Texte intégral
M. Alain Juppé, et du ministre délégué aux Affaires européennes, M. Alain Lamassoure, avec les correspondants de la presse étrangère accrédités auprès de l'union européenne (Paris, 10 janvier 1995)
Peut-être pouvez-vous nous poser tout simplement des questions et nous nous efforcerons d'y répondre aussi clairement et exhaustivement que possible. Si cette procédure vous convient, je vous livre tout de suite le micro et la parole.
Q. : Je comprends qu'aujourd'hui vous avez parlé avec le ministre des Affaires étrangères russe, M. Kozyrev, à propos de la crise en Tchétchénie. Etes-vous satisfait par la réponse donnée par M. Kozyrev à vos questions et quelles seront les propositions de l'Union européenne lors du prochain Conseil ?
M. Juppé : J'ai effectivement eu une assez longue conversation avec Andreï Kozyrev en début d'après-midi. Cette crise est d'une très grande gravité, à la fois, bien sûr, d'abord, pour la Tchétchénie et les Tchétchènes eux-mêmes compte tenu du nombre des victimes et des réfugiés ; gravité aussi pour cette région. Elle est particulièrement sensible et fragile : je pense au Caucase en général ; gravité aussi pour la Russie elle-même puisqu'on voit bien qu'une assez grande confusion a régné à la fois lorsque l'opération a été engagée et encore aujourd'hui. Il faut donc que nous la traitions avec sérieux. C'est la raison pour laquelle dès la fin de l'année dernière, dès le 29 et le 30 décembre, la Présidence allemande avait pris un certain nombre d'initiatives en suggérant à la Russie de recourir sinon à la médiation, du moins au Conseil de l'OSCE. Cette proposition n'avait pas été suivie d'effets, ce qui m'a conduit dans les premiers jours de l'année 1995, une fois que la France a pris la responsabilité de la Présidence, à consulter nos partenaires pour leur proposer une démarche plus formelle de l'Union européenne et ceci nous a permis, le 5 janvier, de faire faire par la Troïka de nos Ambassadeurs à Moscou une démarche au nom de l'Union européenne en soutien à la démarche de la Troïka de l'OSCE. Voilà ce qui a été fait. Nous avons à cette occasion délivré un double message. Premier message : la Tchétchénie fait partie intégrante de la Fédération de Russie et nous sommes tout à fait respectueux des principes d'intégrité territoriale et de souveraineté nationale. Deuxième aspect de ce message : nous sommes très préoccupés par les violations des Droits de l'Homme, le recours à la violence, l'effusion de sang, ce qui met en cause un certain nombre de principes admis par tous les États membres de l'OSCE. La réaction à ce message a été plutôt positive et M. Kozyrev m'a confirmé cet après-midi qu'il allait recevoir dans les minutes qui suivaient notre conversation le haut-fonctionnaire, l'ambassadeur hongrois représentant la Présidence, de l'OSCE qui se trouvait à Moscou pour cette mission d'observation et du conseil de l'OSCE. Donc il y a là un élément positif puisque la Russie s'est montrée ouverte à cette intervention de l'OSCE, en fonction des textes que nous avons tous acceptés, qu'il s'agisse de la dimension humaine de l'OSCE ou du code de bonne conduite qui a été adopté à Budapest en décembre dernier.
Est-ce à dire que j'ai été pleinement rassuré par cette conversation ? Je n'irai pas jusque-là car j'ai observé que les cessez-le-feu annoncés ne sont pas tous intégralement respectés et que l'appel au dialogue que nous avons renouvelé pour l'instant n'a pas débouché sur de véritables négociations avec les différentes parties tchétchènes qui peuvent permettre d'explorer une solution. Et c'est la raison pour laquelle j'ai confirmé à Andreï Kozyrev, avec beaucoup de clarté et d'honnêteté, que nous souhaitions qu'on renonce à la violence et à la force et que l'on s'oriente vers une solution négociée et la recherche d'un accord politique. Voilà, on en est là. Vous m'interrogez sur les étapes éventuelles qui pourraient être ensuite franchies. Je crois que nous en discuterons entre ministres lors du Conseil des affaires générales dans un peu moins de quinze jours maintenant et que nous verrons à ce moment-là comment la situation aura évolué. J'ai simplement déjà indiqué dans certaines de mes déclarations que la candidature de la fédération de Russie au Conseil de l'Europe lui faisait un certain nombre d'obligations en ce qui concerne le respect des Droits de l'Homme et d'un certain nombre de principes fondamentaux.
Q. : M. le ministre, vous avez pris position, dans la campagne électorale qui se prépare, en faveur de M. Jacques Chirac. Est-ce qu'on peut en tirer la conclusion qu'entre le gouvernement actuel dont vous faites partie et M. Chirac, il n'y a, notamment dans la politique européenne, pas de différence.
M. Juppé : Cette conférence de presse est consacrée à la Présidence française, et non pas à l'élection présidentielle française, permettez-moi de vous le faire remarquer, donc je n'ai pas l'intention de m'engager dans des considérations de politique intérieure. Cela dit, pour répondre néanmoins à votre question, je vous rappelle que de façon continue depuis bien des années et tout particulièrement depuis 1992, lors du référendum sur le traité de Maastricht, Édouard Balladur, Jacques Chirac et moi-même, avions pris la même position et donc cela ne me pose aucun problème de ce point de vue. J'ajoute que l'actuelle majorité parlementaire a soutenu, sans la moindre hésitation, sans la moindre réserve, la politique européenne du gouvernement depuis deux ans. Donc pour moi, il n'y a pas de problème.
Q. : On nous a présenté les priorités de la Présidence française, l'emploi, l'élargissement, la Méditerranée, les travaux préparatoires de l'UEM, etc. C'est donc un peu difficile quand on a quatre blocs de priorités, avec beaucoup de sous-priorités, douze, quinze, de distinguer une vraie priorité, un « drapeau » de la Présidence, comme l'a été par exemple pour les Allemands la question de l'élargissement et la stratégie de pré-adhésion des PECO. Quelle serait pour vous la priorité des priorités pour ce semestre ?
M. Juppé : L'exercice qui consiste à fixer les priorités est d'une certaine manière un peu décourageant, parce que si l'on dit : « il y a une priorité », immédiatement, on vous dit : « Vous avez oublié tout le reste ! » Et j'en ai fait l'expérience encore hier à Madrid. Avec Alain Lamassoure, nous avions exposé nos priorités et l'un de vos confrères nous a dit : « ah, mais vous n'avez rien dit sur l'Amérique latine, sur le Mercosur, etc. Alors quand on essaie d'être un petit peu plus complet et d'avoir un ensemble de priorités articulées, on vous dit : « il y en a trop, on ne voit pas la ligne directrice ». C'est très difficile de trouver un point d'équilibre, je ne sais pas comment Alain Lamassoure – je lui laisserai d'ailleurs le micro pour qu'il le dise – résumerait les lignes de force de notre Présidence ou les grands objectifs. Je serais pour ma part tenté de mettre l'accent sur trois aspects. Le premier, c'est la sécurité : je pense que si nous parvenons le 21 mars prochain à conclure positivement la Conférence sur la stabilité. Il y aura là un élément important, en lui-même et par l'exemple que cela pourra constituer, par la méthode qui pourra être transposée ailleurs qu'en Europe centrale et orientale, et peut-être dans les Balkans, peut-être aussi en Méditerranée. Donc, voilà un élément très important et qui conforte ma conviction que l'un des enjeux majeurs de la construction européenne à l'échéance de dix ans, c'est la question de la sécurité : est-ce que nous sommes capables, oui ou non, de faire émerger un véritable système de sécurité collective européen ? C'est à ce moment-là qu'on pourra dire que l'Union européenne a accédé au rang d'entité internationale.
Deuxième axe majeur : la recherche d'un meilleur équilibre dans les relations extérieures de l'Union européenne. L'Europe centrale, oui, c'est très important, il faut continuer et avec une perspective d'adhésion, mais ne négligeons pas ce qui se passe au sud de l'Union, on en voit aujourd'hui l'enjeu considérable dans le domaine économique et dans le domaine politique. Enfin, troisième grand axe : serons nous en mesure – et c'est je l'espère une réponse positive qui pourra être apportée à cette question – de bien lancer le processus de préparation de la conférence intergouvernementale de 1996 ?
Certes les travaux ne commenceront à proprement parler que sous Présidence espagnole, mais il faut ajouter les fondations, seront les rapports qui nous incomberont, notamment le rapport du Conseil ; ce sera également l'exercice proposé par Édouard Balladur et retenu par nos partenaires qui consistera à poser la problématique de cette conférence, faire la liste des grandes questions qui se posent de façon déjà à orienter les travaux du groupe des représentants. Voilà, on peut dire que c'est beaucoup, mais au moment où l'on démarre, il faut se fixer les objectifs ambitieux pour être sûrs que dans la corbeille finale, lorsque vous reviendrez nous voir au mois de juin de cette année pour voir quel a été le bilan eh bien, cette corbeille sera bien remplie.
M. Lamassoure : Je vais compléter, donc cela va diluer. Je voudrais peut-être rappeler aussi l'accent mis sur l'emploi et la contribution de l'Union européenne à la relance de l'emploi à l'intérieur de nos économies. Il y a plusieurs volets : l'application de ce qui a été décidé à Essen et déjà à Corfou, c'est-à-dire la réalisation des quatorze grands chantiers correspondant aux grands réseaux de communication européens. Il a été décidé à Essen que tous ces chantiers devraient être lancés avant la fin 1996 et, naturellement, nous veillerons à ce que tout ceci soit possible et qu'en particulier, chantier par chantier, les financements nécessaires soient dégagés. Le Commissaire Christophersen avait fait des propositions de financements complémentaires à Essen. Ceux-ci ont été pris en considération sans être formellement décidés par le Conseil européen. Le Conseil Ecofin va reprendre cela et nous suivons cela de près.
Il y a, d'autre part, les travaux du groupe Molitor auquel nous attachons de l'importance. À l'origine, c'était une proposition de la Présidence allemande de mettre en place un groupe d'experts qui passe en revue, toute la réglementation communautaire et un certain nombre de réglementations nationales pour voir là-dedans s'il n'y a pas des dispositions qui freinent les créations d'emploi, et s'il ne faut pas couper un certain nombre de branches mortes qui ont en fait des effets paralysants. Ce groupe doit rendre ses premières conclusions au mois de mars de manière à ce que le Conseil européen de Cannes puisse en tirer les enseignements sur l'éventuel allégement de la réglementation communautaire.
Enfin, nous souhaitons donner une dimension sociale à la Présidence française et en particulier se tiendra un colloque au mois de mars avec tous les gouvernements et les partenaires sociaux sur le dialogue social en Europe. De manière, à la fois, à nous informer mutuellement de la pratique du dialogue social chez nous. Il y a un certain nombre de pays notamment en Europe du nord où ce dialogue fonctionne efficacement et d'autres où il pose plus de problèmes et donc nous pourrons nous inspirer des expériences des uns des autres – également de manière à ce que nous puissions voir comment le dialogue social peut mieux s'organiser, mieux fonctionner au niveau européen pour appliquer en particulier le chapitre social du Traité de Maastricht.
Q. : Monsieur le ministre, je voudrais poser une question au sujet l'eurocommissaire Van den Broek. Au Parlement européen, la semaine dernière pendant l'audition publique, M Van den Broek a dit qu'il valait mieux laisser l'UEO en dehors de l'Union européenne. Selon lui, les développements de l'UEO pourraient être bloqués par le processus de décision dans le Conseil des ministres. Je voudrais savoir si vous· soutenez ce point de vue.
M. Juppé : Non, je ne partage pas ce point de vue. Je pense que conformément d'ailleurs à l'esprit du Traité sur l'Union européenne, l'UEO a vocation à s'identifier de plus en plus au fur et à mesure que le temps passera, à ce que j'appellerai « le bras séculier » de l'Union européenne. Un certain nombre de progrès ont été faits en ce sens par le transfert du siège, par l'harmonisation des Présidences, aussi par la création, sur la base d'une initiative franco-allemande, d'un statut d'association à l'UEO qui est un peu le panan, si je puis dire, du statut d'association à l'Union européenne. Donc, moi je suis au contraire attaché à l'idée de rapprocher de plus en plus les deux institutions et il nous semble que les pays qui ont vocation à entrer dans l'Union, ont vocation à entrer dans l'UEO.
Q. : Monsieur le ministre, quelle initiative comptez-vous prendre, lors de la Présidence française, dans l'ex-Yougoslavie, pour tenter de régler le conflit ? Allez-vous prendre des initiatives concernant la Macédoine ?
M. Juppé : Sur la situation dans l'ex-Yougoslavie, en général, nous sommes à nouveau – vous me direz qu'on le répète souvent – dans une période qui peut être cruciale : l'accord de cessation des hostilités est globalement respecté, sauf à Bihac. Le groupe de contact qui s'est réuni aujourd'hui même à Paris a fixé tout un calendrier de réunions et d'initiatives maintenant pour reprendre la négociation avec les différents partenaires et il sera dès demain à Belgrade. Donc, il y a à nouveau un débat favorable pour repartir sur les bases du plan de paix proposé par le groupe de contact.
Peut-être faut-il s'interroger sur la méthode de négociation, car le groupe de contact, par définition, c'est cinq ambassadeurs qui font des navettes entre les différentes capitales ou les différentes villes concernées. Ce n'est peut-être pas le moyen le plus efficace de faire progresser la discussion. Peut-être pourrait-on réfléchir, c'est une idée que je lance, à la désignation d'un médiateur qui, au nom du groupe de contact, pourrait unifier et relancer la discussion.
Je pense que maintenant, il faut vraiment aller de l'avant puisqu'on le sait, à nouveau au Congrès américain des initiatives ont été prises qui, à mon avis, ne se concrétiseront pas tout de suite mais qui pourraient à nouveau relancer le débat de la levée de l'embargo d'ici quelques semaines ou quelques mois.
S'agissant de la situation en Macédoine, vous savez que dans le cadre de la coordination des Présidences française et allemande, nous avions tenté une première médiation dans le courant du mois de novembre, après les élections macédoniennes. Nous n'avions pas abouti à cette époque-là et nous allons essayer, dans le cadre de la coordination toujours – puisqu'elle se poursuit : la coordination des Présidences allemande et française n'a pas joué simplement au deuxième semestre de 1994 mais se poursuivra de voir comment reprendre ce problème. Semble-t-il, avec un minimum de bonne volonté, mais c'est effectivement ce qui manque le plus, on n'est pas très loin d'une possibilité d'accord, en vérité.
Q. : Noyau dur, cercles concentriques, Europe à plusieurs vitesses : comment voyez-vous la conférence de 1996 ?
M. Juppé : J'ai toujours été assez mauvais en géométrie, vous savez ! Les cercles, les noyaux… tout ça c'est très compliqué. Je voudrais revenir à quelques idées simples pour essayer de faire avancer le débat. Contrairement à ce qu'on dit, il me semble qu'il y a déjà un certain nombre de points d'accord qui se dessinent sur l'architecture future de l'Union européenne. Quand je parle de point d'accord, je ne parle pas simplement du débat en France mais du débat au sein des Douze eu au sein des Quinze. Premier point d'accord, c'est qu'il faut poursuivre l'élargissement de l'Union européenne. Aujourd'hui, ça paraît tomber sous le sens, ça n'était pas évident il y a encore six mois. Et je peux vous dire qu'en France, il y avait des responsables politiques qui considéraient qu'il fallait s'arrêter à Quinze, qu'on avait fait le plein, et qu'au-delà cela représentait plus d'inconvénients que d'avantages. Je crois qu'aujourd'hui, il apparaît très clairement que la poursuite de l'élargissement est une nécessité historique et qu'il y va de l'intérêt aussi bien de l'Union européenne que de chacun de ses États membres. Je reviens sur tout ce qui a été décidé à Copenhague, puis à Essen dans le cadre du dialogue structuré. La France va faire vivre, bien entendu, ce dialogue structuré sous sa Présidence. Premier point d'accord, et c'est très important, parce que de là découle la nécessité d'une réforme institutionnelle ; si l'on était resté à quinze, après tout, on aurait pu effectivement, se satisfaire de quelques corrections à la marge. C'est dans la mesure où l'on sait que dans les « x » années qui viennent, on passera peut-être à vingt membres ou plus, qu'il faut s'interroger sur l'architecture de l'Europe.
Deuxième point d'accord qui me paraît extrêmement important, c'est que cette Europe ainsi élargie ne doit pas se dissoudre en une zone de libre-échange ; là aussi, la tentation aurait pu exister, elle existe peut-être encore ici ou là. Il me semble quand même que la majorité en tout cas des partenaires considèrent que cette Europe doit rester une Union avec un acquis communautaire important, c'est-à-dire un grand marché, une Union douanière, des politiques communes et pas simplement une zone de libre-échange. Les responsables français l'ont dit à peu près en ces termes, le Chancelier Kohl l'a dit également d'une manière tout à fait claire.
Enfin, troisième point d'accord, – là on s'engage peut-être sur un terrain un peu plus mouvant, mais il me semble quand même qu'on peut parler d'un accord, en tout cas d'une majorité sur ce point là – c'est que dans cette Europe élargie qui doit rester véritablement une Union, il nous faut laisser la possibilité à un certain nombre d'États membres qui veulent plus de choses plus vite que les autres de le faire. C'est ce que j'appelle dans mon langage les solidarités renforcées à condition que ces solidarités ne soient refusées à personne. Ce n'est donc pas le concept d'un noyau fermé qui serait réservé à un certain nombre de « happy fews », mais c'est l'idée que selon le domaine, le monétaire, la sécurité, on peut en imaginer d'autres, certains pays peuvent ouvrir la voie, montrer l'exemple et en faire plus. Donc, voilà je crois quelques idées, nous en parlions hier à Madrid et je constatais qu'on les faisait avancer assez facilement.
Le deuxième volet de la réflexion, qui est plus compliqué, c'est l'aspect strictement institutionnel. Je viens de parler de l'architecture générale pour répondre à votre question sur les cercles et les noyaux durs ; il faut évidemment, là, traduire ensuite dans des propositions plus précises d'organisations et d'institutions. C'est là évidemment que le débat est loin d'être tranché. Je me bornerai à poser quelques questions : comment renforcer, parce qu'il nous apparaît que c'est nécessaire – là j'exprime le point de vue français – comment renforcer le Conseil. Il semble qu'il faut rechercher les moyens de donner au Conseil européen et au Conseil des ministres un rôle accru, ou en tout cas une efficacité accrue dans le rôle qui est le sien. Alors, on voit derrière les idées : renforcement de la Présidence, etc. Ceci pose également la question de la pondération des votes au sein du Conseil et en France, le Premier ministre a eu l'occasion de le dire et moi-même, M. Lamassoure aussi, nous considérons qu'il faudra davantage tenir compte des réalités démographiques dans la pondération des votes du Conseil qu'on ne l'a fait peut-être jusqu'à présent.
Deuxième série de questions : redéfinir ou préciser le rôle de la Commission. Il ne s'agit pas de le réduite : nous considérons que son, rôle, de proposition et d'initiative a été essentiel pour la dynamique communautaire, mais là encore un certain nombre de questions se posent. Il nous semble qu'en particulier, dans un grand nombre de sujets, comme nous l'avions fait sur le GATT, il est indispensable que la Commission puisse disposer d'orientations générales ou de mandats du Conseil pour être sûr que ces initiatives et ces propositions vont dans la direction souhaitée par les États membres.
Troisième série de réflexions, le Parlement : comment rationaliser les procédures. On s'est amusé à recenser plus de dix cas de figure possibles dans les relations Présidence/Commission, Conseil/Commission/Parlement. Donc, il y a là des simplifications à opérer. Comment également associer davantage les Parlements nationaux au processus de décision à l'intérieur de la communauté et de l'Union, parce qu'il nous semble que c'est aussi un mayen de renforcer le caractère démocratique de l'Union.
Enfin, quatrième grande série de questions : le principe de subsidiarité. Comment en assurer une mise en œuvre plus efficace que, ce n'est le cas aujourd'hui ? Quel type de mécanisme mettre en place pour vérifier que chacun fait ce qui relève de son domaine de compétence ? Voilà quelques questions. Après avoir esquissé ce qui me paraissait quelques points d'accord, je soulève des questions. Mais justement, c'est le propre du débat tel qu'il est aujourd'hui. Il n'est pas tranché, il faut que nous le poursuivions. Il est bon qu'il soit ouvert.
Q. : Mais alors, vous êtes favorable à des transferts de pouvoir supplémentaire au Parlement européen ?
M. Juppé : Non, je ne viens pas de dire que j'étais partisan de transferts de pouvoirs supplémentaires. Je crois qu'il faut préciser les compétences des uns et des autres. Je crois que le Traité de Maastricht a donné au Parlement européen des pouvoirs nouveaux importants. Il faut qu'il en fasse le plein exercice avant qu'on songe à aller très au-delà.
M. Lamassoure : Je compléterai ce qu'indique Alain Juppé en reprenant la formule que vous avez utilisée tout à. l'heure. Nous parlons Alain Juppé et moi de, nouvel acte fondateur, nouveau pacte fondateur de l'Europe, Pourquoi, parce que les Traités sur la base desquels nous travaillons à l'heure actuelle, au fond le Traité de Rome et ceux qui l'ont modifié. C'était l'acte fondateur de ce qui était un accord commercial entre six États au départ. L'accord commercial s'est transformé en Communauté économique européenne et avec Maastricht en Union européenne.
Aujourd'hui, ce dont nous avons besoin, c'est d'un texte qui régisse ce qui va devenir une véritable Union économique et politique, y compris politique étrangère et défense entre deux douzaines ou trois douzaines peut-être d'États européens. C'est donc un changement très important et le premier débat qui aura lieu en 1996 et qu'on va d'ailleurs commencer au Conseil européen de Cannes, va porter sur l'ampleur de la réforme de 1996. Est-ce qu'on se contente de relire, à la lumière de l'expérience pour une révision éventuelle, la demi-douzaine d'articles dont le traité de Maastricht a prévu cette révision, ou bien est-ce que l'on fait une adaptation sensiblement plus importante pour tenir compte de ces nécessités nouvelles, et à priori, nous sommes pour notre part dans le second cas.
Q. : Monsieur le ministre, la Présidence française gagnera-t-elle le pari s'agissant de la Méditerranée comme l'Allemagne l'a fait à l'égard des pays de l'Est ? Quelle est la force de conviction que vous aurez pendant ces six mois pour amener les pays du nord à donner suffisamment d'aides financières pour parvenir à cet équilibre que vous voulez introduire dans la politique à l'égard des pays du sud ? Deuxième question : sous Présidence espagnole, il y aura cette conférence euro-méditerranéenne au niveau ministériel. Quelle sera la substance politique de cette prochaine Conférence ?
M. Juppé : D'abord, sur la première question, ce qui a été fait sous Présidence allemande et le résultat du Conseil européen d'Essen sont tout à fait positifs et importants et nous nous y sommes pleinement associés dans le cadre de la coordination de nos deux Présidences, je voudrais quand même rappeler quelques notions, car c'est à Copenhague, et pas à Essen qu'avait été décidé le principe de proposer aux pays d'Europe centrale et orientale d'entrer, le moment venu, dans l'Union européenne.
Deuxièmement, il avait été décidé à Corfou et non pas à Essen que la procédure de l'élargissement était conditionnée par l'achèvement de la Conférence intergouvernementale de 1996. Donc ce qui a été décidé à Essen, c'est que la mise en place d'un certain nombre de contacts qu'on appelle le « dialogue structuré » qui vont se poursuivre sous Présidence française. Je voudrais bien recadrer l'évolution des choses.
En ce qui concerne notre propre ambition méditerranéenne, ce n'est pas en six mois que le rééquilibrage nécessaire sera accompli. D'ailleurs, je ne suis pas sûr, c'est moi-même qui ai utilisé ce terme, donc je m'adresse la critique à moi-même que le mot de rééquilibrage convienne parce que ce n'est pas le même enjeu en Europe centrale et au sud. Pour reprendre la théorie des cercles de M. Balladur, les pays d'Europe centrale y sont dans le cercle du milieu si je puis dire, c'est-à-dire dans le cercle de l'Union. Les pays de la Méditerranée, ce sont des partenaires. Ils sont dans le cercle du partenariat et n'ont pas vocation à adhérer dans les mêmes conditions que les pays d'Europe centrale. Mais enfin, il y a eu un retard. Jacques Delors a suffisamment cité de chiffres dans l'effort qui a été fait en direction du sud par rapport à celui qui a été fait vis-à-vis de l'Europe centrale et cela prendra du temps. Or, quels sont les objectifs concrets qu'on peut se fixer dans les prochains mois ? D'abord conclure ou faire avancer un certain nombre d'accords bilatéraux entre l'Union européenne et les pays méditerranéens. Il y en a trois qui sont vraiment sur le métier : Tunisie, Maroc, Israël. Parviendrons-nous à achever la négociation qu'on n'a pas pu achever dans les six derniers mois ? C'est un de nos objectifs prioritaires. Il faudra engager d'autres négociations ; je pense notamment à l'Egypte et à la Jordanie. Donc, voilà une première concrétisation de cette nouvelle importance donnée à la politique méditerranéenne.
Deuxièmement, la Méditerranée, c'est aussi le Proche-Orient. Donc, il faut que nous arrivions à accroître la visibilité de l'action de l'Union européenne dans le processus de paix. Nous avons promis beaucoup d'argent, nous en avons déjà donné pas mal. Nous n'avons pas un poids politique et, une visibilité politique à la hauteur de notre participation financière au processus de paix. Je crois qu'il faut essayer d'améliorer les choses. Vous savez que nous y avons été particulièrement sensibles lors de la Conférence de Casablanca. Il a été admis que le groupe de travail multilatéral sur le développement économique régional qui est sous Présidence de l'Union européenne aurait un rôle important dans le suivi de Casablanca. C'est un deuxième moyen de concrétiser cette priorité méditerranéenne.
Troisième élément, c'est un certain nombre de rencontres qui vont concrétiser tout cela. Alors, j'en cite une pour mémoire parce qu'elle se passera sous Présidence française mais ne sera pas une rencontre de caractère communautaire, pas de l'Union européenne : je parle du Forum méditerranéen qui, dans notre esprit, est une rencontre informelle plutôt axée sur les questions politiques, culturelles, mais enfin qui permettra quand même de préparer le terrain pour la suite des événements. Et nous avons convenu hier à Madrid de travailler en étroite liaison avec la Présidence espagnole pour préparer alors la Conférence euro-méditerranéenne à proprement parler qui, elle, est prévue à Barcelone au mois de novembre de l'année 1995. Les Espagnols – je leur laisse le soin évidemment de présenter leurs propres propositions – réfléchissent sur quatre grands axes : le dialogue politique, la coopération financière, les aspects culturels et enfin les questions de stabilité. Voilà autour des quelques grandes réflexions qui pourraient nourrir cette Conférence euro-méditerranéenne.
Il faudra, évidemment, au titre de la coopération financière concrétiser l'orientation qui a été donnée à Essen et qui part d'un meilleur équilibre entre l'effort financier fait vis-à-vis de l'Est et l'effort financier fait vis-à-vis du Sud. J'avais fait, pour ma part, souhaité qu'on indiquât une proportion cinq à quatre – si je puis dire – alors que le rapport est actuellement de cinq à un. Jusqu'à présent, on n'a pas inscrit cela dans les conclusions du Conseil d'Essen mais c'est dans cette perspective-là que nous continuerons à travailler.
Q. : Monsieur le ministre, vous parlez de rééquilibrage. Cela peut être compris comme signifiant moins de financements ? Alors, que voulez-vous faire en ce qui concerne le rapprochement avec les pays de l'Est ? L'autre question porte sur les réformes institutionnelles qui doivent être envisagées en 1996 avant les négociations avec les pays de l'Europe centrale et de l'Est. Selon certains observateurs, rien ne va se passer et qu'on va maintenir le statu quo. Comment envisagez-vous l'élargissement, quand même, vers l'Est si vous ne parvenez pas à réformer l'Union ?
M. Juppé : Le propre des observateurs des questions européennes, c'est qu'ils sont toujours inquiets. Moi, Je constate cela d'ailleurs. On fait toujours des tableaux apocalyptiques de la construction européenne : tout va toujours très mal, on régresse, on n'atteint pas ses objectifs, cela ne va pas comme il faudrait. C'est vrai qu'il y a des hauts et des bas dans la construction européenne ·et des moments où cela avance et d'autres où cela recule. Moi je considère que depuis un an et demi, depuis deux ans, on est plutôt dans une phase ascensionnelle et que beaucoup de choses ont été faites : le passage à la deuxième phase de l'union économique et monétaire, etc. Je ne vais pas faire le bilan, la mise en œuvre du Traité, l'élargissement aux trois nouveaux, donc cela avance. L'Europe avance et je ne suis pas du tout dans le camp des Euro-pessimistes, sauf si l'on s'imagine évidemment que c'est une affaire qui peut être boudée en quatre/cinq ans. Cela prendra plus de temps.
Premier élément de réponse à votre première question : il ne s'agit pas de déshabiller les uns peur habiller les autres. Ça c'est vraiment la présentation déformante. Il s'agit de faire un effort supplémentaire parce que nous estimons que c'est de l'intérêt de l'Union européenne, de tous ces États, qu'ils soient méditerranéens ou qu'ils soient nordiques d'ailleurs, que ne se créé pas sur notre flanc sud une zone d'instabilité et de déséquilibre. Je crois que ce n'est pas la peine de développer ce point : les événements récents suffisent -à le montrer. Donc, il ne s'agit pas du tout de réduire l'effort fait vis-à-vis de l'Europe, il faut le maintenir, mais il faut faire plus pour le sud.
Deuxième question, que vous posiez précise : je ne peux pas imaginer que la Conférence intergouvernementale échoue. Ne commençons pas à partir battus. Il faut qu'elle réussisse, il faut qu'elle permette de franchir une étape nouvelle dans le processus de construction européenne dans l'esprit que rappelait tout à l'heure Alain Lamassoure. Et donc, mettons tous les atouts de notre jeu pour réussir, ce qui permettra alors d'enclencher le processus d'élargissement. Si nous échouions, si la Conférence de 1996 aboutissait à un blocage, je suis convaincu qu'alors la construction européenne prendrait un tel coût que parler de l'élargir ne serait plus à l'ordre du jour. Donc, essayons d'écarter cette hypothèse et de nous mettre dans une situation de succès.
Q. : L'Europe centrale, surtout la Pologne, parce que je représente un journal polonais, a des liens historiques, culturels avec la France. Nous avons beaucoup d'espoirs liés à la Présidence française. Comment pouvez-vous nous assurer que l'Europe de l'intégration à l'Union ? Allez-vous inviter les chefs de gouvernement d'Europe centrale pour le Sommet des Quinze ?
M. Juppé : Je comprends parfaitement l'impatience de nos amis d'Europe centrale et notamment de la Pologne et, si j'étais à la place des Polonais, je serais aussi inquiet et impatient. Mais je voudrais quand même vous rappeler combien de progrès ont été faits en l'espace de trois ou quatre ans. Cela a été vite. Cela a été même parfois plus vite que pour des pays européens qui ont frappé beaucoup plus longtemps à la porte de la Communauté, à l'époque. Alors, la précipitation est peut-être à éviter dans ce genre de situation. Il faut continuer ce qui a été engagé. Le cap a été très nettement fixé, les étapes qui permettent de parvenir à l'objectif ont été également très clairement indiquées, dans le cadre du dialogue structuré. Donc nous allons poursuivre avec beaucoup d'ardeur et beaucoup de conviction dans cette direction et je crois surtout qu'il faut maintenant au-delà des déclarations de principes passer à un examen précis et concret des difficultés que l'adhésion comporte, parce qu'il faut se sortir de la tête cette idée selon laquelle c'est très facile d'entrer dans l'Union européenne. Ce n'est pas facile. Ce n'est pas facile pour les pays de l'Union et ce n'est pas facile pour les pays candidats. Cela demande de part et d'autre une préparation parce que ce n'est pas un club dans lequel on se met autour d'une table pour discuter. C'est une Union dans laquelle il y a des disciplines, il y a des réglementations à adopter, il y a des législations à harmoniser, il y a des contraintes à accepter. Donc, ce sera un mauvais service à rendre à certains de nos amis que de leur dire d'un trait de plume : « vous allez voir, on va tout régler, et vous serez membre à part entière de l'Union européenne au même titre que ceux qui ont fait des efforts pendant dix ou quinze ans du jour au lendemain ». Non, ce sera plus compliqué que cela, plus long que cela. Nous, notre détermination politique est totale et nous y parviendrons.
M. Lamassoure : Un renseignement complémentaire : pendant la Présidence française, les invitations au Conseil européen de Cannes seront lancées par celui qui présidera le Conseil européen à ce moment-là, c'est-à-dire en fait par nos successeurs. En revanche, nous avons prévu, conformément à ce qui avait été décidé entre nous pendant la Présidence allemande, que pendant la Présidence française, les pays d'Europe centrale et orientale seront invités à un Conseil des-ministres par mois. Donc, il y a six invitations-lancées pour six Conseils des ministres tout au long de la Présidence française et pratiquement les Conseils des ministres les plus importants : Affaires étrangères naturellement, marchés intérieurs, agriculture, finances, culture, donneront lieu à invitation à des pays d'Europe centrale et orientale.
D'autre part, je rappelle que nous mettons en œuvre la réforme du programme PHARE de manière à ce que cette aide, accordée au titre du programme PHARE dont d'ailleurs le montant est accru, soit mieux concentré sur la préparation à l'adhésion avec une, possibilité d'accorder notamment plus de ressources pour des travaux d'infrastructures dont les pays d'Europe centrale ont besoin en ce qui concerne l'adhésion. Et de la même manière dans le cadre de cette réforme, on encourage les pays d'Europe centrale et orientale à passer des accords commerciaux, économiques ou en matière de culture ou en matière d'environnement entre eux de façon à ce qu'ils développent leurs relations entre eux parallèlement aux relations avec nous.
Enfin, c'est pendant la Présidence française que devraient être menées à bien jusqu'à leur terme les négociations avec les pays baltes d'accords d'association comparables à ceux qu'ont déjà eu les pays d'Europe centrale.
Q. : Vous évoquez la possibilité d'un échec de la Conférence intergouvernementale. Selon quel critère jugerez-vous s'il s'agit d'un succès ou d'un échec ? Par ailleurs, il semble que les positions allemandes et anglaises soient très éloignées les unes des autres. Rechercherez-vous un consensus à tout prix ?
M Juppé : Nous sommes le 10 janvier 1995. La Conférence intergouvernementale est prévue en 1996. Je ne suis pas en mesure aujourd'hui de vous dire quel sera exactement le critère de réussite. Ce que nous souhaitons, c'est qu'on aille au fond des questions ; nous en avons soulevé un certain nombre. On verra tout au long de ces mois de préparation très exactement comment il faut calibrer les choses et quels sont les objectifs réalistes qu'on peut se fixer.
Q. : Permettez-moi de revenir un peu sur les relations Union européenne – Russie. Que pensez-vous sur la proposition de M. Van den Broeck de geler la mise en œuvre de l'accord intérimaire de commerce entre l'Union de la Russie ?
M. Juppé : Je pense que cette proposition est inopportune et qu'en toute hypothèse, une telle décision doit être délibérée entre les États membres au sein du Conseil des ministres.
Q. : Mais il a dit : « je vais en parler au Conseil ».
M. Juppé : Ce n'est pas ce que j'ai entendu. De toute façon, quand on est dans une équipe, on réserve souvent la primeur d'un certain nombre d'initiatives importantes à ses partenaires avant d'en parler à la presse. Je sais que ce n'est pas votre point de vue. Je pense que quand on appartient – je le répète – dans le cadre de la politique extérieure de sécurité commune à un système –, il vaut mieux réserver la primeur de ses informations. Voilà, c'est ce que je pense. Mats enfin, on peut penser différemment.
Q. : À la lumière du rapport que vous devrez remettre d'ici à la fin de votre Présidence sur le fonctionnement du Traité de Maastricht, j'aimerais bien connaître votre sentiment sur les opinions qui prévalent apparemment chez de plus en plus d'États membres, selon lesquelles si la PESC ne fonctionne pas et si le troisième pilier ne fonctionne pas bien, c'est essentiellement parce qu'ils sont d'essence intergouvernementale. Vous partagez cette analyse ?
M. Juppé : Une autre explication que l'on pourrait donner, c'est que la PESC a un an âge. J'aimerais bien qu'on se reporte en 1959 après un an d'application de l'Union douanière ou de la mise en œuvre du calendrier de désarmement tarifaire. Est-ce que tout marchait bien ? Est-ce que tout baignait dans l'huile ? Je trouve qu'il est un peu erroné de comparer ce qui a trente ans de fonctionnement et ce qui a un an. Première remarque.
Deuxième remarque, il faudra effectivement faire le bilan des choses. Donc, attendons le rapport du Conseil, le rapport de la Commission, le rapport du Parlement. Je ne serais pas opposé en ce qui me concerne à ce qu'on essaie de renforcer les mécanismes de la PESC. Il y a plusieurs moyens. Je ne vais pas ici rentrer dans le détail.
Q. : Pensez-vous que c'est réaliste d'imaginer d'ici la fin du siècle la mise en place de la monnaie unique pour l'Europe ; je vous demande cela à la lumière des discussions que nous venons d'avoir avec M Giscard d'Estaing qui vient de nous décrire son projet de grande Europe avec une organisation dans laquelle le noyau dur s'organiserait autour de la monnaie unique essentiellement.
M. Juppé : Je vous dirais tout de suite que je ne suis pas favorable à la reconstitution d'une petite Europe au sein de la grande Europe. Il faut que la grande Europe soit une vraie Europe et pas une Europe au rabais, même si au sein de l'Union ainsi conçue, il peut y avoir ce que j'ai appelé tout à l'heure des solidarités renforcées.
En ce qui concerne l'Union économique et monétaire, il y a un Traité. Pour ma part, je l'ai approuvé. J'ai fait campagne pour sa ratification. Je pense, qu'il faut l'appliquer en faisant jouer le calendrier et les critères qui sont prévus dans le Traité. C'est la position du gouvernement français. J'ai été heureux de voir que c'était également – cela va de soi, mais enfin, il l'a dit de manière très claire – la position du nouveau Commissaire compétent en la matière.
Q. : Monsieur Lamassoure, maintenez-vous votre suggestion de réduire le nombre de langues de travail dans l'Union et, si oui, comment pensez-vous réaliser cette idée ? Estimez-vous possible de concilier cette suggestion avec une des priorités de la Présidence française, notamment la promotion du multilinguisme ?
M. Lamassoure : Je vous remercie de poser cette question. Cela me permettra de dissiper un malentendu, une mauvaise compréhension involontaire ou parfois volontaire auxquels mes propos ont donné lieu il y a quelque temps. Je n'ai fait aucune proposition. J'ai fait une constatation et j'attends que quelqu'un démente cette constatation. Je constate que au-delà de deux douzaines de langues, pour donner un ordre de grandeur et lorsque nous serons vingt, vingt-cinq, trente pays, nous dépasserons ce nombre, nous serons absolument obligés de distinguer les langues que nous pratiquons de fait dans les travaux communautaires et les langues officielles, comme cela d'ailleurs est le cas dans toutes les organisations internationales, sauf, jusqu'à présent, dans l'Union européenne. Jusqu'à présent dans l'Union, comme vous le savez, il y a autant de langues de travail effectivement pratiquées que de langues officielles. Nous sommes à onze langues, déjà à l'extrême limite de ce qui est possible, avec l'obligation pour les petites langues, c'est-à-dire les langues relativement moins pratiquées, plus rares de recourir à la traduction. Je ne sais pas si on vous a montré le résultat de vos propres propos soumis à une double traduction, le point d'arrivée est très différent du point de départ. Moi, je me suis soumis à l'exercice. Je fais cette constatation, et à partir de là, je crois que si nous voulons en 1996, bâtir une Europe qui puisse accueillir deux ou trois douzaines d'États, il faudra qu'en se pose la question et je pense donc que nous serons amenés tout naturellement à voir un nombre de langues de travail plus réduit que le nombre de langues officielles de la Communauté. Étant donné que bien sûr dans les réunions formelles, en particulier au Parlement européen, chaque député devra pouvoir s'exprimer dans sa langue et travailler dans sa langue, de même chaque ministre. Dans les réunions formelles et dans toutes les réunions de travail préparatoire, on sera obligé de faire autrement. C'est tout ce que j'ai dit et, encore une fois, ce n'est pas une proposition. C'est une constatation. Alors, on peut essayer d'y réfléchir à froid dès maintenant. On peut aussi se fermer les yeux, considérer qu'il n'y a pas de problème et puis se heurter à la difficulté le moment venu. Nous sommes d'autant moins hostiles au plurilinguisme en Europe que, comme vous l'avez rappelé, parmi les objectifs de la Présidence française, nous souhaitons encourager le plurilinguisme à l'échelle de l'Union européenne en invitant les pays membres de l'Union à se mettre d'accord sur les termes d'une convention au sens juridique du terme – donc un Traité international. Cela n'est pas dans le cadre communautaire à proprement parler puisque ce n'est pas une compétence de la communauté, mais c'est un objectif que nous proposons aux quinze États membres, par lequel nous nous engagerions à rendre obligatoire dans notre enseignement primaire ou secondaire l'apprentissage de deux langues européennes nationales, étrangères vivantes. C'est la proposition que nous soumettrons à nos partenaires.
M. Juppé : Je voudrais juste rajouter un petit mot sur ce sujet. D'abord, dans le cadre des organisations internationales, on s'est déjà posé le problème là où la pratique d'un certain nombre de langues de travail existe, Nations unies, CSCE ou d'autres.
Deuxièmement, sans cultiver le paradoxe, je serais tenté de dire que le maintien d'autant de langues de travail qu'il y a de nationalités ou de langues parmi les États membres, c'est le contraire du plurilinguisme parce que je suis sûr que dans ce cas-là, on aboutira en monolinguisme, Il n'y aura qu'une seule langue, inutile de préciser laquelle. Devant l'impossibilité de faire fonctionner le système, on n'aura plus qu'une seule langue. Et donc, je ne vois pas de contradiction entre le fait d'essayer de promouvoir le plurilinguisme et le fait de se poser, avec toutes les précautions que vient d'indiquer Alain Lamassoure, la question des langues de travail.
Q. : Vous savez que ceux qui rejettent votre suggestion, disent précisément que l'Union européenne n'est pas une institution internationale comme les autres.
M Juppé : C'était vrai quand on était six, cela reste vrai naturellement, mais enfin les problèmes changent de dimension. Je le répète, on en parlera ; s'il y a impossibilité de se mettre d'accord, alors on ne se mettra pas d'accord. On fera des cabines de traduction plus grandes.
Q. : Une précision : quand vous dites, l'enseignement des langues, de deux langues étrangères vivantes, cela exclut le latin par exemple ?
M. Juppé : Elle n'est pas vivante…
Q. : Elle n'est pas vivante. Quand on parle de langues étrangères, on ne parle pas de latin par exemple !
M. Juppé : Si, si, moi je suis un pur produit de ce système : j'ai appris le latin et le grec ancien, ce qui fait que je n'ai qu'une seule langue vivante étrangère. Mais il n'est pas question de rendre obligatoire l'enseignement du sumérien ou de l'égyptien, non. Quand on dit langues vivantes on dit langues vivantes, mais je crois que c'est très important du point de vue de la réciprocité d'ailleurs. Nous, nous y sommes attachés en tant que Français mais je comprends parfaitement que d'autres pays y soient attachés. Prenons un exemple ; nous étions hier en Espagne. Si l'on veut que les Espagnols continuent à apprendre le Français, il faut aussi qu'il y ait des Français qui continuent à apprendre l'Espagnol. Donc, un système de deux langues vivantes obligatoires est un bon système pour toutes les langues de l'Union européenne et pas simplement pour l'une ou pour l'autre d'entre elles.
Q. : Si vous permettez, M Juppé, Je voudrais changer de sujet et poser une question sur la politique étrangère française. Pourquoi dans le cadre de l'Union européenne et de l'Alliance avec la Grande-Bretagne et les États-Unis, la France a décidé d'adopter une politique un peu individuelle vis-à-vis de l'Irak.
M. Juppé : Parce que la France aime toujours avoir une politique individuelle, d'abord, depuis très longtemps, et ce n'est pas quelque chose à quoi nous puissions renoncer à l'avenir.
Deuxièmement, dans cette affaire irakienne, nous ne nous sommes en aucune manière dissociés de la position de nos partenaires. Si vous écoutez et si vous lisez non pas ce qu'on dit mais ce que j'ai dit ici à la suite de mon entretien avec M. Tarek Aziz, vous verrez que je lui ai indiqué que la France attendait de l'Irak qu'il applique strictement toutes les résolutions du Conseil de sécurité. C'est déjà fait pour ce qui concerne la reconnaissance du Koweït. Ça n'est pas encore fait en ce qui concerne les résolutions relatives au contrôle des armements et on est loin du compte en ce qui concerne les droits des minorités. J'ai évoqué également le problème des réfugiés, des prisonniers et des disparus koweïtiens ou d'autres nationalités. Donc, en aucune manière, la position de la France sur ce plan-là ne se dissocie de celle de ses partenaires. Simplement, nous pensons qu'on ne peut pas s'enfermer indéfiniment vis-à-vis de l'Irak dans une politique du tout au rien. Quand l'Irak fait des pas, et il a fait un pas en reconnaissant le Koweït dans les conditions fixées par les résolutions du Conseil de sécurité, il faut en tenir compte et essayer de voir comment on peut avancer. C'est le message que je voulais adresser.
J'ajouterais deux remarques complémentaires : l'indignation de certains bons esprits, ici ou là, devant l'ouverture d'une section d'intérêts français à Bagdad, sous pavillon roumain, est quand même un peu fort de café parce que nous ne sommes pas les premiers.
Deuxièmement, quand on me dit que la France poursuit ses intérêts commerciaux en Irak, je pourrais renverser la charge de la preuve et expliquer qu'une éventuelle amélioration des relations avec l'Irak pourrait gêner les intérêts commerciaux d'autres puissances. Or, de grâce, ne nous engageons pas dans ce débat. Moi, je ne cherche pas à polémiquer avec qui que ce soit. La France est tout à fait fidèle à la légalité internationale : elle l'a montré, elle continuera à le montrer. D'ailleurs, si vous observez les déclarations des autorités koweïtiennes, vous observerez qu'elles, elles ont bien compris ce que nous avons fait. Alors, la polémique venue d'ailleurs, et parfois d'outre-Atlantique pour préciser les choses, me laisse tout à fait serein.
J'espère que nous aurons l'occasion devant la Présidence française de vous revoir souvent, et sachez que vous êtes, ici ou à Bruxelles, auprès de notre représentation et notre délégation, toujours les bienvenus.
Conférence de presse du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, et du ministre délégué aux Affaires européennes, M. Alain Lamassoure (Bruxelles, 12 janvier 1995)
Alain Lamassoure et moi-même sommes heureux de vous rencontrer pour cette première conférence de presse de la Présidence française. Puisque nous sommes encore dans les premiers jours du mois de janvier, j'en profite pour vous présenter à toutes et à tous nos meilleurs vœux.
J'espère que nous pourrons travailler au cours de ces six mois dans un climat de confiance et de compréhension réciproque. Nous serons en tout cas disponibles autant que nous pourrons pour répondre à vos questions et vous informer de ce que nous faisons.
Nous avons engagé la traditionnelle tournée des capitales de l'Union européenne. J'ai eu ce matin des entretiens avec le Premier ministre et mon homologue belge Je serais cet après-midi à Luxembourg, demain à Helsinki et à Stockholm et nous poursuivrons la semaine prochaine.
Je voudrais très rapidement avant de répondre avec Alain Lamassoure aux questions que vous souhaiteriez nous poser vous rappeler les grandes priorités que la Présidence française se fixe pour ces six mois. Je n'entrerai pas dans le détail parce qu'il me faudrait évidemment beaucoup de temps. Je me bornerai à rappeler les têtes de chapitre : il y en a cinq.
La première de ces priorités c'est la croissance et l'emploi, tout simplement parce qu'il s'agit là de la préoccupation la plus importante des gouvernements mais surtout des peuples de l'Union européenne. Pour favoriser la croissance et l'emploi, nous mettrons l'accent d'abord sur la poursuite des politiques de convergence dans la perspective de la réalisation de l'Union économique et monétaire à laquelle nous sommes attachés. Nous mettrons aussi l'accent sur l'exécution du Livre blanc et des orientations qui ont été fixées à ce titre à Essen, sur le financement des grands, projets – il faut compléter ce financement et faire démarrer de manière opérationnelle ceux de ces projets qui sont maintenant à maturité. Nous veillerons également à ce que le grand marché fonctionne : nous avons, à ce titre, engagé une réflexion sur la vérification de la bonne application des normes et directives relatives au grand marché. Enfin, la croissance et l'emploi, c'est aussi s'assurer que les intérêts de l'Union européenne sont bien défendus dans la compétition internationale et en particulier dans le cadre de la nouvelle Organisation mondiale du Commerce. Je n'en dis pas plus mais nous veillerons, là aussi, à ce que les engagements pris soient tenus.
La deuxième grande priorité qui rejoint d'ailleurs très largement la première est de développer la dimension sociale de la construction européenne et nous prendrons à ce titre un certain nombre d'initiatives pour soit encourager l'adoption de divers textes en matière sociale soit engager la réflexion sur des grands sujets d'intérêt commun et je voudrais en citer deux : tout d'abord, le financement de la protection sociale. Tous les systèmes de protection sociale européens ont des problèmes d'équilibre financier, il est utile de confronter les expériences et d'essayer de dégager quelques perspectives. Autre grand sujet de réflexion dans le domaine social, tout ce qui concerne les méthodes du dialogue social souvent liées d'ailleurs aux questions d'emploi et nous envisageons de réunir pour cela, non seulement les représentants des gouvernements compétents mais également les partenaires sociaux.
Troisième grande priorité : les questions de sécurité extérieure. Faut-il en souligner l'actualité et l'importance : tout le monde pense bien sûr à la situation dans l'ex-Yougoslavie et aujourd'hui dans la Communauté des États Indépendants, en Russie même, avec la crise de Tchétchénie. C'est évidemment un sujet immense et inépuisable et nous essayerons là encore de nous focaliser sur quelques objectifs concrets. Tout d'abord l'achèvement de la Conférence sur la stabilité en Europe qui devrait se tenir à Paris donc le 20 et le 21 mars : les choses ont bien progressé, des tables régionales se tiennent dans les prochains jours, je pense que cette entreprise pourra, dès lors, être couronnée de succès.
Nous voulons aussi mettre notre Présidence à profit pour renforcer l'Union de l'Europe Occidentale, accentuer son caractère opérationnel – il y a là toute une série de propositions dans le détail desquelles je n'entre pas – et également resserrer les liens entre l'Union de l'Europe Occidentale et l'Union européenne. C'est dans cet esprit qu'a été lancée, vous le savez, la préparation d'un Livre blanc sur la sécurité, réflexion à laquelle seront associés les pays ayant vocation à rejoindre l'Union, je pense aux pays de l'Europe centrale et orientale. Qui dit sécurité extérieure dit aussi réflexion sur les relations de l'Union européenne avec un certain nombre de ses partenaires – je pense tout particulièrement à la Russie – et nous essaierons d'animer sur ce point une réflexion approfondie permettant de faire le point de nos relations.
Quatrième grande priorité, ce que nous appelons la recherche d'un meilleur équilibre dans les relations extérieures de l'Union Européenne. On a beaucoup fait depuis plusieurs années pour développer la coopération avec l'Europe centrale et orientale – c'était nécessaire. Cela reste nécessaire et cela se fait dans une perspective bien précise qui est la perspective de l'adhésion – nous allons donc poursuivre et je voudrais signaler que nous avons prévu, sous Présidence française, six Conseils des ministres avec participation des pays d'Europe centrale et orientale. Cela en fera un par mois.
Mais on a peut-être dans le même temps au cours des derniers années un peu négligé la dimension méridionale de nos relations extérieures et nous avons donc l'intention comme cela a été indiqué à Essen de braquer aussi le projecteur vers la Méditerranée dans une perspective différente qui n'est pas une perspective d'adhésion, qui est une perspective de partenariat mais c'est également important et là encore il y aura des choses concrètes à faire. Nous souhaitons mener à terme la négociation de certains accords bilatéraux avec Israël, la Tunisie, si possible le Maroc, progresser également avec Chypre et Malte et avec la Turquie.
Enfin nous avons convenu lors de notre passage à Madrid, il y a quelques jours, de nous coordonner très étroitement avec la Présidence espagnole pour préparer la Conférence ministérielle euro-méditerranéenne qui est prévue à Barcelone au mois de novembre prochain. N'ayons garde d'oublier le processus de paix et le rôle que l'Union européenne doit y jouer, plus activement peut-être que par le passé.
Comme on m'a reproché ici ou là de ne pas toujours être exhaustif, mais il est difficile de fixer des priorités et d'être en même temps exhaustif, je voudrais quand même signaler au titre des relations extérieures, les relations avec les pays ACP – il faudra déterminer le niveau du 8e FED dans les semaines qui viennent – et également les relations avec l'Amérique latine Pendant notre Présidence, nous souhaitons conclure avec le MERCOSUR, le Chili et le Mexique.
Enfin, dernier grand chapitre, vous· voyez que je vais vite, les questions culturelles, audiovisuelles et linguistiques. Nous espérons pouvoir progresser dans la révision de la directive Télévision sans Frontières et le renforcement du programme MEDIA et nous souhaitons également prendre un certain nombre d'initiatives dans le domaine du plurilinguisme. Je précise tout de suite les choses : il ne s'agit pas en l'espèce de diminuer le nombre de langues utilisées dans l'Union européenne mais au contraire de voir comment dans chacun des États membres, en fonction d'une convention que nous pourrons proposer, pourrait être développé, dans les systèmes éducatifs, l'apprentissage obligatoire de deux langues étrangères, ce qui me parait le meilleur moyen de garantir précisément ce plurilinguisme.
Voilà les cinq grands chapitres.
Je voudrais ajouter avant de conclure et de vous laisser la parole que, bien sûr, il y a beaucoup d'autres sujets qui seront sur la table. Je pense à la conclusion de la Convention EUROPOL dont il a été décidé à Essen qu'elle serait achevée à Cannes et puis enfin, cela n'est pas la moindre des préoccupations de l'Union européenne en ce moment, l'amorce de la préparation de la Conférence intergouvernementale de 1996. Sous Présidence française que se passera-t-il ? Tout d'abord la préparation et l'établissement du rapport du Conseil sur le fonctionnement du Traité sur l'Union européenne. Chacune des institutions, vous le savez, élaborera son rapport. Le Conseil fera le sien et nous avons déjà avec le Secrétariat général du Conseil engagé la préparation de ce document qui dressera le constat des difficultés que pose l'application du Traité ou la manière dont il fonctionne. Nous préparerons également la mise en place de la Commission des Représentants des ministres des Affaires étrangères dont le principe a été décidé à Ioannina et à Corfou et c'est sous Présidence espagnole que cette commission commencera réellement à travailler. Je ne veux pas ici entrer dans la problématique de ces travaux sur l'architecture future d'une Union européenne élargie ni sur les conséquences institutionnelles qu'il faut en tirer. Nous répondrons bien sûr à vos questions si vous le souhaitez sur ces sujets mais la Présidence française, je le répète, ne sera que l'amorce de ce travail qui se poursuivra sous la Présidence espagnole et sous la Présidence italienne qui aura la responsabilité de l'organisation de la Conférence intergouvernementale de 1996.
Voilà, Mesdames et Messieurs ce que je voulais vous dire ou vous rappeler parce que j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur ces différents points – et M. Lamassoure et moi-même sommes prêts, dans la demi-heure qui vient, à répondre à vos questions.
Q. : Afin de commencer votre présidence d'un bon pied, quelle serait votre réaction au cas où le Parlement européen refuserait la semaine prochaine l'investiture à la Commission désignée ? Soutenez-vous l'exigence formulée par le Parlement d'une redistribution de certains portefeuilles à l'intérieur de la Commission ?
R. : Pourquoi se placer dans des hypothèses qui ne sont que des hypothèses, je préfère me placer dans l'hypothèse où le Parlement émettra un vote positif, ce qui me semble le plus probable. En ce qui concerne la répartition des portefeuilles au sein de la Commission, cela est de la responsabilité de la Commission et de son Président et je n'ai pas de commentaires à faire sur ce point. Ce qui a été fait par M. Santer, je l'ai déjà dit en d'autres temps me paraît avoir été fait rapidement et efficacement.
Q. : Sur la coopération franco-allemande ?
R. : Bon, c'est peut être un petit problème de traduction, je n'en sais rien, mais je n'ai pas rencontré M. Kinkel, aujourd'hui, j'ai simplement signé avec M. Kinkel un article qui est paru aujourd'hui dans la presse allemande et je crois dans la presse française. Je voudrais qu'on s'entende bien sur ce qu'est la coopération et l'amitié franco-allemande. Je le disais encore hier soir en remettant à Paris des prix d'une association de coopération franco-allemande. Il n'y a pas unanimisme spontané entre la France et l'Allemagne, c'est-à-dire que, a priori, et sur tous les sujets, il n'y a pas forcément un accord total. Ce serait d'ailleurs tout à fait extraordinaire. Nous sommes de vieux pays avec une histoire, une, culture, des traditions et des intérêts différents donc la coopération franco-allemande, l'amitié franco-allemande, le couple franco-allemand, cela ne veut pas dire qu'on est d'accord sur tout avant même d'avoir discuté ! Cela veut dire qu'à partir de points de vue qui ne sont pas toujours convergents, et je ne vais pas en faire la liste parce que c'est une question d'opportunité, d'actualité ou de cas par cas, nous avons d'abord la volonté de nous mettre d'accord et ensuite des procédures de concertation et de coopération permanentes qui nous permettent de trouver ces accords. Voilà, je ne peux que m'en tenir à cette réponse générale en vous faisant remarquer que ça marche. Que quelles que soient les prédictions qui sont périodiquement faites pour dire que la coopération franco-allemande marche moins bien qu'avant, ça marche toujours aussi bien et ça marchera j'en suis sûr toujours aussi bien. Nous veillerons à continuer la coordination de nos présidences, nous l'avons fait le semestre dernier, nous le ferons ce semestre ci.
Q. : Monsieur le ministre, j'aurais bien voulu poser ma question comme précédent dans ma langue paternelle en grec. Mais je constate qu'il n'y a pas ici une traduction ? Alors ma première question : est-ce que le fait qu'il n'y ait pas ici de traduction grecque…
R. : Si, on peut parler grec. Puis-je vous interrompre monsieur, j'adore la langue de Platon, d'Homère etc., même si elle a un peu évolué et donc j'aurai grand plaisir à l'entendre et je vous signale que vous pouvez la parler parce que moi je l'ai traduite. Alors posez votre question en grec…
Q. : Sur les perspectives de l'adhésion de Chypre et de Malte ?
R. : J'ai évoqué ces questions hier avec notre collègue grec et j'ai également d'ailleurs reçu à Paris, vous voyez l'emploi du temps était particulièrement chargé, le ministre des Affaires étrangères de Chypre également. Alors, il faut que les choses soient claires : ce n'est pas la Présidence française qui innove en la matière, c'est une décision qui a été prise par le Conseil européen de Corfou. Il n'y aura pas d'engagement d'un nouveau cycle de discussion d'adhésion à l'Union européenne avant la conclusion de la conférence intergouvernementale. Ceci, je le répète n'est pas une novation du 12 janvier 1995, c'est une décision que nous avons prise à 12 à Corfou. Bon. Quand la conférence intergouvernementale aura été achevée, nous engagerons de nouveaux cycles de discussion en vue de nouveaux élargissements et nous avons dit que Chypre et Malte seraient alors dans ce nouveau cycle de discussion. Voilà ce que je peux vous dire et nous appliquerons bien entendu cette orientation qui a été fixée d'un commun accord.
Q. : Sur l'influence des échéances électorales sur les objectifs de la Présidence française ?
R. : Aucune. Aucune influence et aucune gêne.
Q. : Vous pouvez expliquer un peu ?
R. : Non, mais je n'ai pas à expliquer. À l'heure actuelle, entre les différentes autorités responsables de la définition de la politique étrangère en France, le Président de la République, le Premier ministre, nous-mêmes le gouvernement il y a identité de vue sur les objectifs de la présidence française. C'est le Président de la République qui, mardi si je ne me trompe, à Strasbourg exposera devant le Parlement européen, les priorités, de la Présidence française, Nous serons Alain Lamassoure et moi-même, à ses côtés, nous répondrons aux questions des parlementaires. Donc vous voyez qu'il y a une vision commune. Par ailleurs le processus électoral ne nous empêchera pas, nous ministres, de jouer notre rôle à la présidence et j'espère que cela nous donnera l'occasion de nous voir très fréquemment.
Par ailleurs sans vouloir faire de pronostics sur les résultats de l'élection présidentielle, c'est aux électeurs de se prononcer. Je suis convaincu que cela n'amènera pas de bouleversements dans la politique européenne de la France et dans la détermination de notre pays à être toujours aussi actif pour la poursuite du processus de construction de l'Union européenne. Voilà, j'ai développé une réponse qui je le reconnais avait été un peu brève au départ.
M. Richard Duqué : Une précision : les questions peuvent être posées dans les onze langues officielles de l'Union européenne.
M. Alain Juppé : J'ajouterai une deuxième précision, vous pouvez aussi les poser en français.
Q. : Monsieur le ministre, la Commission n'est pas parvenue à se mettre d'accord sur une proposition concernant la nouvelle directive Télévision sans Frontières. Une des raisons de ce report repose sans doute sur les objections présentées par le gouvernement français au projet de compromis qui avait été conçu par les services de ta commission. Quelle est votre position sur cette directive et comment voyez-vous l'avenir après ce qu'il faut bien appeler un loupé ?
R. : L'ancienne Commission, je ne sais pas si il faut dire l'ancienne, la commission Delors, la Commission sortante n'a pas pu se mettre d'accord sur un texte. S'il y a eu loupé, il faut savoir à qui, s'adresser. Nous souhaitons que la Commission entrante puisse le plus rapidement possible faire des propositions. Vous connaissez parfaitement quels sont les objectifs et les préoccupations de la France, mais pas de la France seule. Nous voulons que dans le cadre de l'exception culturelle qui a été acquise lors de la négociation du cycle de l'Uruguay des dispositions soient prises qui permettent de sauvegarder à la fois la production et la diffusion d'œuvres européennes. Et il faudra donc adapter aux technologies nouvelles qui se développent : les chaînes de Télé achat, les chaînes à péage et autres, les dispositifs qui avaient été prévus dans l'actuelle directive « télévision sans frontière ». Voilà sur quelles bases nous sommes en train de travailler et les ministres compétents sont au contact des commissaires pour préparer les futurs travaux. Nous souhaitons que ces propositions sortent le plus vite possible pour que le Conseil des ministres compétent puisse s'en saisir dans les prochains mois. Je pense que c'est en avril si ma mémoire est bonne que ceci est fixé sur l'ordre du jour.
Q. : Les services de M. Toubon ont publié un document à l'occasion de la conférence du G7 sur l'audiovisuel le mois prochain affirmant que des règles sont nécessaires pour protéger le pluralisme culturel dans le cadre des autoroutes de l'information. La Commission qui parraine cette conférence affirme que de telles règles seraient le meilleur moyen d'entraver la libre création de tels services en Europe. Je souhaiterais avoir votre réaction à ces critiques de la commission ?
R. : Je ne comprends pas très bien la critique. C'est parce que la France ferait des propositions que l'on ne pourrait pas se mettre d'accord ? Est-ce cela la question ?
Q. : Ce que suggère la Commission, c'est qu'en édictant des règles culturel au sein des autoroutes de l'information, on entravera la libre production en Europe de ces services, à savoir les services informatiques, le Télé-achat, et que l'Europe se trouvera en retard par rapport aux États-Unis et au Japon sur ce marché.
R. : Cela me rappelle un peu la problématique qui était celle que nous avions au moment de la négociation de l'Uruguay Round : on nous expliquait que si on voulait absolument se mettre d'accord avec nos partenaires, il fallait que les exigences de l'union européenne soient minimales. Je ne pense pas que ce soit une bonne démarche. Essayons de nous mettre d'accord entre nous sur ce que nous considérons comme nécessaire pour permettre le maintien d'une production audiovisuelle européenne dans un domaine qui ne doit pas être soumis aux seules lois du marché même si les lois du marché ont une importance. À ce moment-là une fois la position européenne définie, nous pouvons discuter avec nos partenaires extérieurs à l'Union européenne. Je crois que c'est ça la philosophie de la construction européenne ; ce n'est pas d'essayer de déterminer ce qui est agréable aux autres avant de savoir ce que nous voulons nous mêmes. Essayons de savoir ce que nous voulons nous mêmes, fixons la position de l'Union et ensuite discutons avec nos partenaires. Sans ça il n'y a plus d'Union.
Q. : Quelle serait la position de la présidence française si en ce qui concerne l'union douanière avec la Turquie, si les conditions qui ont empêché l'aboutissement des négociations en décembre ne sont pas changées d'ici mars ?
R. : Vous savez qu'avec la présidence allemande, nous avons déployé beaucoup d'efforts, encore à Essen, pour débloquer la situation et permettre la conclusion des discussions relatives à l'union douanière entre l'Union européenne et la Turquie. Cela reste pour nous un objectif. Et des contacts que nous avons eus récemment, je disais hier que j'avais rencontré notre homologue grec, je dois tout à l'heure à l'occasion du déjeuner en discuter avec le commissaire Van den Broek, j'ai quelques raisons de penser que cette affaire pourrait avancer. Nous souhaitons la débloquer tout en rappelant très clairement comme nous l'avons déjà fait d'ailleurs à la Turquie, qu'elle doit aussi en tant qu'État membre du Conseil de l'Europe respecter les principes fondamentaux : les principes des Droits de l'Homme, les droits de la défense, le respect des minorités, le respect des droits des parlementaires démocratiquement élus.
Q. : Je me demandais en préparation de la conférence inter gouvernementale. Si vous prévoyez une participation comme observateurs des pays de l'Europe centrale. Une autre question : est-ce que pour vous l'année 2000 est réaliste pour l'entrée de la Pologne prenant en considération les réactions négatives ou supposées en France des agriculteurs ?
R. : Sur le premier point, je vous rappelle que nous avons mis en place une procédure qui s'appelle le dialogue structuré qui va nous permettre d'avoir avec les pays d'Europe centrale et orientale des contacts très fréquents, mensuels sous présidence française et je pense que ça se poursuivra après. C'est donc dans le cadre de ce dialogue structuré que toutes les concertations nécessaires et légitimes d'ailleurs pourront avoir lieu. En ce qui concerne les dates, je crois que c'est de mauvaise méthode que de se fixer absolument sur le problème du calendrier. La vraie question qui compte c'est de savoir quelles sont les questions de fond, comment préparer le mieux possible les pays candidats à l'adhésion, quels critères fixer et c'est en fonction de tout cela que le calendrier en découlera. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Enfin, je voudrais dire à l'attention de la presse polonaise que vous représentez que la présentation qui consiste à dire que au sein de l'Union européenne il y a toujours un pays qui freine des quatre fers vis-à-vis de l'adhésion des pays de l'Europe centrale, et que ce pays c'est la France, ne correspond pas à la réalité quelles que soient par ailleurs les légitimes préoccupations de nos paysans.
Q. : Monsieur le ministre, vous allez demain à Oslo pour rencontrer les membres du gouvernement norvégien. Ils ont déjà demandé à être traités comme une sorte de semi membre de l'Union européenne malgré le résultat du référendum. Comment voyez-vous le problème norvégien ?
R. : J'ai tenu en effet à maintenir mon passage à Oslo pour bien montrer que en dépit du résultat du référendum nous souhaitions marquer toute notre amitié et notre volonté de coopération et de dialogue avec la Norvège. Alors, sur quels principes ? Le premier principe c'est qu'on est membre ou on n'est pas membre, il n'y a pas de situation médiane si je puis dire, on adhère ou on n'adhère pas. La Norvège a choisi de ne pas adhérer. Il y a donc un certain nombre de conséquences plus exactement à en tirer. Deuxièmement il y a bien entendu toute une série de mécanismes qui permettent de garder des relations étroites : l'Espace économique européen a notamment prévu un certain nombre de mécanismes non seulement économiques mais également politiques de dialogue particulier, privilégié ou spécifique et c'est ce que je vais aller dire à Oslo. Comment faire vivre tous ces mécanismes de façon que la Norvège puisse rester aussi proche que possible de l'Union européenne comme elle le souhaite puisqu'elle nous l'a demandé et comme nous le souhaitons aussi.
Q. : Ne pensez-vous pas que les situations électorales influent trop sur le bon fonctionnement des Présidences de l'Union ? Ma deuxième question, parmi les priorités de la présidence française figure une charte fixant les exigences minimum de qualité des services publics. Pouvez-vous donner quelques explications, expliquer un peu ce dont il s'agit ?
R. : Sur le premier point, il ne faut pas pousser trop loin votre logique parce que ça voudrait dire qu'à terme on finirait par supprimer les élections en Europe pour faciliter l'exercice de la Présidence de l'Union européenne. Non, c'est la vie de la démocratie, c'est normal. La présidence allemande a été une très bonne présidence avec un calendrier électoral chargé, j'espère que la présidence française pourra aussi être une bonne présidence malgré ce calendrier électoral. Je le répète : c'est vraiment la règle du jeu dans une union composée de démocraties parlementaires. Est-ce que, et ça c'est une autre réflexion qu'en peut effectivement engager dès maintenant. Est-ce que dans le cadre du renforcement des institutions d'une Union européenne, élargie il faut aller vers un renforcement de la présidence du Conseil notamment vers un allongement de la durée de cette présidence. Je vous dirai qu'à titre personnel cette fois-ci, je ne m'exprime plus en tant que présidence du Conseil de l'Union européenne, évidemment à titre personnel je pense que oui. Je pense, qu'un jour ou l'autre, nous serons amenés à poser le problème de cette rotation des 6 mois qui ne nous permet pas d'assurer une continuité suffisante. Pour l'instant, nous avons pallié cette difficulté en coordonnant les présidences, c'est la raison pour laquelle entre la présidence allemande et la présidence française il y a eu cette coordination, de même avec l'espagnole. Et vous observerez que dans les priorités dont je vous ai parlées il y a beaucoup d'actions qui se continuent bien entendu. Il n'y a pas rupture entre les présidences, il y a continuité mais malgré tout il faut se poser la question de la durée.
Sur le second point M. Lamassoure qui est le grand spécialiste du marché intérieur sera peut-être plus compétent que moi.
M. Alain Lamassoure : Oui, en ce qui concerne les services publics, comme vous le savez un précédent gouvernement français avait proposé que l'Union européenne adopte un document de principe qui aurait été une charte des services publics et il avait été demandé à la Commission européenne de faire des propositions dans ce sens. Pour des raisons qui lui appartiennent, la Commission sortante n'a pas jugé bon de faire un projet de charte des services publics. L'intention de la France, pour ce qui concerne non seulement ces 6 mois, mais au-delà, c'est d'essayer de garantir comme cela figure d'ailleurs dans les traités de manière directe ou indirecte, comme cela a été confirmé par la jurisprudence récente de la Cour de justice, que le grand espace unique européen – c'est un grand marché – mais que les divers services qui sont fournis n'obéissent pas exclusivement à la logique du marché et qu'il y a un certain nombre de services de base qui doivent s'inspirer de la philosophie que nous appelons en France : services publics et plus généralement en Europe l'idée de service universel pour lequel tous les consommateurs doivent pouvoir être fournis dans des conditions d'égalité d'accès, ce que le marché ne permet pas spontanément. Alors à partir de là, il faut voir comment cela peut s'appliquer secteur par secteur en matière de transport, en matière d'électricité, d'eau, de gaz etc. en ayant présent à l'esprit qu'un service universel peut parfaitement être délivré par des entreprises qui ne sont pas en situation de monopole et par des entreprises qui ne sont pas forcément des entreprises nationalisées. Enfin la préoccupation de voir garanti un service universel en Europe dans ces divers secteurs n'exonère pas les entreprises en charge de ce service de la nécessité surtout lorsqu'elles sont en situation de monopole ou de quasi-monopole d'être compétitives, de se moderniser et de fonctionner dans des conditions d'exploitation équilibrées et pleinement satisfaisantes. Et voilà donc les principes qui nous guideront pendant cette période.
Q. : Monsieur le ministre, est-ce que cette année ci il y aura une approche globale concernant le conflit en ex-Yougoslavie, pas seulement la Bosnie aussi la situation grave au Kosovo et quelle est la politique préventive ?
R. : J'espère que 1995 sera l'année où nous pourrons franchir une étape décisive dans le règlement du conflit de l'ex-Yougoslavie. Je l'espère, je n'en suis pas sûr car il y a eu depuis plusieurs années tant de retournements, tant de crise, tant d'engagements pris et non tenus qu'il faut être d'une très grande prudence. Depuis la fin de l'année dernière la cessation des hostilités qui a été conclue grâce aux efforts du représentant spécial du secrétaire général des Nations Unions est respectée globalement, sauf à Bihac hélas, et les conditions sont aujourd'hui réunies d'une reprise active des négociations à l'initiative du groupe de contact. C'est ce que le groupe de contact est en train de faire. Il est à Belgrade, il se rendra ensuite à Sarajevo sans doute à Pale. Il faut profiter des quelques mois qui sont devant nous pour provoquer une percée diplomatique. Je crois que c'est possible sur la base du plan de paix du groupe de contact dont je rappelle pour corriger l'idée toute faite selon laquelle l'Union européenne a été totalement incapable et impuissante dans cette crise, dont je rappelle qu'il prend appui sur le plan de paix de l'Union européenne et c'est la seule chose qui existe à l'heure actuelle comme référence possible au règlement de ce conflit. Donc, nous allons soutenir bien entendu ces efforts et le cas échéant prendre les initiatives nécessaires pour faciliter cette négociation et lui donner le plus d'efficacité possible.
Vous avez raison de dire que le problème ne se limite pas à la Bosnie, il y a également le problème de la Croatie et des Krajina. Nous avons été informés de la décision du Président Tudjman de ne pas demander le renouvellement du mandat de la FORPRONU à l'échéance de fin mars ; ceci soulève un grand nombre de problèmes : que va-t-il se passer si la FORPRONU se retire ? Dans quelles conditions se retirerait-elle ? Quelles sont les initiatives politiques que Zagreb compte prendre vis-à-vis des minorités des Krajina pour éviter que ce retrait de la FORPRONU ne se traduise par une nouvelle flambée de violence.
De la même manière, nous sommes très attentifs à la situation au Kosovo où les droits de la minorité albanaise ne nous semblent pas à l'heure actuelle garantis. Notre position est connue : nous sommes toujours attachés au principe de l'intégrité territoriale et de la souveraineté des États mais ces États ont des obligations au nom des grands principes mais au nom aussi des principes de l'OSCE vis-à-vis de leurs minorités et la situation au Kosovo de ce point de vue-là n'est pas satisfaisant. Nous avons pris un certain nombre de mesures préventives s'agissant d'autres pays de l'ancienne Yougoslavie, je pense en particulier au déploiement des observateurs qui se trouvent en Macédoine. Voilà aussi un pays vis-à-vis duquel nous.ne devons pas rester inactifs et j'espère que un certain nombre de problèmes qui se posent notamment dans les relations entre la Macédoine et la Grèce pourront être également résolus dans les prochains mois. Nous nous y emploierons.
Q. : Monsieur le ministre, je comprends bien que vous n'avez pas la boule de cristal, mais quand même comment vous voyez les relations entre la Russie et l'Union européenne ? Est-ce que vous soutenez la proposition belge, sur l'élaboration d'une stratégie l'égard de la Russie ?
R. : Je soutiens toujours toute proposition visant à avoir une stratégie cohérente vis-à-vis de la Russie et vis-à-vis des autres partenaires de l'Union. Je crois que cette stratégie cohérente existe. Nous avons dit depuis des années, depuis la chute de l'Union soviétique et du régime marxiste, qu'il était de l'intérêt vital de l'Union européenne de s'engager vis-à-vis de la Russie dans un partenariat aussi étroit que possible et non seulement nous l'avons dit mais nous l'avons fait. Nous avons dans le cadre du G7 d'abord pris des mesures d'une très grande ampleur pour aider la Russie dans son œuvre de réforme économique et puis nous avons négocié puis signé à Corfou un accord de partenariat. Il y a encore bien d'autres aspects dans cette coopération sur lesquels je ne reviens pas. Ceci ne doit pas être remis en cause. Et à partir du moment ou la Russie veut être un partenaire de l'Union européenne, veut entrer au Conseil de l'Europe, veut être membre à part entière de la communauté internationale des démocraties, cela lui crée des obligations. Des obligations d'ailleurs qu'elle a souscrites dans le cadre des différents documents de l'OSCE, qu'il s'agisse des documents de 1991, qu'il s'agisse de la dimension humaine de l'OSCE, qu'il s'agisse du code de conduite qui a été adopté à Budapest en décembre 1994 et la Russie doit donc respecter ces engagements comme nous sommes tenus les uns et les autres à les respecter.
Alors application concrète en ce qui concerne la crise de Tchétchénie : la Tchétchénie est en Russie et donc le principe de l'intégrité territoriale des états et de leur souveraineté est évidemment à prendre en considération, mais cela ne signifie pas que les principes du droit humanitaire international et les principes de l'OSCE puissent être violés. C'est la raison pour laquelle nous avons exprimé notre vive préoccupation devant d'une part, des violations des Droits de l'Homme qui ont été nombreux et dénoncés en Russie même, devant le chiffre très élevé des réfugiés qui ont été poussés hors de chez eux à la suite de ces combats, – on les chiffre à plusieurs centaines de milliers – et devant également et d'abord et avant tout, le chiffre très élevé de morts. Il me semble qu'il y a disproportion entre les méthodes utilisées et l'objectif recherché ce qui n'est pas conforme au code de conduite de l'OSCE. Voilà notre analyse de la situation et elle est partagée par l'ensemble de nos partenaires puisque par les procédures de la PESC nous avons bien entendu consulté l'ensemble de nos partenaires sur cette ligne-là. Nous l'avons ensuite exprimé de façon très claire dès la fin de l'année dernière – ça a été l'une des dernières initiatives de la présidence allemande – dès les premiers jours de l'année 1995. Je peux vous dire qu'une nouvelle démarche de la troïka de l'Union européenne sera entreprise dans les prochaines heures, demain auprès de la Russie pour protester contre le fait que les assurances qui nous avaient été données n'ont pas été suivies d'effet. J'ai moi-même eu M. Kozirev longuement au téléphone avant hier et au cours de cet entretien, d'abord, il m'avait indiqué qu'il recevait l'émissaire de l'OSCE ce qu'il a fait, ça c'est un point positif, ensuite un cessez-le-feu a été proposé aux belligérants et qu'un dialogue allait être engagé avec eux. Or je constate si je suis bien informé que les combats se poursuivent, que le dialogue n'est pas engagé, ceci me préoccupe. Voilà ce qui me semble être la stratégie cohérente de l'Union européenne vis-à-vis de la Russie mais nous allons bien entendu continuer à y réfléchir et en discuter ensemble à l'occasion de chacune de nos réunions.
Q. : Première question concernant le processus de paix au Proche Orient – Deuxième question concernant l'Irak. Est-ce que la présidence française va appeler l'Union à alléger les sanctions contre Bagdad ? Troisième question concernant la situation en Algérie : comment la diplomatie française va-t-elle réagir ?
R. : Il faut rappeler qu'il ne s'agit pas d'une conférence de presse de la diplomatie française mais de la présidence française de l'Union européenne mais je vais néanmoins bien sûr, répondre à vos questions.
Nous avons ou nous avons eu de grandes inquiétudes sur le développement du Processus de paix au Proche-Orient. Nous constatons que les progrès sur la voie syrienne sont limités. Nous constatons aussi que les choses se sont beaucoup tendues entre Palestiniens et Israéliens. C'est d'ailleurs pour faire le point de la situation que j'ai reçu hier matin en compagnie d'Alain Lamassoure M. Shimon Pérès à Paris, où il a également rencontré le Président de la République et le Premier ministre. Au terme de la conversation que nous avons eue, je suis moins pessimiste. Il m'a indiqué que le contact était bien repris entre Israéliens et Palestiniens et que de nouveaux progrès seraient vraisemblablement acquis dans les semaines qui viennent. Acceptons-en l'augure. Je crois que l'Union européenne peut aider d'abord par son soutien politique à ce processus comme elle l'a fait depuis le départ et ensuite par la concrétisation de son aide économique. Nous avons annoncé une aide très importante, la plus importante de tous les donateurs internationaux : 500 millions d'Ecus. Ce qui compte, c'est de faire en sorte qu'elle parvienne concrètement sur le terrain et il y a encore dans ce domaine des progrès à faire. Nous pouvons également aider dans ce processus en étant actifs dans le suivi des décisions de la conférence de Casablanca. Vous savez, et Klaus Kindel avait eu raison de le dire, que nous nous étions sentis, comment dire, pas exactement à la hauteur politique de notre aide économique dans ce processus. Je crois que les choses ont été rectifiées depuis et que l'Union européenne assurant la présidence du groupe de travail multilatéral sur le développement économique régional doit retrouver un rôle important à la mesure, je le répète, de ses efforts. Voilà pour ce qui concerne le Moyen-Orient.
En ce qui concerne l'Irak, il suffit de lire avec bonne foi ,les déclarations que j'ai faites à l'issue de mon entretien avec M. Tarek Aziz pour se rendre compte que la France suit toujours la même ligne qui est celle de la légalité internationale, qui est de dire à l'Irak : vous devez appliquer toutes les résolutions du Conseil de sécurité. Si vous le faites, le Conseil de sécurité devra bien entendu en tirer les conséquences. Ce qui m'amène à répondre à votre question, il n'est évidemment pas question que l'Union européenne prenne une initiative d'allégement des sanctions vis-à-vis de l'Irak, c'est du ressort du Conseil de sécurité et seulement du Conseil de sécurité de Nations unies.
Enfin, en ce qui concerne l'Algérie, là aussi, je demande qu'on lise très attentivement ce qu'ont été les déclarations de la diplomatie française et celles d'ailleurs des 12, maintenant des 15. Nous avons toujours indiqué que nous condamnions la violence d'où qu'elle vienne, que nous condamnions le terrorisme bien entendu, que nous étions prêts à aider le peuple algérien dans le redressement économique de l'Algérie et nous le faisons, et qu'enfin il n'y avait pas de solutions à ce drame autrement que par le dialogue politique et la préparation d'élections démocratiques. Voilà ce qu'a été la position de la France. Ce dialogue est difficile : je reconnais qu'il est difficile de voir émerger en Algérie des forces démocratiques représentatives mais c'est dans cette direction qu'il faut aller et les récentes discussions qui se sont engagées entre certaines de ces forces démocratiques sont de ce point de vue intéressantes à suivre.
Q. : Malgré l'angoisse affichée de mon collègue grec au point de vue d'une éventuelle adhésion des pays d'Europe centrale, je me permets de vous poser deux questions. Le président allemand avait eu cette initiative qui était d'inviter les pays partenaires à Essen ou aux conférences au sommet. Est-ce que la Présidence française va suivre cette initiative. Cela veut dire, est-ce que nous serons représentés à Cannes ?
R. : J'ai rappelé tout à l'heure que sous présidence française, il y aura six Conseils des ministres au cours desquels nos partenaires, nos associés, nos futurs partenaires au sein de l'Union européenne de l'Europe centrale et orientale seront invités. Donc il y en aura un par mois. En ce qui concerne l'invitation au Conseil européen, permettez-moi de vous rappeler que l'invitation de la présidence allemande a été faite, je crois, dans les 15 jours qui ont précédé Essen. Cannes, c'est au mois de juin et donc il appartiendra à la présidence française, le moment venu, de proposer à nos partenaires une décision sur ce point.
Voilà, Mesdames et Messieurs, nous aurons l'occasion de nous revoir, je pense. Merci de votre présence.