Texte intégral
France 2 : mercredi 7 décembre 1994
G. Leclerc: Entre P. Seguin et J. Delors, vers qui votre cœur balance-t-il ?
D. Baudis : La querelle sur le fédéralisme est complètement dépassée. Ce qui est important, c'est de construire en Europe un espace de paix et de sécurité, avec des partenaires qui sont décidés à mettre en commun leurs monnaies, leur défense et leur sécurité. Voilà l'Europe que nous devons construire. Quand on parle de l'Europe à nos concitoyens, quand on leur demande « fédéralisme ou pas ? », ça les laisse complètement indifférents. Je les comprends. Ils demandent « qu'est-ce que l'Europe peut faire pour la Yougoslavie, pour la Serbie, pour la paix ? ». Si nous ne construisons pas un espace de paix et de sécurité en Europe, l'avenir de notre continent peut être terrible. Il faut que le débat européen soit au cœur de la présidentielle. Il faut qu'il y ait dans la majorité un candidat fermement et clairement européen. C'est ce candidat que nous soutiendrons.
G. Leclerc: B. Stasi redoute un afflux de voix centristes vers J. Delors.
D. Baudis : C'est exactement ça. Si J. Delors apparaissait comme le seul candidat favorable à l'Europe, ses chances de succès seraient grandes. Il faut donc qu'il y ait dans la majorité un candidat clairement et fermement européen. Le rôle de la famille politique à laquelle j'appartiens, le CDS, ce serait d'être la conscience européenne du candidat de la majorité que nous soutiendrons.
G. Leclerc: Qui ça peut être ?
D. Baudis : Vous avez vu que depuis plusieurs mois, je ne rentre pas dans les débats sur les personnes, dans les querelles d'appareils, dans les querelles de procédures. On pose souvent la question « quel candidat, quel Président ? ». La question que je pose, c'est « un Président, pour quoi faire ? ». Comment va-t-on préparer la France à entrer dans le IIIe millénaire ? Comment, en cette fin de siècle qui a été dévastatrice en Europe, va-t-on construire un ensemble stable et cohérent, un espace de paix et de sécurité ? C'est sur ce terrain que j'attends que les candidats se prononcent. Le candidat que je soutiendrai par la suite, je le soutiendrai de toute mon âme. Je souhaiterais que tous se regroupent autour de lui pour qu'il puisse l'emporter au second tour.
G. Leclerc: Un candidat unique ou plusieurs avec un code de bonne conduite ?
D. Baudis : Voilà le type de débat théorique et mécanicien qui ne me paraît pas extrêmement important ! Qu'est-ce que va faire pour notre pays le Président élu ? Telle est la véritable question. Quand j'entendrai un candidat formuler des propositions avec lesquelles je serai pleinement d'accord, un candidat de la majorité qui exprimera ce que je ressens, je le soutiendrai de toutes mes forces. Ce candidat, je souhaite que la route soit largement déblayée devant lui.
G. Leclerc: Que J. Delors soit candidat, sera-ce une bonne chose ?
D. Baudis : C'est un homme de qualité. Le problème, c'est que J. Delors, actuellement, c'est l'Européen. Or il va se présenter sur une configuration politique qui est celle de l'union de la gauche PC-PS. Ce n'est donc plus J. Delors l'Européen : c'est le socialiste. Il y a une sorte de métamorphose qui va s‘opérer, s'il est candidat.
G. Leclerc: Est-il envisageable que les centristes travaillent avec J. Delors au lendemain de l'élection ?
D. Baudis : Il faut de la loyauté dans la vie publique : nous sommes dans une majorité ; nous appartenons à une majorité ; nous ne sommes pas un pied dedans, un pied dehors. Par ailleurs, dans cette majorité, nous avons un rôle utile à jouer, parce que le CDS est la seule formation politique totalement et pleinement convaincue de la nécessité de construire l'Europe. Dans les autres partis, il y a des débats à ce sujet. En ce qui nous concerne, c'est une conviction qui est au cœur de notre combat politique. Nous avons donc un rôle utile à jouer dans cette majorité.
G. Leclerc: Entre MM. Bayrou et Bosson, qui représenterait mieux le CDS pour succéder à P. Méhaignerie ?
D. Baudis : Ce sont deux excellents candidats. Un mot pour P. Méhaignerie qui dirige depuis 10 ans notre famille politique. Il la fait avec beaucoup de dévouement. Il a décidé de passer le relais à une génération plus jeune. Il y a deux candidats, deux hommes de valeur qui ambitionnent tous deux d'animer notre famille politique. Vous remarquerez que la compétition se déroule dans des conditions parfaites de dignité et de loyauté. Samedi, l'un des deux sera élu. Il associera l'autre à son équipe de travail. À ce moment-là, notre famille politique entrera dans le débat présidentiel en affirmant nos positions, notamment sur l'Europe. Ensuite, elle fera son choix. C'est un mouvement politique qui fonctionne de façon tout à fait démocratique. Il y a une élection qui se passera dans la dignité. Si ça se passait toujours comme ça dans tous les partis politiques en France, la vie politique française y gagnerait.
G. Leclerc: Vous ne vous prononcez pas ?
D. Baudis : À titre personnel, mais pas pour l'instant.
G. Leclerc: Faut-il agir vite et fort en matière de lutte contre la corruption ?
D. Baudis : Il faut agir vite et fort sur certaines choses qui sont inacceptables, par exemple des élus qui ont été condamnés pour des faits de corruption et qui ne doivent plus éligibles. En revanche, il faut se garder de légiférer dans la précipitation en mettant dans un texte un peu fourre-tout différentes choses qui n'ont rien à voir avec les problèmes de la vie publique et de l'argent. Séparer la vie publique et l'argent, oui, il faut le faire, et vite ; en revanche, il ne faut pas faire un texte fourre-tout où on en profite pour faire passer d'autres choses.
G. Leclerc: Le cumul des mandats ?
D. Baudis : Il faut aller plus loin. Il me paraît important de ne pas pouvoir cumuler deux fonctions exécutives, diriger deux grandes administrations. En revanche, diriger une administration et représenter les habitants dans une assemblée parlementaire, ça me paraît parfaitement compatible.
Démocratie moderne : 8 décembre 1994
Pour un CDS rassemblé
Le Congrès national des 10 et 11 décembre va marquer une étape importante dans la vie de notre famille politique. Après un peu plus de douze ans de présidence, notre ami Pierre Méhaignerie a décidé de passer le flambeau, et de permettre ainsi le renouvellement que trop peu de responsables publics ont la sagesse d'organiser.
En mai 1982, lorsqu'il accède à la présidence du CDS au Congrès de Versailles, Pierre Méhaignerie trouve un parti encore ébranlé par le changement politique de 1981. Depuis, le CDS a doublé le nombre de ses députés.
Entre ces deux dates, le capitaine a su mener le navire centriste avec une remarquable sérénité, malgré les aléas imprévisibles de notre vie politique. Il n'a eu de cesse d'affirmer l'identité et les exigences du Centre, tout en renforçant singulièrement notre ancrage européen et internationale, au sein du PPE de l'Internationale démocrate-chrétienne.
Fort de son intégrité, le ministre d'État garde des Sceaux, premier des ministres CDS, continue à témoigner de notre idéal à un poste clé, qui n'a jamais été aussi difficile à tenir que dans le climat actuel. Nous saurons tous mettre à profit sa présence, son expérience et ses conseils avisés, maintenant, comme dans l'avenir. Le débat interne, qui s'achève pour l'élection du nouveau président du CDS, a été exemplaire et remarquable de dignité. Bravo et merci à François Bayrou et à Bernard Bosson d'avoir affirmé ainsi leur projet respectif pour notre mouvement.
Sur les grandes questions qui traversent aujourd'hui la société française, et qui seront au cœur du prochain septennat, le CDS est profondément uni. C'est là atout majeur, que d'autres nous envient. Nous devrons nous en souvenir très bientôt, au soir du 10 décembre, à l'heure où nous devrons tous nous rassembler autour de celui qui aura été démocratiquement choisi pour animer notre CDS.
Cette force renouvelée et cette unité réaffirmée du CDS, nous avons le devoir de les mettre au service de nos idées, pour le bien de notre pays et de nos concitoyens. Le triptyque « démocrates, social et européen » est toujours d'une évidente actualité, il fonde plus que jamais notre originalité, notre identité et notre utilité dans la vie publique.
La démocratie en proie au doute a besoin de nous, d'éthique, de justice, de décentralisation, de vie militante.
Les exclus sans cesse plus nombreux ont besoin de nous, de notre exigence de générosité, alors que se délite le tissu social sous l'effet de la dépression économique.
L'Europe, tantôt absente, tantôt attaquée, a besoin de nous pour continuer sa marche vers l'unité, malgré le regain des nationalismes et des égoïsmes exacerbés par la crise.
C'est pour porter plus haut et plus fort ces trois exigences que le nouveau président du CDS devra diriger notre mouvement dans un esprit d'équipe, de collégialité et de total rassemblement. Puis, c'est à la lumière de nos valeurs que nous devrons dans quelques semaines, faire le choix de notre candidat à la présidence de la République.