Interviews de M. Pierre Mauroy, membre du bureau national du PS, à France-Info le 10 janvier 1995 et à RMC le 25, sur la désignation du candidat socialiste aux élections présidentielles et les candidatures à la candidature de MM. Jospin et Emmanuelli (soutien de M. Mauroy à M. Jospin) et sur les relations avec Radical.

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Média : France Info - RMC

Texte intégral

France Info : mardi 10 janvier 1995

P. Boyer : La candidature de L. Jospin a pris de court la direction du Parti socialiste. Aucun autre candidat ne s'est, à l'heure qu'il est, encore déclaré. Vous pensez que les jeux sont faits au PS ?

P. Mauroy : Je ne dis pas ça. J'attends le 18 et même le 25, mais je suis persuadé que L. Jospin sera le candidat, non seulement des socialistes, mais ensuite de la gauche.

P. Boyer : Pour le débat, vous souhaitez quand même qu'il y ait d'autres candidats au sein du PS pour que le débat soit dénoué ou on peut en faire l'économie ?

P. Mauroy : On peut en faire l'économie. Je pense même que s'il pouvait y avoir un accord général, un consensus, ce serait mieux dans la mesure où dès qu'il y a bataille, évidemment, c'est toujours préjudiciable pour la suite. Mais enfin, s'il y a d'autres candidats, ce serait bien normal et par conséquent, on essaierait de se mettre d'accord et si on n'y arrivait pas, ce serait aux militants de trancher, tout simplement.

P. Boyer : Est-ce qu'on peut raisonnablement espérer que des noms qui ont circulé comme candidats potentiels, plutôt que de se déclarer candidat à la candidature, se déclarent favorables à L. Jospin ?

P. Mauroy : Je suis persuadé que, non pas dans les jours qui viendront, mais après le 18, vous aurez beaucoup de socialistes, même parmi ceux dont on a parlé comme candidat, qui se déclareront pour L. Jospin.

P. Boyer : En ce moment, le premier secrétaire du PS, H. Emmanuelli, est à Radical, dans le bureau de J.-F. Hory ; dans ce bureau, il y a également B. Tapie. Qu'est ce que vous attendez du patron de votre parti dans ce rendez-vous ?

P. Mauroy : Écoutez, ce nouveau parti qui s'appelle Radical, ce sont les radicaux de gauche, vous savez que, aussi bien comme Premier ministre que comme premier secrétaire du Parti socialiste, je les ai rencontrés de nombreuses fois et ils ont été toujours des alliés fidèles, avec la plupart du temps un candidat au premier tour. Je dois dire que leur président a annoncé, lors de leur congrès, que de toute manière ils auraient un candidat. Ce serait mieux s'ils n'en avaient pas, mais s'ils en ont un, c'est tout de même leur droit. Ce que j'attends, surtout, c'est que nous maintenions les excellentes relations que nous avons avec, hier les radicaux de gauche, aujourd'hui Radical.

P. Boyer : L'ennui, tout de même, pour L. Jospin, c'est que J.-F. Hory a eu des propos fort peu aimables à son encontre lorsqu'il s'est déclaré ?

P. Mauroy : Oui, mais tout ça, c'était dans le cadre de péripéties, peut-être de certains événements. Je crois qu'il n'y a pas de raison de récuser L. Jospin. Je ne vois pas pourquoi Radical le ferait. L. Jospin est un homme d'une très grande intégrité, il est aussi, je crois, sur le plan politique ou sur le plan idéologique, quelqu'un qui a une forte stature. Je dois dire que dans le débat qui va avoir lieu, c'est un débatteur, et un débatteur de premier ordre. J'ajoute que c'est un chef victorieux, celui qui était à la tête des socialistes lorsqu'en 81, certes avec F. Mitterrand, nous avons eu la victoire et l'honneur d'être le Premier ministre du premier gouvernement de la gauche. Ca a encore été le cas en 84 où il y avait eu une très belle campagne, même si les résultats sont toujours décevants pour les socialistes aux européennes, mais tout le monde avait souligné la qualité de sa campagne. Il est par conséquent aguerri et tout à fait capable de mener les socialistes dans un très bon combat et peut-être à la victoire.

P. Boyer : Pour en terminer avec Radical, B. Tapie a quelques ennuis, d'autres envisagent un autre Bernard, B. Kouchner, candidat sous la bannière de Radical. Vous envisagez un missile Kouchner tiré par on ne sait qui en direction de L. Jospin ?

P. Mauroy : Le parti radical est un parti que je respecte beaucoup – j'y ai beaucoup d'amis –, qui a toujours été l'allié des socialistes, mais enfin ce n'est tout de même pas une couveuse pour sortir comme ça des candidats. Tout de même. S'il a un candidat, c'est son affaire. Nous respectons tout à fait les décisions qui sont prises par les autres. Si nous étions dans un climat, dans des circonstances où il eût été possible de rassembler l'ensemble de la gauche pour avoir un candidat unique… mais manifestement, on n'y est pas. Le Parti communiste a désigné son candidat, les écologistes ont désigné leurs candidats, par conséquent, il appartient à Radical de se déterminer et puis ensuite à tout Je monde de savoir que nous allons devoir mener le combat du deuxième tour dans les meilleures conditions.

P. Boyer : Avant le deuxième tour, il y a le premier. Le tout dernier sondage IFOP-l'Express donne 15 %, au candidat socialiste quel qu'il soit, pratiquement au coude à coude avec J. Chirac, pour essayer donc de franchir la barre et d'être, au second, en face de M. Balladur.

P. Mauroy : Les sondages d'aujourd'hui et ceux de demain seront tous différents. Aujourd'hui, à gauche, les candidats se bousculent un peu, c'est la mise en place, finalement, de la démarche. Ce qui sera essentiel, et je suis persuadé que ce sera confirmé, ce sera L. Jospin. Je suis persuadé que très vite, d'abord il passera à la télévision et à la radio, par la force du discours, par la force des propositions, il prendra très rapidement l'avantage.

P. Boyer : Alors qui fait, en attendant, la campagne de la gauche ? On a entendu le mot « nationalisation » dans la bouche de P. Séguin, le mot « réquisition » dans la bouche de J. Chirac. Le PS, on ne l'a pas trop entendu ?

P. Mauroy : C'est extraordinaire, on vient encore d'entendre quelque chose de formidable. C'est E. Balladur qui est, parait-il, un très grand réformateur. Mais vous savez, pour augmenter l'essence, ce qu'il a fait d'ailleurs aujourd'hui, il ne faut pas beaucoup d'imagination, il ne faut pas être un très grand réformateur. Mais je trouve ça formidable que ceux qui se sont affichés pendant tant d'années des conservateurs, qui pendant tant d'années ont servi la droite, ont condamné la gauche – et dans quels termes et de quelle manière – que tout ceux-là, tout d'un coup trouvent grâce à tout ce que nous avons fait, à certaines orientations qui ont été les nôtres, c'est absolument extraordinaire. Et c'est tellement faux.

P. Boyer : Le nouveau positionnement de J. Chirac ne vous impressionne pas ?

P. Mauroy : Vous savez, le gaullisme a une espèce d'ambivalence, je n'oublie pas que le général de Gaulle est le libérateur du territoire et qu'il a présidé le gouvernement, qui était un gouvernement de gauche avec des communistes et des socialistes. Mais nous étions en 44, c'est bien loin. Et M. Chirac l'a oublié quand il était Premier ministre en 74, il l'a oublié pendant tout le temps où nous étions au pouvoir, il l'a oublié quand il était Premier ministre en 74, il l'a oublié pendant tout le temps où nous étions au pouvoir, il l'a oublié quand il était Premier ministre en 86, bref, il a toujours oublié et pendant 20 ans. Aujourd'hui, il se souvient que peut-être… c'est son affaire. Mais il ne fait que souligner par là le conservatisme encore plus accusé de M. Balladur.


RMC : 25 janvier 1995

P. Lapousterle : Est-ce qu'on n'assiste pas à la répétition du funeste congrès de Rennes ?

P. Mauroy : Non, je ne crois pas, encore que, sans doute, il reste quelque chose de ce congrès de Rennes. Autrement, comment comprendre que Fabius ait quitté le poste de Premier secrétaire dans les conditions que vous savez ? Comment comprendre que celui qui était le candidat naturel, M. Rocard, ait été prié de plier bagage au mois de juin dernier ? On avait de bons candidats. M. Rocard était un excellent candidat pour cette campagne présidentielle. Delors était un super candidat. Pour des raisons différentes, l'un et l'autre ne sont pas là. Dans ces conditions, il y a trois candidats. Il ne faut pas dramatiser excessivement. Pour un grand parti, organiser des primaires, il n'y a rien de plus naturel. On a l'impression que l'on dramatise tout. Cela se passe dans un combat parfois rude mais c'est un vote démocratique. Nous sommes en train de faire ce que la droite n'a pas réussi.

P. Lapousterle : Ne présentez pas comme une force ce qui est une faiblesse !

P. Mauroy : Pas du tout. Il y a une force quelque part. Si l'un des trois candidats est désigné, si nous avons un candidat, il y a trois mois de campagne électorale que l'on fera avec ce candidat. La droite, par contre, aura pendant ces trois mois deux candidats qui iront jusqu'au bout. On verra la suite. Ce que je regrette, c'est un climat, qu'on ne sache pas se tenir beaucoup plus calmes. Ce que je regrette, c'est par exemple l'initiative de S. Royal.

P. Lapousterle : Elle appelle les militants à se tenir à l'écart du vote ?

P. Mauroy : S. Royal est une responsable de talent. Qu'elle prenne l'initiative de mettre en place un comité de surveillance, cela me paraît tout à fait normal. D'ailleurs, il faudra en venir là et, cet après-midi, on en parlera mais que signifie démissionner et en plus d'appeler les militants à boycotter l'élection ? C'est vraiment de l'irresponsabilité ! Ou bien elle est vraiment effarouchée par la rudesse du combat, mais je ne pense pas, parce qu'elle est vaillante, ou alors elle veut se donner un coup de pub. Je regrette : les coups de pub ne sont pas faits pour les journaux et la télévision. Les coups de pub faits contre son parti, ce n'est pas acceptable !

P. Lapousterle : Avec le pôle rénovateur, vous avez pris position pour L. Jospin. Est-ce que vous maintenez ce choix alors que H. Emmanuelli est aussi candidat ?

P. Mauroy : Je dirais simplement que j'ai pris position à un moment où je ne savais pas du tout qu'Emmanuelli allait être candidat. Je confirme le soutien que j'apporte à L. Jospin. Je pense d'ailleurs qu'Emmanuelli exagère un peu aussi. Ca manque un peu d'élégance d'appuyer avec son poste et son autorité de premier secrétaire. En d'autres circonstances, je me souviens que F. Mitterrand avait abandonné son poste de premier secrétaire pour introniser justement L. Jospin. Quand je dis abandonner, je considère que le congrès de Liévin a pris ses décisions, qu'on n'a pas à y revenir. S'il rentre en lice, je trouverais presque normal pour l'opinion et pour lui qu'il ne soit pas premier secrétaire en exercice, quitte à reprendre ses responsabilités après. Non, il n'a pas le droit d'user de cela. L'élection présidentielle est une élection complètement différente de celle du premier secrétaire du PS. Il faut des qualités, des hommes qui peuvent être très différents. Il doit permettre la régularité de cette compétition.

P. Lapousterle : M. Rocard qui bouge encore ?

P. Mauroy : Pour ma part, vous vous souvenez de ma position : L. Fabius premier secrétaire et M. Rocard candidat naturel. Il correspondait à une situation et il correspond encore, et J. Delors encore mieux, c'était la bonne orientation pour répondre aux exigences de l'opinion. On a fait autrement. Je ne pense pas que M. Rocard puisse rentrer dans ce combat. Il suffit de regarder les sondages. On me dit que R. Barre pourrait venir. Est-ce qu'il y a de la place pour tous ces candidats ?

P. Lapousterle : Les sondages commencent à dire qu'il existe une situation potentielle de deuxième tour à droite.

P. Mauroy : Comment on peut dire ça ! Tout ça, c'est de l'intox ! Les sondages, c'est une bonne chose mais en faire à cette dose-là et en tirer toutes ces conclusions, cela finit par être de l'intoxication. J. Chirac est en campagne depuis plusieurs mois. On parle de lui. Le candidat du PS, on va seulement le désigner dans une semaine. Ils ne sont pas présents. Dans ces conditions, je suis persuadé que notre candidat, dès lors qu'il sera désigné et dès lors qu'il partira en campagne, présent un peu partout comme tous les candidats à la campagne présidentielle, vous allez avoir une rectifie, lion de ces sondages. Nous sommes quand même à trois mois. Personne ne peut tirer d'enseignements définitifs de cette situation, d'autant plus qu'il s'agit de quelques points. Ce n'est pas significatif. Je suis persuadé que le candidat du PS sera au second tour.

P. Lapousterle : Est-ce que la présidentielle ne rend pas fou ?

P. Mauroy : Un petit peu, sans doute. Moi, je demande à tous les socialistes de garder leurs nerfs, de rester absolument calmes, que leur candidat doit être au second tour et qu'il y a une place pour une très belle campagne car beaucoup de Français et beaucoup de Françaises en ont assez. La vie leur est tellement difficile qu'ils aimeraient que le candidat du PS puisse leur parler, parler à la France et peut-être s'imposer.