Interview de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, dans "Le Monde" du 2 septembre 1998, sur ses relations avec les syndicats enseignants, la suppression des heures supplémentaires non effectuées par les enseignants, les grandes lignes de la réforme des lycées, et la création d'emplois-jeunes dans l'Education nationale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Le Monde : Plusieurs préavis de grève sont déposés pour la rentrée. Un conflit est en cours avec les syndicats en raison de la baisse de rémunération des heures supplémentaires, survenue pendant l’été. Pensez-vous pouvoir instaurer cette année des relations apaisées avec les enseignants ?

Claude Allègre : Vous ne pouvez pas dire “les enseignants”. J’ai des relations plus que cordiales avec les enseignants du premier degré, avec ceux de l’enseignement professionnel, avec les syndicats de chercheurs et d’étudiants. Il reste un syndicat avec lequel, effectivement les relations sont plus complexes (le Syndicat national des enseignements du second degré - SNES -, majoritaires). Mais pour celui-là aussi, je suis ouvert à un véritable dialogue, constructif, qui permette d’avancer. Je suis sûr que le bon sens finira par l’emporter car c’est l’intérêt de tous et d’abord des élèves.
Quant aux problème des heures supplémentaires, c’est un point de doctrine important. Depuis les années 50, ces “heures supplémentaires-années” (HSA) sont calculées sur la base de quarante-deux semaines. Or, il n’y a plus que trente-six semaines travaillées, mais le mode de calcul des HSA n’a pas changé. C’est illégal ! On calcule désormais, ce qui est juste et légal, sur la base du nombre de semaines réellement travaillées. C’est avec cet argent que nous avons créé quarante mille emplois-jeunes.
D’une manière plus général, je suis opposé au système des HSA, qui ne devraient pas être imposées aux enseignants. Le ministère ne devrait payer que les heures supplémentaires effectives, librement exercées, dont nous avons d’ailleurs revalorisé le taux de 6 %. J’espère pouvoir porter ce taux à 12 % d’augmentation en deux ans. Comme les syndicats, je souhaite pouvoir transformer les heures supplémentaires en emplois. Ce qui est exact, c’est que, malgré ce qui était prévu dans la loi Jospin, l’éducation nationale ne fait pas assez de gestion prévisionnelle. Par exemple, l’an dernier, on a annoncé au dernier moment aux candidats qui passaient les concours de recrutements d’enseignants le nombre de postes disponibles. C’est anormal. Je me suis engagé à ce que cette année les postes mis en concours soient connus dès le mois de septembre ; ils le seront.

Le Monde : Un an après votre déclaration remarquée sur l’absentéisme des enseignants, quelles mesures concrètes avez-vous prises pour répondre aux besoins de remplacement ?

Claude Allègre : Il y a eu une polémique sur le taux d’absentéisme. Après enquête, je peux dire que les chiffres que j’avançais étaient bien en de-çà de la réalité. Je ne donnerai pas le chiffre réel, mais je peux vous assurer que ceux fournis par l’ancienne direction de l’évaluation est de la prospective étaient sous-évalués. Ils ne comptabilisaient pas les absences inférieures à trois jours, ni les absences induites par l’éducation nationale, elle-même. En un an, la situation s’est déjà beaucoup améliorée. Nous mettons en place un dispositif qui nous permettra de ne plus avoir de classe sans enseignant. L’an prochain, les professeurs commenceront l’année scolaire plusieurs jours avant les élèves pour effectuer leur entrée pédagogique, et, dès cette année, les collèges ne seront plus utilisés comme centres d’examen.

Le Monde : Quelles décisions sont prises cette année après la consultation nationale sur les lycées ?

Claude Allègre : Deux séries de mesures vont être prises dès maintenant : d’une part, la mise en place de certaines propositions du rapport Blanchet sur la vie scolaire, comme la création de commissions de la vie lycéenne ; d’autre part, la simplification des programmes. On ne va pas les changer mais on donnera plus d’initiative et de liberté aux enseignants. J’espère pouvoir annoncer un “élagage” à la Toussaint.
Par ailleurs, je souhaite que les éditeurs créent de l’emploi. L’élaboration d’un manuel est un travail à temps plein et il faudrait que les éditeurs puissent embaucher des enseignants pour deux ou trois ans. Je vais en discuter avec eux. Quant aux horaires des enseignants, il n’est pas question de toucher à quoi que ce soit avant qu’Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, ait reçu le rapport Roché sur l’adaptation des 35 heures chez les fonctionnaires. Mais je ne suis pas fermé a priori sur des adaptations ou des évolutions, et rien ne se fera sans un dialogue social. Bien sûr, l’horaire hebdomadaire des élèves sera, comme promis, ramené à vingt-six heures, avec peut-être une ou deux heures supplémentaires d’éducation sportive pour ceux qui le voudront.
Pour la rentrée 1999, nous créerons un baccalauréat technologique, option éducation physique et sportive, et un brevet de technicien supérieur correspondant. Deuxièmement, nous allons créer une vrai filière littéraire dans laquelle il n’y aura pas beaucoup de mathématiques. Par ailleurs, je tiens à préciser qu’il n’y aura pas de suppression de la filière économique et sociale. Nous n’avons jamais eu l’intention de la supprimer, en dépit des rumeurs qui ont circulé.

Une de mes grandes priorités, cette année, est également le lycée professionnel. Nous allons fortement promouvoir l’alternance, en accord avec les syndicats. Nous allons créer des “plates-formes technologiques” afin que les équipements des lycées professionnels, qui sont souvent bien meilleures que ceux des petites et moyennes entreprises, puissent servir toute l’année et non un tiers du temps. Il nous reste à discuter de la place respective de l’alternance sous statut scolaire ou sous contrat de travail. Les lycées professionnels réussissent bien, alors que, souvent, ils accueillent des élèvent rejetés par le système général. Il faut souligner cette réussite, mais aussi peut-être, s’interroger sur la validité des procédures d’orientations imposées !
Une autre innovation de cette année est que nous entendons nous attaquer, avec Ségolène Royal, à la question des cinquante mille jeunes qui sortent du système éducatif sans qualification. L’école doit être son propre être son propre recours devant l’échec. L’opération “nouvelles chances”, coordonnée par Catherine Moisan, permettra d’intégrer les écoles de la deuxième chance d’Edith Cresson. Nous étudions l’idée de faire appel aux instructions militaires qui apprenaient à lire aux conscrits illettrés avec des méthodes très pragmatiques.

Le Monde : Vous aviez prévu une deuxième vague de trente-cinq mille emplois jeunes lors de cette rentrée : cet engagement sera t-il tenu ?

Claude Allègre : Nous embauchons vingt mille aides éducateurs à la rentrée. Nous verrons de combien d’emplois supplémentaires nous disposerons en janvier. Ma volonté affichée est de pérenniser ces emplois. Je veux faire des emplois-jeunes du primaire des sorte de MI-SE (maitres d’internat, surveillants d’externat du second degré), dont la fonction serait rénovée. Le décret de création des surveillants date de 1937 ; les choses ont peut-être évolué depuis. Nous allons négocier cela et, progressivement, en augmenter le nombre.
Par ailleurs, la politique du gouvernement impose de ne pas augmenter le nombre de fonctionnaires. Nous devons nous tenir dans ce cadre. J’ai donc choisi de ne pas conserver en emplois de titulaire des postes de surveillants qui ont vocation à rester au maximum sept ans dans le système éducatif. Et j’ai transformé trois mille trois cents de ces postes en crédits pour, en contrepartie, créer des postes d’enseignants ou d’ATAOS (personnel administratifs, techniques, ouvriers ou de service) titulaires. En matière de postes, que ce soit en Seine-Saint-Denis ou dans les départements d’outre-mer, tous nos engagements seront tenus. Le projet de budget pour 1999 prévoit la création de plus de trois mille neuf cents emplois au 1er septembre.

Le Monde : La crise de la MNEF peut-elle conduire à remettre en question le régime d’assurance sociale des étudiants ?

Claude Allègre : Je tiens d’abord à préciser que le ministère de l’éducation nationale n’a rien à voir administrativement avec la MNEF. Nous n’y avons pas de commissaire aux comptes, pas de représentant au conseil d’administration. Je ne trouve d’ailleurs cela pas très normal, mais c’est ainsi. Au-delà des péripéties, je m’interroge. Cette crise de la MNEF est-elle vraiment spontanée ? Derrière tout cela, n’y aurait-il pas l’idée qu’il faudrait arrêter toutes les mutuelles et que, finalement, ce serait bien mieux si l’assurance privée assurait les étudiants ? Personnellement, je suis très attaché au principe des mutuelles et au fait que les étudiants gèrent eux-mêmes leurs affaires.

Le Monde : Cette affaire ne risque-t-elle pas de mettre en cause des responsables socialistes et de gêner Lionel Jospin ?

Claude Allègre : Je ne le pense pas. Si certains, par malheur, ont commis des actes répréhensibles, c’est leur affaire. Notre attitude à ce sujet est claire. Mais je ne me fie ni aux rumeurs ni à la fièvre médiatique, j’attends, pour juger sur pièces, ce que dira la justice.

Le Monde : Deux fédérations d’enseignants ont appelé au boycottage des conseils d’administration des lycées qui comporteraient des élus du conseil régional appartenant au Front national. Quel est votre commentaire ?

Claude Allègre : Si les conseils d’administration ne peuvent pas se tenir, on les suspendra. Je n’ai pas à me prononcer sur cette décision en tant que ministre de l’éducation nationale. Je pense que le Front national n’est pas un parti comme les autres, mais c’est un parti légal. Pour ma part, je n’ai pas de contact avec les présidents de conseils régionaux élus avec les voix du Front national, je ne les vois pas et je ne leur serre pas la main. Les recteurs, qui sont des fonctionnaires de la République, les voient pour des raisons fonctionnelles.