Interviews de M. Jean Poperen, membre du bureau national du PS, à RTL le 5 janvier 1995 et à France-Inter le 18, sur la décision de Lionel Jospin de se porter "candidat à la candidature" pour l'élection présidentielle de 1995 et les différentes candidatures possibles du PS, et sur la nécessité de rassembler à gauche.

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Média : RTL - France Inter

Texte intégral

RTL : Jeudi 5 janvier 1995

M. Cotta : L. Jospin a bouleversé le calendrier établi par la direction du PS en se déclarant, dès hier, candidat à la candidature présidentielle. Est-il allé trop vite ou finalement a-t-il profité du vide et ouvert le jeu ?

J. Poperen : Je crois qu'H. Emmanuelli, hier soir, observait que ça risquait de compliquer les choses. Or nos affaires, tout le monde le sait, ne sont déjà pas simples ni faciles. Ce parti est fragilisé, il a connu des mécomptes, encore récemment. Même si je crois que peu à peu, il retrouve une certaine santé, les dernières enquêtes d'opinion le prouvent. Mais il faut faire attention. Or hier, sur la proposition du premier secrétaire, à 17 heures, nous adoptions un calendrier qui prévoyait que l'ouverture des candidatures aurait lieu le 18 janvier et à 17 h 30, Jospin se déclare candidat c'est tout. Écoutez, on adopte des règles ensemble, ce n'est déjà pas facile de les suivre, mais si d'entrée de jeu, dans la minute qui suit, elles sont bousculées. S'il n'y a plus de règles, il n'y en a plus pour personne. Je ne veux pas grossir l'incident mais disons que ça ne facilite pas les choses et qu'à partir de là, ça va être le chacun pour soi une fois de plus. Je ne voudrais pas que l'on revive un sous-congrès de Rennes, ça suffit comme ça !

M. Cotta : Soyez franc : ce n'est un mystère pour personne que de révéler que vous étiez, vous, plutôt en train d'organiser la candidature Joxe. Or ce dernier a refusé, paraît-il, justement, pendant le bureau politique, d'être candidat ?

J. Poperen : Vous êtes· toujours très bien informée, mieux que moi, vous faites très bien votre métier.

M. Cotta : H. Emmanuelli ne vous l'a pas dit ?

J. Poperen : Il y avait une recherché d'accord sur un nom et c'est vrai que celui de P. Joxe a été fortement évoqué. Recherche difficile, approche progressive, qui devaient permettre d'offrir à l'ensemble, non seulement des socialistes j'insiste, mais de la gauche, un candidat acceptable par tous. Cela est un peu bousculé.

M. Cotta : Revenons à la candidature Jospin : il est quand même acceptable sinon par tous, du moins par quelques-uns. Il a dit qu'il avait parlé de sa candidature au président de la République il y a quinze jours. Pensez-vous que F. Mitterrand soit toujours l'organisateur des candidatures socialistes ?

J. Poperen : Ne me demandez surtout pas d'être l'interprète de la pensée de F. Mitterrand.

M. Cotta : C'est trop compliqué ?

J. Poperen : C'est en général, pas forcément simple.

M. Cotta : Quels sont les soutiens de Jospin au PS et quels sont ses adversaires. Les soutiens ce sont les rocardiens ?

J. Poperen : Je ne vais pas me lancer dans ce jeu voyons ! Si nous avons un accord sur une proposition commune – et naturellement je ne vois pas au nom de quoi je jetterais un interdit a priori envers Jospin –, c'est parfait. Quelles sont les conditions à remplir ? D'abord naturellement, que nous ressentions que c'est tout de même quelqu'un de bien placé dans la compétition électorale.

M. Cotta : Vous voulez dire les sondages ?

J. Poperen : Parmi d'autres. Il ne faut pas les idéaliser mais c'est une indication dont on ne peut pas faire fi, c'est le premièrement. Deuxièmement : qu'il puisse y avoir un rassemblement de ce que j'appelle tout « l'espace de gauche et de progrès », PC mis à part, puisqu'il a décidé d'avoir son candidat au premier tour, nous respectons cette décision. Mais tout le reste, de Fiterman à Hory…

M. Cotta : Je vois ce qu'il y a derrière votre…

J. Poperen : Mais enfin il n'y a pas de cachotterie !

M. Cotta : Si, vous pensez que Jospin n'a pas gagné les radicaux de gauche et Tapie ?

J. Poperen : Honnêtement il n'a pas trop travaillé en ce sens mais on va voir, il faut vérifier et je ne peux pas décider aujourd'hui à la place des autres. Je continue : comprenant toute les mouvances écolos. Je crois qu'on est peut-être en train d'approcher, et j'espère que ce n'est pas remis en cause, cette situation. À savoir ce très large rassemblement, je le répète, de l'ensemble de la gauche, PC mis à part au premier tour. Et croyez-moi, cela peut créer une dynamique et modifier le climat politique. Tout ce que j'entends sur une élection, je trouve que c'est dérisoire. Cette élection est la plus ouverte que nous ayons jamais connue dans l'histoire des présidentielles de la Ve République. Mais il faut naturellement, qu'on existe fortement et que l'on crée la dynamique sur la base de ce rassemblement.

M. Cotta : Vous aviez pensé à Joxe mais si je m'en tiens à vos critères – opinion publique et faculté de rassemblement – J. Lang et M. Aubry sont aussi très bien placés dans le PS pour être candidats ? Pour J. Lang, pensez-vous que cette candidature est à exclure ?

J. Poperen : Comme vous le dites, je regarde les enquêtes d'opinion, les sondages, et à l'évidence il est porté par une vague de sympathie notable, en particulier je crois dans les jeunes générations, c'est donc à l'évidence à prendre en considération. C'est bien pourquoi il fallait ce travail d'approche pour essayer de dégager fa meilleure solution possible.

M. Cotta : Mais avant même que J. Lang bouge un petit doigt, certains secrétaires fédéraux du PS le récusent. Pensez-vous qu'il peut passer au-delà de cette récusation ?

J. Poperen : S'ils le récusent pour des raisons des choix politiques ou de capacité à mener la campagne, c'est le débat normal. Si c'est sur la base d'autres motivations ou supputations ou imputations et ce que j'ai lu me fait penser que c'est plutôt ça, alors je dirais simplement et pas plus ici ce matin, que c'est honteux et totalement inacceptable ! Il y a tout cela et puis il y a ce dont on n'a pas parlé y compris hier soir et qui m'étonne un peu : il y a la plate-forme sur laquelle on va s'engager.

M. Cotta : C'est toujours un peu secondaire…

J. Poperen : Pour moi ça ne l'est pas. J'ai rappelé encore cette semaine et il se trouve qu'entre temps, le président de la République a employé la même formule : il faut enfin en venir à une proposition que seule la gauche et son candidat peuvent porter, celle de la politique de négociation contractuelle, de la recherche du nouveau contrat social. J'entendais l'autre matin ici même, J.-Y. Hollinger évoquer ce qu'ont été les bénéfices des entreprises au cours de 94, une année record ! Et je m'en félicite et c'est très bien. C'est du reste grâce à l'effort de modernisation industrielle que les socialistes ont réalisé. Simplement, ils l'ont réalisé, il faut bien le dire, aux dépens d'une meilleure justice sociale. Le moment est venu mais comment peut-on y arriver ? Par la voie libérale, je crois que la cause est entendue. Par la voie bureaucratique ? Sûrement pas. Il reste une voie, c'est celle de la négociation contractuelle. J'ai entendu J. Gandois, le nouveau président du CNPF, évoquer une telle perspective. Est-ce lui qui va nous donner des leçons !

M. Cotta : De ce point de vue, Lang, Jospin ou un autre candidat socialiste c'est pareil ?

J. Poperen : Je l'espère mais je ne voudrais pas que ça soit oublié et qu'au nom de la médiatisation des candidatures, c'est la loi de l'époque mais quand même, que l'on exige la plate-forme, le programme et surtout ce que sera la campagne. Car la proposition que je fais est que cette proposition contractuelle, ne soit pas seulement une promesse pour après, mais que dès maintenant on engage les contacts, les conversations, avec les grandes organisations sociales et professionnelles.

M. Cotta : Rendez-vous au 5 février ?

J. Poperen : Sans doute et là je crois que les choses seront plus claires.


France Inter : Mercredi 18 janvier 1995

J.-L. Hees : Qu'est-ce que cette candidature modifie, pour vous, dans le paysage politique français ?

J. Poperen : Naturellement, je ne suis pas suffoqué par la surprise. Je pense que ça peut changer quelque chose et finalement, de très important. C'est-à-dire que les paroles bénisseuses – permettez-moi mais je ne pense pas être inconvenant – dans lesquelles s'est drapé le chef du gouvernement depuis bientôt deux ans, ça ne va plus suffire. L'énorme tour de passe-passe qui fait que, pour le moment, un certain nombre de Français sont enthousiastes pour E. Balladur, moins qu'on ne le dit d'ailleurs si on regarde de très près les enquêtes d'opinion et ce que j'entends. Je peux vous dire, l'enthousiasme pour Balladur, j'ai beau chercher, je n'ai pas encore rencontré cela dans ma propre ville, et même y compris parmi les gens qui s'inscrivent franchement à droite. Cet énorme tour de passe-passe qui fait qu'il est là, planant au-dessus des sondages, ça ne va pas pouvoir durer. On approche du moment où, suivant la formule très célèbre, on s'apercevra que « le roi est nu ». Je corrige tout de suite : est-il vraiment nu ? Non, il est porteur d'une orientation politique déjà affirmée, déjà appliquée et en tout cas, très clairement annoncée. C'est l'aggravation non plus par petits coups mais méthodique, délibérée des inégalités sociales. C'est la grande question. J'entends dire partout, y compris par les porte-parole de la droite – chez qui le zèle est néophyte – qu'il y a menace de rupture de la société française. C'est l'évidence. On est même un peu au-delà de la menace. C'est le maire d'une ville de banlieue qui vous parle : elle est déjà dans la réalité et elle va s'aggraver. Regardons ce qui est le vrai programme d'E. Balladur : le rapport de la Commission des comptes et ce qu'il prévoit. C'est une nouvelle pesée sur le monde salarial au nom de la lutte pour l'emploi, mais en réalité une nouvelle pesée qui, par conséquent, va nous amener à une situation critique. Ce sera la situation qu'on connaît aux États-Unis sur lesquels nous avons toujours dix-quinze ans de retard, où un nombre relativement important de salariés – je parle des gens qui ont un emploi – sont d'ores et déjà au seuil ou au-dessous du seuil de pauvreté. C'est devant cela qu'on est. C'est devant cela que nous devons opposer une politique alternative.

J.-L. Hees : Que se passe-t-il au sein du PS aujourd'hui ? Beaucoup de gens de gauche ne comprennent pas très bien.

J. Poperen : Sans esprit polémique, je crois que ce qu'a dit M. Rocard ce matin est un truisme. Naturellement, Balladur – ou un autre au nom de la droite mais vraisemblablement lui – sera élu si on ne fait pas ce qu'il faut pour qu'il soit battu. On est donc en train d'y travailler. J'entends ME. Malouines décrire la situation. Elle n'est pas simple ; il faut essayer que ceux qui sont moins branchés que nous sur le moment politique, sur l'instant politique, puissent démêler et s'y retrouvent. Mais nous sommes dans la phase préparatoire et d'élaboration. On nous dit il y a plusieurs candidats, c'est le désastre des désastres. Mais nous avons des structures et des habitudes démocratiques : nous demandons aux militants de choisir, de voter. On ne peut quand même pas mieux faire en matière de vie démocratique. C'est vrai que, si on s'était mis d'accord, s'il y avait eu, pour employer un mot à la mode, un consensus pour qu'ensemble, les responsables actuels présentent un même candidat, ça serait plus simple. Mais dès lors que ça n'est pas possible, qui peut trancher sinon les militants ? Ce qui compte, au travers de ce qui apparaît comme un désordre et qui est la confrontation démocratique légitime, c'est qu'on ait une commune volonté. Nous arrivons là aussi à un moment clé. L'impératif, quel que soit le candidat, c'est que nous réussissions à rassembler cette gauche. C'est l'axiome, le théorème : réussir à se rassembler. Si nous sommes divisés, c'est la certitude de la défaite.

J.-L. Hees : Ça nous semble bien parti.

J. Poperen : Non. Si nous sommes rassemblés, nous ne sommes pas sûrs de gagner. Nous sommes sûrs de perdre dans l'autre hypothèse. Il faut arriver à ça, alors on y travaille. Moi qui vous parle, ma volonté, ma passion aujourd'hui comme il y a un quart de siècle, au lendemain du désastre qu'a subi la gauche en 1969, c'est de réussir à mettre ensemble des forces diverses. Celle naturellement des socialistes, mais celles aussi du reste de la gauche. Ça, je dis qu'à l'heure qu'il est, c'est possible. Pour ce qui me concerne, je soutiendrai celui ou celle qui sera le plus capable, dans cette conjoncture, de réussir ce regroupement. Tout le reste passe après. Il y a des impératifs politiques, j'ai des exigences politiques – notamment en matière de programme et en particulier en réponse à Balladur sur la recherche du contrat social –, mais il faut d'abord rassembler.

J.-L. Hees : Qui, des trois, vous semble être le meilleur rassembleur ?

J. Poperen : Je ne vais pas anticiper sur ce que j'aurai à dire comme militant parmi d'autres. Ce serait inconvenant alors que nous ne savons pas encore quels seront vraiment les candidats, quel sera l'arc-en-ciel. En tout cas, c'est ça qui me déterminera et c'est ce que je dirai devant nos militants. Je crois que vous savez que je ne crains pas en général de dire ce que je pense. Au-delà des militants, je le dirai devant tous ceux qui représentent la zone d'influence du Parti socialiste.

J.-L. Hees : Si H. Emmanuelli est désavoué par les militants, pourra-t-il rester à la tête du PS et le PS pourra-t-il mener campagne, étant en état de crise ouverte ?

J. Poperen : Ne me dites pas, comme vous aviez l'air de le craindre hier, que c'est de la langue de bois. C'est un très beau lapsus ; plutôt la langue de mes yeux. Ce n'est pas la langue de mes yeux. Je ne vais pas aujourd'hui plonger dans le scénario catastrophe.

J.-L. Hees : On y va tout droit.

J. Poperen : Mais non, on n'y va pas tout droit si cette volonté que j'évoquais à l'instant est prépondérante et si chacun a suffisamment l'esprit de responsabilité pour sentir qu'au contraire, cette élection peut être le moment d'un acte fondateur d'une structure de regroupement à gauche. Je la ressens comme ça. Je ne veux pas trop jouer les anciens combattants, mais il fallait quand même avoir la volonté chevillée au corps au lendemain du désastre de 69. On l'a eue et on a connu la suite.

Question d'un auditeur : Y a-t-il aujourd'hui consensus sur un véritable projet de société à présenter aux Français ?

J. Poperen : Oui. Le travail préparatoire que nous avions confié à une petite équipe est en train de s'achever. Nous allons vérifier que nous sommes d'accord dessus, je l'espère fortement. En tout cas, je crois que l'impératif, c'est que nous opposions à cette dérive inégalitaire la recherche de la politique contractuelle entre toutes les grandes forces sociales de ce pays, ce qui signifie qu'on rétablisse la justice sociale qui est en train d'en prendre un grand coup.

Question d'un auditeur : L'hypothèse Kouchner n'a-t-elle pas été balayée un peu trop vite ?

J. Poperen : Il n'est pas membre du Parti socialiste. Il lui arrive d'être sur nos listes et d'avoir des fantaisies de vote à côté de ces listes. C'est quelqu'un pour lequel j'ai un grand respect et qui a joué un rôle important en certaines circonstances. Mais je ne peux pas répondre pour lui. Déjà, ce n'est pas très facile de répondre pour l'ensemble des socialistes, alors au-delà…

J.-L. Hees : Certains, à gauche, disent qu'on ferait mieux de voter R. Barre.

J. Poperen : Je me suis un peu informé après ce que j'avais lu dans tel grand organe. Je vous dis très franchement comme nous le ressentons : ce n'est pas très sérieux. Il n'y a pas de ces « certains » à gauche y compris là – vous voyez ce que je veux dire – (Il pointe un doigt vers le haut). Dire que cette personnalité a des qualités, je ne crois pas que ça soit vraiment un scoop. Mais pour autant, laisser entendre qu'on serait prêt à aller derrière, là, je dis que ça commence à ne plus être sérieux. En tout cas, ça ne m'effleure pas un instant.