Texte intégral
L’Humanité : Vous avez décidé d’engager une réforme des lycées. Où en êtes-vous ?
Claude Allègre : Après la consultation de deux millions d’élèves, les propositions du rapport Blanchet vont être mises en œuvre, tout de suite, pour tout ce qui concerne la vie des élèves : création dans chaque établissement d’une « maison de l’élève », suivi individuel, formation des délégués, mise en place du conseil de la vie lycéenne. De même, afin de favoriser la présence de parents, les conseils de classe ne se dérouleront plus pendant les heures scolaires. Nous allons aussi alléger les programmes.
L’Humanité : Voulez-vous les alléger parce qu’ils sont trop copieux ou, comme le craignent certains, pour abaisser le niveau de ce que l’on va demander aux élèves ?
Claude Allègre : Comment voulez-vous que je sois pour l’abaissement du niveau ? Ce sont des prétextes pour continuer la sélection sociale. Ne soyons pas naïfs, cela profite à quelqu’un, sans parler de l’industrie du livre scolaire. Pourquoi ces livres sont-ils si luxueux, volumineux et donc chers ? Et qui paye, sinon les parents ? C’est déjà une première sélection par l’argent. Dans ces programmes, si vous êtes guidés par des parents à bac + 5 ou + 6, vous vous en sortez. Ensuite, une course au savoir, en croissance chaque année, est perdue d’avance. Ce que l’on doit faire, c’est se recentrer sur les savoirs fondamentaux, qu’il faut mieux maîtriser encore, et qui doivent être mieux sus. Plutôt qu’un saupoudrage et une formation molle sur des tas de choses éparses, je veux une formation dure sur moins de choses, mais fondamentales… De plus, nous faisons des efforts sur la formation continue. Treize universités ont ainsi été ouvertes cet été. Nous allons faire de la formation continue diplômante. Ce qui n’a pas été appris à l’école doit l’être tout au long de la vie.
Certains veulent continuer de figer la hiérarchie sociale à vingt ans. Il s’agit d’un grand combat politique, essentiel.
L’Humanité : Un combat contre qui ?
Claude Allègre : Tout cela n’est pas innocent. C’est comme le mot libéralisme qui inclut le mot liberté : « Attention ! Ils vont baisser le niveau », je dis voilà un conservateur. Ce sont des théories de réactionnaires, de gens qui veulent tout fermer, tout figer. Je pense que toute personne doit pouvoir acquérir des diplômes toute la vie et monter socialement selon ses qualités. Cette bataille, je la mènerai sans aucun état d’âme et sans faiblesse. Pour moi, c’est l’essence de l’égalité républicaine, le cœur de tout mon combat. Ainsi, je vais discuter avec les éditeurs sur les prix, les contenus, la manière dont sont préparés les manuels. Cela représente, avec la contribution des collectivités territoriales, deux milliards de francs par an. Les éditeurs doivent aussi créer de l’emploi.
L’Humanité : Les enseignants des lycées rentrent le mercredi 9 septembre, les élèves le 10. Le rapport Meirieu propose de modifier les horaires, ce qui provoque des réactions. Comment envisagez-vous la suite : discussion, négociations ?
Claude Allègre : Discussion, concertation, oui, mais à la fin, le ministre décide. A l’Assemblée nationale personne n’a été en désaccord sur les principes annoncés. Des groupes parlementaires voulaient même augmenter les horaires des enseignants, je m’y suis opposé, car je n’ai pas l’intention de le faire.
L’Humanité : Mais quel est l’objectif principal de cette réforme ?
Claude Allègre : Il y a deux objectifs. Comme pour les programmes : moins d’heures de cours, moins de gavage et plus d’aide à l’élève. Réussir l’entrée dans le XXIe siècle demande une solide formation de base et l’égalité des chances. Cela veut dire l’aide aux élèves qui ne peuvent être aidés chez eux et qui ne peuvent prendre des cours. La réforme va se mettre en place. Quand je lis dans un bulletin corporatiste que « les professeurs ne sont pas là pour aider les élèves », je saute au plafond. C’est la conception bourgeoise : le prof vient, fait son cours et s’en va. Que devient le gosse d’ouvrier ? Je sais de quoi je parle, mon père était fils de petit paysan et est devenu professeur agrégé. A l’époque on pouvait : je ne suis pas sûr qu’on le puisse maintenant.
L’Humanité : A la veille de la rentrée dans les lycées, qu’avez-vous à dire aux enseignants de ces établissements ?
Claude Allègre : Que leur valeur n’est pas mise en cause. Ce sont eux qui feront les réformes. C’est sur eux que l’on compte. Je veux qu’ils aient plus de liberté pour innover à l’intérieur d’un grand service public d’éducation. Petit à petit, ils retrouveront la place dans la société qu’ils ont eue à une certaine époque, qu’ils ont perdue et que je veux leur redonner. Ce ne sont pas que des problèmes financiers, mais des problèmes liés à la place de l’école et du savoir dans une société moderne. Cela se passe bien avec les syndicats des instituteurs, avec ceux des enseignants du secteur professionnel, avec ceux des étudiants, avec ceux des chercheurs. Je ne doute pas que cela se passe bien, un jour ou l’autre, avec les professeurs du secondaire : il suffit d’être patient. Moi, je tends la main. Evidemment, quand on me la mord, j’ai de petits réflexes…
L’Humanité : Le moment présent est-il plutôt à la main tendue ou à de tels réflexes ?
Claude Allègre : Je pense que le bon sens, l’intérêt des enfants finiront par l’emporter. J’ai vu, par exemple, il y a peu, les parents de Seine-Saint-Denis. Ils sont satisfaits, car ils voient que les promesses ont été tenues. Il faut réconcilier les enseignants et les parents. L’œuvre éducative ne peut se faire sans cela. Ségolène Royal a dit là-dessus des choses que j’approuve totalement. Il ne faut pas considérer les parents d’élèves dans les conseils de classe comme des empêcheurs de tourner en rond. Réciproquement, il ne faut pas considérer que quand un enseignant met une mauvaise note à un élève, c’est parce qu’il ne l’aime pas. D’ailleurs, dans les quartiers les plus difficiles ce dialogue marche plutôt mieux, car tout le monde se rend compte qu’il faut serrer les coudes.
L’Humanité : C’est aussi la rentrée dans les lycées professionnels. Vous annoncez la généralisation de la formation en alternance…
Claude Allègre : Il ne suffit pas que le ministre le dise pour que cela se fasse. A la suite de la table ronde conduite par M. Marois, j’ai eu de longues discussions avec les responsables syndicaux. Apparaissait la crainte de la fusion entre le lycée professionnel et le lycée d’enseignement général. Il n’en est pas question. Cette ambiguïté levée, il semble qu’à présent tout le monde soit favorable à la formation en alternance. Il importe donc d’en définir les modalités. S’agissant de l’alternance sous statut d’apprentissage, avec Maryline Lebranchu, secrétaire d’Etat aux PME, au Commerce et à l’Artisanat, nous installons un groupe de travail. Les diplômées comportent une dimension connaissances générales et une dimension travail professionnel. Nous avons décidé non pas de supprimer la formation générale, mais de revoir les programmes, aujourd’hui eux aussi démentiels, pour les rendre plus adaptés et plus pratiques.
L’Humanité : Et l’alternance sous statut scolaire ?
Claude Allègre : Travailler en entreprise, avoir un contact avec le monde du travail, c’est très bien, à condition qu’un certain nombre de choses soient garanties. Ainsi l’égalité scolaire. Tous les enfants doivent être admis. Il importe également de veiller au respect de la législation du travail. Là aussi, un groupe de travail va s’installer avec des représentants des confédérations syndicales, des organisations patronales, des PME, et du ministre de la Solidarité et de l’Emploi. Il y aura aussi une discussion académie par académie. D’autre part, si des lycées professionnels sont encore vétustes, beaucoup sont aujourd’hui très bien équipés, grâce aux régions. Et il arrive souvent que leur équipement soit sous-utilisé - au mieux un tiers du temps - alors que les entreprises locales sont souvent moins bien équipées. Il y a là des partenariats à établir sur la possibilité pour elles d’utiliser ce matériel, avec en retour leur contribution à la formation par alternance. Sur ce point également, des discussions doivent s’engager. J’entends mener de pair une campagne de communication dans le but de revaloriser l’enseignement professionnel, un des meilleurs de France, avec des enseignants très proches des élèves. Nous allons aussi créer un organisme dans lequel les patrons, les syndicats, les PME, les ministères de l’Economie, de l’Emploi et de l’Education nationale seront impliqués pour parvenir à de meilleures adéquations entre les besoins d’emploi et les formations. Sans vouloir tout cadrer, je pense qu’une certaine planification est nécessaire.
L’Humanité : Ne note-t-on pas des dérives dans les formations en alternance existantes ?
Claude Allègre : Les stages sont nombreux en BTS et dans les IUT. Ils se développent dans les écoles d’ingénieurs. Quand ils demandent un vrai travail, il faut qu’ils soient rémunérés. En même temps, il ne faut pas qu’ils se substituent à de vrais emplois. Je tiens à ce que s’ouvre une vraie discussion.