Articles et interviews de M. Jacques Barrot, secrétaire général du CDS et vice-président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, dans "Démocratie moderne" le 2 février 1995, à RMC le 21 et "Le Figaro" le 23, sur l'engagement du CDS en faveur de M. Balladur.

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Démocratie moderne : 2 février 1995

Alors que la gauche poursuit ses querelles d'hommes et qu'à droite les campagnes électorales de Jacques Chirac, Philippe de Villiers ou Jean-Marie Le Pen ont commencé, le Premier ministre a placé son entrée en campagne sous le signe de la réconciliation, du rassemblement.

Cette orientation séduit les Français attachés à l'unité nationale. Les semaines à venir doivent permettre de convaincre aussi ceux qui redoutent une alliance trop large donc trop floue, ceux qui craignent un pouvoir trop exclusivement exercé par quelques cercles éclairés, ceux qui, comme Raymond Barre, approuvent les grands choix mais appellent à plus d'intensité dans l'action.

Les centristes prendront leur part de cet engagement. En premier lieu, parce que les deux années de gouvernement ont confirmé qu'Édouard Balladur suivait un cap clair : la négociation sur le commerce international, l'entente franco-allemande, la marche vers l'unité monétaire, en ont donné des exemples.

Ensuite parce que les centristes préfèrent le rôle d'acteur à celui de témoin. Nous sommes des hommes de conviction et si l'essentiel était en cause il aurait été indispensable de le défendre, fût-ce dans un combat inégal. Mais le projet que nous voulons conduire avec Édouard Balladur, dans le cadre d'une association-construction, doit permettre à nos idées de triompher et de s'imposer dans l'action gouvernementale : mise en application de l'Union économique et monétaire, refondation de l'entente franco-allemande, modification du système des prélèvements pour alléger les charges pesant contre l'emploi, impartialité de l'État et indépendance de la justice…

Toutes ces orientations ne devront pas être rognées mais au contraire accélérées avec le septennat qui s'ouvre.

Encore faut-il que le centre ne soit pas bloqué par des divisions. Chaque énergie dispersée affaiblit le mouvement social et européen au profit des nationalismes. Le temps presse : sur les plages de Vendée débarque, avec de Villiers, la révolution conservatrice américaine. À Bonn, nous avons avec le Chancelier Kohl, le garant d'une volonté absolue de mener l'Union économique et monétaire à son terme. Mais qu'en sera-t-il dans quelques années ?

C'est pourquoi notre oui est un OUI POUR aller vite dès le lendemain de l'élection. Le rassemblement des Français derrière Édouard Balladur ne doit pas être la conjonction de forces politiques intéressées par le pouvoir et de Français résignés devant l'inconsistance des autres candidatures. L'engagement centriste doit au contraire montrer qu'il s'agit d'un projet de réformes profondes, qui nécessitera l'engagement actif de chacun de nos concitoyens : contre l'exclusion, par une vigoureuse politique d'insertion des jeunes ; contre les déficits, véritables boulets anti-emploi, par un nouvel effort de gestion et de rigueur des dépenses publiques ; par une répartition des pouvoirs qui associent plus étroitement les Français, leurs communautés locales, leurs associations…

Parce qu'ils incarnent la culture du mouvement, face au culte de l'énergie.

Parce qu'ils incarnent la proximité du terrain, face aux technocraties.

Parce qu'ils incarnent une France juste et ouverte, face aux tenants du repli, les centristes ont toute leur place dans le combat présidentiel et la majorité de demain. Non pas au sein d'un parti du président, dont on sait à l'avance qu'il s'engloutirait, tôt bâti, dans les querelles de succession, mais dans une alliance d'autant plus forte qu'elle pourrait compter sur un centre redevenu, pour un grand nombre de Français orphelins de la politique, le lieu d'un engagement juste et utile.


RMC : mardi 21 février 1995

P. Lapousterle : Réaction devant l'affaire Schuller-Maréchal, devenue, depuis hier soir, l'affaire Jacques Franquet-Charles Pasqua. Affaire d'État ou pas affaire d'État ?

J. Barrot : Je crois qu'il faut garder raison. Il y a là le dérapage d'une procédure qui n'a pas été utilisée comme elle aurait dû l'être. C'est une affaire tout à fait particulière. C'est un accident de parcours qui ne doit pas dissimuler l'essentiel. L'essentiel c'est que, grâce à Édouard Balladur et à l'action du gouvernement, la justice peut maintenant faire son travail. Elle le fait tous les jours et nous sortons péniblement d'une situation où, il faut bien le reconnaître, c'était un peu un certain désordre. J'ajoute que c'est un accident de parcours sans commune mesure avec ce qui s'est passé à une époque à l'Élysée où les écoutes étaient organisées pour des fins politiques de manière systématique. Relativisons les choses. Ça ne veut pas dire qu'il faut les oublier…

P. Lapousterle : Est-ce que la démission du patron de la police judiciaire et la suspension des écoutes d'extrême urgence par le Premier ministre sont une réponse suffisante pour l'ensemble de l'affaire ou il faudra aller plus loin ?

J. Barrot : Du moment où le Premier ministre suspend, c'est qu'il a lui-même touché la nécessité, les difficultés de la procédure et la nécessité de la clarifier. C'est ça l'essentiel. Ce que je voudrais souligner ce matin, c'est que, lorsque Édouard Balladur est face à une difficulté de ce type, il n'hésite pas à remettre les choses en question et à dire : on va se remettre dans une situation où cela ne se reproduira plus, c'est cela qui compte.

P. Lapousterle : Cela dit, est-ce qu'il n'est pas un peu ennuyeux, pour un Premier ministre candidat à l'élection présidentielle, d'affirmer que rien d'illégal n'a été commis et 10 heures après, faire machine arrière ?

J. Barrot : Vous savez, on peut toujours à un moment donné être victime d'une information inexacte. Ce qui compte, c'est que lorsqu'on a l'information, même si cela coûte – parce que c'est toujours un peu difficile de revenir sur ce qui a été dit –, on le dit et on accepte de tirer toutes les conséquences d'un événement fâcheux. C'est ce qu'a fait Balladur, c'est à son honneur.

P. Lapousterle : Est-ce que la proposition de Philippe Séguin de créer une commission d'enquête parlementaire vous paraît bonne ?

J. Barrot : Vous me permettrez de m'étonner de cette demande. Pourquoi ne l'aurait-on pas fait quand il s'agissait de recours aux écoutes systématiques dont j'ai parlé tout à l'heure. J'ajoute que la justice est maintenant en mesure d'instruire cette affaire. Je ne vois pas comment le Parlement peut doubler la justice. J'ajoute qu'il ne faudrait pas, tout de même, que la majorité joue contre elle-même. Nous avons formé et nous devons former demain une équipe. Qu'il y ait en effet des remarques des uns et des autres, c'est très bien, mais il faut aussi garder le sens de la mesure. Il y a un certain nombre d'attaques qui n'ont rien à voir avec le vrai débat présidentiel, dont je suis partisan et dont les Français ont besoin : celui qui porte sur les programmes et les idées.

P. Lapousterle : Vous êtes solidaire de M. Pasqua dans cette affaire ?

J. Barrot : Je considère qu'il y a eu une équipe et que cette équipe a un chef, c'est Édouard Balladur et, en l'occurrence, Édouard Balladur est clair : c'est la justice et le droit qui priment, c'est ça qui compte.

P. Lapousterle : Raymond Barre était votre Premier ministre, il a dit hier que le gouvernement était affaibli dans cette affaire, que son image était affectée. Si M. Barre était candidat, vous soutiendriez Raymond Barre ou Édouard Balladur ?

J. Barrot : D'abord, on ne va pas faire toutes les hypothèses. On va se demander quel rôle peut jouer Raymond Barre en lui laissant, à lui et à lui seul, la décision. Je pense que le parler vrai et le parler courage de Barre sont utiles à la France. Je pense que, dans la situation actuelle, Édouard Balladur, parmi tous les candidats, est le seul qui soit clair sur un point, qui tient très à coeur à Raymond Barre, à moi et aux centristes, c'est le cap européen. Je souhaite, qu'à un moment donné, il y ait une convergence Balladur-Barre, une sorte de synergie qui s'instaure, parce que l'un et l'autre sont orientés vers le même cap. Hier, Raymond Barre a reconnu qu'il y avait entre lui et Balladur beaucoup de points communs. S'il y a une synergie entre les deux hommes, ça peut nous donner, pour la France, un résultat très intéressant.

P. Lapousterle : La synergie c'est que M. Barre se déclare pour M. Balladur ?

J. Barrot : C'est qu'à un moment donné, il y ait une convergence des deux hommes et que, peut-être, au lieu d'une candidature, Raymond Barre choisisse une autre méthode pour se faire entendre en apportant certes un soutien à Édouard Balladur, mais aussi la force de sa voix courageuse et encore une fois vraie.

P. Lapousterle : La meilleure chose pour la France est un ticket Balladur-Barre ?

J. Barrot : Je pense que c'est une équipe. Il n'y a pas à la personnaliser aussi fortement. Ce qui est vrai, c'est qu'il y a un certain nombre d'hommes de qualité courageux dans ce pays, qui peuvent dire des choses, ils en font partie tous les deux et plus ces hommes se retrouveront ensemble sur la même ligne, plus le paysage se clarifiera et plus nous aurons une adhésion des Français.

P. Lapousterle : Qu'est-ce que vous pensez, vous qui avez l'oeil sur les finances de la France, lorsque vous entendez les promesses électorales des candidats Édouard Balladur et Jacques Chirac ?

J. Barrot : Elles ne sont pas toutes de même nature. Si vous avez bien observez le programme d'Édouard Balladur, il est prudent. Il me paraît annoncer des mesures au fur et à mesure que l'on dégage, par des économies, de nouvelles possibilités où l'on peut, par redéploiement – qu'est-ce que c'est le redéploiement ? – revenir sur certains privilèges acquis des uns, excessifs par rapport à la pénurie des autres, mais que l'on ne dise pas qu'on va à la fois réduire les déficits, alléger les impôts et faire de nouvelles avancées sociales. Il ne faut pas rassurer à tout prix, il faut responsabiliser ceux qui ont besoin de l'être et pour les autres, les paumés, ceux qui restent au bord de la route, il faut leur dire que c'est eux qui auront la priorité.


Le Figaro : 23 février 1995

Le Figaro : En tant qu'ancien ministre de la Santé, quel regard portez-vous sur les propositions des principaux candidats en matière sociale ?

Jacques Barrot : Le social à crédit est une tentation électoraliste bien connue. On n'y a pas renoncé et certains dans la majorité risquent encore d'y succomber. La fuite en avant entraîne des déficits qui, tôt ou tard, sont payés par les plus pauvres. Édouard Balladur a raison de souligner que la croissance indéfinie des dépenses de santé n'est pas possible sans compromettre l'emploi. On ne peut pas créer de nouvelles solidarités au profit des exclus sans un appel à des efforts partagés équitablement, au courage social…

Le Figaro : En matière d'incitation à l'emploi, quel pourrait être l'axe d'intervention privilégié ?

Jacques Barrot : Je préfère une baisse des charges sur tous les emplois les moins qualifiés à une exonération limitée aux nouveaux entrants dans l'entreprise, exposés à des effets pervers et forcément temporaires. J'ajoute que l'entreprise bénéficiaire de cette baisse des charges doit en profiter d'abord pour accueillir plus de jeunes et pas seulement pour gager une progression des salaires. Mieux vaut les mesures progressives durables, assorties de priorités claires, que des idées clinquantes et fusant dans tous les sens.

Le Figaro : Mais, finalement, où est la spécificité du projet Balladur ?

Jacques Barrot : Il y a dans les programmes de Jacques Chirac et d'Édouard Balladur des mesures sinon analogues, du moins très proches. Mais la démarche d'Édouard Balladur a l'avantage de se situer dans des perspectives claires en direction d'une Union économique et monétaire (UEM). Cela nous aidera à nous guérir de nos déficits, à rassurer les marchés, donc à bénéficier de taux d'intérêt plus favorables à l'investissement, donc à la croissance. Là est le premier moyen de réduire le chômage. C'est sûrement à partir de là que l'on pourra conduire la lutte contre l'exclusion qui risque de souffrir de trop de promesses électorales.