Interview de M. Charles Millon, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à RMC le 24 novembre 1994, sur son hostilité au projet d'élections primaires au sein de la majorité et la proposition de créer un conseil national chargé de faire respecter un code de bonne conduite entre les candidats UDF et RPR à l'élection présidentielle.

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Média : RMC

Texte intégral

Q. : Ce n'est pas une majorité à laquelle vous appartenez mais la cour du roi Pétaud ! Il ne se passe pas une heure sans qu'il y ait des déclarations contradictoires sur n'importe quel sujet.

R. : Non, c'est une majorité parlementaire qui est actuellement en préparer l'échéance essentielle dans la Ve République présidentielle, à savoir l'échéance présidentielle.

Q. : Quelle est votre opinion définitive sur les primaires après tout ce qu'on en dit tous les jours ?

R. : Je n'ai pas d'opinion définitive mais une opinion claire et que M. BARRE a exprimé hier avec talent et donc je ne fais que reprendre les termes de M. BARRE. Je crois que ce débat sur les primaires devient une caricature de la vie politique et je souhaite qu'il s'interrompe très rapidement, que l'on revienne aux choses sérieuses, au débat de fond. Ce qui intéresse les Français c'est le chômage, préparer la sortie de la crise, la lutte contre l'exclusion, comment va-t-on améliorer le système de formation et le système éducatif. À partir de ce moment-là, je crois que les Français sont assez adultes pour pouvoir juger au premier tour entre les candidats et choisir le meilleur pour gagner au second tour.

Q. : C. PASQUA a l'air déterminé. Il a dit hier qu'il n'y aurait pas besoin de projet de loi ni de loi et que c'était "une affaire privée qui concernait les partis et qu'il fallait organiser cela de manière privée".

R. : C'est l'opinion de M. PASQUA.

Q. : Ces primaires auront-elles lieu ou pas ?

R. : Je pense qu'en toute hypothèse, elles ne sont conformes ni à l'esprit, ni à la tradition de la Ve République. Elles poseront ensuite de tels problèmes au plan de la loi, qu'elles seront très difficiles, sinon impossibles, à mettre en œuvre. Je crois donc qu'il ne faut pas jouer à l'apprenti-sorcier dans ce domaine, il ne faut pas jouer avec le feu. On est en train de créer un certain espoir chez bon nombre de Français qui ont été bercés par ce thème de l'union et on n'est pas du tout sûr de mettre en œuvre une procédure. Si véritablement elle pouvait être mise en œuvre, je ferais partie de tous ceux qui s'inclineraient car je ne vois pas pourquoi je m'opposerais à une telle procédure. Mais en l'état actuel des choses, je crois qu'elle est impossible à mettre en œuvre et qu'elle va aboutir simplement à la forme sophistiquée d'un corporatisme politique que je n'approuve pas personnellement.

Q. : Que pensez-vous des comités de soutien pour les primaires ?

R. : Ce sont des comités… de soutien pour les primaires.

Q. : Êtes-vous toujours candidat conditionnel à la présidentielle ce matin ?

R. : Je ne suis pas un homme qui change d'avis en fonction des ventes et des climats.

Q. : Tout ce qui se passe, en ce moment, dans la majorité, me favorise-t-il pas le candidat DELORS qui apparaît maintenant dans les sondages, comme le mieux placé pour le deuxième tour ?

R. : Tant que l'on n'abordera pas les problèmes de fond, on va avoir des sondages qui en fait, vont jouer au yo-yo. Un jour, ce sera M. BALLADUR et le lendemain M. DELORS, le surlendemain M. DUPONT et ensuite M. DURAND. Je souhaiterais que l'on aborde les problèmes de fond. Car les Français, quand ils voteront en avril et mai prochain. Ils vont, je l'espère et j'en suis même sûr car toutes les élections présidentielles l'ont démontré, choisir le candidat qui aura fait la meilleure campagne. Non pas sur des images, non pas sur un style, mais sur un dessein, sur un projet pour la France. La France est dans une situation assez extraordinaire : elle a d'abord un problème constitutionnel. Les institutions sont usées et on a l'impression que le système représentatif marche mal. Il convient donc de réfléchir pour pouvoir mobiliser les Français à un certain nombre de réformes, que ce soit dans le domaine institutionnel, social. Ensuite, la France, après 20 ans de crise, voit le bout du chemin. Cela crée des problèmes graves car on va avoir les fruits de la croissance mais que va-t-on en faire ? Va-t-on les prendre et les répartir entre ceux qui, aujourd'hui, ont un emploi qui, c'est vrai, ont contrôlé l'augmentation de leurs revenus durant un certain nombre de mois et d'années, tel qui auraient envie d'un surplus de rémunération ? Ou alors va-t-on utiliser les fruits de la croissance pour pouvoir réintégrer dans la société française, les quatre à cinq millions de marginaux ou d'exclus ? C'est un problème grave auquel il va bien falloir répondre. Ce sont sur de tels sujets qu'il faudra réfléchir et les Français trancheront en fait sur ces sujets lors des élections présidentielles.

Q. : Que pensez-vous de l'amendement Marsaud qui propose que les journalistes n'aient plus le droit de parler de l'instruction pendant l'instruction, et que donc l'opinion ne soit plus informée ?

R. : Sur l'antenne d'un de vos confrères, dimanche soir, j'ai dit que j'étais opposé à toute modification en matière de secret de l'instruction, en matière de détention préventive, en matière de présomption d'innocence tant qu'il n'y aurait pas une réforme générale en matière de justice, à savoir la rupture totale du lien entre la politique et la justice. Je pense donc que cet amendement est une erreur. Je mettrai tout en œuvre en tant que parlementaire pour qu'il ne devienne pas définitif. Car on est en train actuellement de jeter la suspicion sur la presse et sur la majorité, en laissant penser qu'on serait là pour mettre en œuvre des dispositifs pour cacher des déroulements d'affaires pouvant concerner tel ou tel de nos amis !

Q. : Mais ça c'est de la loyauté entre les candidats envers les uns et les autres…

R. : C'est évident. Et dès lors qu'il n'y a pas d'attaque personnelle, qu'il y ait un débat d'idées, une sorte de garantie par ce Conseil national que le code de bonne conduite sera respecté, et si au lendemain du premier tour, le Conseil national se réunit solennellement à Paris, avec tous les candidats du premier tour, et qu'il y a là l'engagement formel de faire corps, union, et d'avoir le dynamisme derrière le candidat sélectionné, alors je crois que la République et la démocratie y gagneraient et on y gagnerait aussi en clarté.

Q. : Votre proposition vous l'avez faite aussi aux parlementaires ?

R. : J'apporte ça au débat mais je crois que c'est la sagesse et que ça va dans le sens de la clarification des choses, tout en étant respectueux des règles du jeu. On ne change pas ces dernières à cinq mois d'une élection aussi importante que l'élection présidentielle et je le répète, nous ne sommes pas au cirque Pinder mais à la veille d'une grande consultation dont va dépendre l'avenir de la France pour les sept ans qui viennent.

Q. : J. BAUMEL et P. DEVEDJIAN sans attendre les conclusions de la Commission, demandent à J. CHIRAC "de se retirer dès maintenant" que leur dites-vous ?

R. : J'ai le souvenir qu'en 1983, P. DEVEDJIAN était candidat à la mairie d'Anthony et j'ai le souvenir qu'à l'époque, un certain nombre de ses amis lui déconseillaient de se présenter, et de se retirer. À l'époque c'est J. CHIRAC qui l'avait encouragé à persister.

Q. : Il est bien mal récompensé ?

R. : Non, je raconte ce souvenir.

Q. : Les derniers sondages montrent que la majorité perdrait aujourd'hui l'élection présidentielle quel que soit le candidat de la majorité. Mais vous, avez-vous l'impression qu'en ce qui concerne CHIRAC, la mayonnaise prend ? On a l'impression d'une stagnation de la campagne de CHIRAC.

R. : Je dois dire que des événements récents n'ont pas été pour clarifier les choses et pour donner une image nette. Mais on est à cinq mois des élections, alors la mayonnaise vous savez… Les élections présidentielles au Brésil ont permis l'élection d'un président de la République au premier tour avec plus de 50 % des suffrages. Six mois avant l'élection, il était crédité de 18 % dans les sondages.

Q. : La montée de J. DELORS ne vous fait pas peur ?

R. : Pas du tout ! Je crois que c'est une très bonne chose qui va peut-être ramener la sagesse et le sang-froid dans le camp de la majorité actuelle qui semble les perdre un peu. J. DELORS monte dans les sondages mais pour le moment on ne sait pas du tout ce qu'il va proposer aux Français. Attendons qu'il parle et nous verrons ensuite.

(Invité de P. Lapousterle, RMC – 7 h 45)