Interview de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à l'enseignement scolaire, à France 2 le 18 octobre 1998, sur le mouvement des lycéens et les mesures gouvernementales pour répondre aux revendications des lycéens.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Michèle Cotta – Bonjour et merci d'être avec nous pour ce « Polémiques » spécial lycée, merci aussi naturellement à tous ceux qui sont sur ce plateau. Car il s'agit d'un « Polémiques », tout entier axé autour des évènements de la semaine et des évènements autour des lycéens. Ce qui s'est passé à peu près partout en France puisque 500 000 manifestants dans la France entière c'est beaucoup, mais ce qui est intéressant c'est que ces 500 000 manifestants ne se sont pas seulement révélés dans les grandes villes, mais aussi dans les petites villes de province. Alors les lycéens ont demandé à parler au gouvernement, à Claude Allègre, à Ségolène Royal, eh bien vous qui êtes sur ce plateau, vous avez une chance,

Ségolène Royal donc en face à vous et beaucoup de monde autour d'elle et donc face à elle, alors d'un côté les lycéens, les représentants ainsi que les organisations étudiantes, alors les lycéens essentiellement de première et de terminale,

Grégory Suslamare vous êtes au lycée de Lille en terminale,
Arnaud Bertinet première STT,
Emmanuel Anjembe lycée Paul Robert au Lilas et puis
Loubna Meliane porte-parole de la coordination lycéen, je crois que vous ne pouvez pas parler parce que vous avez trop crié les jours…

Loubna Meliane – Non, non je pense que ça ira.

Michèle Cotta – Alors vous êtes au lycée de Sarcelles.
Carine Seiler, vous, vous êtes présidente de l'UNEF ID, donc des étudiants de France, et aussi naturellement les représentants des syndicats enseignants,
Hervé Baro pour le syndicat des enseignants et Denis Paget pour le syndicat national des enseignants du second degré, il y a des professeurs, et j'ai demandé au professeur qui s'appelle Hélène Kessler qui est professeur au lycée André Malraux à Suresnes – vous êtes-vous dans un collège – mais je vous ai demandé de venir avec des collégiens, parce que les collégiens sont les lycéens de demain,
André Senik qui est professeur de philosophie à Florent Schmit à Saint-Cloud.

De puis Montpelier, nous avons le proviseur du lycée professionnel régional Méditerranée qui s'appelle Charles Pioch avec ses élèves, Lionel Albano (phon) et Richard Ruiz. Alors pour répondre à leurs questions, donc de l'autre côté, face à la mobilisation lycéenne et enseignante,

Philippe Meirieu alors qui a beaucoup écouté les doléances et les revendications des lycéens puisque vous avez été le premier à faire, à la demande des ministres, un rapport en avril sur les lycées,

Le recteur de l'académie de Montpelier, Jérôme Chapuisart et naturellement Ségolène Royal que je remercie particulièrement d'être venue avec nous et je remercie aussi

Christian Jelen qui est écrivain et journaliste, auteur des Casseurs de la République, vous êtes venu apporter votre point de vue iconoclaste et vous retrouverez peut-être André Senik. Si vous voulez, nous regardons tous ensemble le film de cette semaine chaotique par Jean-Michel Mercurol.

Jean-Michel Mercurol –
500 000, ils étaient 500 000 jeunes à défiler dans toute la France pour réclamer des profs, des locaux, des classes moins surchargées, des emplois du temps rationnels. Bref, tout un peuple lycée pour exiger tout simplement les moyens de travailler.

Témoignage –
On est tous pour la même chose, c'est pour des allègements de programme, c'est pour des allègements de classe, on en a marre d'être 40 en cours, parce qu'on ne peut pas travailler !

Témoignage –
Personnellement on n'a pas beaucoup de problèmes, mais c'est par solidarité, parce qu'être 45 dans des classes c'est plus possible, et ne pas avoir de moyens, c'est inadmissible.

Jean-Michel Mercurol –
Une mobilisation générale qui a gagné en deux semaines tout le pays, les grandes métropoles comme les petites villes, des démonstrations toujours plus nombreuses au fil des jours où spontanément, les mieux lotis des lycéens protestaient, solidaires avec les plus déshérités. Mais difficile faute d'expérience, d'empêcher les casseurs de profiter de la situation.

Témoignage –
On s'est fait taper, il faut arrêter tout ça, on manifeste, on est en négociation c'est pas pour tout casser.

Jean-Michel Mercurol –
Difficile aussi de coordonner le mouvement au point que le ministère qui veut le dialogue a encore du mal à trouver des interlocuteurs représentatifs. Claude Allègre et Ségolène Royal reçoivent, écoutent, mais rien de décisif pour le moment. En attendant, les lycéens ont trouvé largement dans la rue, leur école citoyenne.

Témoignage –
Je peux vous dire qu'on apprend énormément plus en organisant les grèves depuis des semaines qu'en étant en cours !

Jean-Michel Mercurol –
Les ministres jouent la compréhension, tandis que les lycéens mobilisent pour la manif de mardi. Une démonstration qu'ils veulent massive à la veille du débat budgétaire.

Michèle Cotta –
Alors au premier plan de tout, apparemment ce qui apparaît dans les manifestations, ce sont des revendications purement matérielles. Au fond par rapport à la génération 68 vous ne voulez pas changer le monde, mais vous voulez changer finalement les donnes et les donnes matérielles. Est-ce que vous pouvez les uns et les autres, dire ce que vous attendez du lycée ?

Emmanuel Anjembe –
Ce qu'on attend essentiellement tout d'abord c'est une évolution, et une évolution rapide, qui ne sera pas une révolution. C'est-à-dire sur le point de vue matériel on attend une diminution des effectifs, parce qu'on estime que le nombre d'élèves par classe doit s'élever à 25 parce qu'au-delà, on pense que c'est trop, à l'exemple des classes de langues où la pratique orale est importante où il y a des classes de 40. On attend également la présence de professeurs, le remplacement immédiat des professeurs car à l'exemple où en BEP ils n'ont pas de prof d'anglais et ça fait deux ans, alors qu'à la fin de leur cursus scolaire ils doivent passer un examen avec une épreuve d'anglais. On demande aussi au niveau des « ATOS », la présence d'infirmière dans chaque lycée à temps complet, la présence de conseillères d'orientation également, et la présence de surveillants, et également... également, ce qui est très important, c'est la présence au moins trois fois par mois, même plus, parce qu'une fois par an, c'est inadmissible, d'une assistance sociale.

Michèle Cotta –
Alors Grégory Suslamare, Arnaud ? Qu'est-ce que vous ajouteriez à cette liste ?

Arnaud Bertinet –
Nous, on désire en fait que nos revendications soient satisfaites dès la rentrée de la Toussaint car je pense que c'est assez important en fait...

Michèle Cotta –
En deux jours ? Enfin une semaine ?

Arnaud Bertinet –
A la rentrée de la Toussaint oui en une semaine, enfin surtout au niveau des remplacements des professeurs, car certaines classes ont des examens à la fin de l'année et c'est essentiel.

Michèle Cotta –
Grégory ?

Grégory Suslamare
Sur les locaux, c'est vrai qu'on sait bien qu'on ne va pas construire des locaux comme ça du jour au lendemain, mais il faut dire que c'est indispensable, quand le ministre annonce par exemple la création d'un conseil de huit lycéennes, eh bien pour réunir la moitié d'élèves et la moitié des professeurs, eh bien il faut des locaux, parce qu'il y a certains établissements qui ne peuvent même pas regrouper une centaine d'élèves parce qu'ils n'ont pas de salle pour se réunir ce nombre d'élèves et on va créer un conseil de huit lycéenne qui s'exerce et quelquefois... alors soit les proviseurs ne souhaitent pas réunir le conseil des délégués parce que la démocratie lycéenne n'est pas respectée, mais soit aussi parce qu'il n'y a pas de locaux et on ne peut pas réunir le conseil des délégués, c'est indisponible qu'il y ait des locaux dans le établissements, on sait que ça ne se fera pas du jour au lendemain, mais il faut vraiment appuyer là-dessus et il faut que... j'espère que le ministère sera quelque chose de très sérieux sur ces locaux.

Michèle Cotta –
Alors l'avis du porte-parole ?

Loubna Meliane –
Je suis tout à fait d'accord avec ce qui vient de dire Grégory, ce n'est pas que des revendications budgétaires, il y a aussi des revendications en ce qui concernent la vie lycéenne, c'est-à-dire doit changer, le lycéen doit devenir acteur... excusez-moi pour la voix. Ce que je veux dire c'est : on est quand même les premiers concernés, c'est nous qui allons en cours, c'est nous qui constatons ce qui va et ce qui ne va pas, on doit devenir de réels acteurs.

Michèle Cotta –
Alors donc on voit bien le volume des revendications purement matérielle, on passera après si vous voulez bien au contenu des programmes, parce quand même j'espère que là aussi, ce n'est pas la façon seulement d'enseigner, c'est ce qu'on enseigne qui est important aussi, alors qu'est-ce... Ségolène Royal, votre première réaction ?

Ségolène Royal –
Ma première réaction c'est d'expliquer ce que fait le gouvernement d'abord, je crois que pour bien régler les problèmes, il faut d'abord bien les comprendre, les regarder en face, bien les identifier en articulation avec les acteurs de ces problèmes là et puis dire ce que l'on va faire et surtout s'y tenir et faire ce que l'on dit.

Michèle Cotta –
Alors question quand même, depuis le rapport Meirieu, est-ce que vous n'avez pas l'impression que vous n'avez pas dit assez ce que vous alliez faire, il y a quand même six mois, qu'est-ce qui s'est passé pendant ces six mois-là ?

Ségolène Royal –
Vous savez, j'ai là dans ce dossier, les remontées de l'ensemble des recteurs, sur tout le territoire, qui ont reçu donc les délégations lycéennes, j'ai regardé de près l'ensemble de cette restitution du dialogue qui s'est déroulé dans différentes régions, et c'est vrai que l'on retrouve tout d'abord tout ce qui vient d'être dit, c'est-à-dire qu'il y a trois types de problèmes qui ont émergé, d'abord que ce mouvement est né à partir de problèmes concrets dans les établissements, manque d'enseignants, classes surchargées, emplois du temps trop lourds ou mal organisés...

Michèle Cotta –
Pas de remplacements.

Ségolène Royal –
... Manque de démocratie lycéenne ou de dialogue, problèmes de locaux, etc...Ces questions-là, le gouvernement n'est pas resté inerte, puisque les recteurs ont été réunis, ce que nous souhaitons c'est que dès lundi effectivement dans les retours, au moment du retour des élèves dans les établissements scolaires, il y ait déjà un certain nombre de changements concrets ; c'est-à-dire des classes dédoublées, des horaires mieux organisés, un travail de dialogue avec les élèves et, dans beaucoup d'établissements scolaires, une fois de plus cela apparaît dans ces rapports, les recteurs ont déjà pris un certain nombre de décisions, mis en place un certain nombre de moyens et donc très concrètement, étant donné que le mouvement est partit en effet des établissements qui avaient à faire face à un certain nombre de besoins concrets, la réponse est très simple, aujourd'hui ces problèmes concrets doivent être réglés dans chaque établissement scolaire. Chaque lycée est un cas unique et il faut répondre au problème concret dans ces lycées, mais en même temps, ce serait faire de ma part de démagogie que de dire « dès lundi tout sera réglé ». Non, dès lundi tout ne sera pas réglé, mais en même temps, ce qui doit être réglé lundi, c'est au moins l'identification des problèmes et l'indication aux équipes pédagogiques, aux enseignants, aux chefs d'établissements et aux élèves du délai dans lequel ces problèmes seront réglés. Donc ça c'est une façon très concrète de la part du gouvernement de répondre aux préoccupations qui ont lieu dans les lycées.

Michèle Cotta –
Alors Arnaud Bertinet, donc ce n'est pas tout, tout de suite, mais si on vous dit « telle chose sera réglée, voilà dans quelle échéance », ça vous satisfait tout de même ?

Arnaud Bertinet -
Oui, de toute façon nous sommes conscients, et que tout ne peut pas être réalisé dès la rentrée, mais je pense que le principal devrait être le plus tôt possible mis en place.

Ségolène Royal –
Je peux rajouter une petite chose de ce qui me frappe dans ce moment qui est important, nous avons 2 400 000 lycéens, il y en a eu 400 à 500 000 dans la rue, un lycéen sur cinq, donc c'est important et nous ne traitons pas ce mouvement là à la légère. En même temps ce qui nous frappe, c'est que c'est un mouvement sérieux. Je suis moi-même allé rencontrer des lycéens à Brivac (phon) qui étaient en grève depuis plusieurs jours, il y a eu une réunion de travail qui s'est tenue toute la journée, et ce qui m'a beaucoup frappé, c'est la sous information des lycéens et le déficit de communication. Et au cours de cette journée, le proviseur s'est entretenu avec les lycéens et leur a expliqué qu'elles étaient ses contraintes pour faire un emploi du temps. Les lycéens ont découvert le fonctionnement de leur lycée. Donc est-il normal d'arriver en classe terminale et de découvrir le fonctionnement du lycée ? Certains d'entre eux ont découvert certaines modalités du déroulement du Bac qu'ils vont passer à la fin de l'année scolaire. Donc et c'est le deuxième type de demande, indépendamment des demandes matérielles qui émergent dans ce mouvement, je crois que c'est une demande aussi de dialogue, et là on est quand même dans un paradoxe, c'est-à-dire avec Internet on dialogue avec l'étranger et il y a un déficit de communication à l'intérieur des lycées, donc là aussi il y a une urgence par rapport à cette reprise du dialogue, de la discussion, du respect mutuel, et là, il faut que les lycées là s'en saisissent.

Michèle Cotta –
Un mot de Christian Jelen et puis après, les syndicats enseignants.

Christian Jelen –
Je voudrais répondre à madame la Ministre. Tout le monde est d'accord pour dire, moi ça fait une dizaine de mois que j'enquête sur les violences scolaires, donc j'ai rencontré une flopée de profs, une flopée d'élèves, eh bien, bien sûr les classes sont surchargées, bien sûr qu'il y a un manque de professeurs, mais je pense qu'il faut aussi rajouter deux ou trois points supplémentaires. Le pouvoir des professeurs n'existe plus, il y a une pénétration de la violence externe dans les établissements, il y a devant un certain nombre de débordements, il y a un système de sanctions totalement inadapté, je crois que le problème essentiel c'est de restaurer l'autorité des professeurs, c'est de dire que ce n'est pas un espace démocratique, c'est de dire que c'est un lieu où on apprend, et c'est de dire qu'il y a une primauté du prof sur l'élève.

Michèle Cotta –
Alors on va demander peut-être aux profs et à monsieur... aux professeurs qui sont là, alors, monsieur Paget ?

Denis Pajet –
Je voudrais dire, une des raisons des problèmes quantitatifs qu'on rencontre aujourd'hui, c'est qu'on a bridé les recrutements d'enseignants depuis deux ans, voir plus et que dans le prochain budget on prévoit de les brider encore, et comment résoudre le problème dans l'immédiat ? Il faut réunir les jurys, des concours de recrutements d'enseignants et établir des listes supplémentaires bien au-delà d'ailleurs des désistements des candidats. C'est la seule solution pour répondre immédiatement à la question des surcharges d'effectifs et des professeurs non remplacés.

Michèle Cotta –
Hervé Baro, Hélène Kessler ?

Hervé Baro –
Il y a des problèmes matériels qui ont été soulignés, sur lesquels je crois qu'il n'est pas utile d'insister parce qu'ils sont réels. Certains sont incompréhensibles, comme par exemple la non nomination de professeurs depuis un mois, alors que la rentrée est intervenue cela fait un mois.  Mais moi ce à quoi je suis sensible, c'est sur le fait que l'exigence des lycéens c'est de faire que le lycée soit un lieu de vie, c'est-à-dire la demande d'écoute et de respect des lycéens et cette demande. On ne la résoudra pas simplement en ajoutant quelques milliards qui sont absolument nécessaires, mais on le résoudra aussi et surtout en changeant le lycée et en permettant qu'une véritable expression lycéenne dans les comités de vie lycéenne, dans les instances qui existent et en considérant qu'on a à faire à des adultes. Il faut prendre en compte le fait que le lycée évolue, a changé, et que les lycéens surtout ont changé et si on ne règle pas cette question, si on ne va pas au-devant de réformes de fond, ce qui se produit aujourd'hui se reproduira l'an prochain, se reproduira l'année d'après.

Michèle Cotta –
Monsieur Meirieu ?

Philippe Meirieu
Oui, moi je ne suis pas sûr que les positions de monsieur Baro et celle de monsieur Jelen soient aussi opposées que ça. Le lycée comme lieu de vie, ou le lycée comme lieu de travail, nous ce qui nous est apparu l'an dernier dans la consultation et ce qui m'apparaît très fort aujourd'hui, Ségolène Royal l'a indiqué, c'est qu'il ne s'agit pas d'un mouvement de jeunes, a  fortiori pas d'un mouvement d'un jeune type, mai 68 qui dit aux adultes « lâchez-nous les baskets », il  s'agit d'un mouvement de lycéens qui se définissent comme lycéens et qui demandent les meilleures conditions possibles pour exercer leur métiers de lycéens. D'ailleurs c'est très étonnant, si on regarde les revendications qui ont été évoquées tout à l'heure, ce sont précisément celles qui sont débattues habituellement dans les entreprises dans l'instance du comité d'entreprise. L'hygiène, la sécurité, les locaux, l'emploi du temps, les foyers etc... C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles on avait proposé le conseil de la vie lycéenne parce que le conseil d'administration, pas plus que dans une entreprise n'est habilité à traiter de ses question- là, on pourra en reparler tout à l'heure. C'est un mouvement de lycéens qui veulent travailler et une des choses importantes à repérer, c'est le rôle des filles dans ce mouvement, qui est tout à fait extraordinaire. Non je ne dis pas ici parce qu'on vous connaît bien, c'est très important à le souligner, c'est un mouvement de gens qui veulent bosser, c'est un mouvement de gens qui sont inquiets de ce qui se passe, et le fait que les filles soient au premier rang dans les leaders de ce mouvement, signifie qu'au fond, il y a une vraie demande de faire du lycée un vrai lieu de travail. Un lieu de travail, alors ce lieu de travail...

Michèle Cotta –
Je remarque que personne ne parle de travail depuis qu'on a commencé.

Philippe Meirieu –
Si, enfin moi j'ai toujours dit et il m'est toujours apparu à travers la consultation de l'an dernier...

Michèle Cotta –
Vous parlez des conditions, mais jamais de travail.

Philippe Meirieu
Non, non, que le lycée doit être un lieu de travail, mais un lieu de travail avec un public qui a changé dans des conditions nouvelles avec des gens qui n'ont pas tous des parents capables de les guider dans le maquis documentaire de l'encyclopédie Universalis ou autre chose, avec des gens qui n'ont pas tous un équipement documentaire chez eux, c'est-à-dire un lieu de travail qui organise un interne... un soutien en particulier, une aide individualisée pour les élèves qui en ont besoin. C'est ce qui est sorti de la consultation, c'est ce qui me paraît l'axe fondamental des réformes qui doivent venir.

Michèle Cotta –
Alors Hélène Kessler, vous vous êtes dans un collège, mais au fond, les collégiens sont les lycéens de demain ou d'après-demain, est-ce que vous avez déjà les mêmes problèmes ?

Hélène Kessler -
Tout à fait, il y a une couleur locale un peu particulière puisque je travaille dans un collège de 1 200 élèves, un collège de 800 en fait, mais qui accueille 1 200 élèves et qui en ZEP...

Michèle Cotta –
Ça veut dire zone d'éducation prioritaire.

Hélène Kessler
C'est ça. Sur les délais dans lesquels on peut résoudre les problèmes qui se posent aujourd'hui, je suis surprise d'entendre qu'il faut attendre et qu'il faut patienter. J'ai l'impression qu'au contraire, tout a été fait avant pour que les problèmes se posent aujourd'hui, par exemple, concernant la lutte contre la violence, est-ce qu'il n'aurait pas fallu prévoir un nombre de surveillants suffisant, un nombre d'adultes suffisant dans les établissements scolaires ? Concernant les professeurs qui ne sont pas nommés, on a par exemple instauré la physique comme nouvelle matière en 5ème dans les collèges. Or maintenant on n'a pas de profs de physique. Est-ce qu'il n'aurait pas fallu prévoir avant, avant de lancer cette idée de la physique en 5ème ? Est-ce qu'il n'aurait pas fallu se demander si on avait le nombre de professeurs suffisant et éventuellement étaler leur recrutement avant de lancer cette décision ? Quant à l'autorité des professeurs, je me sens bien sûr remise en cause par ce que dis monsieur, donc dans ce collège très difficile dans lequel je travaille, je dois dire quand même que le professeur dans sa classe depuis le temps que nous sommes en ZEP a appris à gérer les situations. Le problème se pose dans les couloirs, dans les interclasses, dans la cour de récréation, et beaucoup plus que dans les classes.

Michèle Cotta –
Est-ce que vous ressentez ça aussi les collégiens qui sont là ? C'est-à-dire, Laura, Patrick, Julien ?

Julien Vasseur, élève en 3ème techno –
Oui nous ressentons très bien cette violence qu'on trouve tout partout dans notre collège. C'est vrai que c'est un collège assez difficile et les professeurs... comment dire, ont une autorité un peu différente qu'on trouve dans les autres collèges, c'est vraiment... comment dire, on ne peut pas appeler ça un collège maintenant parce que c'est vraiment...

Michèle Cotta –
Alors on ne va pas parler peut-être des problèmes de collèges aujourd'hui. Mais sur cet aspect de la vie lycéenne, c'est-à-dire la violence, la violence qu'on a vue d'ailleurs s'exprimer autrement mais peut-être pas par des lycéens au cours des manifestations, qu'est-ce que vous répondez là-dessus ? Et aussi sur toutes les interpellations, sur les remplacements difficiles, sur l'absence des professeurs de physique...

Ségolène Royal, ministre déléguée à l'Enseignement scolaire -
D'abord, sur le problème de la violence, je crois qu'il y a une question de taille de dimension humaine des établissements. Et c'est vrai qu'il est inadmissible qu'un établissement, qu'un collège construit pour 800 élèves en accueille 1 200. Je crois que, maintenant, le problème est réglé, qu'un deuxième collège va être construit. Mais là-dessus, j'ai pris une décision très claire : aucun nouveau collège ne devra être construit pour plus de 600 élèves car à partir du moment où un chef d'établissement ne connaît pas individuellement chaque élève, en effet, nous n'avons plus affaire à une communauté humaine éducative. Donc ça, c'est une réponse extrêmement précise.

Michèle Cotta –
Sur les lycées, je crois qu'on en a construit 500 en dix ans mais effectivement, rien n'a suivi, enfin beaucoup de choses n'ont pas suivi.

Ségolène Royal
Mais vous savez, écoutez...

Denis Paget, secrétaire national du SNES –
3 surveillants pour 1 800 élèves, c'est ça, la réalité. Alors quel encadrement ? Quand les lycéens se plaignent des problèmes de violence, c'est qu'il n'y a pas d'encadrement en dehors des cours.

Ségolène Royal -
Je crois qu'on ne peut pas dire que les moyens n'ont pas accompagné la démocratisation des lycées. C'est vrai que, dans le système scolaire, c'est le lycée qui a le plus bougé puisqu'en quinze ans, on est passé de 40% d'accueil d'une classe d'âge, aujourd'hui, 70% des jeunes entrent au lycée. Donc ; il y a eu un effort de démocratisation considérable qui est d'ailleurs à mettre au crédit de l'ensemble des enseignants qui peuvent être légitimement fiers parce que c'est eux qui ont répondu à ce formidable accueil...et cette formidable démocratisation des lycées. Et en même temps, les moyens ont accompagné puisque le nombre d'élèves par classes qui, dans certaines matières, ma paraît excessif – et nous nous y attelons – a diminué depuis 1980. Donc, je crois qu'il faut bien comprendre cet effort que la nation a fait pour les lycées. Et aujourd'hui, nous sommes face à une demande qualitative parce que, aussi, le monde autour des lycées a changé et est devenu plus incertain. Et autrement dit, aujourd'hui, les lycéens, la question qu'ils adressent aux enseignants est devenue plus difficile par rapport à l'incertitude sur l'emploi, par rapport à l'incertitude sur les savoirs, par rapport au problème de l'empilement des savoirs, est-ce que ce que vous m'apprenez va m'aider à trouver une place dans la société ? Donc, dans ce mouvement, on a à la fois des problèmes concrets bien repérés que nous sommes en train de traiter, que nous allons traiter, continuons à traiter. Nous recevons à nouveau, les deux ministres, Claude Allègre et moi, reçoivent à nouveau mercredi la délégation des lycéens.  Dans chaque académie, dès lundi, les recteurs reçoivent les délégués lycéens pour faire l'inventaire lycée par lycée des problèmes qui subsistent et pour y mettre des moyens. Un certain nombre d'aide-éducateurs vont être recrutés pour ouvrir les centres de documentation qui restent fermés. Donc, j'en termine juste sur ce point-là et pour dire qu'au-delà il y a des choses à plus long terme qui est la transformation en profondeur. Je n'ai pas utilisé le mot « patience », je n'ai pas demandé aux lycéens d'être patients. Ils ont raison d'être impatients et ce point de vue-là, la jeunesse a toujours eu un rôle d'alerte par rapport aux adultes. Elle nous bouscule et c'est une bonne chose. Et toutes les générations ont fait cela. Cette génération est unique aussi comme celles qui les ont précédées. Elle doit trouver ses repères, ses valeurs, ses modes d'action. Et nous, nous avons la responsabilité d'y répondre rapidement mais sans démagogie.

Michèle Cotta –
Emmanuel, Loubna Meliane, quelle est votre réaction ?

Loubna Meliane -
Moi, j'aimerais revenir sur le thème de la violence en sachant...

Michèle Cotta –
Oh non, vous êtes très difficilement, excusez-moi, mais c'est très difficile de vous écouter.

Loubna Meliane -
Je sais bien, je me rends compte, j'essaie de faire un effort. Donc, j'aimerais revenir là-dessus parce que le problème de la violence, c'est aussi...

Michèle Cotta –
Est-ce qu'on entend Loubna Meliane ? J'aimerais qu'on me dise si on l'entend ? très légèrement. Allez-y mais alors soyez brève.

Loubna Meliane -
D'accord. C'est aussi un problème du fait que le lycéen ne se sent pas investi dans son lycée, c'est-à-dire qu'il n'est pas acteur comme j'ai pu le répéter, s'il ne se sent pas bien dans son lycée, il ne respectera pas son lycée. Donc, la violence, ce n'est pas qu'un problème de surveillants.

Michèle Cotta –
Emmanuel, c'est votre avis aussi ?

Emmanuel Anjembe, 1ère ES – Lycée Paul Robert Les Lilas –
Également. Mais moi, j'aimerais revenir de façon concise et dense à tout ce qui s'est dit depuis tout à l'heure. Alors d'une part, j'aimerais insister sur le fait que ce mouvement des lycéens est un mouvement spontané qui s'est fait sans aucune influence des professeurs, ni d'autres syndicats.

Michèle Cotta –
Les professeurs ne vous ont pas manipulé ? Vous n'avez pas essayé de manipuler les lycéens, vous êtes sûr ? Pourtant, vous vous êtes caché derrière eux à un moment donné, non ?

Emmanuel Anjembe -
Non, non, je tiens à le noter... Et également, ce que tiens à noter à propos de ce mouvement, c'est que ce mouvement a permis de montrer que les lycéens peuvent et sont en face d'un apprentissage de la citoyenneté. Actuellement, on est train de monter nos devoirs. Mais le problème, on a l'impression que nos droits, qu'on nous refuse l'accès à nos droits. Et c'est ce problème-là. Vous parliez de patience tout à l'heure mais actuellement, on ne peut plus attendre. Ce n'est pas nous, ce n'est pas cette année. Ça fait plus de trente ans que ça dure. On ne peut plus attendre. On est comme Saint Thomas aujourd'hui. On veut attendre des choses concrètes si bête que ça puisse paraître.

Ségolène Royal –
Je ne vous ai pas dit d'attendre. Je n'ai pas utilisé ce mot-là.

Michèle Cotta –
Jérôme Chapuisart parce que – vous parlerez après, monsieur – mais Jérôme Chapuisart vous êtes intéressant par ce que, à Montpellier qui a eu beaucoup de mouvements, vous avez reçu je crois tout le monde. Je voudrais savoir, est-ce qu'il y a une spécificité de Montpellier ?

Jérôme Chapuisart, recteur de l'Académie de Montpellier -
Oui, je vais vous en dire un mot. Mais d'abord, je voudrais simplement rappeler que quand l'an dernier, nous avons lancé la consultation sur les lycéens, la question était « pourquoi les lycéens ? Il n'y a pas d'urgence dans les lycées ». On l'a beaucoup dit. On avait tort. Donc, nous avons eu raison de faire ce que nous avons fait parce que nous avons anticipé les difficultés que nous rencontrons maintenant. Alors, pourquoi Montpellier ? C'est vrai que Montpellier est atypique, parce qu'il y a une pression démographique très forte sur la démographie lycéenne à Montpellier alors que, dans le reste de la France, il y a des lycées moins nombreux qu'avant. A Montpellier, nous en avons plus qu'avant. Et donc, les problèmes matériels, de sureffectifs, de locaux, de classes surchargées se posent de façon aiguë à Montpellier. Et effectivement, depuis trois semaines puisque moi, j'ai le privilège d'avoir commencé à rencontrer les lycéens il y a trois semaines maintenant, j'en ai reçu plusieurs centaines et j'ai entendu tout ce qui vient d'être dit. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai aussi le privilège d'avoir commencé à répondre un peu avant mes collègues puisque, comme je suis parti plus tôt, j'ai pu répondre plus tôt. Et toute la semaine qui vient, je vais continuer à aller voir les lycéens dans leurs lycées maintenant. S'ils veulent venir me voir au rectorat, je les recevrai évidemment de la même façon pour pouvoir répondre au cas par cas à l'ensemble des problèmes qui se posent.

Carine Seiler, président de l'UNEF-ID –
Moi, je voulais dire quelques mots pour rebondir sur ce que vient de dire...qui me semble très important. Je crois qu'ils ont eu le sentiment que l'année dernière ils ont été consultés par monsieur Meirieu sur un certain nombre de thèmes, qu'ils ont enfin eu la possibilité de donner leur avis, de prendre la parole, d'être acteurs comme ils disent tous et ils ont le sentiment finalement que rien n'a changé depuis. Et ils disent aussi, je crois que c'est tout à fait notable, « maintenant, on est comme Saint-Thomas, on n'a plus confiance ». Je crois que, de ce point de vue-là, je m'adresse au ministre, vous avez une responsabilité particulière, c'est que vous annoncez un certain nombre de choses, de modifications, vous consultez les gens, les lycéens en l'occurrence, ils ont le sentiment ensuite que rien ne change. Et je crois que, de ce point de vue-là, leur révolte est légitime parce qu'ils veulent que les paroles soient ensuite suivies d'actes. Vous avez annoncé qu'il y aura un certain nombre de changements dès lundi. Vous dites que certaines choses prendront du temps à s'appliquer. Je pense que les lycéens comme tout le monde sont prêts à le comprendre. Ce ne sont pas des irresponsables, au contraire. On voit bien que leur mouvement est très responsable. C'est l'apprentissage de la citoyenneté. Mais ce qu'ils veulent, ce n'est pas des paroles en l'air, c'est véritablement des actes et pouvoir le contrôler ensuite. Ils sont acteurs. Il y a des instances qui existent. Il me semble qu'il faut véritablement qu'elles se mettent en place et que vous donniez aux lycéens dans les établissements, vous le ministère, enfin vous madame la Ministre mais aussi dans les établissements, les enseignants, les proviseurs, les recteurs pour associer véritablement les lycéens. Et je crois qu'effectivement si les lycéens avaient le sentiment que le lycée est aussi fait pour eux, il y aurait peut-être moins de violence.

Michèle Cotta –
Si vous voulez, à partir de Montpellier qui nous attend, il y a une expérience je crois qui a été faite intéressante dans un lycée professionnel de Montpellier. Alors le proviseur, Charles Pioch, je le vois sur mon écran de contrôle. Alors vous, vous avez proposé en quelque sorte un contrat de parité à vos élèves et ça a très bien marché. Vous nous racontez.

Charles Pioch, proviseur du lycée professionnel régional Méditerranée de Montpellier -
Michèle Cotta, bonjour. Juste deux mots pour revenir sur le problème global de l'académie de Montpellier. C'est vrai que des problèmes démographiques ont entraîné des sureffectifs et ont été le détonateur du mouvement. Ce que je voudrais dire pour ma part toujours sur le plan général, c'est que je suis convaincu que la consultation du mois de janvier dernier a été crée chez les lycéens qui avaient répondu avec énormément de sérieux une très forte attente et qu'ils attendaient à cette rentrée les premières réponses. Au-delà de tout cela, je suis convaincu que les lycéens manifestent une demande et je l'ai entendu de la bouche d'une déléguée tout à l'heure, manifestent une très forte demande d'écoute. Et quand nous aurons répondu aux problèmes urgents en termes de postes ou de moyens, c'est sur cette question là qu'il va falloir que nous travaillions sérieusement sans les établissements. Alors particulièrement sur le lycée de la Méditerranée qui est un lycée professionnel industriel dont la vocation est la formation aux métiers de l'automobile, où les problèmes ne sont pas majeurs mais malgré tout restent nombreux et méritent toute l'attention nécessaire, le recteur Chapuisart, il y a déjà quelques jours, nous avait demandé de travailler avec nos élèves, avec nos lycéens sur des cahiers de doléances. Très franchement, sur le moment, ça aurait pu paraître un gadget de plus. Au lycée Méditerranée, ça été difficile au début car mes jeunes me disaient « mais nous, monsieur, on n'a pas de problème en Méditerranée. On est dehors parce qu'on veut être solidaires des autres ». Et puis, peu à peu, à travers le débat ; à travers les discussions avec le conseil des délégués ou le nouveau conseil de la vie lycéenne, nous sommes arrivés à faire que les jeunes s'expriment. Et très vite, moi, j'ai eu sur mon bureau une trentaine de fiches de suggestions, de recommandations. Alors ce que je voudrais dire, c'est que, à partir de là, moi, j'estime avoir un outil de travail pour toute l'année avec les lycéens, avec le conseil des délégués, avec le conseil de la vie lycéenne et mon conseil d'administration, j'ai un outil de travail phénoménal pour faire avancer les problèmes sur le lycée Méditerranée mais aussi, comme je l'ai entendu de la bouche d'une des déléguées, et j'adhère tout à fait à ses propos, mais aussi pour que mes lycéens deviennent des acteurs et des partenaires – moi, je crois beaucoup à ce mot – des partenaires du lycée.

Michèle Cotta –
Merci, monsieur PIOCH. Alors, monsieur Meirieu, vous, vous n'avez pas l'impression d'avoir un peu « joué » les apprentis sorciers parce qu'en fait, vous avez ressorti toutes les revendications, vous les avez données et puis, voilà, tout est venu de là, non ?

Philippe Meirieu, professeur en sciences de l'Éducation –
Les apprentis sorciers, je ne crois pas. Si le ministre et madame le Ministre ont décidé l'an dernier de faire une consultation sur les lycées, c'est, je crois comme l'a dit le recteur Chapuisart, que le problème se posait déjà à leurs yeux et je crois qu'il était important déjà de commencer à réfléchir. Ce qui est apparu dans les consultations très fort, ce qui réapparaît là, on l'a entendu, plus d'adultes, plus de profs, plus de surveillants. Moi, je voudrais dire quand même fortement que, dans les questionnaires, il y avait plus d'adultes au pluriel sans aucun doute. Il faut plus de profs. Il faut un prof devant chaque classe. Il est inadmissible qu'il n'y ait pas un prof devant chaque classe. Mais il faut aussi plus de prof au singulier. Je crois que les lycéens demandent des profs plus présents, plus disponibles, pas nécessairement des psychothérapeutes ou des confidents, mais des gens qui les aident à travailler au quotidien et qui soient plus à leurs côtés ou côte à côte dans le travail. C'est la raison pour laquelle il semblerait... Le pire des scénarios actuellement, c'est qu'on donne 4 milliards et 8 000 postes aux lycéens et que chacun rentre tranquillement dans sa boutique et puis qu'on s'arrête là et qu'on recommence dans deux ans. Si l'on veut éviter ce scénario-là, c'est le statut, c'est le statut de l'enseignant dans l'établissement : qu'est-ce que c'est que le rôle d'un enseignant dans un établissement ? Et là, il y a un beau challenge. Et je serais content que mes camarades syndiqués puissent nous aider à relever ce challenge.

Christian Jelen, journaliste –
Moi, je voudrais vous dire, monsieur Meirieu, et je voudrais vous dire, madame Ségolène Royal, vous ministre et votre conseiller très important, moi, je ne suis qu'un enquêteur de terrain. Ce que j'ai entendu à 95%, c'est arrêtez de taper sur les profs parce qu'ils en ont ras-le-bol. Allègre tire à vue. Les professeurs en sortent profondément humiliés, méprisés. Et je ne crois pas qu'on puisse faire une école une école efficace en faisant, en tapant continuellement sur les profs. Et je pense que les profs souffrent et subissent, acceptent très mal d'être ramenés à l'état d'assistance sociale, à l'état d'éducateur, à l'état d'animateur, à l'état d'assistance sociale. Et je crois que ça, c'est un problème auquel vous devriez réfléchir très sérieusement.

André Senik, professeur de philosophie –
Je ne suis pas non plus du tout un dirigeant, je suis un prof de base et je parle en mon nom personnel. Je veux simplement témoigner déjà de ce qui s'est passé dans mon lycée dans lequel, à St-Cloud, il n'y a aucun problème. Les trois quarts des élèves ont débrayé et naturellement, c'était, pour le quart qui était politisé, c'était par solidarité consciente, pour l'autre moitié, c'était parce que c'est merveilleux d'appartenir à un mouvement générationnel d'affirmation, c'est très, très bien. Et je crois aussi que, derrière, c'est un mouvement à interpréter, ce n'est pas un mouvement dont il faut simplement écouter les revendications concrètes. Ce qui est demandé, c'est qu'il y ait un meilleur ajustement entre la demande des élèves et les profs. Et donc, je crois effectivement, je suis d'accord avec vous sur le fait que Allègre réussit merveilleusement à se mettre à dos tous les enseignants mais il est clair qu'une réforme demanderait aux enseignants de changer un peu certains aspects de leur confort et qu'il arrive qu'il y ait une réticente, une crispation parce qu‘on voit bien ce qu'on va perdre et ne voit pas exactement comment l'enseignement va devenir plus agréable si l'on accepte de se remettre en question.

Michèle Cotta –
Vous voulez poser une question, mademoiselle – vous êtes lycéenne donc – vous voulez poser une question à Ségolène Royal ?

Lycéenne -
Non. Je voudrais intervenir au niveau des programmes parce que, pour l'instant, on a beaucoup parlé des problèmes au niveau matériel mais moi, je voudrais revenir sur les programmes parce qu'en fait, dans nos revendications, on a demandé non pas un allègement des programmes qui conduirait en fait à une baisse des heures de l'enseignement : mais en fait, on demande à ce que les programmes soient mieux organisés, une meilleure gestion des programmes. Notamment, moi, je prends mon cas, enfin notre cas, nous sommes en Terminale et on ne peut pas tout faire. Le programme d'histoire et de géographie est très, très lourd ; le programme de philosophie, le programme de physique pour les élèves de Terminale S et donc je demande une meilleure organisation des programmes, voilà.

Jérôme Chapuisat -
Je voudrais quand même rappeler puisque qu'on parle des professeurs et des programmes que, l'année dernière, on n'a pas seulement consulté les lycéens, on a aussi consulté les professeurs. Rien que dans l'académie de Montpellier, 5 000 professeurs ont répondu au questionnaire. 5 000, c'est beaucoup plus qu'un sondage et c'est beaucoup plus que n'importe quelle manif de profs dans une académie

Denis Paget –
Et ils attendent toujours, monsieur le recteur, la synthèse de cette consultation.

Jérôme Chapuisat -
Donc, nous avons consulté et il y a eu beaucoup de réponses.

Philippe Meirieu -
C'est disponible sur Internet déjà depuis très longtemps.

Denis Paget -
Non, non, non, la synthèse des enseignants n'a jamais été diffusée auprès des enseignants.

Jérôme Chapuisat -
Il y a eu beaucoup de réponses si vous me permettez de continuer et ce que je retiens de ces réponses comparées aux réponses des lycéens, c'est qu'il y avait beaucoup de points qui étaient des points de recoupement entre les réponses des enseignants et celles des lycéens et il y avait quelques points qui étaient des points de divergence. Alors il ne faut surtout pas opposer les enseignants aux lycéens bien sûr. Et si j'entends maintenant que les professeurs sont derrière les lycéens, je m'en réjouis. C'est une excellente nouvelle parce que ça va nous permettre d'avancer beaucoup plus vite dans la direction qu'on souhaitait et qu'évoquait la lycéenne qui vient de prendre la parole.

Denis Paget -
Je voudrais dire que changer les méthodes de travail, changer les pratiques pédagogiques, je crois que les enseignants y sont prêts mais à condition qu'on crée les conditions pour que ça soit possible parce que, individualiser la relation comme le souhaite Philippe meirieu, je pense qu'il a raison, c'est une bonne chose. Mais ce qu'on dit les lycéens et ont esquivé la réponse à cette question, c'est que, quand on a 32,4 élèves en moyenne dans les classes de seconde dans ce pays dans l'enseignement public, on ne peut pas individualiser l'enseignement. Il faut que ce soit dit et j'aimerais bien que madame la Ministre réponde autrement que le quantitatif est réglé.

Michèle Cotta –
Auparavant, monsieur de Montpellier, Richard Ruiz, c'est ça, qu'est-ce que vous avez à dire ? Vous êtes donc dans un lycée professionnel.

Richard Ruiz, 1ère Bac Pro carrosserie –
Oui c'est exact. Mais je tenais surtout à ajouter à ce débat, c'est qu'au niveau de toutes ces manifestations qu'il a pu y avoir à Montpellier, malheureusement, il a eu des casses, des casses au niveau des lycées, etc. Et les premiers accusés ont été nous, lycéens de lycées professionnels, je tenais à dire que je trouve cela anormal parce que nous n'étions pas les seuls à manifester dans les rues.

Michèle Cotta –
Vous voulez dire que vous êtes maltraités, les...

Richard Ruiz –
Oui, bien sûr. Les premiers qui ont été visés, ça a été nous et je tiens à casser cette image, surtout ça, quoi.

Michèle Cotta –
Tout de même, la question qu'on peut vous poser, est-ce que vous n'êtes pas embêté au-delà des problèmes de revendications et de manifestations ? Des casseurs profitent systématiquement de vos manifestations. Qu'est-ce que vous comptez faire pour empêcher ça ?

Richard Ruiz
Mais écoutez, dans les manifestations, ça va très vite.

Michèle Cotta –
Oui, alors je demande aux Parisiens ce qu'ils comptent faire pour éviter ça la prochaine fois.

Lycéen –
Enfin, nous tenions à demander une aide aux professeurs pour participer à la manifestation et nous aider à lutter contre la destruction.

Michèle Cotta –
Vous avez besoin des professeurs, quoi, finalement.

Lycéen –
Non, mais je pense que l'aide des professeurs...

Christian Paget –
Les lycéens n'ont jamais dit qu'ils étaient contre leurs professeurs.

Homme –
Mais le ministre non plus d'ailleurs.

Homme -
Nous sommes tous d'accord là-dessus.

Lycéen –
Nous sommes totalement indépendants mais nous...

Caroline Seiler -
Je crois qu'on voit que le mouvement des lycéens est un mouvement spontané, cela a été dit. Ils sont très nombreux à descendre dans la rue. D'abord, il faut savoir une chose, c'est qu'ils ont été plus de 50 000. C'est vrai qu'il y a eu de la casse à Paris mais grosso modo, dans toutes les autres villes de France, ça s'est très bien, passé sauf un peu à Montpellier aussi. Nous, en tant qu'un peu grands frères, les étudiants, on essaie de les aider à organiser leur manifestation, de les aider à préparer un service d'ordre. Et on a demandé pour la manifestation de mardi effectivement aussi surtout pour alléger un peu les lycéens, aussi aux enseignants, enfin finalement à tous ceux qui pourraient donner un coup demain, les syndicats enseignants notamment de faire un service d'ordre avec les étudiants, coordonné par les étudiants qui sont en quelques sorte les grands frères pour que la manifestation se passe bien.

Ségolène Royal –
Ce qui me paraît important au-delà des manifestations, les lycéens décident de leur type d'action, c'est aussi que l'on construise ensemble. Et par rapport à la caricature de la présentation qui a été faite de l'attitude de Claude Allègre que je ne peux pas laisser passer, je crois qu'on ne peut pas laisser dire cela alors que jamais le budget du ministère de l'Éducation nationale n'a été aussi fort, jamais il n'y a eu autant de consultations engagées, jamais il n'y a eu autant de réformes mises en mouvement, jamais les enseignants n'ont été aussi écourtés en particulier dans la consultation au lycée. Mais le rôle du gouvernement, c'est de mettre en mouvement les partenariats au sein des communautés scolaires.

Christian Paget –
Ça, c'est extraordinaire.

Michèle Cotta –
Monsieur Paget n'est pas d'accord avec vous.

Christian Paget –
Les enseignants n'ont jamais reçu matériellement le dépouillement de ce qu'ils ont dit sur les savoirs. Ils ont reçu le rapport de Philippe Meirieu. Ils n'ont pas reçu le dépouillement qu'ils ont dit.

Philipe meirieu –
Non, non, non. Tout ceci est disponible sur Internet depuis six mois. Soyons clairs.

Christian Paget –
Les lycéens, c'est pareil, ils n'ont jamais reçu le résultat de ce qu'ils ont dit.

Ségolène Royal –
Ce qui est important, c'est de faciliter la mise en convergence des énergies. Et dans la consultation, il y a une chose qui a été dite en commun par les lycéens, par les enseignants, par les chefs d'établissements, c'est la demande de temps, c'est-à-dire, c'est de trouver un nouvel équilibre entre des cours magistraux d'un côté, du travail par petits groupes de l'autre, de trouver un équilibre entre des savoirs abstraits et des connaissances mieux intégrées à la vie. Autrement dit, le lycée qui reçoit des jeunes de 15 à 20 ans ne peut plus traiter les jeunes de 15 à 20 ans comme il le faisait il y a cinq ou dix ans et que nous avons à réinventer ensemble, mais les lycéens aussi sont acteurs de cela. C'est à eux de prendre en main aussi la qualité de ce dialogue social à l'intérieur de ces établissements, de se saisir de ce que les ministres leur donnent par les conseils de la vie lycéenne, par les journées citoyennes, par les initiatives citoyennes. Et je voudrais juste finir sur ceci par rapport à ce que l'on vient d'entendre de ce lycée professionnel de Montpellier où le chef d'établissement a pris une initiative exemplaire, c'est-à-dire, il a organisé sans que personne ne lui dise une journée citoyenne, cette journée citoyenne que nous souhaitons voir organisée la semaine prochaine puisque nous avons donné aux lycées la possibilité de ne pas faire cours une journée mais de se rassembler dans les lycées pour discuter comme cela a été fait au lycée professionnel de Montpellier sur une liste de propositions, d'actions, d'amélioration du dialogue, de redonner du sens à la communauté humaine parce qu'il y a le travail individuel et puis si, monsieur, le lycée est un lieu de vie. Je ne suis pas d'accord avec ce que vous me dites. Oui, le lycée est un lieu de vie parce que ce sont là que des jeunes adultes sont en devenir, qu'ils apprennent à devenir des hommes et des femmes libres, qu'il y a accumulation des savoirs et qu'au-delà, il doit y avoir l'apprentissage des valeurs et que cet apprentissage des valeurs, elle se fait – je ne serai pas démagogique.  Non, je ne dirais pas aux lycéens « vous savez tout et nous ne savons rien ». Non, les adultes doivent vous transmettre les savoirs, les connaissances, les savoir-faire mais nous apprenons aussi des jeunes. Et c'est peut-être ça qui change aujourd'hui dans l'éducation, c'est que nous apprenons presque autant des jeunes et des enfants et dans les collèges aussi, on apprend énormément des jeunes adolescents – et en même temps, vous êtes en situation de recevoir le savoir, que vous avez des droits par rapport à l'éducation et en même temps, nous apprenons aussi de vous. Et je crois que c'est cette interaction là qui fait que nous construisons la qualité éducative du lendemain. Mais pas du lendemain dans... Je n'ai pas parlé ni de patience, ni d'attendre. C'est maintenant et c'est dans le mouvement que l'on construit cela.

Grégory Suslamare, lycée de Lille –
Juste deux points. Concernant les mouvements lycéens, la coordination se met en place. Il faut savoir que ce sont les lycéens qui s'organisent tous ensemble pour aller un même but pour que toutes les armes soient mises de notre côté pour réussir nos études. Nous ne sommes pas des professionnels. Il peut y avoir des débordements. Mais il faut bien savoir que ce sont les lycéens qui organisent tout ça. Et deuxièmement, je voulais dire à madame la Ministre qu'il ne faut pas essayer de raccommoder les lycées. Il faut vraiment une réforme sur le fond. Il ne s'agit pas de mettre un pansement sur la plaie qui commence à s'infecter. Il faut vraiment que des choses concrètes soient mises en place. Et plus de promesses, il faut en tous cas les tenir, ces promesses. Le ministre a annoncé par exemple une rentrée avec zéro défaut, eh bien, c'est une promesse qui n'est pas tenue. Et c'est là-dessus que je voulais insister.

Michèle Cotta –
Un mot dans le fond mais un mot seulement parce que nous approchons de la fin.

Lycéenne –
Juste au niveau de la coordination. La coordination à Paris, en Ile-de-France, ce qui se passe, c'est qu'hier à Duris (phon) par exemple il y avait celle de la FIDL principalement qui s'était réunie où je crois que tu étais présente et il y en avait une qui était indépendante, c'est-à-dire où les lycéens parlaient sans avoir derrière eux des partis politiques ou des tendances politiques désignés.

Michèle Cotta –
Est-ce que vous êtes récupérés ?

Loubna Meliane –
Nous ne sommes pas récupérés du tout. Ce qui s'est passé, c'est que la coordination, elle est un peu partie dans tous les sens. C'est normal comme a pu dire Grégory tout à l'heure. Les lycéens revendiquent... Tu peux t'exprimer pour moi parce que je ne peux pas là.

Grégory Suslamare -
Les syndicats lycéens ont le droit de s'exprimer, c'est leur droit. La coordination lycéenne, ce sont des lycéens qui vont tous dans le même sens et il n'y a aucune récupération. Il ne faut pas parler de la FIDL, de tous ces autres syndicats.

Michèle Cotta –
Pourtant, on a l'impression qu'hier il y a eu quand même beaucoup d'affrontements entre justement les mouvements plutôt...

Grégory Suslamare -
... Il y avait beaucoup de monde. Il a fallu s'organiser. Ce n'est pas évident quand on est lycéen et voilà. Mais il n'y a aucune récupération.

Carine Seiler -
La coordination, c'est aussi l'apprentissage de la citoyenneté. C'est vrai que c'a été un peu le bazar d'après ce que j'ai su à la coordination d'hier. Mais je voudrais dire une chose, c'est que, je crois les syndicats lycéens, ils ont le mérite d'exister, d'essayer d'organiser un peu les choses et je crois que c'est une bonne chose qu'ils essaient de le faire mais il ne faut pas qu'ils parlent à la place des lycéens. Mais il faut que vous sachiez tous, c'est qu'une fois que mouvement sera terminé, enfin j'espère qu'il obtiendra gain de cause et je pense qu'il faut en tout cas que les manifestations soient massives pour obtenir gain de cause, ce seront ensuite les syndicats lycéens qui seront présents pour vérifier et justement pour contrôler ce que vous ferez, madame le Ministre, pour éviter que, dans deux ans, nous nous retrouvions au même endroit et ça sera justement aux syndicats lycéens de contrôler ce que vous faites et d'éviter que des problèmes analogue continuent.

Hervé Baro, secrétaire général SE-FEN -
Madame Royal a parlé de démocratisation. Je suis en désaccord ave ce terme car la démocratisation reste à faire. Ce lycée que nous vivons aujourd'hui, c'est celui de l'inégalité et les enfants, les élèves, les lycéens refusent cette inégalité. Je crois qu'il est absolument merveilleux que ce mouvement se produise et je crois que c'est une chance pour nous que de nous appuyer sur ce mouvement pour justement transformer ce lycée en un lycée de l'égalité pour tous.

Michèle Cotta –
Monsieur Meirieu, puis madame Riyal. Monsieur Meirieu, très rapidement, c'est la dernière minute.

Philippe Meirieu -
Deux choses. Sur la question des effectifs, ne caricaturons pas. Il faudra revenir sur cette question de fond. Sur la question de monsieur Jelen, nous critiquons les profs, je critiquerais les enseignants. Je crois que la question, c'est la qualité du service public. Si nous ne manifestons pas l'exigence de qualité du service public, nous savons aujourd'hui que nous sommes en face d'une déferlante de la privatisation.

Ségolène Royal -
Il y a aussi dans ce mouvement lycéen un refus des inégalités et je crois que ça, c'est un élément porteur. Oui, monsieur Baro, la démocratisation s'est faite. Ce mouvement, c'est vrai, est un mouvement féminin et on voit beaucoup de filles. Faut-il rappeler que le premier BAC féminin ne remonte qu'en 1919 et qu'il a fallu attendre 1938 pour que les femmes aillent à l'université sans l'autorisation du mari. C'est dire la progression qui a eu lieu aujourd'hui. C'est-à-dire aussi comment le service public a su relever ce défi. L'école de la République, c'est l'affaire de tous, pas seulement des lycéens, des enseignants, c'est l'affaire de toute la société et c'est la priorité de tout ce gouvernement que de faire reculer les inégalités là. Et je dis aux lycéens, saisissez votre destin, saisissez les conseils de la vie lycéenne. Vous avez cela entre vos mains. Faites-les vivre la semaine prochaine.

Michèle Cotta –
Je suis obligé de rendre l'antenne. Vous parlerez après, si vous voulez, cette émission mais, pour le moment, nous sommes obligés de nous arrêter. Au revoir et à la semaine prochaine.