Texte intégral
Grand Jury RTL - Le Monde. Dimanche 8 janvier 1995
Passages importants
Des vœux pour la France
Je souhaite bonne année à tous ceux qui nous écoutent. (...) Il serait bon que l'année 1995 soit l'année du bon jugement des Français. (...) J'espère qu'ils ne se laisseront impressionner ni par les sondages, qui ne manquent pas, ni par l'inquiétude (...), ni par la démagogie. (...)
J'espère que l'année qui commence sera pour la France celle du courage et de l'audace. (...)
Pour « un candidat qui porte les valeurs de l'UDF »
Nous sortons de quatorze ans de monarchie. (...) Quant à moi, quand je suis entré dans le gouvernement de M. Balladur, je suis entré dans un gouvernement, pas dans un comité de soutien. (...)
Je souhaite qu'il y ait un candidat qui porte les valeurs de l'UDF. (...) Lorsque celui-ci se sera déclaré, cela changera tout. (...) L'absence des valeurs de l'UDF dans la campagne électorale ne manquera pas de créer un vide. (...)
D'abord, l'UDF est porteuse d'une volonté ardente, d'un message politique fort de la France en matière européenne, ce qui est plus que jamais nécessaire. (...)
Ensuite, en matière de justice sociale, il faut aller plus loin. (...) Il faut une politique audacieuse de l'emploi. (...)
Enfin, les institutions de notre pays ont atteint un degré de césarisme qui passe les bornes. (...)
Question : Chartes Millon est-il un candidat qui vous convient ?
Depuis, bientôt deux mois, Charles Millon dit exactement ce que je dis aujourd'hui. (...) Il dit qu'à défaut des candidatures de Valéry Giscard d'Estaing, Raymond Barre ou René Monory, il sera prêt à porter les couleurs de l'UDF. Je ne peux qu'approuver cette démarche courageuse. (...)
Question : Soutenez-vous Valéry Giscard d'Estaing ou Raymond Barre ?
Quels sont les candidats qui sont le mieux à même de porter le message de l'UDF ? Évidemment Valéry Giscard d'Estaing ou Raymond Barre. Vous ne serez pas surpris que ma préférence aille au premier, au nom de la proximité que j'ai avec lui depuis le premier jour de mon engagement dans la vie politique. Mais je pense aussi qu'il a été un bon Président de la République et que, depuis lors, il a vécu souvent assez durement son parcours politique. (...) Par conséquent, il est aujourd'hui le mieux à même de faire face aux difficultés de la France. Cela dit, ce sera à ces deux personnalités d'en délibérer ensemble. (...)
La candidature d'Édouard Balladur
Je n'ai rien dit sur M. Balladur et je n'ai pas l'intention, au cours des trois mois qui viennent, de critiquer qui que ce soit (...) Une campagne électorale doit permettre que l'on porte ses propres convictions et ses propres valeurs. (...)
Question : Un candidat de l'UDF pourra-t-il se déclarer lorsque M. Balladur aura annoncé sa candidature ?
Bien sûr. Vous n'ignorez pas que le vœu de tout candidat est de se présenter tout seul. (...)
Il y aura plusieurs candidats. (...) Il faut que la campagne se déroule, mais qu'elle se déroule dans un climat d'union, et dans un climat de rassemblement au second tour. (...) Il ne faudra pas prendre quelque candidat que ce soit pourvu qu'il soit le meilleur dans les sondages. Avec la perspective de la candidature de Jacques Delors, on pouvait avancer un argument tort consistant à dire que, puisqu'il y avait un candidat de gauche (...) qui, apparemment, pouvait obtenir un très bon score, voire gagner (...), il fallait, dans la majorité, faire attention. (...) Mais on voit aujourd'hui que le grand débat qui animera la vie politique française se déroulera au sein de la majorité. (...) Il devra s'agir d'un débat amical, mais d'un vrai débat.
Nous sommes arrivés à un moment très difficile pour notre pays. (...) Une fracture sociale s'est opérée en France, non pas après les deux ans du gouvernement auquel j'ai participé, mais après quatorze ans de socialisme ! Cette situation appelle de la part de l'ensemble de nos responsables et de l'opinion la constatation que d'importants changements, d'importantes réformes sont nécessaires. (...)
Pour une recomposition de la majorité ?
Je ne crois pas qu'une telle « recomposition » soit nécessaire. (...)
Je crois à l'utilité du courant gaulliste et à sa permanence. Je crois aussi à la permanence du courant politique de l'UDF, qui reprend des courants très anciens de la vie politique française. (...)
Vers une dissolution de l'Assemblée nationale après l'élection présidentielle ?
Question : Une dissolution aurait-elle son utilité ?
Pas du tout. (...) Il n'y a aucune raison de renvoyer chez eux les quelque 480 députés élus sur un contrat de cinq ans. (...) De nouvelles élections législatives seraient légitimes si le nouveau Président de la République n'appartenait pas à la majorité. (...)
La politique du logement
Quels sont les principes de la politique du logement que le Gouvernement et moi-même en particulier conduisons depuis bientôt vingt mois ? Cette politique est fondée sur des actions à moyen terme et sur d'autres à court terme.
Pour ce qui concerne le moyen terme, il faut faire de nouveau fonctionner le marché du logement. On doit construire plus (...) et investir dans la pierre, et faire en sorte que les achats et les ventes tournent. Comment y parvenir ? Par des mesures fiscales. L'immobilier français a été fiscalement matraqué pendant treize ans. (...) Des choses ont déjà été faites mais il faut faire beaucoup plus. (...)
Je me suis très souvent heurté pendant les deux dernières années à la technostructure de l'administration, en particulier à celle du ministère des finances où l'on croit que l'on a la vérité révélée, vérité que l'on transporte d'ailleurs de gouvernement en gouvernement, quel qu'il soit, et où l'on soutient que l'on dépense trop d'argent pour le logement des Français. (…)
En 1994, on aura construit quelque 300 000 logements. (...) Je rappelle qu'au mois de mars 1993, le rythme annuel était de 235 000, soit le chiffre le plus bas depuis 1950. (...) Je ne suis cependant pas complètement satisfait car l'objectif à atteindre est de 330 logements par an.
Je précise que, dans les constructions de 1994, la part du logement social a été essentielle. (...)
Il faut aussi développer l'accession sociale à la propriété. (...)
Pour ce qui concerne le court terme, un effort très important doit être réalisé en faveur du logement social locatif de façon à faire face à l'urgence. (...)
Logements sociaux et niveaux de ressources
Il y a des familles qui, à leur entrée dans des HLM, disposaient de ressources inférieures aux plafonds. Les années passant, elles ont dépassé ces plafonds. (...) Doit-on pour autant les jeter dehors ? (...)
Cette constatation étant faite, je réclame, et je commence à obtenir certains résultats, que ces familles paient un loyer qui soit en rapport avec les ressources dont elles disposent. (...)
Question : Et les plus pauvres ?
Il y a toute une population, de plus en plus nombreuse, au bord de la route. (...) Chaque année, le nombre de personnes à l'écart, abandonnées, va croissant. Pour celles-là se posent de rudes problèmes de logement et tous les systèmes d'aides se heurtent à des difficultés. Que faut-il faire ? Mobiliser tous les moyens disponibles. Je n'ai pas de remèdes simples ! (...)
La réquisition de logements est-elle un bon moyen ?
La réquisition n'est pas un bon moyen. Si l'on devait s'installer durablement dans une politique de réquisitions (...), plus personne n'investirait dans la pierre. (...)
Question : Le préfet va-t-il avoir l'autorisation de réquisitionner trois immeubles à Paris ?
Personnellement, je proposerai au Premier ministre qu'il lui donne son accord (…)
Je le répète, il faut remettre le système en marche. (…) Les organismes d'HLM se sont engagés à mettre 20 000 logements de plus à la disposition des familles en difficultés. (…) En outre, nous avons créé une nouvelle catégorie de logements HLM dits « très sociaux » et réservés aux populations ayant les plus faibles ressources. (…) Il ne faut pas oublier par ailleurs que les associations, telles que l'armée du Salut, accomplissent un travail remarquable. (…) Le CREDOC (…) considère d'ailleurs qu'il y a eu une bonne mobilisation en ce domaine (…)
« Le squatt n'est pas une bonne action »
Je ne regrette jamais quand quelqu'un vient parler du logement devant les médias. Aussi, quand l'abbé Pierre, qui s'exprime avec beaucoup de générosité, de foi, de conviction, parle du logement, je ne proteste jamais, au contraire. (…)
Là où je suis plus réservé, pour ne pas dire franchement hostile, c'est quand on établir comme une règle d'action d'aller occuper des logements inoccupés. Je ne crois pas que le squat, comme l'on dit, soit une bonne mesure, une bonne action. (…) Cela fait des semaines et des mois que je dis aux institutions qui ont des logements (…) : faites quelque chose, ne laissez pas les logements vides alors qu'il y a par ailleurs des familles en difficulté et surtout des associations qui cherchent des occasions pour monter des coups ! (…) Il faut aller vite et faire en sorte que le marché du logement reprenne.
Question : En cas de réquisition, qui paye les loyers et les travaux ?
En 1945, il s'agissait de faire face à la pénurie de logements pour des gens qui avaient des ressources normales. Aujourd'hui, ce que l'on nous demande, c'est de réquisitionner pour des personnes qui n'ont pas de ressources : ce n'est pas la pénurie de logements, c'est la pénurie de ressources. (…) Il appartient à la ville de Paris de désigner des lieux et des locataires. Il faut ensuite que les locataires s'entendent avec les propriétaires sur le loyer à payer. (…) Il faut toujours qu'il y ait un loyer ! (…) Quant aux travaux, ils pourront être faits en accord avec la ville de Paris et l'État, selon des procédures à trouver. L'État est, bien entendu, prêt à apporter sa contribution. (…)
Que faire des logements et des bureaux vacants ?
Question : Quelles mesures allez-vous prendre pour inciter les propriétaires qui préfèrent laisser vides leurs logements à louer ceux-ci ?
Cela fait plusieurs mois que j'ai fait des propositions à Matignon sur ce problème des logements vides. (…) Je crois pouvoir dire que des dispositions pourront être prises – enfin suis-je tenté d'ajouter. Ma proposition est que l'on utilise des dispositifs comparables à ce que l'on a fait pour le marché automobile : on donnerait une prime à celui qui, ayant un logement vide, prendre l'initiative de le remettre sur le marché. Je voudrais que cela s'accompagne d'une contribution supplémentaire spécifique pour les associations qui interviendraient en garantissant aux propriétaires la bonne fin, le versement du loyer lorsqu'il s'agit de familles très modestes. On aurait ainsi un dispositif incitatif, qui devrait permettre de remettre plusieurs dizaines de milliers de logements sur le marché.
Question : Et que prévoyez-vous pour les bureaux inoccupés ?
Je propose que nous donnions mille francs par mètre carré de bureaux qui serait transformé en logement, dans la limite de 50 000 francs. (…)
Nous avons un problème social grave. Voilà des mois que j'en parle, il est temps que l'on agisse. (…)
Les irrégularités dans la gestion des organismes d'HLM
On découvre de plus en plus de situations dans lesquelles il y a eu des irrégularités parfois graves commises dans le secteur du logement HLM (...) J'ai déjà eu l'occasion d'intervenir. C'est ainsi que j'ai suspendu le président de l'office départemental d'HLM du Var. J'ai demandé du président de l'office départemental de l'Hérault, le reversement des sommes injustement touchées, utilisées, selon les conclusions de la chambre régionaux des comptes. (…) Pour le Gard, nous sommes intervenus au printemps de 1993. (…)
Le financement du parti républicain
Je connais beaucoup de nos militants et aujourd'hui j'entends leur désarroi. (…) Ils doivent savoir que nous sommes un certain nombre à partager leurs préoccupations et à souhaiter y voir clair. Il faudra bien qu'intervienne un audit, mené par des professionnels, choisis dans des conditions de sécurité, qui permette à chacun d'avoir l'esprit clair sur tout cela. (…)
L'indépendance de la magistrature
En France, la magistrature n'a jamais été indépendante. (…) Je souhaite que l'on coupe définitivement le cordon ombilical qui relie la justice à l'État, au sens exécutif du terme. (…)
Le parquet est le représentant (…) de la Nation dans sa permanence. (…) Il dépend d'une hiérarchie, c'est normal. (…) Mais il faut que la Garde des sceaux, qui est le personnage suprême de cette hiérarchie (…) soit séparée de l'action gouvernementale. (…) Comme l'a proposé M. Giscard d'Estaing, faisons-en un vice-président de la République ! (…) Par ailleurs, j'ai proposé que l'on rattache l'ensemble des juges au président du conseil constitutionnel, ce qui marquerait la rupture historique et définitive de la justice française et du pouvoir exécutif. (…)
Pour une réforme des institutions
On vote un jour, on subit sept ans ! Le Parlement a des pouvoirs réduits à presque rien. (…) Il faut réduire la durée du mandat présidentiel : ramenons-là à cinq ans. (…) Ensuite, il faut renforcer les fonctions du Parlement. (…) Je demande que l'on fasse rapidement, au lendemain de l'élection présidentielle, une réforme constitutionnelle. (…)
Charges sur les salaires et droits de succession
La totalité de la protection des Français contre les aléas de la vie (…) pèse sur les salaires. (…) M. Giscard d'Estaing a fait une proposition très précise : supprimons les charges patronales sur les très bas salaires. (…) Aujourd'hui même mon collègue et ami Nicolas Sarkozy disait qu'il faudrait baisser les droits de succession. Il est toujours paradoxal que le ministre du budget propose, trois semaines après la fin de la session budgétaires, des allègements fiscaux… La priorité des priorités en matière d'allègement de taxes, d'impôts ou de charges, c'est l'emploi. (…) La mesure prioritaire d'allègement des charges doit porter sur les coûts du travail. (…)
Quand M. Balladur sera candidat – il semble qu'il veuille l'être et dans ce cas le plus tôt sera le mieux – nous écouterons ses propositions. (…)
RMC : lundi 9 janvier 1995
H. de Charrette : Cette prime que je propose n'est pas réservée aux locataires à très ressources, c'est une mesure générale applicable à tout propriétaire, qui remettrait quelque logement que ce soit sur le marché, dès lors que celui-ci en était sorti du marché pendant une période suffisamment longue. Le faire revenir, donc, sur le marché, quel que soit le locataire comme pour la prime automobile qui n'était pas réservée aux plus petites voitures mais réservée à tous les acheteurs de voitures. C'est le même dispositif que je propose. Maintenant, aux côtés de cela, je crois qu'il faudrait aussi et je vais le mettre en œuvre dans les prochaines semaines, soutenir financièrement les associations, non pas celles qui défilent, on ne leur reproche pas de défiler, mais je pense à celles qui, dans le silence, font un travail remarquable et notamment se portent très souvent garantes du loyer payé par une famille très modestes auprès du propriétaire qui accepte de la loger. Le propriétaire prend des risques, c'est vrai. L'association intervient et dit : « c'est moi qui vais payer le loyer, en tout cas c'est moi qui garantirai ce loyer ». Je propose donc d'organiser un dispositif permettant de soutenir l'action de ces associations de façon qu'elles soient encouragées à aller encore plus loin, soutenir leur effort, un effort formidable au service de la justice sociale.
P. Blanchard : Vous parlez d'une fourchette…
H. de Charrette : Je n'ai jamais parlé de fourchette, j'ai lu cela dans les journaux, mais je n'ai parlé de rien. La décision n'est pas prise et il faut attendre qu'elle le soit.
P. Blanchard : Vous reconnaissez quand même qu'il faudra plus que 5 000 francs ?
H. de Charrette : Oui, sans doute.
P. Blanchard : Décision dans les prochains jours, prochaines semaines ?
H. de Charrette : Le plus vite possible, dans les quinze jours qui viennent.
P. Blanchard : Comment financer cette mesure ?
H. de Charrette : Ça suppose une enveloppe de crédits supplémentaires mais ce n'est pas une enveloppe très importante, au moins au démarrage. C'est ensuite en cours d'année que nous verrons si cette mesure se développe et si donc elle coût plus ou moins cher. Au départ, ça n'est pas un problème vraiment financier mais une décision de principe à prendre.
P. Blanchard : Vous avez aussi proposé d'encourager la transformation de bureaux en logements avec une prime de 100 francs le mètre carré. Si cette incitation aux propriétaires et aux associations est faite, est-ce que ça va laisser de côté cette mesure de transformation de bureaux en logements ?
H. de Charrette : Non, je suis très favorable, au contraire, à la proposition qui nous est faite par les professionnels d'inciter à la transformation de bureaux en logements. Tous les bureaux ne sont pas transformables en logements. Mais des logements qui ont quand même été transformés en bureaux de Paris ou dans l'agglomération parisienne, lyonnaise, peuvent redevenir des logements, il y a quand même des dépenses à faire, mais à des coûts plus modestes. Dans ma proposition est, en effet, par une prime appropriée, que nous puissions encourager ces propriétaires de bureaux qui sont souvent des propriétaires privés et non pas des gros instituts, à remettre ces bureaux transformés en logements sur le marché. Donc, tout ce qui peut permettre de rendre plus d'activité sur le marché du logement, contribue à régler le problème des familles, c'est ce que j'essaye de faire.