Interviews de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national et candidat à l'élection présidentielle de 1995, à France 2 le 19 avril, RMC et France 2 le 20 et dans "Le Français" du 21 avril 1995, sur la campagne électorale, sur son souhait d'un retrait de la candidature de Philippe de Villiers et sur son appel aux électeurs du FN à ne pas voter pour Jacques Chirac au deuxième tour.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Le Français - RMC - Télévision

Texte intégral

France 2 : mercredi 19 avril 1995

G. Leclerc : Vous aviez créé la surprise en 88 avec 14,4 % les voix. Pensez-vous faire mieux et croyez-vous à l'hypothèse de votre présence au second tour ?

Jean-Marie Le Pen : Oui, toujours. La dernière semaine, la ligne droite peut être meurtrière pour un certain nombre de coureurs qui ont la jambe molle. Ils ont trop couru et ils ont passé l'âge les victoires.

G. Leclerc : Mais tout le monde est sûr d'être présent.

Jean-Marie Le Pen : Ça va se jouer dans un mouchoir de poche. Les citoyens et les citoyennes ont quelque hésitation à confier à ces trois poulains – L. Jospin, É. Balladur et J. Chirac –, qui ne sont pas de l'année et sont responsables de la politique française depuis des années, leur destinée et leur avenir. Ils doivent comprendre qu'il faut sanctionner ces politiques-là en votant pour le changement. Je suis celui qui représente le changement, l'alternative nationale par rapport à une folle politique euro-mondialiste qui nous précipite dans un avenir inconnu et probablement plein de désastre. Pour autant qu'on a vu fonctionner l'Europe depuis vingt ans, on a vu monter la courbe du chômage, la courbe des prélèvements obligatoires. On a vu monter toute une série de conséquences désastreuses de sécurité.

G. Leclerc : P. De Villiers est votre concurrent. Il a dit que cela fait quarante ans que vous proposez un vote stérile aux Français.

Jean-Marie Le Pen : C'est la polémique de la campagne. Je ne m'adresse pas à P. De Villiers. Je ne pense pas qu'il soit suffisamment généreux pour se sacrifier sur l'autel de la France qu'il déclare tant aimer. Je m'adresse à ses électeurs en leur disant que la politique n'est pas un jeu. On ne fait pas de la politique pour faire plaisir, mais pour faire progresser des idées et se mettre dans une situation de changer les choses. Or il est évident que si les électeurs de M. De Villiers, qui savent qu'il ne sera pas au deuxième tour, votent pour moi, je serai certainement au deuxième tour. J'y serai peut-être sans eux. Mais à ce moment-là, je le serai certainement. On offrirait alors aux Français un véritable dilemme entre deux politiques. Alors qu'aujourd'hui, entre Balladur, Chirac et Jospin, je ne vois pas la différence. Ce sont des sociaux-démocrates, de droite ou de gauche. Mais en fait, on ne voit pas la différence entre la politique de M. Bérégovoy et celle de M. Balladur, aux mille milliards de dettes supplémentaires près.

G. Leclerc : Quelle analyse faites-vous des conflits sociaux ? Êtes-vous, comme P. De Villiers, pour la limitation du droit de grève dans les services publics ?

Jean-Marie Le Pen : Tout à fait. Je pense que la grève est un mode périmé de gestion des conflits d'intérêts sociaux. Je suis pour le droit de grève mais il ne doit être utilisé que dans des circonstances très graves. Il nuit aussi bien à l'entreprise qu'aux travailleurs, qu'aux usagers. Pour le service public, les travailleurs ont un certain nombre d'avantages et en particulier, la garantie de l'emploi. Il y a un contrat du service public qui consiste à l'assurer en toutes circonstances. Il n'est pas possible d'accepter que soient pris en otages les usagers comme ils le sont quelquefois légèrement et quelquefois par des minorités activistes. Les conflits sociaux, dans la fonction publique, doivent être résolus par des formes d'arbitrages différents. Ce serait à l'avantage de tous.

G. Leclerc : Ces grèves dénotent-elles un climat social tendu ?

Jean-Marie Le Pen : Oui, je le crois. Les syndicats, pendant quatorze ans de pouvoir socialiste, ont joué le jeu, n'ont pas gêné les gouvernements ni la présidence socialiste. Maintenant, ils pensent qu'ils vont reconquérir un peu de leur liberté et pouvoir refaire des adhésions. Leur étiage est tombé bien bas. Mais on a aussi trompé les travailleurs en leur disant que la croissance allait permettre l'amélioration de leurs conditions de vie. Ce n'est pas du tout ce qui va se passer. Le fait de s'être mis dans un système de vases communicants, celui du libre-échangisme mondial, va tirer tous les salaires à la baisse, ainsi d'ailleurs que continue de le faire l'immigration. Par conséquent, il va y avoir une rupture grave entre l'espérance des travailleurs et le fait que la situation économique va s'aggraver.

G. Leclerc : Que pensez-vous de la situation à la direction d'Alcatel ?

Jean-Marie Le Pen : Il faut que la justice passe, mais il ne faut pas se leurrer : la décision concernant P. Suard va avoir des conséquences sur la santé, au moins compétitive, de cette grande entreprise française. Il y a une contradiction entre le principe de la présomption d'innocence et la nécessité qu'il y a tout de même de poursuivre les coupables, où qu'ils se trouvent et quel que soit le niveau de leurs responsabilités.

G. Leclerc : Pour le second tour, vous avez dit, pas une seule voix pour J. Chirac. Pourquoi celle hostilité ? Pensez-vous être suivi par vos électeurs ?

Jean-Marie Le Pen : C'est une position de légitime défense. J'ai dit cela après que J. Chirac se soit cru obligé de lancer une condamnation contre le Front national. Quand on estime que les gens ne sont pas dans le même jeu démocratique que vous, on ne peut pas en espérer la moindre voix. Je n'ai fait que constater cela. Il y a une campagne de deuxième tour ; c'est ce que vont dire les candidats au premier tour qui va constituer la base de leur électorat de deuxième tour. J'attendrai, si je n'y suis pas, les discours. Je passerai la consigne demain –j'ai un grand meeting à Paris – et au 1er mai puisque je réunis toujours des dizaines de milliers de gens pour la fête de Jeanne d'Arc.


RMC : jeudi 20 avril 1995

P. Lapousterle : Dans trois jours, chacun ira voter. Diriez-vous qu'il était temps qu'on aille voter ou bien que la campagne aurait dû durer encore 15 jours de plus ?

Jean-Marie Le Pen : Non, je pense que la campagne commence à s'essouffler. Du reste, la plupart des candidats redisent ce qu'ils ont dit ou alors se contentent de se battre non pas à fleuret moucheté mais à « canif moucheté », pour faire semblant.

P. Lapousterle : Celle campagne est menée sous le signe du changement en général, dans la politique qui est annoncée, et changement dans les candidats. Sauf vous, M. Le Pen, vous êtes toujours le même, imperturbable…

Jean-Marie Le Pen : Oui, c'est-à-dire que moi, j'ai des idées et je m'y tiens. Ceux qui n'ont pas d'idées et qui sont simplement à la recherche des électeurs, à n'importe quel prix et sur n'importe quel thème, eux ils sont bien obligés de changer.

P. Lapousterle : Est-ce que lorsque le monde change c'est toujours bon d'avoir les mêmes idées ?

Jean-Marie Le Pen : Le monde ne change pas ; il reste toujours plein de dangers et quand je fais l'analyse des risques de notre société, de ses carences et de ses handicaps, je constate que ceux-ci ne font que s'aggraver et donc l'analyse que j'ai faite était donc juste, qui prévoyait, hélas, que cela irait plus mal si on ne changeait pas de politique. Et les gens qui sont aujourd'hui les candidats, sont aujourd'hui les responsables de la politique menée depuis 20 ans.

P. Lapousterle : Depuis que M. Balladur est au pouvoir ça va plus mal aussi ?

Jean-Marie Le Pen : 1 000 milliards de dette supplémentaire ça me paraît déjà quelque chose qui annihile tout élément positif de la gestion de M. Balladur car avec 1 000 milliards, ce n'est pas trop difficile de faire taire les revendications les plus immédiates.

P. Lapousterle : Donc M. Balladur a aggravé l'état de la France contrairement à ce qu'il dit depuis qu'il est au pouvoir ?

Jean-Marie Le Pen : Au moins sur ce secteur-là. Mais M. Chirac en est largement responsable puisque tout le monde a l'air d'oublier que M. Chirac est le chef de la majorité parlementaire qui soutient imperturbablement M. Balladur sauf pendant la période électoral, période pendant laquelle il est naturel qu'on fasse semblant, dans ces mieux-là.

P. Lapousterle : Pensez-vous pouvoir être troisième, dimanche prochain, à 20 heures ?

Jean-Marie Le Pen : Je voudrais bien être deuxième si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Je ne me pose pas ce genre de question. Je me bats jusqu'au coup de sifflet final, c'est quelque chose que j'ai appris en jouant au rugby.

P. Lapousterle : Imaginons que vous fassiez un peu plus que vous n'avez fait en 88, vous aviez fait alors 14,4 %, que feriez-vous de vos voix nombreuses, mais pas suffisantes, pour que vous soyez finaliste ? M. De Villiers dit que les voix qui se portent sur M. Le Pen sont des voix perdues alors que lui, comme il fait partie de la majorité, pourra influer sur le cours futur des événements.

Jean-Marie Le Pen : C'est exactement l'inverse car lui on n'aura pas besoin de ses voix, puisque par définition elles sont dans la majorité. C'est un débat spécieux. D'abord ces voix ne m'appartiennent pas, elles appartiennent à mes électeurs. Tout au plus pourrais-je donner un conseil, une orientation, et peut-être être entendu. Peut-être ne donnerais-je pas ce conseil, laissant les gens décider par eux-mêmes, ou voter Jeanne d'Arc.

P. Lapousterle : Mais après ?

Jean-Marie Le Pen : D'abord nous allons entrer immédiatement dans la campagne municipale et je pense que le résultat des élections présidentielles ne sera pas sans effets sur les municipales et je crois que les candidats du Front national seront confortés par le score que j'aurais réalisé. Cela leur donnera une hase d'action, voire, éventuellement, de négociations à la hase pour la constitution de listes dans lesquelles ils pourraient participer.

P. Lapousterle : Vous ne serez pas candidat aux municipales vous-même ?

Jean-Marie Le Pen : Non.

P. Lapousterle : Pourquoi ?

Jean-Marie Le Pen : Parce que.

P. Lapousterle : Vous l'avez été.

Jean-Marie Le Pen : Oui, pour montrer à mes camarades que je n'hésitais pas à me donner du mal pour faire progresser nos idées mais en l'occurrence, là, je laisserai le terrain à des gens qui sont plus aptes que moi à ces fonctions.

P. Lapousterle : Vous pensez qu'il n'y a pas une ville où vous auriez des chances de l'emporter ?

Jean-Marie Le Pen : S'il y a une ville où j'ai des chances de l'emporter, le candidat du Front national l'emportera avec mon soutien.

P. Lapousterle : S'agissant de l'affaire de la Banque de France, ce débat est-il à votre avis au coeur de la vraie campagne électorale et quelle est votre position ?

Jean-Marie Le Pen : Ce débat démontre l'ambiguïté et le mensonge car tous les gens qui aujourd'hui débattent de la monnaie sont des gens qui ont voté pour Maastricht, c'est-à-dire pour l'indépendance de la Banque de France. Alors quand Chirac conteste aujourd'hui le droit à l'indépendance de M. Trichet, il se moque du monde. Mais il ne se moque pas du monde seulement dans ce domaine-là.

P. Lapousterle : Il conteste le moment où M. Trichet s'exprime et le domaine dans lequel il s'exprime.

Jean-Marie Le Pen : On est indépendant ou on ne l'est pas. Si on a des limites à son indépendance on est dépendant. C'est toute la différence qu'il y a entre une Banque de France qui dépend de la France et une Banque de France qui pour l'instant dépend d'elle-même et qui bientôt va dépendre de la BUBA.

P. Lapousterle : Votre position sur ce sujet ?

Jean-Marie Le Pen : C'est la position nationale, à savoir que la monnaie est un des éléments de la puissance nationale et donc elle doit rester de sa compétence.

P. Lapousterle : Selon vous, le fait que M. Trichet se soit exprimé à ce moment-là prouve-t-il que c'est lui qui était au fondement de la politique économique française depuis 12 ans comme certains le disent ?

Jean-Marie Le Pen : C'est possible. À partir du moment où la monnaie acquiert son indépendance, il est bien évident qu'elle gouverne en grande partie l'économie.

P. Lapousterle : Si J. Chirac devenait président que feriez-vous ? Votre « ennemi » M. Chirac, vous n'hésitez pas à le dire…

Jean-Marie Le Pen : Non, je n'ai jamais prononcé ce mot-là. J'ai l'habitude d'employer des mots précis.

P. Lapousterle : Vous avez dit qu'« il n'aura jamais une des voix du Front national ».

Jean-Marie Le Pen : C'est une conséquence tout à fait naturelle de la prise de position de M. Chirac. M. Chirac a, en bloc, considéré que le Front national n'avait pas de position démocratique et humaniste. Il n'y a donc aucune raison que les gens qui ont ces positions fassent confiance à M. Chirac. Je crois que M. Chirac a délibérément fait cela dans le moment, pour plaire aux gens à qui il parlait à cette minute-là. Il serait tout à fait capable de dire le contraire s'il était sur une autre station de radio en espérant conquérir les voix du Front national. Et je ne doute pas qu'au deuxième tour, pour peu qu'il se sente un en difficulté, il ne fasse une volte-face, il en a l'habitude.

P. Lapousterle : Ça vous est arrivé de recevoir des coups de téléphone de M. Chirac demandant votre soutien ?

Jean-Marie Le Pen : Non.

P. Lapousterle : On dit que vous voulez supprimer le ministère de la culture ?

Jean-Marie Le Pen : J'ai vu ça et c'est scandaleux de présenter les choses ainsi ! Je n'ai pas dit que je voulais supprimer le ministère de la culture, je voulais supprimer l'intitulé et en partie le contenu de ce ministère. Je pense que l'État doit assurer la gestion du patrimoine. Je suis beaucoup plus près de la conception du ministère des beaux-arts que de la conception du ministère de la culture, lequel a de plus en plus tendance à s'écrire avec un « K » du reste.

P. Lapousterle : C'est-à-dire ?

Jean-Marie Le Pen : Kultur.

P. Lapousterle : Je ne comprends pas…

Jean-Marie Le Pen : C'est-à-dire à recevoir une connotation beaucoup plus sociologique qu'artistique. C'est (...) définition.


France 2 : jeudi 20 avril 1995

C. Tortora : MM. Balladur, Chirac, Jospin ont été d'accord pour signer Maastricht. Par conséquent, ils ont été d'accord pour que la monnaie française ne dépende plus de la puissance française, de l'État français. Dans ces conditions, ils se trouvent dans une contradiction qui, personnellement, ne se pose pas à moi puisque je suis en faveur du fait que la monnaie, moyen national de l'économie, reste entre les mains des gouvernants français. Êtes-vous pour ou contre l'indépendance de la banque de France ?

Jean-Marie Le Pen : Je suis contre car elle ne sera pas indépendante, elle sera dépendante de la BUBA ou de la monnaie unique.

C. Tortora : Vous aviez dit que si vous étiez élu président de la République vous supprimeriez le ministère de la culture…

Jean-Marie Le Pen : Non, j'ai dit que je le remplacerai par un secrétariat d'État aux beaux-arts.

C. Tortora : Vous ne voulez plus employer le mot culture dans le ministère de la culture ?

Jean-Marie Le Pen : Le mot est équivoque et je préfère le mot de beaux-arts et je pense aussi que l'État n'a pas à faire la promotion ou à prendre des initiatives en matière culturelle. S'il se borne déjà à conserver le patrimoine, c'est sa mission. Pour le reste, c'est du domaine de l'initiative privée et du mécénat.

C. Tortora : Comment jugez-vous cette campagne à trois jours du premier tour ?

Jean-Marie Le Pen : D'abord, elle n'est pas finie. Personnellement, j'invite tous les militants à se battre jusqu'au dernier moment car c'est la ligne droite, c'est le moment du sprint et tout peut arriver.

C. Tortora : Pensez-vous qu'il soit encore possible que vous soyez au deuxième tour ?

Jean-Marie Le Pen : Tout à fait, parce que les électeurs ne sont pas la clientèle des sondages.


Le Français : 21 avril 1995

Le Français : À la veille du premier tour, quel jugement portez-vous sur la campagne ?

Jean-Marie Le Pen : Il faut reconnaître que les grands médias ont fait un réel effort en faveur de la campagne, en y consacrant avant tout beaucoup d'espace. J'émettrai cependant deux réserves.

Par le biais des sondages, on a présenté trois candidats qui n'avaient aucune réelle divergence entre eux. Chirac, Balladur et Jospin sont trois sociaux-démocrates. D'abord sur une politique : l'Euro mondialisme, et une attitude : la résignation.

Ensuite, les médias n'ont pas insisté pour forcer les candidats à aborder les questions qu'ils voulaient esquiver. Je constate que mes adversaires n'ont rien dit des fonctions régaliennes de l'État. Qu'il s'agisse des affaires étrangères, dont l'affaire algérienne, ou de la défense devenue obsolète et presque impuissante faute de moyens. J'ajoute à cela que les mêmes se sont tus sur les problèmes intérieurs de maintien de l'ordre et de lutte contre la criminalité, mais aussi sur la réforme de la justice, la nécessaire réforme de l'enseignement et de la protection sociale, la refonte véritable du système fiscal. Il n'a pas été question, non plus, de la corruption, de l'amnistie pour des faits de corruption. Encore moins de l'immigration et de la dénatalité.

Tout au long de leur campagne, ces trois compères se sont gardés d'évoquer la question de la survie de la France en tant qu'État et République. Autrement dit, ils se sont battus à coups de plumeaux mouchetés.

Le Français : Une récente enquête d'opinion de la Sofres a montré que 64 % des Français attendent « un vrai chef qui remette de l'ordre et commande », et que 72 % d'entre eux réclament un meilleur respect des valeurs du travail, de la famille et de la religion. Quels enseignements en tirez-vous ?

Jean-Marie Le Pen : Que sur les idées ainsi exprimées par les Français, je dispose d'ores et déjà d'une majorité potentielle. Déjà les résultats aux élections européennes me donnaient à penser en ce sens. En effet, si l'on additionne les voix obtenues par le Front nationale et M. de Villiers, le résultat dépasse les 20 %. D'ailleurs, les deux programmes – l'un étant copié sur l'autre – expriment les deux langages de la protestation nationale. D'où mon appel symbolique à M. de Villiers pour qu'il se retire.

Le Français : La candidature du vicomte de Villiers vous a manifestement irrité. Pourquoi n'avoir pas cherché à faire alliance avec lui ?

Jean-Marie Le Pen : C'était impossible, car M. de Villiers, après son score aux élections européennes, s'est découvert une ambition personnelle importante. Sa candidature a vraisemblablement été suscitée pour gêner l'un des deux candidats de la majorité actuelle. Copiant notre discours, tout en refusant de rompre avec l'établissement, il s'est en fait condamné lui-même. Nous lui avons demandé courtoisement de se retirer, car il est des moments où l'intérêt personnel doit s'effacer. M. de Villiers a préféré s'obstiner.

Le Français : Le délabrement de la classe politique est tel que les commentateurs s'accordent sur la probabilité d'une forte surprise au soir du premier tour. Partagez-vous ce sentiment ?

Jean-Marie Le Pen : Oui. La surprise peur d'abord venir d'une déconfiture de Jacques Chirac. Mais il faut retenir l'hypothèse la plus probable, celle d'une « chabanisation » d'Édouard Balladur. Compte tenu du fait que la gauche, selon toutes les estimations, pourrait rassembler 35 % des suffrages, il est facile de déduire que si Hue obtient 10 %, Voynet 5 % et Laguiller 4 %, Lionel Jospin, candidat socialiste, se trouvera aux alentours de 16 %. La surprise serait donc que Balladur, Jospin et moi-même nous retrouvions dans un mouchoir.

Le Français : Et dans cette hypothèse ?

Jean-Marie Le Pen : Je dois être présent au second tour. C'est pourquoi je me suis battu. Tout est prêt dans cette perspective : professions de foi, bulletins de vote et documents électoraux. Pour le rassemblement du 1e mai, nous organiserons la « montée sur Paris » avec autocars et trains spéciaux. À cette occasion, nous réunirons 200 000 Français.

Le Français : Vous ne ferez pas voter Chirac, si celui-ci doit affronter Balladur au second tour. Mais ferez-vous voter Balladur ?

Jean-Marie Le Pen : En l'occurrence, il faudrait laisser jouer les compétiteurs. Les candidats en présence auront à rallier les électeurs qui leur manquent. Ce qui impliquera qu'ils fassent montre d'un art politique, car il y a du chemin à parcourir pour aller de 20 à 51 % et dégager une majorité.

Le Français : Si vous étiez élu à l'issue du second tour, quelles seraient les décisions d'urgence que vous prendriez ?

Jean-Marie Le Pen : Ce sera avant tout une véritable révolution de l'esprit public. Parmi les décisions urgentes, je prononcerai la dissolution de l'Assemblée nationale, ce qui est naturel pour trouver une majorité capable de soutenir mon action. Puis je nommerai un Premier ministre, chargé de former un Gouvernement de transition, dont la mission sera de procéder à d'importantes modification constitutionnelles. J'entends notamment l'élargissement du champ du référendum et l'institution du référendum d'initiative populaire. Il va de soi que ma priorité sera de tenir ma parole, en rétablissant la préférence nationale.

Le Français : Vous vous êtes déclaré « plus gaulliste » que Chirac et Balladur. En quoi l'êtes-vous ?

Jean-Marie Le Pen : Si vous n'êtes pas présent au second tour, quels enseignements en tirerez-vous ?

Jean-Marie Le Pen : Que l'opinion est captive des médias et qu'elle ne bénéficie plus que de l'appréhension « immédiatique » de certains problèmes. Mais cela ne me fera pas changer de programme, car, pas plus que je ne me fie aux sondages pour former ma ligne politique, je ne renoncerai à ma tâche. Je persiste à proposer ce qu'il faut faire et à proposer ce qu'il faut faire et à poursuivre la lutte pour que les Français retrouvent la claire perception des réalités et des périls. En effet, il n'y a que le peuple qui puisse décider de changer ses options.