Texte intégral
B. Masure : Libération note que vous êtes en bonne place dans la liste des tire-au-flanc au parlement européen ?
P. Herzog : J'ai tenu ma place. Il y a un problème avec l'utilisation du parlement européen. Les partis politiques français n'ont pas assez utilisé cette enceinte pour mener un combat conséquent sur les dossiers européens. Au parlement européen tout s'opère par consensus entre les centristes et les socialistes. Je m'engage à faire le maximum pour qu'on établisse un clivage entre les progressistes et les conservateurs et qu'une véritable vie politique soit possible.
B. Lalonde : Le parlement européen a plus de pouvoirs aujourd'hui.
P. Herzog : Oui, mais il faut une politique. J'ai une question : allons construire l'Europe autrement et mettre le paquet, travailler ensemble pour le faire ?
B. Masure : Les écologistes arrivent divisés et courent le risque de n'avoir aucun élu. Ce n'est pas dommage ?
B. Lalonde : Tout à fait ! J'ai proposé à Mme Isler-Béguin qu'on fasse liste commune. Et j'ai même dit : je ne réclame pas la première place, et Génération écologie est prête à s'effacer. Et les Verts ont refusé. Cela renvoie à une querelle des anciens et des modernes. La droite est divisée, la gauche est divisée. L'écologie est une des rares idées nouvelles qui soient apparues depuis longtemps, un peu comme le socialisme il y a un siècle. Le socialisme a été incarné par le parti communiste – une tendance plus radicale, plus protestataire, qui voulait forcer la société à changer – et le parti socialiste – plus réformiste. C'est la même chose dans l'écologie avec une tendance protestataire et dure qui veut forcer la société et une tendance plus réformiste que Génération écologie représente. J'aurais voulu une liste unique, bon, les électeurs choisiront. On verra quel sera le vote utile.
B. Masure : On a vu l'intrusion du drame bosniaque dans la campagne qui s'endormait un peu. Êtes-vous pour une levée de l'embargo en faveur des Bosniaques ?
P. Herzog : Non, je ne suis pas pour la levée de l'embargo. Mais je crois que ces intellectuels ont eu raison d'interpeller les politiques. Deux fautes majeures ont été commises depuis le début. 1/ On n'a pas dissuadé l'agression serbe. Il fallait le faire dès l'agression en Croatie. 2/ Les États ont choisi très tôt la partition ethnique. Ce qui est une solution injuste qui ne correspond pas à la tradition de la Bosnie. Par conséquent, on comprend le désespoir des Bosniaques. Il y a un déséquilibre des armes criant en faveur des Serbes. Il y a des résistants qui disent : il nous faut des armes pour nous battre. Il faut les écouter ! Cela dit, lever l'embargo et les pousser à l'empoignade, cette espèce de jugement des armes tournera au carnage, et pas forcément à leur avantage. La seule solution, ce n'est pas seulement de négocier, mais de négocier pour une paix juste et durable. C'est-à-dire refusant, au moins à terme, la partition ethnique comme solution, et d'autre part, en montant la dissuasion vis-à-vis des Serbes. Le retrait des Casques bleus va complètement à contre-courant d'une paix juste et durable.
B. Lalonde : Nous avons été lâches. Cela me rappelle Munich. Tout le monde était content et disait : c'est la paix ! Ils ont eu le déshonneur et la guerre quand même. Quand on voit les images où l'on voit les enfants se faire descendre les uns après les autres par des soldats – des civils se faire descendre par des soldats ! – alors je trouve que si on n'est pas capable de défendre les Bosniaques, il faut les laisser se battre et se défendre par eux-mêmes. Nous avons été lâches, j'ai peur d'une lâcheté de l'Europe devant le retour du fascisme. On va célébrer le débarquement, ce qui a été le pacte général de l'Europe contre le fascisme, donc n'oublions pas !
P. Herzog : Il n'est pas trop tard pour les défendre efficacement…
B. Lalonde : Une seule chose de bien : l'ultimatum à Sarajevo. Je me suis dit : la politique de la France est en train de changer.
P. Herzog : Ne reculons pas, mais montons la dissuasion.
B. Masure : B. Tapie : est-ce un trublion ou un aiguillon ?
B. Lalonde : Un truand tout simplement ! Pour moi, c'est le déshonneur de la France. Je ne comprends pas. Je suis stupéfait que quelqu'un qui, semble-t-il, ait fait tant de choses, tant de reproches qu'on lui fait, je suis stupéfait que pour certains il représente une solution ! Quand on va à l'étranger, on nous dit : qu'est-ce que vous faites en France ?
P. Herzog : B. Tapie sait s'adresser aux Français en parlant simple et clair. Cela plaît, car en politique, il y a souvent de la langue de bois et l'on tourne autour du pot. D'autre part, il y a des aspirations à monter la barre. Quand on dit « zéro chômage pour les jeunes », moi je dis qu'il faut une ambition de plein emploi. Les gens ne vérifient pas ce qu'il y a derrière. B. Tapie est un symbole de la dernière décennie où des gens ont fait beaucoup d'argent, y compris en laissant des dettes, sans créer d'emplois, en prenant des entreprises et en les jetant. Ce n'est pas forcément un symbole de l'avenir sur le fond des solutions.
B. Masure : On peut dire que B. Lalonde, vous êtes pour le oui à l'Europe de Maastricht et P. Herzog, vous êtes pour le non ?
P. Herzog : Je suis pour la renégociation des traités. Je suis pour la construction de l'Europe. Les Français ont dit à 49 % non, à 51 % oui, mais cela avec beaucoup de critique. Depuis cinq ans, ma ligne, c'est construire l'Europe autrement. Je pense que c'est maintenant nécessaire et que les Français le souhaitent.
B. Lalonde : Vous allez demander à quoi on va s'engager, moi je vais m'engager à fermer Tchernobyl. Je suis stupéfait que cette centrale fonctionne depuis huit ans, elle est à moitié pourrie, elle va encore exploser. Il y en a dix autres comme cela dans l'ancienne Union soviétique, en Russie, en Lituanie, il faut les fermer, on n'a rien fait. En Ukraine, il y a eu 90 000 morts. Depuis les accords de désarmement, on a sorti 50 tonnes de plutonium des anciennes ogives de l'Union soviétique. Qu'est-ce qu'on va en faire ? Par conséquent, je ne vois pas comment, si ce n'est pas l'Europe, on va régler tout cela ! Je suis affolé de voir que nous sommes six milliards de terriens. Regardez ce qui se passe au Rwanda et un peu partout, quand on sort de l'Europe, on apparaît comme une famille unie où la personne humaine a un prix ; par conséquent, c'est un trésor cette coopération Européenne ! Attention aux hommes politiques qui sont vraiment des apprentis sorciers et qui nous disent « on revient en arrière, on retourne vers le nationalisme ». Attention à cela ! C'est notre trésor à tous, la coopération européenne.
P. Herzog : Mais les Français ne veulent pas de repli nationaliste, sauf une petite minorité qui est à côté de la plaque. Il y a une majorité qui est déçue, et qui voit que les problèmes de l'emploi ne sont pas traités, qu'il y a des problèmes de démocratie, que cet espace n'est pas solidaire.
B. Masure : Qu'est-ce qu'on peut faire concrètement ?
P. Herzog : À Strasbourg comme en France, la question des questions, c'est d'utiliser l'argent autrement. C'est-à-dire dissuader cette enflure spéculative. Tous les jours je vois des entreprises qui liquident des emplois pour augmenter les taux de rentabilité. En France, les profits sont 50 % plus élevés que les investissements. Le fric ne s'engage dans la création d'emploi et l'activité que si cela rapporte très gros. Moi je dis, en termes de taxation des sorties de capitaux excessives et de la spéculation, en termes de financement public, non pas pour alléger le coût du travail – ce qui est un suicide car cela casse la consommation populaire et les profits ne s'investissent pas en création d'emplois – en termes de crédits qui ne doivent pas servir à des Eurodisney, alors qu'en même temps les petites entreprises crèvent par insuffisance de crédits à bon marché. Moi je dis que la question de l'argent est la question des questions. Il faut revenir sur la déréglementation financière que l'Europe a acceptée. Il faut que l'Europe se construise sur l'idée de coopération et de solidarité. Il faut la solidarité entre nous et la préférence communautaire, il faut tendre la main au Sud. On nous le fait craindre, alors que les déficits vis-à-vis du Japon et des Etats-Unis sont quatre fois plus élevés. Il faut que l'Europe sorte de l'alignement vis-à-vis des Etats-Unis, et développe une politique de développement tournée vers la Méditerranée et l'Afrique.
B. Lalonde : Je pense que l'Europe est sortie aussi de l'alignement à l'Est. Quand on voit les résultats du communisme dans les pays d'Europe de l'Est, je suppose qu'ils sont assez contents d'en être sortis.
B. Masure : Vos positions sur le débat : moins d'impôts ou moins de cotisations sociales ?
B. Lalonde : Je voulais faire une proposition, rapidement, sur l'emploi. Les cotisations sociales : oui, il faut baisser le coût du travail, relativement, mais nous ne sommes pas tellement payés, en France. Tout simplement parce que chaque fois qu'un employeur va payer 100 de salaire, il va payer en 50 de cotisations sociales. Or à un moment donné, ces cotisations finissent par être un impôt sur le travail. Par conséquent, la proposition de Génération Ecologie, et des écologistes, qui sera reprise de plus en plus par toutes les listes politiques, c'est que les cotisations sociales soient de plus en plus payées par la pollution. Progressivement, avec ce genre de mesures, nous allons à la fois améliorer l'emploi et l'environnement. Ce sont des choses très simples, et un jour, il faut le faire.
P. Herzog : Deux remarques. Un, c'est la politique de la droite. L'abaissement des charges sociales généralisées, ça fait dix ans, c'est la loi quinquennale et ça n'a jamais créé d'emplois. Par contre, les charges sociales sont mal réparties : elles pèsent trop sur les artisans et les entreprises de main-d'œuvre, alors que la grande distribution, les sociétés multinationales ont des coûts salariaux très faibles. Donc, réformer l'assiette, oui. Sur le financement, je suis pour une écotaxe. Mais les Américains n'en veulent pas. Les grandes firmes n'en veulent pas parce que les transporteurs routiers, aériens n'en veulent pas. Ce serait une taxe supplémentaire sur la consommation, purement et simplement. Ça n'est pas la solution. Ou alors il faut se battre pour une préférence communautaire qui n'existe pas sur le territoire européen. L'écotaxe, je ne suis pas contre, mais il faut monter la mise par rapport à l'agression commerciale américaine et, d'autre part, il faut que les grandes firmes paient pour les gâchis énergétiques. Et d'autre part, le tiers-monde, à 15 dollars le baril : il faudrait peut-être en dire un mot, ça les fait crever, il faudrait relever le prix du pétrole.
B. Masure : Quel est pour vous l'enjeu de cette élection ? Cette élection n'est-elle pas tout simplement une espèce de tour de chauffe pour les présidentielles ?
P. Herzog : On va voir si les Français ont donné un point supplémentaire à la droite. Moi, je me bats pour une politique de changement en France et il faut que les Français le marquent. Deux, on va voir si on peut commencer à construire l'Europe autrement, en travaillant avec des socialistes, des écologistes. Moi je m'engage à travailler avec eux et j'espère que R. Hue et les communistes qui sont partisans d'un pacte unitaire pour le progrès, en dépit des divergences, pourront dire, dans les jours qui viennent, on va tenter de faire une alternative progressiste en Europe pour un nouveau projet européen. Si les Français nous soutiennent dans ces directions, je crois qu'on fera un pas dans la perspective de changement social et démocratique que les Français attendent.
B. Lalonde : Je souhaite qu'on retrouve le sens de l'action collective, qu'on retrouve le sens du projet, qu'on retrouve vraiment pour nos enfants, le goût d'agir et de la volonté. On a perdu tout ça. Qu'il y ait de nouvelles forces politiques qui naissent en Europe. Il y en a partout, en Europe. Il faut que les Français se rendent compte, en ce moment, à quel point c'est en train de s'écrouler, à quel point le monde a changé en dix ans. C'est inouï. Regardez l'Afrique du Sud, Israël, l'URSS, ça a disparu en dix ans. Le monde est devenu tumultueux et on a besoin de faire bloc, que l'Europe existe, qu'elle soit forte, qu'elle soit fière. Et nous, Français, on est bons : on n'a pas peur de s'imposer au monde, on n'a pas peur des autres. Je suis stupéfait de voir le pessimisme général, et on a besoin de dire aux jeunes que le monde a besoin d'eux. Par conséquent, nous, on a envie d'être les anges gardiens de l'Europe, on va défendre sa qualité de vie, l'eau, l'air. Tchernobyl, on va aller le fermer. On en a un petit peu assez du bla-bla général et des gens qui ne font rien.
P. Herzog : Les gens veulent des réalisations concrètes, effectivement. Engageons-nous à les réaliser, dans un véritable travail entre les uns et les autres. L'écologie est un humanisme qui appartient à tout le monde. Cela dit, quand il s'agit de résoudre les problèmes de l'argent, de l'emploi, du marché, alors il faut regarder du côté de la gauche et particulièrement du côté des communistes. Car vous cafouillez sur cette question du chômage, permettez-moi de le dire.
B. Lalonde : Pas de problème. Que les communistes disent ce qu'ils veulent : de toute manière, je crois que ce n'est plus l'avenir.