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Agra Presse : La France est active à Bruxelles pour affirmer la volonté de puissance agricole de l'Europe sur les marchés mondiaux. Pensez-vous qu'avec la nouvelle donne européenne, notamment à l'Est, l'Allemagne sera encore aux côtés de la France pour atteindre cet objectif ? La PAC ne risque-t-elle pas de devenir très vite un facteur de discorde entre les deux pays ?
Édouard Balladur : Pour la France, et elle le réaffirme en permanence à Bruxelles, l'agriculture européenne doit conforter sa vocation exportatrice et sa présence sur les marchés mondiaux tout en jouant pleinement son rôle dans l'aménagement du territoire.
C'est dans cet esprit qu'il faut examiner l'élargissement futur aux pays de l'Europe centrale et orientale. Comme les élargissements précédents, celui-ci aura un impact sur la politique agricole de l'Union européenne tout simplement parce que la première politique commune de l'Europe, c'est la politique agricole. Mais il faut aborder cette nouvelle étape de façon constructive, ouverte et non frileuse et craintive. Il n'y a par exemple, aucune raison d'imaginer qu'à cette occasion certains pays et notamment l'Allemagne considéreraient la PAC comme quelque chose de secondaire et adopteraient sur l'agriculture une attitude différente de la France.
Compte tenu de l'attention que l'Allemagne porte aux pays de l'Europe centrale et orientale, compte tenu du fait que ces pays sont d'abord et avant tout des pays agricoles, qu'ils sont particulièrement intéressés par notre organisation des marchés et de la production, je pense que l'Allemagne sera encore plus attentive à préserver une politique agricole commune forte. N'oublions pas en effet que depuis la réunification, l'Allemagne est devenue la deuxième puissance agricole de l'Union.
Mais il faudra bien entendu veiller à ce que cet élargissement ne conduise pas à l'affaiblissement des soutiens à l'agriculture dans les différents États membres. La France y sera particulièrement attentive.
Agra Presse : Les perspectives d'élargissement de l'Union européenne aux pays de l'Europe centrale et orientale sont souvent ressenties comme un risque pour l'existence de la PAC. Estimez-vous ce risque réel ?
Édouard Balladur : L'Union européenne a déjà connu plusieurs élargissements et à chaque fois l'agriculture a été légitimement l'un des points durs de la négociation.
C'est pour cela que la France a posé d'emblée la condition que l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale sur le plan agricole devrait être progressive afin que le bénéfice qu'ils pourront retirer des acquis de la PAC ait pour contrepartie une application des disciplines communautaires comme la maîtrise des productions, les quotas laitiers et le gel des terres… C'est en respectant ces conditions que l'on parviendra à une intégration harmonieuse et profitable pour tous.
Cette approche devrait nous permettre de développer une agriculture performante dans un cadre européen plus vaste. Avec la hausse de leur pouvoir d'achat, ces pays s'ouvriront encore davantage à nos exportations.
Agra Presse : 1995 verra la première application des accords du Gatt. Quelle voie doit suivre l'agriculture française pour profiter des opportunités et supporter au mieux les contraintes découlant de ces accords Gatt ?
Édouard Balladur : La France, mais aussi l'Europe, ont une ambition internationale pour l'agriculture. Les accords du Gatt constituent un nouveau défi qui doit nous pousser à améliorer encore notre compétitivité.
À ce propos, je voudrais rappeler, car cela est passé un peu inaperçu, qu'en 1994 pour la première fois, le solde à l'exportation des produits agro-alimentaires a dépassé le solde des produits agricoles bruts.
Or, ces produits transformés sont pour l'essentiel exportés sans subventions et ne sont donc pas soumis aux règles du Gatt. De même pour les produits de base, il y a des opportunités nouvelles, des marchés nouveaux qui vont s'ouvrir et que nous sommes parfaitement capables de conquérir. Pour être offensif su, les marchés mondiaux, nous devons réorganiser nos filières et adapter nos structures de production. C'est le sens de la loi de modernisation qui vient d'être adoptée par le Sénat. Mais il faut également qu'au niveau européen, la politique agricole accompagne ces mutations.
C'est dans cet esprit que Jean Puech a demandé et obtenu la réduction de la jachère. Ceci doit nous permettre d'exporter davantage, en redonnant à nos céréales plus de compétitivité sur les marchés mondiaux et d'importer moins en les rendant plus attractives pour l'alimentation animale.
Agra Presse : Estimez-vous qu'une répartition différenciée des aides publiques compensatoires mises en place par la PAC contribuerait à mieux asseoir l'agriculture d'occupation du territoire ?
Édouard Balladur : Il faut être clair, les aides mises en place par la réforme de la PAC l'ont été pour compenser la baisse du revenu due à la baisse des prix à la production. Ces aides compensatoires sont des aides à caractère économique et elles ne doivent pas changer de nature.
Il existe, par ailleurs, des aides structurelles financées par la Feoga-orientation garanti qui ont pour but de compenser les handicaps et d'apporter des soutiens spécifiques à certaines zones défavorisées. Il serait particulièrement néfaste sur le plan économique de mélanger ces deux objectifs dans une même politique et de jouer de la différenciation des aides compensatoires pour aménager le territoire. Il faut, au contraire, faire coexister les deux missions de l'agriculture, la performance et l'aménagement du territoire en leur appliquant des instruments distincts.
Peut-être convient-il d'apporter des aménagements à la politique structurelle pour mieux tenir compte des handicaps et favoriser le développement des atouts spécifiques de ces régions, notamment dans les produits de qualité et de terroir.
Agra Presse : La grande distribution a laminé les marges des entreprises agro-alimentaires après celles des producteurs qui en appellent aux pouvoirs publics pour mettre en place un véritable code de bonne conduite. Estimez-vous nécessaire l'intervention des pouvoirs publics ?
Édouard Balladur : Dans aucune économie moderne, l'État ne fixe des règles quant au Plines communautaires comme la maîtrise des productions, les quotas laitiers et le gel des terres… C'est en respectant ces conditions que l'on parviendra à une intégration harmonieuse et profitable pour tous.
Cette approche devrait nous permettre de développer une agriculture performante dans un cadre européen plus vaste. Avec la hausse de leur pouvoir d'achat, ces pays s'ouvriront encore davantage à nos exportations.
Agra Presse : La grande distribution a laminé les marges des entreprises agro-alimentaires après celles des producteurs qui en appellent aux pouvoirs publics pour mettre en place un véritable code de bonne conduite. Estimez-vous nécessaire l'intervention des pouvoirs publics ?
Édouard Balladur : Dans aucune économie moderne, l'État ne fixe des règles quant au partage des marges bénéficiaires entre tel ou tel maillon d'une chaîne d'opérateurs. Quand bien même il le ferait, ces règles seraient évidemment tournées.
En revanche, il est possible, sous le contrôle du juge, de définir ce qu'est une situation anormale et de prévoir que soient sanctionnés les manquements aux règles. C'est plutôt dans ce domaine que la mise en place de règles de bonne conduite est possible. Il est également possible qu'un véritable code de bonne conduite soit enrichi par la discussion entre professionnels de l'industrie et de la distribution.
Nous avons enregistré des progrès importants dans ces diverses voies depuis plusieurs années. Tout d'abord l'ordonnance de 1986 a créé un cadre général dans lequel s'inscrivent les relations entre industrie et commerce, sans pour autant les placer sous la tutelle de l'État.
Depuis, le dialogue interprofessionnel s'est engagé et dans de nombreux cas, il a abouti. Il s'applique par exemple aux délais de paiement, à la prévention des litiges, aux promotions… Je salue ces efforts, car ils constituent la meilleure réponse possible aux problèmes que vous évoquez.
Une vraie question se pose cependant dès lors que des règles sont fixées, notamment par la loi : qui saisira le juge en cas d'anomalie ? On a constaté que les fournisseurs répugnaient à le faire afin de ne pas provoquer des représailles de leurs clients. Le Parlement vient d'ouvrir un droit de saisine aux organisations professionnelles afin qu'elles puissent conduire les instances à statuer lorsque les intérêts généraux d'une profession peuvent être atteints à l'occasion d'un cas particulier.
Je vais observer avec beaucoup d'attention les progrès qui pourraient résulter de ces dispositions qui concourent clairement, à mon sens, à l'efficacité des règles de bonne conduite.