Extraits de l'interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à LCI le 31 août 1998, sur la situation politique, économique et financière de la Russie, les représailles aériennes américaines en Afghanistan et au Soudan et le conflit dans la région des Grands lacs.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Université d'été du Mouvement des Citoyens à Perpignan du 21 au 23 août 1998

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q - Bonsoir à tous, l’actualité de cet été a été marquée par de grands évènements internationaux. M. Hubert Védrine est sur notre plateau, un ministre des Affaires étrangères qui a été très occupé pendant ses vacances.

R - Nous ne sommes pas maîtres des crises, l’actualité internationale ne se met jamais en congé.

Q - Evidemment, c’est aujourd’hui la crise russe qui préoccupe toutes les capitales occidentales et puis une grande partie du monde. Aujourd’hui et à cette heure-ci, la situation est plus que jamais bloquée puisque Victor Tchernomyrdine n’a pas été accepté par la Douma. On l’a su il y a quelques heures seulement. Sa candidature a été rejetée par 251 députés russes et Boris Eltsine, à l’instant toujours, vient de représenter la candidature de Tchernomyrdine. Donc, aujourd’hui, à cette heure-ci, la Russie est un pays sans gouvernement avec un président qui se demande un petit peu s’il a vraiment du pouvoir. Comment un ministre des Affaires étrangères vit-il cela ?

R - La question qui se pose dans ces cas là, c’est « Que pouvons nous faire pour contribuer à une solution ? ». Il faut remettre les choses un peu en perspective : la Russie est un pays qui a commencé la construction d’un grand pays moderne doté d’une économie de marché qui fonctionne et d’une grande démocratie depuis seulement six ou sept ans, à partir des décombres de l’URSS. Il faut être un peu objectif par rapport à cela. Je ne dis pas qu’il faut être indulgent et accepter n’importe quoi, mais il faut avoir cela aujourd’hui en tête : on ne bâtit pas un immense pays moderne et démocratique selon nos critères comme cela, comme par magie, en un an ou deux. A cet égard, je trouve que politiquement les Russes ont été courageux ces dernières années. Ils ont réussi à mettre en place des institutions qui fonctionnent, y compris à travers des péripéties qui peuvent nous déconcerter mais qui sont des péripéties démocratiques.

Q - Tant qu’il n’y a pas de coup d’Etat, c’est finalement pas si mal ?

R - C’est un immense progrès surtout. C’est comme cela que, peut à petit, on consolide une démocratie qui fonctionne. Cela aurait pu se passer autrement. A cet égard, je pense qu’à partir de Gorbatchev puis après, avec Eltsine, les occidentaux ont eu raison d’accompagner ce mouvement et de ne pas faire l’erreur abominable faite en 1918 avec l’Allemagne. Avec la Russie en 1989, au lieu de dire « ils ont perdu la guerre froide », de les assommer de contraintes, l’idée a été d’accompagner la reconstruction. C’était un choix stratégiquement bon.

Q - Qui est toujours validé ce soir ?

R - Non, c’est autre chose. Il s’agit maintenant de savoir si concrètement, au-delà de cette posture politique, tournée vers l’avenir et non pas vers la revanche, l’aide que l’on apporte, la coopération, l’accompagnement financier sont bien utilisés ou pas.

Q - J’aimerais avoir votre réaction ce soir à cette nouvelle : Tchernomyrdine rejeté par la Douma.

R - Nous sommes au milieu de la procédure, il y a des consultations, des négociations. Le président Eltsine peut décider de représenter cette candidature, une seconde fois, voire une troisième fois, je crois. Il y a donc des mécanismes constitutionnels qui fonctionnent, on reste dans le jeu normal des institutions en Russie.

Q - C’est un peu inquiétant, étant donné la situation…

R - C’est un fait. En tout cas, on est dans le fonctionnement normal des institutions. On ne peut que souhaiter que la Russie soit rapidement dotée d’un gouvernement qui puisse travailler et reprendre le chemin, à sa façon, à la russe, vers les réformes dont ils ont absolument besoin. Cela c’est très important. Cela peut se conclure demain ou dans huit jours mais c’est à eux de le faire. On voit bien l’expérience des dernières années : on ne peut pas plaquer de l’extérieur un processus de réformes si elles ne sont pas perçues comme étant nécessaires par le peuple russe et par ses dirigeants. Il ne faut pas que cela soit imposé de l’extérieur, par un organisme, par des pays étrangers. Il faut qu’ils trouvent des réponses politiques russes qui leur permettent d’endosser ce processus de réforme dont ils ont besoin.

Q - On a l’impression que Victor Tchernomyrdine, ce serait la solution la plus stable. Mais quand vous écoutez son discours de candidature cet après-midi à la Douma, il dit qu’il veut à la fois préserver le rouble et garantir les dépôts des épargnants russes, les salaires et les retraites. C’est totalement contradictoire. Comment peut-on faire confiance à tel discours ?

R - C’est difficile de demander à prendre la tête du gouvernement russe en disant « je ne garantis ni la monnaie, ni les salaires, ni les retraites » !

Q - Oui, mais tout à la fois…

R - Je crois qu’ils sont dans une situation extrêmement difficile. Ils ont des réformes à faire, notamment sur le plan fiscal et par rapport à certains monopoles d’Etat. Il y a un gros travail de reconstruction à faire. Mais il faut aussi qu’il y ait une adhésion, une compréhension, même si les gens souffrent, pour la construction de la grande économie moderne de la Russie, que nous souhaitons mais qu’ils souhaitent encore plus. Donc, il y a un croisement à trouver, une équation à résoudre entre le critère économique et monétaire, celui de l’aide financière et le critère politique. Il faut trouver une solution ait sa base politique en Russie. Sinon nos conseils, nos exigences de l’extérieur patinent. Tous les pays occidentaux qui s’expriment sur cette crise parlent bien de réformes à la russe, à leur façon.

Q - C’est la principale leçon de cette crise ?

R - Non, ce n’est pas la leçon de cette crise. C’est la leçon de ces dernières années. C’est la leçon qui montre que des réformateurs qui sont chouchoutés dans les capitales occidentales mais qui ne sont pas compris sur place même s’ils sont animés de bonnes intentions, n’arrivent pas à faire rentrer ces réformes dans les faits.

Q - Mais qui pourrait faire cela alors ?

R - C’est à eux de trouver. C’est à eux d’accompagner ce mouvement. Ce n’est pas à nous de trouver le dirigeant russe qui répondra à cela. Pour le moment c’est Boris Eltsine qui a le pouvoir et le devoir de proposer le Premier ministre qui va pouvoir conduire ce gouvernement.

Q - Faites-vous toujours confiance, peut-on faire toujours confiance à Boris Eltsine ? M. Giscard d’Estaing a dit aujourd’hui qu’Eltsine ne peut plus redresser la situation car son autorité n’existe plus et qu’il a complètement échoué à faire évoluer l’économie.

R - Il y a un bilan économique et il y a un bilan politique. Il faut regarder les deux aspects. C’est Boris Eltsine qui est président, ce n’est pas nous qui allons dicter à leur place. C’est un grand pays, on ne peut pas jouer avec ce pays. C’est un grand pays qui est engagé dans un processus et une tache historique de reconstruction. Nous sommes les premiers intéressés à ce que cela réussisse. Il faut trouver une combinaison, que Boris Eltsine qui est le président finisse par trouver son assise politique. Ce n’est pas à nous de dire, de trancher, d’imposer, d’exiger, d’empêcher… Non. Tout cela doit être sur la base du respect mutuel. Ce n’est pas parce que la Russie traverse une crise financière aiguë qui met en évidence une politique économique qui n’a pas fait assez de réforme, que brusquement la souveraineté politique est confisquée par ceux qui apportent une aide, une aide déterminante. On va continuer à l’apporter si elle permet de faire ce travail de réformes, naturellement, mais on ne doit pas confisquer la souveraineté, on n’a pas le droit. Ce sont les Russes qui vont trouver une solution politique à la crise.


Q - Mais, maintenant du point de vue monétaire, financier, économique, le 15 septembre, il y a un versement du FMI très important à la Russie. Est-ce qu’il doit être versé ? A quelles conditions ? Et si jamais un communiste venait au pouvoir à Moscou, quelles seraient les conditions que les pays occidentaux devraient imposer ?

R - Ce n’est pas lié à la composition politique du Gouvernement. C’est lié à ce raisonnement historique sur ce qui permet à la Russie d’avancer dans la construction de son économie moderne. Je ne vais pas me substituer au directeur général du FMI ou aux ministres des Finances du G7 qui ont en charge cette négociation. Simplement, vous noterez que les grands pays ont tous dis la même chose ces derniers jours : nous sommes disposés à continuer à accompagner ce travail de la Russie si elle reprend ses devoirs. Naturellement, on veut que ce soit utile, que les textes d’accompagnement soient utiles, soient concrets, c’est-à-dire que cela aide la Russie à faire les efforts dont elle a besoin, par exemple en matière de fiscalité.


Q - Oui, mais si au contraire on entend un discours sur les nationalisations, sur le paiement des salaires et des retraites passant avant l’équilibre financier.

R - On ne peut quand même pas présenter comme quelque chose de choquant un gouvernement qui veut payer les salaires et les retraites ! Dans aucun pays au monde on ne peut estimer choquant de payer les salaires. C’est impossible. Ou alors cela veut dire qu’on est à un point de contradiction entre les attentes du monde extérieur et la démarche du peuple russe. Précisément, il ne faut pas qu’il y ait contradiction, il faut trouver une synthèse entre les deux. Les Russes sont quand même assez conscients de la situation et ils souhaitent continuer naturellement à être accompagnés par le FMI et les grands pays comme le G7. Ils sont en train de chercher une solution politique qui permette cela. Ensuite il y aura un dialogue difficile sur les réformes mais cette discussion aura lieu après, à partir du moment où il y aura un interlocuteur politique gouvernemental.

Q - Quel est le sens que l’on peut tirer, nous occidentaux, de cette crise ? A-t-on mal jaugé la situation en Russie ? A-t-on mal compris ce qu’il fallait faire ? L’aide doit-elle être seulement financière ou doit-elle être d’une autre nature ? Quels sont maintenant, même si c’est encore en pleine crise, les résultats que l’on peut poser ?

R - Une des leçons c’est de se rappeler que l’on ne peut pas faire ces immenses changements cette énorme mutation d’un seul coup. Il doit y avoir une programmation. Peut-être faut-il qu’elle soit plus claire et que l’on comprenne mieux les étapes par lesquelles on passe.

Q - Vous l’avez dit tout le temps, cela fait des années qu’on le dit aux Russes ?

R - Quelle est l’autre solution ? Leur dire « Débrouillez-vous » ? On ne peut pas jouer avec cela en disant qu’après tout, ce qui se passe en Russie ne nous concerne pas. On ne peut pas raisonner comme ça. Donc il y a un travail d’accompagnement, c’est un choix stratégique et, par rapport à certaines erreurs commises au XXème siècle, je crois que c’est un choix intelligent. Simplement, à certains moments on passe par des phases très difficiles, surtout quand en plus la crise coïncide avec une situation au niveau international qui est volatile et délicate. Dans une interview récente j’ai employé le terme de « cyclonique » parce que ce sont de véritables tornades mêmes des Etats dotés d’économies plus solides ont du mal à y résister. Donc il y a la combinaison des deux phénomènes. Il faut aider cette économie russe émergente, en voie de reconstruction, à traverser cette phase. Il faut l’aider de façon à ce que notre aide soit utile. On peut se demande si le FMI dispose des moyens adaptés. Le président de la République et le Premier ministre ont fait remarquer qu’on voyait bien dans cette phase de l’histoire du monde, que les instruments de régulation globaux, économiques et financiers mais aussi d’autres organismes, ne paraissent pas à la taille des enjeux rencontrés, surtout quand il y a une série d’évènements en chaîne, comme l’Asie du Sud-Est, la Russie, la question du Japon, qui est un peu différente… Donc, il y a une réflexion à mener. La France, dans le passé, a toujours su faire des propositions importantes pour le fonctionnement des institutions de l’ONU, pour le système de Bretton Woods, qui est le système de l’après guerre…

Q - Concrètement il s’agirait de renforcer justement ces instituts internationaux…

R - Concrètement, il y aura des propositions mais pas à chaud. Il faut maintenant trouver la meilleure solution possible sur la question russe.

Q - C’est dommage, on aurait pu avoir une proposition au moins sur cette question. Je disais que l’actualité étrangère était particulièrement riche. Nous allons évoquer votre voyage en Iran, nous allons évoquer la situation au Congo et je voudrais revenir en un mot sur ce sommet, demain, Bill Clinton/Boris Eltsine. Selon vous, sont-ce deux présidents décrédibilisés qui vont se rencontrer, comme le disent les chroniqueurs ?

R - Je laisse l’expression aux chroniqueurs.


Q - Il y a eu un effet Lewinsky aussi aux Etats-Unis. Est-ce que cela rejaillit sur le plan international ?

R - Je ne suis pas sûr que cela ait eu des conséquences de la politique américaine. Le président Clinton de son côté, Boris Eltsine de l’autre, n’avaient aucune raison de reporter ce sommet. C’est un sommet important, préparé depuis longtemps et quel sens aurait eu un report ? Je crois qu’il faut se garder des commentaires trop rapides.

Q - Je parle de cela parce qu’il y a eu ces bombardements par les Américains sur des cibles sensées êtres des cibles terroristes, des bombardements qui ont été accueillis en France avec une certaine réserve, on va y revenir dans un instant, mais y a déjà un débat…

R - Non pas réserve mais sobriété.

Q - Scepticisme …

R - Vous parlez des réactions officielles ou des commentaires de la presse ?

Q - Non, je parle des réactions officielles évidemment. Certains ministres ont exprimé leur scepticisme. Jean-Pierre Chevènement a expliqué qu’il attendait des preuves, que…

R - La réaction de la France est celle du communiqué du Quai d’Orsay qui s’exprime au nom des autorités françaises, ce qui veut dire le président de la République et le gouvernement. Dans ce communiqué, on a dit que l’on prenait acte de la réaction américaine qui avait invoqué le droit de légitime défense garanti par la charte des Nations unies et on rappelait notre condamnation ferme contre le terrorisme d’où qu’il vienne. C’est sobre.

Q - Mais alors quand Jean-Pierre Chevènement dit qu’il attend des preuves, que les Américains récoltent en gros ce qu’ils ont semé, parce qu’ils avaient soutenu dans le passé les Talibans, avec ce ton sévère, vous n’êtes pas très satisfait vous, en tant que ministre des Affaires étrangères ?

R - La question des informations, c’est une question posée par beaucoup de pays qui demandent aux Américains de s’expliquer à propos du Soudan notamment.

Q - Vous partagez les réserves de certains spécialistes qui ont trouvé que ce bombardement sur l’usine soudanaise était injustifié ?

R - Je ne partage pas de réserves parce que je n’ai pas d’indications particulières mais il y a beaucoup de pays dans le monde qui ont demandé aux Etats-Unis pourquoi ils avaient choisi cette cible.

Q - Et en France c’est Jean-Pierre Chevènement qui l’a fait. Vous n’avez pas eu l’impression comme ça qu’il y avait des tons différents. La majorité plurielle s’est exprimée avec des voix différentes sur cette affaire…

R - Non, il n’y a aucune contradiction. La remarque de Jean-Pierre Chevènement est une phrase extraite d’un discours portant également sur d’autres sujets. Le communiqué a vraiment exprimé l’ensemble des points de vue en présence.

Q - C’est important parce que tout ce discours sur les Américains qui ont un petit peu récolté ce qu’ils ont semé en soutenant les Talibans est donné aujourd’hui, alors que, par exemple vous êtes allé en Iran cet été et vous avez essayé de renouer avec l’Iran et d’accompagner ce processus d’ouverture. Peut-on condamner les erreurs des Etats-Unis et entamer une politique qui peut y ressembler ?

R - Il y a deux choses différentes parce qu’on ne peut pas dire que les attentats qui ont frappé deux ambassades américaines en Afrique soient le résultat d’une politique erronée de soutien aux Talibans. C’est deux choses tout à fait différentes. Il y a un certain nombre de raisons qui font que dans le monde arabe islamique, il y a beaucoup de mouvements hostiles à la politique américaine, notamment au Proche-Orient. Ce n’est pas lié du tout à ce qui s’est passé en Afghanistan. Et si ce lien devait jouer, ce serait dans autre sens. Il y a un lien qui est illogique sur ce plan, vous voyez bien.

Quant à la question de l’Iran, c’est tout à fait distinct et c’est une coïncidence. Le voyage que j’ai effectué en Iran intervient à un moment où les Talibans marquent des points dans la lutte qu’ils mènent pour le contrôle de l’Afghanistan.

J’ai été en Iran parce qu’il y a un contexte nouveau dans ce pays. L’an dernier, u président a été élu à la surprise générale, ce n’était pas du tout le candidat du système. Le président Khatami a été élu alors que le corps électoral iranien, les hommes et les femmes d’Iran ont voté à 90 %. Ils ont voté à 70 % pour ce candidat qui a balayé les autres candidats. Il s’est vraiment passé quelque chose. L’analyse a montré que les jeunes, les femmes ont beaucoup a voté pour lui. A partir de là, ce Président tend la main. Il essaie de rétablir un dialogue, non pas que l’Iran ait changé, mais il veut établir un dialogue et replacer son pays dans une situation différente dans les relations internationales et par rapport à l’avenir. Les Etats-Unis écoutent avec beaucoup d’intérêt, d’autant plus qu’il a fait des discours spécifiques pour l’opinion américaine par l’intermédiaire de CNN et il a tendu aussi la main aux Européens. Les Européens ont décidé unanimement à quinze, il y a quelques mois, d’interrompre ce que nous appelions le dialogue critique compte tenu du passé, des innombrables sujets de désaccord et de contentieux que la République islamique : les terrorismes, les Droits de l’Homme et beaucoup d’autres sujets. Le dialogue critique était une critique en fait.

On a décidé de revenir à un dialogue politique, qui ne dispense pas de parler des sujets de désaccord. Dans ce contexte, j’ai été sur place pour me rendre compte et pour voir quel était le rapport de force entre les éléments de modernisation et les éléments de résistance au changement. Parce que notre idée, c’est d’accompagner le changement dans ce qu’il a de positif en essayant de happer le moment où effectivement ce pays tournera la page d’un certain nombre d’éléments de sa politique qui n’étaient pas acceptables.

Q - A la fin de votre voyage, vous n’avez pas été déçu de voir, qu’y compris les plus modéré, les plus ouverts avaient un discours très dur, par exemple sur la fatwa contre Salman Rushdie…

R - Non, j’ai été très intéressé par ce voyage et plutôt encouragé, tout en étant convaincu que c’est un voyage qu’il fallait faire parce c’est sur place que l’on peut voir les uns et les autres. J’ai été extrêmement bien reçu. J’ai eu de longues conversations avec le président de la République, le vice-président, le président du Parlement et plusieurs ministres. C’est extrêmement intéressant. Je vois que ce pays est porté vers le changement par sa population, par l’économie mondiale par toute sorte de forces. Lui aussi veut son changement à sa façon. Il a son histoire son héritage, il faut donc accompagner ce mouvement. Il faut l’accompagner avec clairvoyance, avec prudence, avec lucidité, en vérifiant à chaque étape où l’on va. Mais c’est un mouvement qui mérite d’être suivi.

Q - Un petit mot sur la situation au Congo qui bouge : on a le sentiment que M. Kabila reprend le dessus. Est-ce votre analyse aujourd’hui ?

R - Il n’est pas au centre de l’affaire. Ca se passe en République démocratique du Congo, dans l’ex-Zaïre mais l’élément central c’est que les Africains, comme nous l’avons souvent souhaité, ont pris leur destin en main, même si c’est sous la forme de combats. Ce qui se passe en ce moment, dans toute l’Afrique des Grands lacs, cette zone qui prend en écharpe toute l’Afrique d’est en ouest, cela concerne 7 ou 8 pays qui sont en compétition pour le rapport de force régional qui sont en train de s’équilibrer.

Q - Leur combat remplace les combats entre les anciens colons, entre les Français et les autres ?

R - Ce qui est clair, c’est qu’il n’y a aucune ingérence extérieure. Ce n’est pas le jeu caché des Américains, des Britanniques ou des Français ou que sais-je. C’est vraiment une lutte ou une concurrence régionale entre l’Angola, la Zambie, le Zimbabwe, l’Ouganda, le Rwanda ; la Tanzanie et d’autres pays, sans oublier l’Afrique du sud qui n’est pas un pays directement concerné. C’est cela qui est en train de se jouer.

Q - M. Kabila a reproché quand même aux Français de vouloir sa défaite…

R - Oui mais cela ne repose sur rien. La France n’est pas du tout impliquée, ne s’est pas ingérée : elle s’est bornée à aider à faire partir ceux des Français ou des étrangers qui voulaient partir. L’armée française l’a fait, très bien comme d’habitude. Il n’y a aucune ingérence.

Ce que nous souhaitons naturellement c’est que ces pays qui ont des problèmes liés entre eux - on ne peut pas régler que les problèmes de l’ex-Zaïre, que les problèmes de l’Ouganda ou de l’Angola, tous ces problèmes sont liés - c’est que ces pays se regroupent et qu’ils traitent ensemble leurs problèmes de voisinage, de coexistence, de réfugiés, de guérillas et qu’après ils passent aux choses sérieuses, c’est-à-dire la sécurité dans la région, le développement. C’est pour cela que d’ailleurs j’ai rappelé, il y a quelques jours, l’idée française d’une conférence des Grands lacs pour la paix dans la région des Grands lacs parce que tout simplement, c’est un problème qui ne pourra se traiter que globalement. D’ailleurs, il y a des initiatives africaines consistant à réunir ces pays, ce qui montre bien que eux-mêmes sont convaincus du fait que ces problèmes sont interdépendants. Il faut aller dans cette direction et faire en sorte que les Etats de la région soient capables d’assumer leurs fonctions, capables d’assurer la sécurité, le développement. Il y a un long chemin. Derrière cet épisode, qui est celui de la lutte pour le rapport de force régional mené par les Etats africains eux-mêmes, il y a une crise immédiate et il y a l’avenir de la région. C’est un pensant à l’avenir de la région que nous allons relancer cette idée.

Q - J’entends en tout cas « aucune ingérence. »

R - C’est clair.