Texte intégral
EDJ :
Après le rejet surprise du Pacs à l'Assemblée, le Parti socialiste est-il satisfait du fonctionnement de son groupe parlementaire ?
François Hollande :
Une erreur collective a été commise, j'en prends ma part : poids des habitudes, sous-estimation de l'enjeu, défaut de vigilance. Ce coup de semonce doit convaincre la gauche d'être en permanence en éveil et en mouvement face à une droite qui se radicalise pour faire pièce à la concurrence du FN. Les élus socialistes auront à coeur de laver l'affront et de voter, avec détermination, le Pacs.
EDJ :
Le Pacs, est-ce quelque chose que vous pourriez proposer à votre compagne sans qu'elle vous trouve un peu timoré ?
François Hollande :
Tout dépend des situations personnelles : le mariage, l'union libre ou le Pacs sera la solution, selon le jugement de chacun et son évaluation de la formule juridique qui lui paraît la plus pertinente. Le Pacs est un bon texte qui adapte le droit à l'évolution des modes de vie. Ce sera demain une loi utile à plus de 4 millions de personnes.
EDJ :
La situation de la majorité et du gouvernement semble se détériorer : grèves, perte d'un siège à Dunkerque... C'est la décrue qui commence ?
François Hollande :
La vie publique n'est pas un long fleuve tranquille. Les mouvements et les grèves révèlent que la société bouge. Maintenant, ne confondons pas tout ! La perte de la circonscription de Dunkerque est due à la dispersion de la gauche, en aucune façon à une meilleure tenue de la droite, qui a été défaite dès le premier tour à Toulon. Au contraire, de partielle en partielle, la gauche plurielle se tient plutôt bien. Seize mois après sa victoire, en juin 1997, c'est même assez exceptionnel.
EDJ :
L'affaire de la MNEF ne risque-t-elle pas de troubler ce climat ?
François Hollande :
Nous n'avons, au siège du Parti socialiste, ni permanent payé par quelqu'un d'autre que nous ni concours privilégié de tel ou tel organisme de publicité ou d'imprimerie. Laissons la justice mener à bien ses investigations.
EDJ :
Êtes-vous certain que la fédération socialiste de Paris n'avait aucun lien avec la MNEF ni avec sa filiale dans l'imprimerie ?
François Hollande :
Cette fédération a démenti elle-même cette allégation. Je lui fais confiance, mais je ne contrôle que la direction nationale du parti et de ses finances. Celles de la fédération ne relèvent pas de ma compétence, je ne peux que renvoyer à ce qu'elle a dit. Aucune preuve n'a, jusque-là, été apportée sur un quelconque financement de celle-ci par des prestataires de services.
EDJ :
Vous avez vivement réagi aux récentes critiques de Jacques Chirac sur la Sécu. Pensez-vous qu'il devient plus offensif ?
François Hollande :
Non, j'ai senti une répétition. J'ai craint plutôt qu'il ne s'installe dans un rôle de chef de l'opposition, qui n'est peut-être pas complètement le sien, exprimant des inquiétudes qui n'ont pas lieu d'être. Je lui ai répondu parce qu'il s'était mis au niveau d'un chef de parti. S'agissant de la Sécurité sociale, il devrait plutôt marquer sa satisfaction de voir les comptes bientôt rééquilibrés. Puisqu'il commente il est assez normal qu'il trouve des commentateurs de ses propres commentaires.
EDJ :
Jacques Chirac agit-il très différemment de François Mitterrand dans des circonstances analogues ?
François Hollande :
Mitterrand le faisait avec plus de subtilité, moins de systématisme, mais il avait, notamment en 1986-1988, un Parti socialiste en ordre de marche. Ce n'est pas le cas du RPR et de l'UDF. Ce qui donne des circonstances atténuantes au président.
EDJ :
Au moment où vous prétendez équilibrer la Sécu « sans hausse de cotisations », Strauss-Kahn évoque une « surcotisation » pour les retraites. Est-ce que ça ne fait pas désordre ?
François Hollande :
Il évoque la surcotisation comme une hypothèse parmi d'autres. Il s'agit pour le moment de constituer un fonds auquel seront affectés les plus-values nées du changement de statut des Caisses d'épargne et les produits de cession de certains actifs publics. Nous verrons s'il faut compléter le fonds par d'autres apports, mais il est prématuré d'évoquer des surcotisations, ce sera fonction d'un rapport demandé au Commissariat au plan. De son côté, à ma demande, le Parti socialiste fera sa propre évaluation des régimes de retraite.
EDJ :
Vous soulignez le rôle décisif de la croissance dans la création d'emplois et l'équilibre des comptes publics et sociaux. N'êtes-vous pas tenté de fonder vos précisions sur un taux de croissance trop optimiste ?
François Hollande :
D'abord, nous les avons rectifiées en septembre et elles sont conformes à celles du FMI. Ensuite, si les organismes français de prévisions indiquent, en moyenne, 2,4 % pour l'an prochain, soit 0 ,3 % au-dessous de la prévision officielle, j'estime qu'on est dans l'épaisseur du trait : pour les recettes publiques, cela fera 10 milliards de francs en moins, c'est bien peu si on les compare avec les 1 500 milliards du budget. Autre chose serait l'arrivée d'une récession. Mais il existe en France et en Europe, en raison d'une reprise plus tardive de l'activité, des gisements de croissance inexploités. Notre demande intérieure ne sera que plus stimulée par l'arrivée du SPD au pouvoir en Allemagne, et nous bénéficions, comme les Allemands d'ailleurs, de taux d'intérêt parmi les plus bas du monde. Ce qui compte vraiment, c'est la tendance, pas les à-coups de la conjoncture. Pour diminuer le chômage, il nous faut plus de 2 % de croissance sur quatre ou cinq ans. Voilà le cap que doit tenir le gouvernement. Le budget correspond à la perspective qu'on s'est fixée.
EDJ :
Ne voyez-vous pas un peu trop l'économie en rose ?
François Hollande :
L'an dernier, on glosait sur nos hypothèses de croissance et la capacité de notre économie à respecter les critères de convergence pour l'euro. Le dernier espoir de l'opposition serait-il que la récession vienne nous toucher, comme si le malheur des Français pouvait faire son propre bonheur ?
EDJ :
La croissance dépend aussi de l'attitude des acteurs économiques.
Vous vous montrez sévère avec le CNPF. Est-ce le meilleur moyen de pousser les patrons à embaucher ?
François Hollande :
Je distingue le CNPF des entreprises. Beaucoup d'entre elles, notamment les PME, se lancent avec détermination dans la recherche du meilleur dispositif pour améliorer leurs performances et créer des emplois. Le CNPF a tort de sortir de son rôle, quand il veut jouer une carte politique qui n'est pas la sienne. Les opinions politiques des dirigeants du CNPF ne les poussent pas à être des militants de la gauche plurielle. Ont-ils besoin de le montrer ? Lorsque le CNPF veut tirer gloire de certains accords de branche sur les 35 heures qui ne créent aucun emploi, on peut se demander s'il souhaite vraiment une amélioration de la situation de l'économie française...
EDJ :
Les communistes semblent de moins en moins contents au sein de la majorité. À défaut de la quitter, ne craigniez-vous pas qu'ils se déchirent comme en Italie ?
François Hollande :
En France, le PC participe au gouvernement, pas en Italie. Il a su apporter à la gauche plurielle une part de ce qui fait son identité, le souci de la justice sociale, la volonté de réduire le temps de travail et l'amélioration de la situation des plus démunis. Il est logique qu'il ne se retrouve pas dans toute la politique du gouvernement, il n'en est pas le principal inspirateur. Les demandes des communistes ne m'inquiètent pas, dès lors qu'elles sont compatibles avec les nôtres, je pense notamment à la baisse de la TVA.
EDJ :
L'approche des européennes ne va-t-elle pas accentuer la concurrence à l'intérieur de la gauche plurielle ?
François Hollande :
Sur l'Europe, les différentes composantes de la gauche plurielle n'ont jamais eu les mêmes conceptions. Dans une élection à la proportionnelle nationale, il est assez logique qu'elles partent séparément. Le PS n'a pas pour volonté de faire cavalier seul, mais nos amis Verts veulent se compter et les communistes ont refusé la réforme du mode de scrutin que nous proposions. Mais, s'il doit y avoir une émulation légitime entre nous, elle doit être motivée par la volonté de couvrir un espace politique plus large encore, afin de capter les électeurs qui ne votent pas encore à gauche, qui s'abstiennent ou qui lorgnent vers les petites listes. Enfin, rien ne doit nous empêcher de rechercher les points de convergence et, avant la campagne européenne, nous aurons une réunion de toutes les composantes de la gauche plurielle pour bien identifier les points qui nous rassemblent dans le débat sur l'Europe.
EDJ :
Vous le leur avez déjà proposé ?
François Hollande :
Je vais le faire.