Interviews de M. Jean Gandois, président du CNPF, à RTL, France 3 et France 2 le 13 décembre et à France-Inter le 14, sur son élection à la présidence du CNPF, sur ses objectifs pour la politique contractuelle et la politique de l'emploi et sur la neutralité du CNPF dans la campagne pour l'élection présidentielle de 1995.

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Circonstance : Election de M. Jean Gandois à la présidence du CNPF le 13 décembre 1994

Média : RTL - France 3 - France 2 - France Inter

Texte intégral

J.-M. Lefevre : Avec 89 % des voix, vous êtes devenu le successeur de F. Perigot. Quelle est votre vision du président du CNPF aujourd'hui ?

J. Gandois : Le président du CNPF représente le patronat, les patrons et les entreprises. Les entreprises, aujourd'hui, c'est quand même l'une des forces de ce pays et l'une de celles qui peut y changer quelque chose. Je crois que nous sommes à une époque où on sent bien qu'il faut changer quelque chose. Il est évident que dans un pays où il y a le taux de chômage que nous avons aujourd'hui, ou il y a quand même un certain nombre d'inquiétudes, il y a des choses à changer. Il y a à relancer la machine économique et il y a à réduire le chômage. Et je crois que c'est le rôle et la responsabilité du CNPF, de proposer aux pouvoirs publics et autres acteurs de la société un projet pour cela.

J.-M. Lefevre : Un espèce d'agent d'influence à la fois en direction des syndicats et du gouvernement ?

J. Gandois : Pas seulement un agent d'influence. Parce qu'un agent d'influence qui n'est pas disposé à jouer lui-même ça n'a pas grande signification, ce n'est pas comme cela qu'on devient responsable et surtout qu'on est crédible.

J.-M. Lefevre : Donc vous voulez des propositions concrètes ?

J. Gandois : Je veux des propositions concrètes.

J.-M. Lefevre : Lesquelles ?

J. Gandois : Vous me permettrez de les faire d'abord approuver par les autres patrons et d'en parler d'abord aux autres interlocuteurs. Mais il est bien évident qu'il faut relancer la machine. Nous devons certainement mieux maîtriser notre système de protection sociale qui, finalement, ne protégé plus tellement de monde et est horriblement cher. Il pèse totalement sur les entreprises alors qu'il y a manifestement des problèmes de solidarité nationale qui ne concernent pas uniquement les entreprises. Je ne dis pas qu'il ne faut pas cette solidarité. Il y a certainement des réformes de notre système éducatif qui a été excellent mais qui est maintenant assez vieillot. Il y a un certain nombre de souplesses et de flexibilités à remettre à jour. Et puis il y tous les problèmes, parce que maintenant on n'est plus tout seul, qui concernent l'avenir de l'Europe et qui concernent Je commerce mondial.

J.-M. Lefevre : Vous avez été à l'origine d'une expression : "l'entreprise citoyenne". Qu'est-ce que vous mettez, concrètement derrière ?

J. Gandois : On y met d'abord des choses qui existent aujourd'hui. Qu'on le veuille ou non, une entreprise, quand elle existe c'est-à-dire quand elle commence à gagner de l'argent, elle est insérée dans une localité, dans une région, dans un pays. Elle en supporte les conséquences. Il faut que nous montrions qu'il faut que nous participons à tous les aspects de la citoyenneté, c'est-à-dire du pays, pour en même temps avoir le droit de réclamer des choses. Une entreprise et un citoyen, ça a des droits et ça a des devoirs.

J.-M. Lefevre : Prendre ses fonctions à moins de six mois de l'élection présidentielle, qu'est-ce que vous avez comme volonté ?

J. Gandois : Jouer un rôle pendant la campagne ? Pas directement, pas pour favoriser un candidat par rapport à un autre. Le président du CNPF n'a pas de préférence pour tel ou tel candidat.

Nous devons rester libre d'approuver ce qui nous paraît favorable à la dynamisation du pays sur le plan économique et social dans tout programme et aussi de critiquer ce qui nous paraît défavorable.

J.-M. Lefevre : J. Delors affirmait qu'il n'avait eu aucun signaux des organisations syndicales ou patronales. Qu'est-ce que vous en pensez ?

J. Gandois : J'aime bien J. Delors comme beaucoup d'hommes politiques qui n'ont pas les mêmes idées que lui. Mais je n'attends pas pour devenir président du CNPF que les hommes politiques me fassent des signaux.

J.-M. Lefevre : Vous êtes plutôt favorables à la priorité de l'emploi, et des hausses de salaires plutôt modérées ?

J. Gandois : Oui. On a une reprise économique mais qui est encore incertaine et mal répartie. Il y a des entreprises de certains secteurs d'activité qui n'ont pas bougé d'un poil, mais il y en a d'autres qui sont reparties. Quand elles sont reparties, il est très difficile de ne pas faire participer les salariés à cette nouvelle euphorie, bien que ce ne soit pas souvent une euphorie, parce que cela fait plusieurs années que les gens se sont serré la ceinture, qu'ils ne voient pas en quoi ça a servi à l'emploi. Il est évident aussi qu'on ne peut pas faire n'importe quoi, parce que là alors on dégrade complètement la machine et on a aucune chance de la réembrayer dans le sens de la diminution du chômage. Il faut être très pragmatique et très réaliste et surtout être modéré dans ce qu'on décide.

J.-M. Lefevre : Vous prenez vos fonctions à un moment où l'image du patronat s'est un peu dégradée avec les affaires, la corruption. Qu'est-ce que vous pensez du débat sur le financement par les entreprises ?

J. Gandois : Je crois que, dans la plupart des pays démocratiques modernes, les entreprises participent au financement des partis politiques. Donc je ne suis pas contre sur le principe, mais je trouve que quand on a une situation dégradée, il faut d'abord assainir. Donc aujourd'hui, pour différentes raisons pendant 2 ans, 3 ans, 4 ans, il faut arrêter le financement des partis politiques par les entreprises, sinon, même quand dans 95 % des cas il n'y a pas de réalité, on suspectera toujours une entreprise de verser de l'argent à un parti politique parce qu'elle travaille dans la circonscription de l'homme politique concerné.

 

Mardi 13 décembre 1994
France 3

E. Lucet : Est-ce que vous êtes pour une négociation globale entre patronat et syndicats ou est-ce que vous penchez plutôt pour une négociation au cas par cas ?

J. Gandois : Je ne suis pour une négociation globale parce que je crois qu'on n'est plus en 1968, et qu'on ne veut pas traiter tous les problèmes en même temps au niveau national. Mais je pense qu'il faut avoir un programme global. Il faut que ce qu'on fait dans le domaine économique et ce qu'on fait dans le domaine social soit cohérent. Par conséquent, il faut partir d'une idée d'ensemble et une idée d'ensemble qui ne concerne pas seulement la France, mais qui concerne ce qu'on va faire sur Europe, sur le commerce international. On est terriblement dépendant de tout cela. À partir de cette idée d'ensemble, il y a des négociations qui peuvent avoir lieu, des négociations dont certaines sont au niveau national, par exemple la protection sociale. On ne pas discuter d'organisation du travail dans un atelier ou même du temps partiel ou du temps choisi au niveau national. Ça n'a pas de sens.

E. Lucet : Êtes-vous prêt à échanger la réduction du chômage contre une baisse des charges dans les entreprises ?

J. Gandois : Je crois que la baisse des charges dans les entreprises est absolument nécessaire. D'ailleurs, c'est reconnu par tout le monde, y compris au plan européen pour arriver à vaincre le chômage. Échanger, cela veut dire que c'est une des armes puissantes que l'on doit utiliser pour réduire le chômage. Les emplois, cela ne se décrète pas. Moi, je ne peux pas dire en tant que président du CNPF, demain matin, je donne l'ordre aux patrons d'embaucher 300 000 personnes. Tout le monde me rirait au nez.

E. Lucet : Vous pouvez les influencer ?

J. Gandois : On peut créer un climat, mais c'est les patrons qui décident. Heureusement. C'est ça qui fait leur efficacité.

E. Lucet : J. Delors a reproché au patronat de ne pas lui avoir fait des signes assez importants… Est-ce que vous vous sentez en partie responsable de son refus de se présenter à la présidentielle ?

J. Gandois : Certainement pas. Je me suis présenté au CNPF, jamais un homme politique ne m'a fait un signe avant. Par conséquent…

E. Lucet : Comment va se comporter le CNPF dans cette campagne électorale ?

J. Gandois : Je crois qu'il faut que le CNPF soit neutre. Il faut qu'il dise ce qu'il veut dans les domaines qui sont les siens, c'est-à-dire sur le plan économique et sur le plan social. Mais il faut qu'il soit neutre. Car nous devons pouvoir approuver et critiquer ce que fait n'importe quel homme politique qui sera élu. Nous devons garder notre neutralité totale.

E. Lucet : Ça veut dire aucun commentaire quelle que soit la candidature d'E. Balladur ou de J. Chirac ?

J. Gandois : Aucun commentaire. Chacun d'entre nous a sa conviction propre, mais le président du CNPF, lui, est neutre par rapport à toutes les candidatures.

 

Mardi 13 décembre 1994
France 2

France 2 : Quel sera votre priorité ?

J. Gandois : D'avoir un projet et de le faire partager par ceux qui l'ont élu. Ce projet est global, il concerne les principales questions économiques et sociales, notamment le chômage.

France 2 : Vous voulez rétablir "l'entreprise citoyenne" ?

J. Gandois : Cela veut dire qu'une entreprise doit-elle le faire de plus en plus – assumer ses responsabilités à l'intérieur de la ville, de la région, du pays dans lequel elle est. Même si elle ne voulait pas le faire, elle le ferait quand même. Car elle le paierait dans les taxes pour le chômage, les taxes de la vie de la cité elle-même. Nous avons des devoirs, il nous faut aussi avoir des droits et les exercer comme un citoyen.

France 2 : Les patrons seront-ils prêts à vous suivre ?

J. Gandois : La plupart d'entre eux sont tout à fait conscient des difficultés que nous avons. Ils veulent diminuer le chômage en France. Ils veulent que notre pays se développe, gagner des parts de marché.

France 2 : La reprise est là, les salariés en attendent les premiers dividendes. Faut-il privilégier une augmentation des salaires ou une embauche.

J. Gandois : La reprise est là, mais elle ne touche pas tout le monde. Tous les secteurs de consommation courante ne sentent pas la reprise. Le bâtiment ne sent pas la reprise. Dans les endroits où l'on sent la reprise, c'est difficile de dire qu'il n'y aura aucune augmentation de salaire. Car cela fait plusieurs années qu'ils se serrent la ceinture. Mais il est évident que si on partait dans des augmentations considérables de salaire, nous n'arriverions jamais à résoudre le problème de l'emploi.

France 2 : L'entreprise est en réhabilitation après toutes les affaires de corruption que l'on a connues ces derniers mots.

J. Gandois : L'image de l'entreprise a été ternie par ces problèmes de corruption, mais il ne faut pas donner une image généralisée de la corruption. La plupart des entreprises se comporte de manière totalement honnête. Mais nous devons restaurer l'image de l'entreprise, et nous devons prendre des décisions En ce qui concerne le CNPF nous sommes partisans – pour le moment tout au moins - de cesser le financement des partis politiques par les entreprises.

 

Mercredi 14 décembre 1994
France Inter

A. Ardisson : L'Assemblée s'est prononcée pour la suspension de tout financement des partis politiques par les entreprises après les municipales.

J. Gandois : Il fallait clarifier. C'est une partie de la clarification. Au moment où l'on avait l'impression que tout le monde parlait de marécage général, la partie officielle est supprimée. Il ne faut pas que la partie occulte qui a existé dans un certain nombre de cas continue. Mais ça, c'est un problème de contrôle des marchés publics et de transparence.

A. Ardisson : Il ne suffit pas de dire "on divorce", il faut des mesures complémentaires ?

J. Gandois : Certainement, notamment en ce qui concerne l'attribution des marches publics.

A. Ardisson : C'est le point central ?

J. Gandois : Oui.

A. Ardisson : Vous avez modifié l'organigramme du CNPF. Est-il symbolique que vous preniez la direction de la commission économique ?

J. Gandois : Il y a un symbole et une réalité de travail. Aujourd'hui, nous avons de vrais dossiers : on ne peut pas dire que l'Europe ne soit pas un vrai dossier. On ne peut pas dire que le commerce international n'en soit pas un. Il faut des gens qui s'en occupent dans le détail. Mais l'économique, le social, l'Europe, tout ceci est lié, ainsi que l'ouverture sur le monde. On parle de la protection sociale, du système des retraites : c'est un problème social. Mais si, pour tenir les retraites, on crée des fonds de pension, il y a une dimension économique fondamentale. Il ne faut pas de système complétement cloisonné. J'ai besoin d'être le plombier en chef et de raccorder la tuyauterie dans tous les sens au moment où c'est nécessaire.

A. Ardisson : Pendant votre campagne, on a cru que vous vouliez faire un nouveau Grenelle.

J. Gandois : Il y a eu un malentendu, effectivement. J'ai toujours dit que les questions sont globales. On ne peut pas parler dans un coin de la protection sociale, dans un autre de ce que l'on va demander au plan européen ou à l'OMC, dans un autre de l'emploi. Tout ceci est profondément lié. Le programme est global. Il faut que les organisations syndicales, qui sont les partenaires sociaux et des acteurs…

A. Ardisson : … qui ne vont pas bien !

J. Gandois : Oui. Ce n'est pas moi qui peux faire leur travail à leur place ! Il faut qu'ils soient dans le jeu. De la même manière que nous exposerons au gouvernement ce que nous pensons qu'il est nécessaire de faire au plan global, nous l'exposerons aux directions syndicales. Ensuite, on verra ce qu'il y a à négocier et où il faut le négocier. L'organisation du travail et le temps choisi dans un atelier de textile ou dans un hypermarché de Boulogne, ça ne se négocie pas avenue Pierre Ier de Serbie ! Par contre, savoir si on va fortifier les systèmes de retraite, c'est un problème national qui se négocie au niveau national. Il faut faire les choses aux endroits et avec les gens où c'est efficace.

A. Ardisson : L'avenir de la protection sociale, ça mérite une négociation à très brève échéance ?

J. Gandois : Oui. Je ne sais pas si les conditions seront réunies pour qu'on puisse la conduire sur tous les plans. Il y a trois régimes qui ne vont pas bien : la vieillesse, la maladie – très liée à la politique de santé –, l'UNEDIC. Je ne pense pas qu'on puisse entreprendre tout cela ensemble avant les élections présidentielles. Peut-être fera-t-on quelque chose avant.

A. Ardisson : Vous allez interpeller les candidats aux présidentielles ?

J. Gandois : Oui. J'espère qu'ils se sentiront interpellés ! Nous dirons ce qui nous paraît nécessaire pour que le pays aille mieux dans les domaines qui nous concernent, l'économique et le social, et tout le reste : l'Europe, nos relations avec le monde. Nous allons le dire.

A. Ardisson : Pas de questionnaire ?

J. Gandois : Le CNPF n'est pas une organisation de revendications. Le CNPF est un acteur qui dit ce qu'il faut pour que les entreprises et le patronat et, à travers elles, l'économie de ce pays, marchent pour que le chômage diminue. Ce n'est pas un programme revendicatif, comme un tract.

A. Ardisson : Vous ne vous sentez pas comme un syndicat patronal ?

J. Gandois : Je me sens un syndicat patronal. Mais je ne pleure pas, je propose. C'est une attitude différente.

A. Ardisson : Qu'est-ce qui ne se négocie pas ?

J. Gandois : Tout peut se discuter. Mais le cœur des propositions, c'est la maîtrise et la performance de nos régimes de protection sociale ; la diminution de la part de ces charges que paie l'entreprise, alors que ce sont des charges de solidarité nationale pour partie ; la réforme du système éducatif et la poursuite de la formation et de l'apprentissage ; plus de flexibilité et de souplesse pour les entreprises et les salariés dans la manière de travailler ; une autre façon de concevoir le travail ; des actions spécifiques pour essayer de sortir du chômage structurel qui nous mine et nous ronge ; une Europe où tout le monde joue le même jeu ; un monde ouvert sans commerce déloyal. Tout ça forme un ensemble.

A. Ardisson : L'Europe sera un enjeu.

J. Gandois : Le patronat n'est pas eurosceptique. Il est convaincu qu'il n'y a pas d'alternative par rapport à la construction européenne. Il ne faut pas la poursuivre dans n'importe quelles conditions, sinon, ce serait contraire aux intérêts des entreprises.

A. Ardisson : Ne redoutez-vous pas les mois qui viennent à cause de la campagne présidentielle et du climat social – mouvements de grèves, revendications ?

J. Gandois : Il est prématuré de faire un pronostic dans ce domaine. Il est encore plus important – c'est ce que j'essaierai de faire en tant que président du CNPF – qu'il y ait des points de référence stables. Nous n'allons pas faire campagne. Nous n'allons pas faire de surenchère. Nous dirons très clairement ce qui va dans le bon sens, ce qui n'y va pas. Il faut savoir raison garder tout en étant dynamique et entreprenant. C'est bien la moindre des choses pour le patronat.