Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, à Bordeaux le 19 mai 1998, et interview à France 3 le 19 et Radio France internationale le 20, sur le changement de la relation entre l'Europe et l'Afrique et sur le rôle de l'entreprise, située au coeur de ce partenariat.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Charles Josselin - ministre délégué à la coopération et à la francophonie

Circonstance : 3ème Convention euro-africaine à Bordeaux du 18 au 20 mai 1998

Média : France 3 - Radio France Internationale - Télévision

Texte intégral

Ouverture de la IIIe Convention euro-africaine, le 19 mai 1998

Monsieur le Président de la République de Côte d'Ivoire,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs
Monsieur le Président du Conseil régional,
Monsieur le Maire,
Mesdames, Messieurs,

Au cours de cette 3e Convention euro-africaine, nous allons nous interroger sur la place de l'entreprise dans le cadre de la nouvelle donne Europe-Afrique, thématique de grande actualité dont je suis particulièrement heureux de m'entretenir avec vous.

- d'une part, la relation Europe-Afrique change et la définition d'un nouveau partenariat entre ces deux parties du monde nous occupera durant les mois à venir - ce sera là l'un de nos thèmes de travail ;

- la place de l'entreprise et du secteur privé comme élément essentiel du développement s'impose progressivement et nous conduit à moduler nos approches et nos stratégies.

La relation Europe-Afrique change.

Elle a longtemps été marquée par le poids de l'Histoire et notamment celle de quelques États membres dont la France, avec ce continent. Ce passé a pesé et parfois biaise les rapports politiques, économiques et culturels entre les deux partenaires.

Cette relation se transforme. Elle change car l'Europe change, elle change car l'Afrique change.

L'Europe change dans son cadre géographique, comme dans la nature des liens qui unissent ses Etats membres. Le partage d'une monnaie commune dès 1999 et le souci de définir une politique extérieure et de sécurité commune, montrent que l'Europe se crée, se renforce et change, chaque jour, de dimension. Elle se veut enfin plus présente dans l'organisation des affaires du monde et elle entend naturellement assumer les responsabilités d'un acteur majeur de la scène internationale.

L'Afrique change aussi. Elle s'ouvre au monde tout en renforçant son identité. Elle fait émerger de nouvelles élites, de nouveaux acteurs de son développement. Comme l'Europe, l'Afrique rassemble ses forces et joue l'intégration régionale comme facteur de cohésion et atout-maître dans le jeu de la mondialisation. Certes, elle connaît encore trop de conflits violents, de pandémies, de drames dont rendent régulièrement compte les médias, mais cette Afrique tourmentée, meurtrie, traumatisée, n'est pas toute l'Afrique. Or, c'est aussi à l'Afrique qui gagne qu'il convient de s'intéresser, à l'Afrique qui a rétabli ses finances publiques, qui commence à maîtriser son inflation, qui affiche des taux de croissance que l'Europe envie et qui, dans le même temps, apprivoise les règles exigeantes de la démocratie et fait le choix de la bonne gouvernance. Cette Afrique-là mérite qu'on parle d'elle, aussi. C'est aussi pour cela que nous sommes à Bordeaux aujourd'hui.

Je suis, vous vous en doutez, de ceux qui se félicitent des changements observés. Et je dis à ceux qui souhaiteraient qu'Europe et Afrique suivent, désormais, séparément leur voie pour se rencontrer et s'affronter uniquement sur le marché mondial, qu'il faut au contraire que l'Europe et l'Afrique saisissent cette occasion privilégiée, au moment où nous basculons vers le 3e millénaire, pour redéfinir leurs relations dans la durée, pour leur donner plus d'intensité et plus de clarté.

Nous entrons là de plain pied, dans les discussions en cours entre la Commission et les Etats membres sur le futur partenariat entre l'Europe et les ACP. Avant même la parution du « livre vert » de la Commission, la France avait fait connaître sa ferme volonté de pérenniser un partenariat entre l'Europe et les ACP. Mais elle a souhaité dans le même temps que ce partenariat évolue, qu'il tienne compte des changements intervenus, qu'il intègre, en particulier, un volet politique ignoré dans les précédentes Conventions de Lomé, tout simplement parce que l'Europe politique n'existait pas encore.

Le volet politique doit nous permettre de débattre sans tabou des différents sujets d'intérêt commun : migrations, prévention des conflits, Droits de l'Homme et je l'espère de trouver ensemble des solutions pertinentes aux différents problèmes posés. Le volet commercial doit favoriser l'insertion progressive du continent africain dans l'économie mondiale, tout en consolidant les ensembles régionaux en cours de constitution et en respectant les règles de l'Organisation mondiale du Commerce Nous reviendrons plus en détail sur ce dossier au cours de la première conférence mais, dès à présent, je veux dire qu'il s'agît pour nous de promouvoir un partenariat rénové au sein duquel, et c'est l'objet du second point que je souhaitais aborder, l'entreprise doit occuper une place centrale.

L'entreprise doit être en effet au cœur de ce partenariat.

L'entreprise a longtemps été la mal aimée du développement. Soupçonnée de servir les seuls intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général, elle n'a que trop rarement été intégrée dans les réflexions globales sur le développement. Mais les temps ont changé. La perception du monde de l'entreprise a évolué en même temps que le modèle du « tout-Etat » longtemps en vogue dans les pays en développement et chez les bailleurs de fonds.

Aujourd'hui, tous reconnaissent à l'Etat un rôle moteur dans le processus de développement mais sont conscients de son incapacité à générer seul le développement. Le secteur privé et le monde de l'entreprise sont désormais perçus comme des acteurs importants et des partenaires à part entière du développement Créateur de richesses, pourvoyeur d'emplois, facteur de stabilité sociale, le monde de l'entreprise doit être mobilisé pour tirer la croissance des pays en développement.

J'ajoute que cette perception nouvelle du secteur privé et du monde de l'entreprise se traduit dans les données statistiques. Le Comité d'aide au développement de l'OCDE nous indique ainsi qu'en 1996, les apports du secteur privé aux pays en développement ont atteint le montant exceptionnel de 234 milliards de dollars, en augmentation de près de 40 % par rapport à 1995. Dans le même temps, l'aide publique au développement passait en dessous de 60 milliards de dollars. Cependant et malheureusement, ces flux privés sont concentrés sur un faible nombre de pays, moins d'une vingtaine, et l'Afrique subsaharienne n'en reçoit qu'une part infime d'environ 3 %, On peut à présent parler d'aide privée au développement, réfléchir aux moyens de la mobiliser, et de créer les meilleures synergies avec l'aide publique au développement.

En effet, il ne faudrait pas penser substitution mais plutôt agrégation, au profit du développement. Et un des enjeux majeurs du futur partenariat entre l'Europe et l'Afrique sera l'amélioration de l'environnement de l'entreprise et du son secteur privé en Afrique. Je songe, évidemment, à son cadre juridique, fiscal et social et, plus globalement, à toutes les composantes de l'État de droit. C'est selon ce que nous en ferons que les flux de capitaux actuellement très volatiles, se dirigeront de façon durable vers ce continent. C'est le sens des propositions françaises sur l'avenir de Lomé et des conclusions qui émergent des travaux conduits par la commission et les Etats membres sur ce sujet. C'est ce qui ressortait de la réunion des ministres du développement à laquelle je participais hier encore à Bruxelles.

Pour conclure ce propos introductif, je dirai que cette nouvelle donne pour la relation Europe/Afrique se résume assez bien aux objectifs du gouvernement français et de mon ministère en particulier : un partenariat équilibré et ambitieux entre les pays, un rôle moteur pour des entreprises porteuses du développement.

Je vous remercie.


France 3 – 19 mai 1998

Q. - 50 % des importations ivoiriennes proviennent de l'Union européenne et c'est la Côte d'Ivoire qui figure en tête des pays d'accueil pour les entreprises françaises implantées en Afrique de l'Ouest. Aujourd'hui, Européens et Africains veulent être partenaires en affaires. La mise en place de l'euro ne devrait pas changer la donne, selon le gouvernement français.

R. - J'ajoute qu'il s'agit d'un accord budgétaire, que c'est la comptabilité du Trésor français et pas celle de la Banque de France qui enregistre les relations entre francs et francs CFA, on observe qu'il n'y a aucune raison de modifier cette parité et j'aimerais bien que, très vite, nous arrivions à convaincre tout le monde, y compris les Africains eux-mêmes, y compris les investisseurs. Car, aujourd'hui, cette rumeur-là selon laquelle il y aurait, parce que le franc passe à l'euro, une modification de la parité - donc une dévaluation, en clair -, encourage tous les attentismes et retarde l'investissement.


RFI – 20 mai 1998

Q. - La troisième Convention euro-africaine se tient à Bordeaux dans le sud-ouest de la France en présence du président Henri Conan Bédié qui assure la vice-présidence de cette convention aux côtés d'Alain Juppé, l'ancien Premier ministre français, le maire de Bordeaux, en présence également du ministre français de la Coopération Charles Josselin, soucieux de préciser sa pensée sur la future Convention de Lomé.

R. - Le doute sur la reconduction des Accords de Lomé est désormais levé : au début, certains pays européens n'étaient pas d'accord pour que l'on continue. Aujourd'hui, il y a discussion entre nous parfois sur certains sujets, mais sur le principe de nouveaux Accords de Lomé, il n'y a plus de doute désormais. Il y a une semaine à la Barbade, avait lieu la rencontre des ministres européens et des ministres ACP. Hier, à Bruxelles, c'était la rencontre des ministres du Développement européens. Nous travaillons beaucoup, mais je crois que les choses avancent. Il reste à expliquer peut-être mieux aux Africains les changements qui vont intervenir. En effet, sans doute insuffisamment informés, ils expriment quelques inquiétudes. Il est vrai qu'il y aussi une nouvelle donne. L'Europe politique n'existait pas hier, elle existe aujourd'hui. Mais l'OMC n'existait pas non plus hier et elle représente maintenant un certain nombre de contraintes dont il va falloir tenir compte précisément pour amener progressivement les économies des pays ACP à s'intégrer dans l'économie mondiale.