Texte intégral
Le Monde : 11 janvier 1995
Voici le texte intégral de la lettre envoyée, jeudi 12 janvier, par Charles Pasqua, ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, à Jacques Chirac, ancien premier ministre et maire de Paris, pour lui annoncer son soutien à la candidature du premier ministre, Edouard Balladur, à l'élection présidentielle.
« Mon cher Jacques,
Depuis qu'il existe – un demi-siècle bientôt – le mouvement gaulliste a connu bien des campagnes électorales, des succès comme des revers.
Il est toujours sorti régénéré, tant il incarne aux yeux des Français ce petit supplément d'âme que, bien souvent, ils ne reconnaissent pas aux autres formations politiques.
En 1974, il t'est revenu de présider à la renaissance de notre mouvement. J'ai été, auprès de toi, un des artisans de la création du RPR et je n'ai eu dès lors d'autre ambition que de te voir assumer les plus hautes fonctions de l'État, dans l'espoir que les idées gaullistes inspirent de nouveau la conduite de la nation.
En 1988, hélas, les Français en ont jugé autrement !
À n'en pas douter, ils ont aujourd'hui décidé de confier à un gaulliste l'avenir de la France.
Édouard Balladur et toi-même avez pris la décision d'être candidats, sans qu'il m'appartienne d'en juger. Tu sais combien je regrette cette situation. J'ai œuvré, envers et malgré tout, pour que cette compétition soit arbitrée loyalement avant l'élection elle-même : j'ai échoué sur ce point.
Tous les gaullistes, moi le premier, sont donc confrontés à un choix et à une décision difficile à prendre et lourds de conséquences.
Pour les mêmes raisons qui m'ont fait te suivre depuis 1974, j'ai décidé d'apporter mon soutien à Édouard Balladur.
Il m'apparaît en effet, dans les circonstances actuelles, le plus à même de détendre nos idées tout en rassemblant une large majorité de Français. C'est là, me semble-t-il, ce à quoi les Français aspirent et c'est aussi le but ultime de notre engagement.
J'aurai dans cette campagne le souci de sauvegarder l'unité et l'avenir de notre mouvement, qui dépassent le sort de chacun d'entre nous. J'agirai avec la ferme volonté d'œuvrer, le moment venu, au regroupement de tous ceux qui y appartiennent, afin que la victoire de l'un des nôtres ne se traduise pas par la défaite des autres. Bien que tu n'y exerces plus de responsabilités, je crois avoir pour cela la confiance de nos compagnons.
J'ai tenu à te faire connaître personnellement ma décision, avant de la rendre publique.
Je sais que tu en comprends les raisons et d'abord celle-ci, qui nous a toujours inspirés : l'intérêt du pays commande !
Crois, mon cher Jacques, à toute mon amitié. »
Le Journal du Dimanche : 15 janvier 1995
Le Journal du Dimanche : Est-ce qu'il vous a été difficile d'écrire cette lettre à Jacques Chirac ?
Charles Pasqua : Oui, ç'a été difficile. J'ai pour Jacques Chirac une grande amitié. J'ai fait beaucoup de choses avec lui, j'ai construit la renaissance du RPR, je l'ai soutenu lors des élections présidentielles de 1981 et 1988. Ce n'est pas sans un certain regret que j'ai constaté qu'il était le moins bien placé. J'en tire donc les conséquences. Je sers les idées et non pas les hommes. À telle ou telle période, c'est tel ou tel homme qui s'impose pour servir ses idées.
Le Journal du Dimanche : Jacques Chirac vous a-t-il fait signe depuis la réception de votre lettre ?
Charles Pasqua : Oui, il m'a téléphoné. Avec Jacques Chirac, on a toujours de bonnes relations. Il a reçu la lettre avant-hier après-midi. Il s'y attendait.
Le Journal du Dimanche : Et que vous a dit Édouard Balladur. Vous a-t-il remercié ?
Charles Pasqua : Avec le Premier ministre, on se téléphone sans arrêt, on est en contact permanent. Il m'a remercié et il s'y attendait aussi.
Le Journal du Dimanche : Qu'est-ce qui vous a déterminé dans le choix que vous avez fait ?
Charles Pasqua : C'est le paradoxe de l'histoire : on risquait de se retrouver avec un président RPR élu victorieusement, alors que le RPR en tant que parti aurait été battu.
Le Journal du Dimanche : Vous semblez vouloir mettre la main sur le RPR après la présidentielle ?
Charles Pasqua : Ce que je souhaite, c'est que le RPR ne disparaisse pas, qu'il reste la principale force du pays.