Texte intégral
Q. : Le 1er janvier la France a pris la Présidence de l'Union européenne. Quelles sont les priorités françaises pendant cette période de six mois ?
R. : Les objectifs de la Présidence française peuvent être regroupés sous 5 rubriques :
Promouvoir la croissance et l'emploi en Europe par la coordination étroite des politiques économiques et l'avancement des grands projets d'infrastructures décidés à Douze.
Assurer la sécurité de l'Europe, notamment en favorisant le développement de la politique étrangère et de sécurité commune et en consolidant les relations de bon voisinage en Europe, en particulier à travers l'initiative de la conférence sur la stabilité en Europe.
Renforcer également les solidarités qui unissent l'Union européenne aux pays du sud de la Méditerranée et à l'Afrique.
Affirmer la diversité culturelle de l'Europe et renforcer le volet social de la construction européenne.
Préparer la réforme institutionnelle qui prendra place en 1996.
Ces priorités ont été préparées en relation avec les Allemands qui nous précèdent et les Espagnols qui prendront notre succession à la tête de l'Union européenne. Cette coordination des présidences, marquée surtout par la cohérence des ordres du jour et des priorités, permet d'assurer une continuité utile et nécessaire à l'Union.
Q. : Au milieu de votre Présidence il y aura l'élection présidentielle en France. Cet événement ne posera pas de problèmes au déroulement du travail de l'organisation bruxelloise ?
R. : Chaque État membre de l'Union européenne exerce la Présidence de l'Union européenne à tour de rôle pour une période de six mois. Cette rotation est fixée par les Traités et ne tient pas compte des contingences politiques des uns et des autres. La tenue au cours de notre Présidence des élections présidentielles ne nous facilite évidemment pas la tâche. La Présidence allemande avait elle aussi dû gérer la tenue de sa principale échéance politique interne tout en assurant la Présidence de l'Union. Nous avons cependant pris toutes les dispositions pour que notre Présidence ne pâtisse pas de cette concordance. C'est ainsi que pour la première fois nous avons instauré une concertation et une coordination très étroites entre la Présidence qui nous précède, l'Allemagne, et celle qui nous succédera, l'Espagne. Nous avons également effectué un travail de préparation très approfondi. Dans ces conditions, je puis vous assurer que la Présidence française sera un moment fort de la vie communautaire et que les travaux seront conduits avec détermination. Le programme chargé que nous avons arrêté est là pour souligner l'ambition élevée que nous nous sommes fixés.
Q. : La prise d'otage de l'Airbus français a souligné la crise profonde du bassin méditerranéen. Est-ce que Paris se prépare à rééquilibrer la politique étrangère de l'Union européenne en faveur de cette région ? Quelles seraient les conséquences de cette démarche aux pays de l'Europe centrale associés à l'Union européenne ?
R. : La France a effectivement fait de la Méditerranée une des priorités de sa Présidence. Nous souhaitons que l'Union européenne se dote d'une véritable politique méditerranéenne. Ces pays font face à des difficultés politiques sociales et économiques considérables et il importe que l'Union contribue plus qu'elle ne le fait actuellement à la stabilité d'une région qui lui est proche culturellement et historiquement. Il est de l'intérêt du continent européen dans son ensemble de ne pas laisser s'instaurer une fracture entre les deux rives de la Méditerranée. La Commission a présenté au Conseil européen d'Essen une contribution intéressante. Il nous revient de poursuivre les travaux et d'élaborer une stratégie d'ensemble qui pourrait être débattue et approuvée lors du Conseil européen de Cannes en juin prochain. La stratégie de soutien aux pays du Sud passera notamment par la perspective d'une vaste zone de libre-échange, le développement de la coopération régionale entre pays riverains de la rive sud et un effort financier accru. Aujourd'hui lorsque nous dépensons 100 écus pour les pays d'Europe centrale et orientale, nous n'en dépensons que 40 en faveur des pays de la rive sud. La Commission a proposé un rééquilibrage qui conduirait à ce que lorsque nous offrirons 100 écus pour l'Est nous en dépensions 80 pour le Sud. La France soutient ces propositions qui vont dans la direction souhaitée. Je voudrais souligner que ce renforcement des relations avec les pays de la Méditerranée ne se fait en aucune manière au détriment des pays d'Europe centrale et orientale. Dans le même temps que la Commission avançait des propositions d'assistance technique et financière accrue aux pays méditerranéens, elle proposait une augmentation très sensible de l'enveloppe consacrée au programme PHARE.
Q. : Les pays de l'Europe centrale ont été invité à Essen au sommet de l'union Européenne, justifiant que l'Allemagne est en faveur de l'élargissement rapide de l'Union à l'Est. Est-ce que ces mêmes pays seront aussi présents à Cannes en juin prochain ?
R. : En décembre dernier et pour la première fois, les chefs d'État et de gouvernement des pays d'Europe centrale et orientale ont participé au Conseil européen. Cette invitation est la concrétisation de la proposition faite conjointement par le Premier ministre français, M. Balladur, et le Chancelier Kohl d'inviter une fois par an leurs homologues des pays d'Europe centrale et orientale. La France se réjouit de cette rencontre qui a témoigné de notre volonté commune de travailler à l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale associés. Le Conseil européen a également défini une stratégie précise de pré-adhésion en faveur des pays d'Europe centrale et orientale. Elle comporte un volet économique qui prévoit notamment la réorientation du programme PHARE de manière à offrir à ces pays davantage d'aides aux investissements des grandes infrastructures pour combler leur retard. Il y a également un volet politique qui consiste à maintenir un dialogue permanent avec les pays associés, ce que les diplomates appellent le « dialogue structuré ». Dès notre présidence nous invitons les États associés à participer à certaines de nos réunions. Pendant la Présidence française, il y aura chaque mois des réunions de niveau ministériel avec vos pays : Conseil des ministres des Affaires étrangères, de l'Économie et des Finances, de la Culture, des ministres de l'Intérieur etc.
D'autre part, à Essen, les Quinze ont demandé à la Commission européenne de mesurer les conséquences, pour l'Union européenne mais aussi pour vous, de votre entrée dans l'Union. Cela est particulièrement important dans le domaine agricole et en ce qui concerne les réformes législatives. Celles-ci leur seront nécessaires pour adapter votre législation au cadre juridique du marché unique européen. Nous aurons les premières conclusions de la Commission européenne pendant la Présidence française et nous devrons en tirer les conséquences politiques.
En fonction des résultats de ces travaux, il appartiendra au prochain Président de la République française d'examiner, en concertation avec la future présidence espagnole, l'éventualité d'une nouvelle rencontre au niveau des Chefs d'Etat et de gouvernement.
Q. : Dans quelques jours vous allez vous déplacer à Budapest. Pour quoi faire ?
R. : Je me rends à Budapest à un double titre. D'une part en tant que Président du Conseil des ministres de l'Union européenne. La tradition veut qu'à l'orée de chaque Présidence, le pays qui l'exerce effectue une tournée des capitales de l'Union pour exposer le programme de sa présidence et recueillir les réactions des États membres. C'est dans un esprit similaire que je conçois mon déplacement en Hongrie. Votre pays a vocation à nous rejoindre. Il est un des acteurs majeurs du « dialogue structuré » qui a été arrêté à Essen. Il est donc naturel que j'examine avec les autorités hongroises, les travaux qui se dérouleront sous notre présidence.
Je viens également à Budapest en tant que ministre français. C'est en quelque sorte ma seconde « casquette ». Je ferais le point avec mes interlocuteurs, en particulier lors de l'audience que m'accordera le Premier ministre, des relations économiques bilatérales. La France est aujourd'hui le 5ème partenaire commercial de la Hongrie et 50 % des investissements français dans la région se dirigent vers votre pays, ce qui permet à la France, avec un total de 650 millions de $, d'être le 4ème investisseur en Hongrie. Ces résultats sont honorables. Il doit cependant être possible de faire mieux et de renforcer encore nos liens économiques.
Q. : Quelle est la position européenne sur l'adhésion de la Hongrie à l'Union européenne ?
R. : La position de l'Union européenne sur l'élargissement avec pays d'Europe centrale et orientale est maintenant tout à fait claire. Dix pays ont aujourd'hui vocation à nous rejoindre. Il s'agit des quatre pays de Visegrad, des deux États balkaniques, Bulgarie et Roumanie, des trois États baltes et de la Slovénie. Leur vocation à l'adhésion est reconnue sans ambiguïté de même que pour Chypre et Malte. Les autres Républiques issues de l'ex-Yougoslavie se verront offrir la même perspective une fois la paix revenue et la démocratie assurée. Il ne s'agit donc plus de savoir si l'élargissement à l'Est se fera mais comment il se fera. Deux préalables doivent être remplis avant que les négociations formelles puissent s'ouvrir. Le premier concerne les Quinze. Les institutions actuelles de l'Union européenne ont été initialement conçues pour un petit marché commun à 6. Elles doivent aujourd'hui faire fonctionner une Union économique de 15 membres. Il est exclu qu'elles puissent en l'état permettre un fonctionnement efficace et démocratique d'une Union politique de 20, 25 ou 30 membres.
Cette révolution du nombre appellera une véritable révolution institutionnelle. Tel sera l'objet de la conférence intergouvernementale qui s'ouvrira en 1996. La seconde exigence concerne les pays candidats eux-mêmes. L'adhésion à l'Union implique que les nouveaux adhérents aient des relations de bon voisinage avec leurs voisins et qu'ils n'importent pas avec eux dans l'Union des problèmes non résolus de frontières ou de minorités. C'est pourquoi le Premier ministre français, M. Balladur, a proposé une Conférence sur la stabilité, initiative reprise par l'Union européenne dans son ensemble. Cet exercice de diplomatie préventive doit s'achever au printemps prochain.
Outre ces deux préalables spécifiques, les conditions habituelles d'une adhésion à l'Union sont bien connues. Il convient que l'État candidat soit européen et démocratique. La Hongrie remplit évidemment ces conditions. Il convient également qu'il soit en mesure de reprendre la totalité de l'acquis communautaire sans dérogations permanentes, c'est-à-dire l'ensemble de la législation interne aux Douze qui permet de faire fonctionner un marché de 360 millions de consommateurs dans des conditions de concurrence égales pour tous. Au total, cette législation compte environ 300 directives et règlements. Elle impliquera une ouverture complète des marchés, l'intégration dans l'union douanière, la libre-circulation totale des biens, des personnes, des services et des capitaux. Pour résister au choc de la concurrence existant au sein de l'espace communautaire, il est vraisemblable que des périodes transitoires, sans doute longues, seront nécessaires. Enfin, le pays candidat doit manifester la volonté politique de participer et de reprendre à son compte la politique étrangère et de sécurité commune telle qu'elle se dessine depuis l'entrée en vigueur du traité de Maastricht.