veulent. J'ajoute qu'ils le peuvent pour la plupart. Il est faux de présenter en effet les « exclus », comme marginalisés et inemployables, condamnés à rester aux marges de la production. Sans doute pour une minorité d'entre eux, ceux dont l'histoire personnelle a été la plus perturbée, on ne peut espérer un accès rapide à l'emploi marchand, a fortiori dans un marché du travail encore déprimé. Mais la grande majorité des personnes en grande difficulté ne diffère guère des autres chômeurs de longue durée : 6 sur 10 perçoivent une allocation chômage ou ont épuisé leurs droits à indemnisation.
Cette tâche prioritaire, faire accéder au secteur marchand les personnes actuellement exclues du marché du travail, nus ne l'accomplirons qu'à deux conditions complémentaires : la poursuite de la reprise économique et l'amélioration des dispositifs spécifiques ouverts aux publics les plus en difficulté.
La reprise est là, tout le monde convient aussi qu'elle profitera d'abord aux publics les mieux formés et les mieux insérés. Il faut donc mettre en œuvre des discriminations positives pour inciter les entreprises à embaucher les personnes en grande difficulté. L'effort financier correspondant de la collectivité est d'ailleurs moins élevé qu'on ne le pense souvent. Pour une large part, les moyens correspondant proviennent des revenus de substitution : RMI, allocations chômage. Autrement dit, le Gouvernement a fait le choix de consacrer ces sommes à soutenir l'emploi plutôt qu'à indemniser le chômage. Au total 7 milliards seront ainsi mobilisés en 1995 pour l'accès à l'emploi des allocataires du RMI.
Aide à l'embauche des allocations du RMI, qui couvrira jusqu'à 40 % du coût salarial, augmentation du nombre des contrats de retour à l'emploi, aide aux entreprises d'insertion et associations intermédiaires. La palette est large et fait appel aux administrations et aux entreprises pour qu'elles se mobilisent autour de cet objectif national.
Mais nous savons tous aussi qu'on ne peut attendre à court terme du secteur marchand une offre à la hauteur des besoins. Or le secteur d'utilité sociale peut être créateur de richesse. Ce serait une erreur d'y voir une zone de petits emplois parasitaires, sorte de réserve à statut public dégradé, où on contiendrait des personnes inemployables dans l'entreprise, sorte de parking à pauvres. Je regrette totalement la référence trop fréquente aux ateliers nationaux. Au contraire, le secteur d'utilité sociale peut satisfaire de nombreux besoins non couverts aujourd'hui. Mais encore faut-il que le dispositif juridique et financier facilite l'organisation de ce secteur autour d'activités vraiment utiles.
Cela suppose des bases de financements saines et surtout durables. C'est le seul moyen d'éviter un « turn over » excessif des titulaires. L'instabilité est en effet désastreuse pour les intéressés, qui se trouvent alors rejetés vers le chômage à la fin du Contrat Emploi Solidarité, ainsi que pour la qualité du service économique ou social rendu, qui ne peut être correctement assurée dans la durée.
La raison de ce choix, c'est que le secteur non marchand est le seul qui puisse offrir des opportunités d'activités à ceux que leur histoire a profondément marginalisés. Ils ne peuvent reprendre pied que s'ils sont intégrés dans une structure adaptée à leur faible employabilité du moment. Il faut accepter sans en rougir l'idée qu'il y a une partie du secteur d'utilité sociale qui, dans la continuité avec certains types de chantiers de développement social, a surtout pour but de resocialiser les plus exclus.
Avec les 650 000 contrats emploi-solidarité dont nous souhaitons réserver environ 30 % aux allocataires de RMI, avec les contrats emplois solidarités dits consolidés, c'est-à-dire prolongés sur cinq ans, dont leur nombre ne sera plus limité et dont le niveau de subventions sera amélioré, nous disposons aussi de moyens d'une action plus forte et plus déterminée pour remettre en activité ceux que la vie ou les circonstances ont laissé à l'écart.
Comment admettre au surplus avec un système de protection sociale comme le nôtre que certains de nos concitoyens, en très petit nombre, mais ce sont précisément les plus marginaux, ne puissent pas bénéficier des soins médicaux dont ils ont besoin ? Nous prendrons les mesures nécessaires pour mettre fin à cet insupportable paradoxe.
Le plan contre l'exclusion comporte aussi, je l'ai rappelé, des mesures pour les situations d'urgence et de rupture. Le principe a été admis qu'il n'y aurait plus d'expulsion sans qu'au préalable ait été recherché, pour un locataire de bonne foi, les solutions de son maintien dans les lieux ou son relogement, a été adopté. Les fonds de solidarité-logement seront augmentés de 20 MF. Il s'agit de garantir aux familles engagées dans des procédures judiciaires ou administratives un « revenu minimum insaisissable », le RMI calculé en fonction des charges de famille. Par ailleurs, en vertu d'un décret qui vient d'être publié, les sans-domicile fixe (SDF) pourront désormais obtenir une carte d'identité en se domiciliant au siège d'une association, ce qui facilitera leur recherche d'emploi. En outre, pour les jeunes en situation de rupture familiale, des points d'accueil et d'écoute seront créés dans les grandes villes, et s'ajouteront aux 30 Samu sociaux ouverts dans les grandes villes. Enfin, un effort important est consacré aux centres d'hébergement et de réadaptation sociale dont les crédits sont en hausse de 10,5 % pour 1995 et atteindront 2,4 milliards de francs. Cet effort budgétaire permettra également la reprise d'une politique d'ouverture de places nouvelles seront ouvertes.
Par ailleurs, j'ai annoncé ce matin même le dispositif d'hébergement d'urgence de la campagne pauvreté - précarité pour 1994-1995. Il s'agit de mieux recenser, à travers des plans départementaux, l'ensemble des capacités d'accueil, d'assurer une information permanente des intermédiaires sociaux et des publics concernés, d'aller, en particulier dans les grandes agglomérations, au-devant des personnes sans abri. L'amélioration des conditions d'accueil doit aller de pair avec son adaptation au plus près des besoins spécifiques des différentes catégories de sans-. Il a aussi été décidé de promouvoir l'accueil de jour, surtout durant les journées les plus froides. Les associations et les collectivités locales constituent dans ce cadre général les partenaires privilégiés des administrations pour la mise en œuvre de ce dispositif.
Les associations sont au cœur du combat contre l'exclusion. Le plan que j'ai annoncé permettra de les soutenir. Il engage des crédits supplémentaires à hauteur de 10 millions de francs pour favoriser les transferts d'expérience en matière d'insertion, finance une deuxième tranche d'emplois locaux d'insertion (au nombre de 500) pour favoriser le développement des associations locales, dote le Fonds National de Développement de la Vie Associative de 10 millions de francs supplémentaires pour développer la formation des bénévoles et réaménage enfin la taxe sur les salaires que payent les associations en portant l'abattement à la base sur le montant de l'impôt à 20 000 F, dès le 1er janvier 1995, soit un effort budgétaire de 90 millions de francs.
Votre action si déterminée soit-elle ne peut être réellement efficace, quelle que soit par ailleurs, l'importance des moyens mis en œuvre par la puissance publique, les collectivités locales avec le concours des particuliers et celui des entreprises que si elle trouve des relais suffisamment nombreux et puissants dans l'opinion publique, que si elle s'appuie sur une véritable mobilisation de tous les français. Comme le rappelait récemment le Premier ministre : la solidarité c'est aussi d'abord l'affaire de tous.
La volonté de réagir existe. C'est un des enseignements que je tire des nombreux contacts que j'ai eu ces derniers mois lors des visites sur le terrain, dans les quartiers avec des jeunes, avec des femmes, avec des responsables associatifs et des travailleurs sociaux, des fonctionnaires et des élus, des chefs d'entreprises aussi.
C'est qu'en effet la solidarité aussi est contagieuse lorsqu'elle est l'expression concrète d'un sentiment fort, lorsqu'elle s'incarne dans des projets qui permettent à ceux qui s'en sentaient privés de retrouver une indemnité sociale, de retrouver une fierté.
C'est dire toute l'importance de cette journée qui, en faisant connaître, en mettant en valeur quantité d'expériences réussies, de projets novateurs constitue un soutien précieux, j'en suis sûre, pour ceux qui sont investis sur le terrain et une incitation forte pour ceux qui souhaitent s'y engager.
La solidarité est une valeur de la République profondément enracinée dans notre histoire. Elle a permis à ce pays de traverser les heures difficiles. Ayons confiance aujourd'hui comme hier, elle reste la meilleure arme contre l'indifférence et l'injustice et le ciment indispensable d'une société libre et démocratique.