Déclaration de M. Raymond Barre, candidat à l'élection présidentielle de 1988, sur les femmes, Paris le 30 mars 1988.

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Les femmes savent ce qu’elles veulent

L’analyse des problèmes intéressant plus particulièrement les femmes met en lumière une première évidence : la diversité des situations individuelles est telle qu’il n’est guère possible d’évoquer de manière générique la situation de la femme dans le monde d’aujourd’hui ; on doit au contraire parler « des femmes ».

Respecter la liberté de choix des femmes

Chacune entend déterminer son mode de vie et il ne saurait y avoir de modèle. Cette liberté de choix des femmes doit être respectée.

Assurer leur juste place dans la cité

Les femmes rencontrent des problèmes très différents selon leur situation. Leur solution, en général, progresserait plus rapidement si les femmes étaient plus présentes dans les procédures de décision. C’est l’une des deux raisons pour lesquelles les femmes doivent enfin trouver dans la cité la place qui leur revient, l’autre étant que la société dans son ensemble doit bénéficier d’une authentique mixité.

Parvenir à une mixité authentique

Les femmes n’occupent pas dans la vie politique ou syndicale la place qu’elles tiennent désormais dans la société. Le décalage subsiste. Même si l’évolution est amorcée, elle se produit plus lentement qu’à l’étranger.

Le décalage entre la représentation du corps social et sa composition réelle est de plus en plus ressenti comme une anomalie. Il ne suffit plus de confier aux femmes des responsabilités seulement dans la gestion des problèmes familiaux, sociaux ou éducatifs. Il faut les associer aux décisions qui gouvernent la vie publique à tous les niveaux. Une telle orientation doit l’emporter, car la mixité constitue l’un des facteurs éprouvés du dynamisme et de l’efficacité sociale.

Affirmer une volonté politique

Les femmes doivent donc prendre toute leur place dans la cité, non pas en vertu de lois ou de décrets, mais en vertu d’une volonté politique s’appliquant aux choix de toutes les structures de la vie sociale (associations, syndicats, partis politiques, organisations professionnelles, gouvernement enfin).

Les femmes doivent exercer davantage de responsabilité politiques, non seulement parce que l’équilibre entre les hommes et les femmes est utile à tous les niveaux, mais parce que les femmes réussissent souvent mieux que d’autres à incarner le sentiment de confiance et le sens de l’avenir sans lesquels on ne peut rien préserver, rien construire, rien transmettre.

Prévoir davantage de femmes au gouvernement

L’ensemble de ces considérations a conduit Raymond Barre à prévoir davantage de femmes dans le gouvernement de notre pays et à encourager, dans toute la mesure du possible, la candidature de femmes aux mandats électifs de tous les niveaux : municipal, cantonal, régional, national ou européen. Un effort particulier doit être fait aux prochaines législatives ainsi qu’aux cantonales et aux municipales, avec pour objectif d’obtenir l’élection, parmi les candidats de la majorité, d’un quart de femmes au moins.

Atteindre au moins ¼ de femmes parmi les élus de la majorité

Réaliser la mixité dans les nominations au Conseil constitutionnel, dans les grands corps de l’Etat et dans le secteur public

Cette volonté politique se traduira, en premier lieu, dans les nominations à la discrétion du gouvernement, dans la haute fonction publique et le secteur public. Les nominations au Conseil constitutionnel et dans les grands corps de l’Etat auraient de ce fait une valeur symbolique.

D’une manière générale, pour faciliter l’accès de nouveaux venus à la vie publique et poursuivre la diversification de la représentation des citoyens dans les conseils municipaux, généraux et régionaux, tant au bénéfice des femmes que des catégories sociales actuellement sous-représentées, il conviendra de prévoir, dans un statut de l’élu local à développer, des stages de formation pratique largement ouverts aux personnes nouvellement élues.

Les femmes rencontrent, dans leur vie quotidienne, des problèmes très différents selon qu’il s’agit de leur vie professionnelle ou de leur vie familiale.


I. – Les femmes dans la vie professionnelle

Les femmes et l’emploi

Plus de 15 millions de femmes exercent une activité professionnelle. 80 % des enfants sont élevé par des mères qui ont un emploi. Même si des femmes se consacrent encore exclusivement à leur famille, elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir conduire une carrière professionnelle en même temps que leur vie de famille.

C’est un fait acquis. Il s’explique de manière très différente selon les cas :
Le besoin d’autonomie est fortement ressenti devant les nombreux aléas de l’existence. Certaines recherchent avant tout un supplément de revenu pour que leur ménage puisse faire face plus facilement aux difficultés matérielles de la vie quotidienne. D’autres attendent de leur carrière professionnelle un épanouissement personnel qui complète celui qu’elles trouvent dans leur vie familiale.

Elles veulent atténuer les lourdes charges de la « double journée »

Toutes entendent assumer pleinement leur rôle tant dans les entreprises où elles travaillent que chez elles, notamment pour assurer l’éducation de leurs enfants. Il faut que la société les aide à concilier les exigences du travail domestique et celles de leur profession, en leur évitant les lourdes charges de la « double journée » à laquelle beaucoup sont astreintes aujourd’hui

La société profite de l’apport des femmes à la vie des entreprises

La société pourra dès lors compter sur les femmes qui la composent, non seulement comme mères de famille mais aussi comme un facteur de croissance et de dynamisme des entreprises. Comment ne pas remarquer à cet égard le niveau de formation acquis par l’ensemble des femmes ? D’un point de vue collectif, la société a tout intérêt à « rentabiliser » cet effort du système éducatif. Chacun comprend aujourd’hui la part que les femmes prennent au développement des entreprises, non seulement parce ont des talents au moins équivalents à ceux des hommes, mais parce qu’elles révèlent bien souvent dans leur profession des qualités que développe leur expérience de mère de famille : le pragmatisme, le sens du concret et la sensibilité dont les rapports sociaux dans l’entreprise bénéficient nécessairement.

Il n’y a pas de modèle unique. Il faut respecter le libre choix de chacune et faciliter son exercice

La société doit se garder d’imposer ou d’orienter les choix qui lui paraissent opportuns. Il n’y a pas de modèle unique. Chacun doit déterminer la solution qui lui convient. Les situations sont trop diverses pour dépendre de prescriptions réglementaires.

Mais tout doit être fait pour rendre les contraintes moins lourdes et les choix plus faciles. Les orientations nécessaires touchent à la formation des femmes et à leurs conditions de travail.

1. La formation

L’effort de formation des femmes s’inscrit nécessairement dans une perspective globale, celle d’un développement de la formation pour tous les Français.
Quelques particularités doivent cependant être prises en compte au bénéfice des femmes :

Il faut faciliter une meilleure orientation scolaire et professionnelle des femmes. Il faut diversifier les filières suivies en recommandant celles dont elles peuvent attendre un emploi et des perspectives de carrière

a) la formation professionnelle initiale des femmes ne doit plus être inspirée par des préjugé dépassés sur les filières auxquelles les femmes peuvent accéder.
L’orientation scolaire des filles, autrefois, privilégiait les secteurs sanitaire, social ou éducatif. Sans négliger leurs besoins et les qualités que les femmes peuvent y faire valoir, force est de reconnaître que certaines de ces filières sont saturées. Persister à conduire les jeunes filles à les suivre reviendrait à leur faire prendre un grand risque (exemple du BEP sanitaire et social dont beaucoup de titulaires sont au chômage). D’autre manière générale, l’orientation professionnelle des femmes semble jusqu’alors les amener trop souvent vers un nombre assez limité de métiers dont les perspectives de carrière sont au surplus souvent plus limitées que les autres, alors que les filières suivies par les hommes sont nettement plus diversifiées. Une meilleure information jointe à l’évolution des mentalités devrait donner aux femmes les moyens de choisir à égalité les meilleures cartes pour construire leur avenir.

Les femmes doivent bénéficie des mêmes chances que les hommes

b) Les femmes doivent pouvoir accéder aux chances que donnent aux hommes les diverses formules du service national : c’est notamment vrai de la nouvelle forme du service national qui permet aux appelés d’accomplir leurs obligations militaires dans le cadre d’une entreprise présente sur les marchés étrangers (formule du service dit VSNE). Il doit être également possible aux femmes de participer aux missions de coopération à l’étranger.

Il faut prévoir l’organisation de formations alternées, en liaison avec les entreprises au bénéfice des femmes qui suspendent leur activité professionnelle pour se consacrer quelques années à l’éducation de leurs enfants

c) La formation continue des femmes pose des problèmes particuliers car 57 % des femmes ont une carrière discontinue. Ces interruptions sont naturellement liées aux maternités. Il ne suffit pas de prévoir des cycles de mise à jour dans des organismes spécialisés. Il convient de mettre en place des formations alternées pour partie en entreprise. Cet équilibre entre une formation théorique, de caractère quasi-scolaire, avec la poursuite d’une expérience pratique en entreprises, est un atout important pour les bénéficiaires.

La reprise d’une activité professionnelle après une période d’interruption est d’autant plus difficile que celle-ci a été longue. Mais les chefs d’entreprises devraient comprendre qu’une femme de 40 ans qui a élevé sa famille et suivi une formation, est une personne dans laquelle ils peuvent placer leur confiance. Il est d’autant plus nécessaire de prévoir pour elles des formations appropriées pour leur assurer un emploi lorsqu’elles le désireront. Une telle formule permettrait de consacrer la tendance qui se dessine déjà dans nombre de foyers : la femme décompose sa vie en tranches successives, la première consacrée à la vie professionnelle, la seconde à la maternité (selon des modalités variables : travail au foyer, temps partie…), la troisième marquant un retour à l’entreprise.

2. En ce qui concerne les conditions de travail

Il faut parvenir à la parité des rémunérations et des carrières

Les priorités traditionnelles demeurent :

- obtenir la parité des rémunérations à niveau égal ;
- protéger les femmes contre toute discrimination à l’embauche comme dans le déroulement de leur carrière ;
- garantir aux femmes des conditions de travail compatibles avec leurs maternités.

Il faut assure la protection de la femme enceinte

Il convient d’insister plus particulièrement sur deux orientations, d’ailleurs préconisées par le Haut conseil de la population et de la famille en 1985 :

- l’organisation du travail doit être assouplie,
- l’environnement de la vie professionnelle doit être adapté aux exigences de la vie familiale.

a) L’organisation du travail des femmes doit leur permettre d’accroître dans toute la mesure où elles le souhaitent, leur disponibilité pour la vie familiale, sans hypothéquer leur carrière professionnelle.

- Le recours au congé parental doit être rendu plus sûr par l’établissement en pratique – et non seulement en droit - d’une possibilité de retour dans l’entreprise à un niveau équivalent à celui atteint lors du départ. Cela suppose non seulement l’entretien de la formation mais le maintien des liens avec l’entreprise.
- Le temps partiel doit être banalisé en pratique comme en droit, sous toutes ses formes. A cette fin, le retour au plein temps doit devenir effectivement possible au terme d’un préavis, et le salarié à temps partiel doit pouvoir réellement bénéficier des mêmes droits que le salarié à temps plein (formation, avancement…) tout en n’étant comptabilisé que proportionnellement pour le décompte des seuils sociaux.

Il faut prévoir un développement du travail à temps partiel à la demande des femmes

Il faut être particulièrement vigilant dans l’application de la législation sur le temps partiel : beaucoup considèrent en effet que les salariés à temps partiel ne sont pas des salariés à part entière. Leur carrière s’en ressent. L’Insee relève que 86 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes, ce qui revient à dire que le temps partiel risque de devenir un mode de gestion de l’emploi féminin plus pervers qu’utile. Le recours aux heures supplémentaires n’est pas exceptionnel pour faire face au surcroît d’activité.

Il faut aller vers le « temps choisi »

Le temps partiel doit rester un mode de travail choisi librement et non imposé par le chef d’entreprise sous une forme ou sous une autre afin de gérer différemment des emplois à temps partiel, féminisés et déqualifiés, en marge des emplois à temps plein.

Il faut aménager des horaires à la carte

 L’aménagement des horaires de travail est hautement souhaitable lorsqu’il est compatible avec la marche de l’entreprise, pour tenir compte des contraintes de la vie familiale. L’annualisation, mais plus encore les horaires variables ou « à la carte », sont particulièrement utiles aux femmes qui souhaitent s’occuper de leurs enfants le mercredi après-midi ou bien le soir après la sortie des écoles.

b) L’amélioration de l’environnement de la vie professionnelle des femmes

Il faut construire une politique de logement social

 Un problème pratique se pose : celui des temps de transport qui sont pris sur le temps réservé à la vie familiale : une des solutions consiste dans le développement du travail à domicile, notamment grâce à la pratique des technologies nouvelles dont l’informatique. Plus généralement, la solution consiste à aider les familles à trouver des logements proches de leurs lieux de travail : il faut donc promouvoir une politique de logement social, notamment en région parisienne.

Il faut assouplir la carte scolaire

Il serait également possible de réduire les temps de transports en supprimant la rigidité de la carte scolaire : à défaut, il serait pour le moins nécessaire d’autoriser les familles à inscrire leurs enfants dans les écoles de la commune ou du secteur dans lequel se situe le lieu de travail de la mère (ou du père).

Il faut développer des formules alternatives pour la garde des jeunes enfants à l’initiative des communes, des associations, des entreprises et des familles

 Les possibilités de garde des jeunes enfants ne sont pas suffisantes. C’est un problème difficile auquel sont confrontés nombre de jeunes mères qui ont une activité professionnelle. Les réalisations de crèches ne peuvent être dans l’immédiat à la hauteur des besoins. Il convient de développer rapidement des formules alternatives, en liaison avec les municipalités, les associations, les comités d’entreprises… Ces formules ne peuvent être prescrites selon un modèle arrêté au plan national. Les expériences de crèches familiales et le développement des gardes à domicile justifient l’intérêt et le soutien de la collectivité, notamment par le biais de la déduction des frais de garde du revenu imposable.

En tout état de cause, les possibilités de garde doivent être mieux connues des intéressées et l’information plus systématiquement diffusé par les municipalités afin de donner à chacune le choix entre les différentes formules envisageables.

Il faut organiser l’accueil des enfants pendant les « petites vacances »
Les vacances scolaires posent des problèmes difficiles aux femmes dont les vacances ne peuvent coïncider. Il serait opportun de développer l’accueil des enfants pendant ces périodes, notamment au moment des petites vacances. Diverses formules sont là encore envisageables : ouverture des établissements scolaires et prise en charge des enfants, intervention d’associations ou de collectivités locales pour proposer aux enfants des loisirs de plein-air…

Il faut mettre en œuvre une solidarité des générations associant les grands parents dans un système d’entraide familiale

Le travail domestique ne peut plus reposer sur la seule mère de famille : un meilleur partage est nécessaire. Il est d’ailleurs de plus en plus pratiqué entre les conjoints. Au besoin, la famille doit pouvoir recourir, dans des conditions financières supportables, à une aide-ménagère.

La société devra trouver d’autres moyens de faire la preuve de sa solidarité :  la notion d’entraide reprendra tout son sens, que ce soit dans le cadre de la famille élargie (rôle des grands parents retraités, encore jeunes et valides) ou par le biais des relations personnelles qui se créent entre voisins, ou même par l’intermédiaire d’associations disposant de bénévoles.

L’activité des femmes de commerçants, d’artisans, d’agriculteurs, de membres de professions libérales doit être reconnue, notamment par la constitution de droits propres à pension de retraite

Le cas particulier des travailleurs indépendants et de leurs conjoints doit être évoqué. Les femmes jouent un rôle souvent déterminant, sans pouvoir être considérées comme partie prenante à l’activité de leur mari. C’est le cas des agricultrices, et des femmes de commerçants ou d’artisans. Il faut reconnaître leur contribution à la marche de l’entreprise ou de l’exploitation, notamment par la constitution de droits propres à pension de retraite. Il convient aussi d’assouplir les règles de la pluriactivité afin de permettre aux femmes d’agriculteurs de contribuer au maintien des actifs dans le monde rural (par l’intermédiaire des revenus complémentaires obtenus dans des services publics ou sociaux). Le problème se pose en termes similaires pour les conjoints de membres de professions libérales.


II. – Les femmes dans la vie familiale

La femme dans la famille

Les femmes doivent pouvoir accueillir autant d’enfants qu’elles le souhaitent. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Les études d’option montrent que la plupart auraient aimé en avoir un de plus que le nombre qu’elles ont eu réellement. Le déclin de la natalité fait peser sur notre pays une menace grave. Il ne peut que renforcer la conviction qu’il est temps de créer les conditions matérielles grâce auxquelles les familles seront plus nombreuses.

Le statut de la mère de famille

Ce n’est pas seulement une affaire d’argent. Il convient de parfaire le statut de la mère de famille de manière que celle-ci trouve dans sa maternité les éléments de considération et de reconnaissance sociale qui lui sont dus, indépendamment de son éventuelle activité professionnelle.

Les orientations suggérées par le « rapport des sages » présentées en octobre1987, constituent des recommandations fondées sur une réflexion approfondie dont les conclusions doivent être suivies.

Dans cette perspective, la politique à mener doit s’orienter autour de 4 axes :

- l’aide à la venue du troisième enfant ;
- l’individualisation des droits sociaux des mères de famille ;
- une réorganisation du financement des prestations familiales ;
- une plus grande humanité dans la gestion des problèmes administratifs liés à la famille.

1. L’aide à la venue du troisième enfant

Il faut faire porter l’effort sur l’accueil du troisième enfant

Les démographes mettent en évidence le fait que les couples ont leurs enfants en moyenne plus tard que dans le passé. Cette évolution n’est pas sans rapport avec le déclin de la natalité. Sans qu’il soit envisageable d’aider financièrement les couples à l’occasion de leur premier enfant, ce constat doit amener la collectivité à faire tout ce qui est de sa compétence pour favoriser l’accueil des deux premiers enfants.

L’arrivé d’un troisième enfant dépend souvent de l’âge auquel la mère donne naissance au premier enfant, et même au second. On ne doit rien sacrifier des prestations servies pour les deux premières naissances et garantir leur évolution en fonction de l’inflation.

Les études de l’Ined montrent que la baisse de la fécondité totale est principalement liée au recul du nombre des enfants de rang 3. Le troisième enfant coûte très cher : le logement devient trop étroit et la famille doit le plus souvent en changer. Le troisième enfant met en cause, au moins provisoirement, le travail de la mère.

L’allocation parentale d’éducation doit éviter la pénalisation des familles nombreuses dans leur niveau de vie. Par souci de justice sociale, elle doit être intégrée dans le revenu imposable

Les ménages qui choisissent d’avoir un troisième enfant subissent actuellement une diminution de leur niveau de vie particulièrement nette. Ils ne doivent plus être pénalisés aussi lourdement. Cela justifie une compensation dont l’allocation parentale d’éducation est un élément utile.

Elle doit être généralisée en supprimant la condition d’activité antérieure

Il est proposé de généraliser l’allocation parentale en supprimant l’exigence d’activité antérieure. Par souci de justice sociale, il semble nécessaire d’assujettir cette nouvelle allocation à l’impôt sur le revenu. Cela ne changera rien pour les foyers modestes, tout en modulant l’aide aux foyers plus aisés en fonction de leur revenu global.

Chaque mère de famille doit pouvoir choisir entre une « allocation majorée », servie pendant la durée actuellement prévue, et une allocation simple versée deux fois plus longtemps, jusqu’au 6ème anniversaire du dernier enfant

Cette allocation est aujourd’hui versée à partir de la troisième naissance jusqu’à ce que le dernier enfant ait 3 ans.

En pratique, elle ne constitue qu’une compensation provisoire à la charge subie par le foyer, alors que cette charge devient plus importante plus tard lorsque les enfants grandissent.

Afin d’éviter une pénalisation excessive de ces familles, il doit être possible d’augmenter progressivement la durée du service de l’allocation, jusqu’au sixième anniversaire du dernier enfant.

A terme, une femme doit pouvoir choisir entre les deux formules : soit une « allocation majorée » d’un montant double du niveau actuel jusqu’au troisième anniversaire de son dernier enfant (si elle entend reprendre rapidement son travail) ; soit une allocation au niveau actuel, mais servie jusqu’à ce que le dernier enfant atteigne l’âge de six ans (si la mère n’envisage pas d’activité professionnelle pendant cette période).

Il faut simplifier le système

Parallèlement, il convient de simplifier un système devenu trop complexe pour être bien compris des intéressés, alors que la connaissance précise des droits que peuvent faire valoir les familles est un élément favorable à l’arrivée d’un enfant.

Le jeu combiné de l’allocation parentale d’éducation (versée 3 ans), de l’allocation pour jeune enfant (l’AJE, non cumulable avec l’APE et non cumulable avec une autre même allocation pour jeune enfant l’occasion d’une nouvelle naissance), et du complément familial, est devenu d’autant plus obscur que des conditions de ressources interviennent également.

L’analyse des effets de la loi du 29 décembre 1986 montre que les nouvelles règles seront défavorables à des familles nombreuses à revenus modestes (500 000 environ subiraient une ponction de 5 500 F par an environ), tandis que sont bénéficiaires des familles aux revenus très variables (par le biais de l’allocation pour garde d’enfants à domicile et de l’allocation parentale d’éducation).

Il faut supprimer la règle de non-cumul de l’allocation parentale d’éducation :

- par souci de justice sociale ;
- pour favoriser les naissances rapprochées.

Tout cela justifie une simplification et une remise en ordre pour plus de justice sociale. Il conviendrait à cette fin, entre autres mesures, de supprimer la règle de non-cumul de l’allocation pour jeune enfant avec l’allocation parentale d’éducation.

Il faut éviter de pénaliser les naissances rapprochées. C’est une raison supplémentaire d’autoriser le cumul de l’allocation parentale d’éducation avec l’allocation pour jeune enfant.

Il faut favoriser le logement des familles nombreuses

Il faut développer les bourses pour aider les jeunes à poursuivre leurs études sans être à charge de leur famille

Aider à la venue du troisième enfant, c’est aussi prévoir :

- une revalorisation de l’allocation logement pour les familles ayant trois enfants et plus ;
- une politique de logements sociaux susceptibles de convenir à ces familles (appartements de 5 pièces) ;
- une aide aux familles dont les enfants poursuivent leurs études : c’est en effet comme étudiants que les enfants coûtent le plus cher à leurs parents ; soutenir les familles pendant la période de la petite enfance ne suffit donc pas.

Cependant le versement d’allocations familiales au-delà des limites d’âge actuelles ne se justifie qu’à l’égard des familles modestes et pose en toute hypothèse le problème de l’autonomie des enfants à partir de leur majorité. Il convient donc de développer le système des bourses versées directement aux étudiants eux-mêmes, sous réserve de résultats satisfaisants à leurs examens et du niveau des ressources familiales dont ils disposent.

2. L’individualisation des droits sociaux de la mère de famille

Il faut assurer une couverture sociale indépendante aux femmes

Il faut garantir un droit permanent et gratuit des mères de famille nombreuse à l’assurance maladie

Cet élément essentiel du statut de la mère de famille devra être mis en place.  C’est nécessaire parce qu’une femme et ses enfants ne peuvent plus dépendre entièrement aujourd’hui de la couverture sociale du père, en raison des risques que fait courir le conjoint à l’ensemble de sa famille en cas de chômage prolongé, de divorce ou même de décès. La discrimination avec les ménages dont les deux conjoints travaillent (et cotisent sur leurs revenus) n’est plus vraiment comprise. L’absence de droits sociaux propres est au surplus en contradiction avec la reconnaissance due au travail domestique et éducatif de la mère.

a) Une couverture sociale pour le risque maladie

Une couverture sociale indépendante doit bénéficier aux femmes n’ayant pas d’activité professionnelle. Dans un premier temps, les femmes ayant trois enfants ou plus devraient se voir reconnaître un droit permanent et gratuit aux prestations en nature de l’assurance maladie pour elles-mêmes et leurs enfants, moyennant des cotisations prises en charge par l’Etat (la prise en charge des enfants pourrait aussi être le fait du père en cas d’accord des conjoints).

En cas de maladie impliquant un arrêt de travail de la mère de famille, la solidarité doit jouer à son bénéfice, non par l’intermédiaire d’indemnités journalières (difficiles à calculer), mais par un mécanisme d’aide-ménagère, mieux adaptée aux besoins.

Une mère qui suspend son activité professionnelle doit pouvoir continuer d’acquérir des droits à pension

Une mère de famille doit pouvoir constituer sa propre retraite

b) Une prise en compte de l’activité de la mère au foyer dans la constitution de ses droits à une pension de retraite

Cela recouvre deux types de situations :

- lorsque la mère suspend sa carrière professionnelle pour élever ses enfants, elle doit pouvoir continuer à acquérir des droits à pension par le système des points de retraite ininterrompus pendant la durée d’un congé parental ;
- lorsque la mère n’a pas d’activité professionnelle, elle doit pouvoir cotiser à un régime de retraite pour se constituer des droits individuels à pension. Pour les mères de famille nombreuse, les cotisations devraient être exonérées d’impôt dans des limites à définir, et les droits à la retraite modulés en fonction du nombre d’enfants.

Il faut mette en œuvre les recommandations des sages sur le financement des prestations familiales

3. Le financement des prestations familiales dont l’autonomie doit être préservée, soit être revu selon les orientations proposée par les sages dans leur rapport :

- en supprimant les conditions de ressources aux prestation ;
- en assujettissant à l’impôt sur le revenu les prestations ;
- en fiscalisant les ressources, c’est-à-dire en substituant aux cotisations perçues par les employeurs un prélèvement fiscal sur tous les revenus.

C’est une réforme de très grande ampleur et sa réalisation ne pourrait intervenir que très progressivement.

4. Une plus grande humanité dans la gestion des problèmes administratifs liés à la famille

Cela suppose en particulier :

- un assouplissement des conditions pratiques d’application des règles sur l’adoption ;
- une amélioration du régime d’assurance-veuvage ;
- la reconnaissance par l’administration par la justice et aussi par les femmes, du droit et des devoirs des pères à l’égard de leurs enfants après une séparation, ce que la consécration récente de l’autorité parentale conjointe préfigure sans pouvoir toutefois anticiper sur la pratique sociale ;
- des mesures destinées à aider les mères célibataires, dont le nombre augmente rapidement, et à conforter les femmes seules qui, attendant un enfant, souhaitent le garder, en les aidant le plus possible à faire face aux problèmes de tous ordres qu’elles peuvent rencontrer ;
- une meilleure intégration des jeunes retraités, et notamment des femmes qui peuvent prendre une part déterminante à l’harmonie sociale en participant bénévolement à la vie des familles et des collectivités en leur rendant de grands services dans le domaine éducatif et social notamment, tout en brisant la solitude dans laquelle aurait tendance à les enfermer la vie moderne.

Dans cette perspective, il convient de réfléchir à la conception des logements de sorte que, le cas échéant, la « grand-mère » puisse de nouveau y être accueillie et s’y rendre utile par sa disponibilité.

Il faut assurer une plus grande humanité dans la gestion des problèmes liés à la famille :

 - des mécanismes d’adoption mieux pratiqués ;
- un régime d’assurance-veuvage amélioré ;
- un meilleur règlement des séparations (pensions alimentaires, droits des pères…) ;
- une aide aux mères célibataires ;
- une prise en compte des problèmes des femmes âgées, seules bien souvent, alors qu’elles pourraient encore rendre de nombreux services