Texte intégral
C'est en février 1992 que le président Perigot m'a demandé de prendre la présidence de la commission sociale.
J'ai été amené à exercer ces responsabilités pendant trois années au cours desquelles nous nous sommes trouvés au coeur de difficultés probablement sans précédent, sur le plan économique comme dans le domaine social.
Face à l'ampleur et à la gravité de la situation, avec la confiance et le soutien actif du président Perigot, et de tous ceux qui étaient à mes côtés, nous avons fait, je crois, oeuvre utile en réglant quelques dossiers brûlants, en prenant certains virages décisifs et en ouvrant les pistes nouvelles.
Aujourd'hui, je ne vais pas dresser un inventaire de l'ensemble des questions que nous avons eu à traiter et je limiterai mon propos aux grands lignes qui me paraissent devoir être soulignées dans trois domaines : la protection sociale ; l'emploi et la politique contractuelle ; la formation professionnelle.
* La protection sociale
En ce qui concerne la protection sociale, nous avons été littéralement pris à la gorge par la montée des déficits.
C'est un domaine dans lequel nous n'avions pas pu, dans des périodes plus favorables, engager les réformes de structure, qui, à l'évidence, étaient nécessaires, tant il est vrai que, dans notre pays, on ne parvient à agir véritablement qu'en situation de crise.
Dès lors que le péril est manifeste et que nous prenons les dossiers avec une détermination sans faille et la volonté d'aboutir, nous arrivons à obtenir l'accord de nos partenaires syndicaux pour procéder à certaines des réformes indispensables.
C'est le cas de l'assurance chômage qui, il faut le souligner, est aujourd'hui le seul dispositif de protection sociale dont les comptes sont équilibrés.
Certes, nous avons dû nous y reprendre à trois fois (décembre 1991, juillet 1992 et juillet 1993) mais, avec la refonte des règles d'indemnisation, l'introduction de l'indemnité dégressive et la mise en place de contrôles rigoureux, nous sommes parvenus à maîtriser la dépense.
La tâche ne nous a pas été facilitée par le gouvernement qui, dans le souci d'éviter tout risque de mouvement social, avait affiché sa préférence pour une augmentation des cotisations versées par les entreprises.
Forts de l'accord signé avec les syndicats, nous avons pu obtenir des pouvoirs publics l'indispensable rectification de frontière entre l'assurance et la solidarité, c'est-à-dire le réajustement de la participation financière de l'Etat qui s'était considérablement désengagé dans la crise.
Enfin – et c'est l'aboutissement d'une action tenace entamée il y a plusieurs années par les représentants du CNPF au bureau de l'UNEDIC – nous avons mené à bien une réorganisation complète de la gestion du régime d'assurance chômage et de ses méthodes de management. Nous avons ainsi procédé à une adaptation et à une modernisation de la gestion paritaire.
Certes, en contrepartie de la limitation des prestations, nous avons dû accepter une augmentation de cotisations mais, au total, nous avons fait la démonstration qu'une action patiente et résolue du CNPF débouchant sur un accord avec les syndicats renforçait notre position vis-à-vis des pouvoirs publics et nous permettait d'obtenir un résultat positif.
Je ne reviens pas sur les tensions internes que nous avons connues avant de bâtir des équilibres délicats et fragiles pour l'ARRCO et l'AGIRC.
Je crois que nous avons su à la fois assumer les engagements que nous avions souscrits dans le passé, évitant ainsi toute rupture sociale, et, par ailleurs, amorcer un véritable virage pour adapter progressivement nos régimes complémentaires de retraite à un contexte entièrement nouveau.
La suppression des plages facultatives dans les régimes par répartition était indispensable. Nous nous sommes efforcés de programmer les augmentations contractuelles de taux minimum sur une longue période, 10 ans pour l'AGIRC.
Nous avons engagé un net freinage des dépenses se traduisant dans l'immédiat par un gel de la valeur du point et par l'instauration d'une contribution de solidarité à la charge des retraités AGIRC.
Mais il ne faut pas se cacher que l'évolution structurelle étant défavorable, le rendement des régimes par répartition continuera à poser problème.
La mise en place de régimes par capitalisation n'en est que plus urgente. Elle apportera un complément indispensable à notre système par répartition qui marque des signes d'essoufflement.
Ce sont des dossiers qui resteront extrêmement sensibles mais nous avons clairement pris acte qu'à l'avenir, l'objectif prioritaire devrait être l'ajustement des dépenses aux ressources.
Je voudrais enfin déplorer que le seul régime conventionnel dans lequel nous n'avons pas pu freiner la dépense soit celui de l'ASF, c'est-à-dire celui dans lequel l'Etat est intervenu directement.
Il nous paraissait indispensable de prévoir une minoration des retraites versées entre 60 et 65 ans, mais nous nous sommes heurtés à un veto du gouvernement qui a conditionné la poursuite de son concours financier au maintien du dispositif en l'état.
Si l'on considère maintenant le total du budget social de la nation, passant de 2 000 milliards en 1991 à 2 300 milliards en 1993, il a progressé 4 fois plus vite que le PIB marchand. Ce n'est pas acceptable, ce n'est pas supportable.
Certes, dès 1993, le gouvernement a procédé à la réforme de l'assurance vieillesse que nous demandions depuis plusieurs années. Mais il n'a pas touché aux régimes spéciaux et tout ou presque reste à faire pour parvenir à une réelle maîtrise des dépenses de santé.
Les rapports sur ce sujet sont innombrables et le Livre blanc de M. Soubie éclaire à nouveau le débat. Dans les mesures immédiates, il reprend plusieurs propositions que nous préconisions :
– la définition par la puissance publique d'objectifs chiffrés ;
– la clarification du rôle respectif de l'Etat et des caisses ;
– la création d'une direction unique de la santé ;
– l'unification de la gestion des hôpitaux publics et privés ;
– la possibilité pour l'assurance maladie de se comporter en « acheteur » de soins mettant les prestataires en concurrence.
Il est urgent de mettre en oeuvre ces réformes. C'est avant tout une question de volonté politique.
Mon expérience de ces trois années me conduit à penser que l'implication du patronat dans l'assurance maladie est une des conditions du succès.
Je crois d'ailleurs que nous ne pouvons plus nous contenter de demander le nécessaire transfert des charges des entreprises vers le budget de l'Etat mais qu'il faut également peser de tout notre poids et jouer pleinement notre rôle dans tous les domaines pour le freinage de la dépense collective.
* L'emploi et la politique contractuelle
Dans ce domaine, la grande affaire a été, bien entendu, la loi quinquennale sur le travail, l'emploi et la formation professionnelle.
Très en amont de cette loi, en liaison avec les fédérations, nous avions engagé un travail en profondeur sur les mesures à prendre en matière sociale autour de trois thèmes majeurs :
– réduction des rigidités salariales et diminution du coût du travail ;
– assouplissement de la réglementation du travail ;
– renforcement de l'efficacité de la formation professionnelle.
Cela nous a permis d'être présents tout au long des débats parlementaires et d'obtenir des résultats indéniables.
Bien que la loi quinquennale ne soit pas allée – tant s'en faut – jusqu'au bout de la logique de flexibilité nécessaire au développement de l'emploi, elle contient des innovations essentielles, notamment en matière d'aménagement du temps de travail.
Le véritable problème qui se pose maintenant, c'est celui de son application dans les entreprises, ce qui n'est pas facile compte tenu de son extrême complexité.
Au-delà de l'effort d'information et d'explication que nous avons entrepris depuis le vote de la loi, je voudrais souligner ici un aspect plus novateur de notre action.
Conscients que les véritables solutions se négocient et se mettent en place dans les entreprises et dans les branches, nous avons entrepris de recenser tous les accords, de les analyser, d'en tirer les enseignements et, par conséquent, de construire notre réflexion à partir des réalités observées sur le terrain.
Nous avons donc mis en place une banque de données que nous enrichissons chaque jour et organisé un colloque auquel nous avons invité les leaders syndicalistes à débattre à partir des expériences initiées par les entreprises et les branches.
Je suis persuadé que c'est une démarche qu'il convient d'amplifier pour assurer la diffusion de l'innovation sociale et sortir des débats théoriques qui ont parfois des effets ravageurs dans l'opinion publique.
Durant ces trois années, et quel que soit le pouvoir politique en place, j'ai été frappé du temps que nous avons dû passer à ferrailler pour faire valoir la réalité concrète des entreprises face aux menaces que fait peser sur elles une véritable avalanche de nouvelles mesures décidées par les pouvoirs publics.
Ce phénomène n'est pas, hélas, purement hexagonal... Nous avons aussi à intervenir fréquemment sur les projets de la Commission de Bruxelles, comme ce fut le cas récemment, où nous avons obtenu quelques assouplissements concernant le comité d'entreprise européen.
Cette action essentiellement défensive face à une propension toujours plus grande de l'Etat – et d'une façon générale du monde politique – à intervenir dans le champ des relations sociales me paraît quelque peu décourageante.
Je suis persuadé que l'on ne peut endiguer cet interventionnisme générateur de règles de plus en plus complexes qui paralysent nos entreprises qu'en développant résolument la politique contractuelle.
Celle-ci se porte d'ailleurs moins mal que ne le prétendent certains beaux esprits qui considèrent qu'il est de bon ton de dauber sur les partenaires sociaux.
Les bilans des accords qui sont dressés régulièrement attestent d'une vitalité indéniable de la politique contractuelle.
Je crois cependant qu'il faut donner un nouvel élan à la négociation collective.
C'est la raison pour laquelle j'ai chargé la commission des rapports sociaux d'établir un rapport sur « la place et le rôle de la négociation collective dans l'organisation des rapports sociaux ».
Des propositions sont faites qui passent par la nécessaire reconnaissance mutuelle des partenaires sociaux dans leur identité respective.
* La formation
La formation professionnelle est un exemple significatif de l'importance et de l'intérêt de la politique contractuelle.
Début 1993, avec la publication d'un Livre blanc, nous établissions, une doctrine basée sur un rôle accru de l'entreprise formatrice et une véritable coresponsabilité en matière de formation professionnelle.
Cette base de références nous a été fort utile lorsque la loi quinquennale est venue bousculer l'ensemble du paysage de la formation professionnelle. Elle nous a aidés à définir une stratégie patronale construite à partir d'un travail collectif entre les branches professionnelles et les régions.
Nous avons adhéré d'emblée aux grandes lignes de force du projet de loi concernant la séparation entre :
– d'une part, la collecte des fonds, la définition des politiques et des besoins ;
– et d'autre part, la fourniture des prestations de formation, tant il est vrai qu'il est nécessaire de sortir d'un marché, avant tout structuré par l'offre, et d'instituer une véritable relation clients/fournisseurs entre les entreprises et les formateurs. C'est essentiel pour l'amélioration de la performance du dispositif et le rapport coût/efficacité.
Mais nous entendions, avec nos partenaires syndicaux, jouer pleinement notre rôle, notamment dans la définition des filières apprentissage et alternance et dans la mise en place de la régionalisation.
Ayant finalement obtenu du gouvernement le temps nécessaire pour que ces sujets soient traités par voie conventionnelle et non législative, nous avons pu aboutir, après de longues et difficiles négociations, aux accords des 5 juillet et 17 novembre 1994.
Dans cette action, les remarquables résultats de « Cap sup l'Avenir » – témoignage éclatant de la mobilisation du monde patronal en faveur de l'insertion des jeunes – ont, en renforçant notre crédibilité, constitué pour nous une aide déterminante, tant vis-à-vis des pouvoirs publics que vis-à-vis des partenaires syndicaux.
Ainsi, nous avons repris l'initiative, favorisé une politique de branche au niveau national – seul niveau capable de définir les besoins des professions avec un minimum de prospective et de cohérence – mais aussi renforcé le rôle de l'interprofessionnel régional. Celui-ci, en coordination avec les branches, construit une politique régionale patronale forte et le soutient face aux pouvoirs régionaux (rectorats, conseils régionaux, etc.).
Nous avons enfin établi une forme de gestion paritaire moderne distinguant :
– d'une part, les fonctions d'orientation politique et de contrôle dans lesquelles le paritarisme joue pleinement son rôle ;
– d'autre part, les fonctions de mise en oeuvre, d'information et de conseil auprès des entreprises dans lesquelles l'organisation professionnelle décentralisée doit conserver toute sa place.
Il reste – et c'est fondamental – à organiser cette articulation branche/région, c'est-à-dire mettre en place des coordinateurs régionaux, conformément à la charte qui vient d'être adoptée par notre conseil exécutif.
Pour terminer, je voudrais rappeler que, pour faire face aux nouvelles données de la concurrence dans un monde ouvert, les entreprises ont su déployer de formidables efforts d'adaptation.
Nous avons entamé – je viens de l'indiquer – cette action d'adaptation et de modernisation dans les organismes dont nous avons la responsabilité. Nous devions poursuivre et amplifier cette action.
Mais il est clair qu'aujourd'hui, c'est l'ensemble des institutions et des structures de notre pays qui doivent s'adapter au monde nouveau.
C'est l'enjeu des années à venir.
Il suppose la mobilisation de tous les acteurs, au premier rang desquels se situent les responsables politiques.
Il suppose aussi l'implication de l'organisation professionnelle. C'est là, me semble-t-il, que doit s'exercer pleinement la dimension citoyenne du patronat.
Dès lors que tous les acteurs se mobiliseront, nous pourrons enfin venir à bout des deux fléaux de notre époque, le chômage et l'exclusion.
Le redressement durable de l'emploi ne viendra pas de solutions artificielles ou de remèdes miracles. Il résultera de l'évolution des facteurs économiques et sociaux, de l'effet des réformes structurelles dont notre pays a besoin à tous les niveaux et d'une dynamique retrouvée de nos comportements individuels et collectifs.
Pour la poursuite de ces objectifs, je souhaite courage, persévérance et réussite à la nouvelle équipe.