Déclaration de M. François Bayrou, ministre de l'éducation et vice-président du CDS, sur l'histoire du CDS, sur sa volonté de créer un grand mouvement politique ("un PPE à la française") et sur les enjeux auxquels doit répondre le CDS, construction européenne et exclusion sociale, Paris le 10 décembre 1994, extraits publiés dans "Démocratie moderne" du 15 décembre 1994.

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Circonstance : Congrès national du CDS à Paris les 10 et 11 décembre 1994

Média : DEMOCRATIE MODERNE

Texte intégral

Microfiche : ID 220925
Date : samedi 10 décembre 1994
Source : non renseignée

Discours prononcé par Monsieur François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale

Congrès du Centre des Démocrates Sociaux, Paris, le samedi 10 décembre 1994

[MANQUE LES PAGES 1 ET 2 SUR LA VUE]

peux pas ne pas évoquer des visages. 100 ans de visages. 100 ans de femmes et d'hommes qui ont choisi de se battre pour cette cause. J'ai déjà cité Marc Sangnier, il faut que vous vous représentiez que le Sillon se crée dans la décennie même où Zola écrit Germinal. C'est la fin du XIXe siècle, et c'est le poids d'un matérialisme extrêmement lourd. C'est le Parti Démocrate Populaire qui s'organise et se prépare, à l'époque où tant de renoncements sont en marche. Et puis, les femmes et les hommes de l'avant-guerre. Ceux qui seuls, ou presque, lucides, dans une société où tout le monde ferme les yeux, écrivent dans L'Aube, avec le talent et la clarté de Georges Bidault, ce qui se prépare en Europe, quels séismes et quels malheurs s'annoncent. Et puis, le cortège des ombres, les hommes et les femmes qui ont décidé de résister à la barbarie nazie, les premiers. Il y a plusieurs compagnons de la Libération dans cette ville. Vous me permettrez de saluer Pierre de Chevigné, mon prédécesseur au conseil général des Pyrénées-Atlantiques et au gouvernement. Ceux qui partent à Londres avant même l’appel du 18 juin, et puis ceux qui, dans la difficulté des temps, s'essaient à constituer les réseaux des maquis, les réseaux de la résistance, les torturés, les déportés, les fusillés qui sont les nôtres. Vous me permettrez, pour n'en citer qu'un, mais je veux en citer un à cette tribune, un de ceux qui ne connaîtront pas la victoire et la gloire, d'évoquer le nom d'un jeune homme qui avait 24 ans il y a 50 ans, un jeune homme qui a été haché Place Bellecour à Lyon par les balles des mitraillettes de la Gestapo de Barbie, un jeune homme mort dans les bras de ses compagnons qui, eux, n'étaient pas démocrates chrétiens. Il s'appelait Gilbert Dru. C'était un philosophe. Et je voulais qu'à cette tribune, dans ce congrès de la refondation, le nom de l'un de cette armée de l'ombre au moins soit présent. À ce nom, je voudrais associer celui de Jean Lecanuet. Voilà notre héritage. Voilà notre mémoire.

Et l'on n'a pas le droit de dilapider l'héritage On n'a pas le droit de trahir la mémoire.

Mais il y a plusieurs manières de trahir. Il y a la manière habituelle, ordinaire. Il y a la manière vulgaire, celle des carriéristes qui passent leur temps à renier leurs paroles pour monter un peu l'échelle de perroquets. Et puis il y a hélas d'autres manières. C'est la manière de ceux qui se croient fidèles ; c'est la manière des intégristes. Ceux qui croient qu'on est fidèle à une graine, à une semence lorsque pour l'adorer on l'enferme dans un bocal de verre. Mes amis, on est fidèle à une graine que si on la met en terre, si on l'expose aux risques de la pluie, si on la fait pousser. On est fidèle à une lampe que si on ne la maintient pas sous le boisseau. Et, c'est la question de notre fidélité qui est posée. Comment Robert Schuman, Gilbert Dru, Jean Lecanuet, comment pouvons-nous être fidèles à vos destins interrompus ? Et bien, il suffit d'interroger, de s'interroger et de se demander ce que voulait Dru. Il voulait la victoire. Ce que voulait Schuman, il voulait que l'Europe se fasse. Ce que voulait Lecanuet, il voulait que nous gouvernions. Mes amis, dans le combat, la fidélité, c'est de tout faire pour préparer la victoire. La vraie fidélité, c'est la victoire.

Et c'est pourquoi je dis que sur l'autre rive du Rhin, Helmut Kohl est fidèle, lorsqu'il fait gagner pour la quatrième fois consécutive nos idées, lorsqu'il mobilise, autour de cet idéal, 45 % du peuple allemand pour le réunifier, pour le faire avancer, pour construire l'Europe. Et je dis dans le même temps que nous, depuis 36 ans, notre fidélité de ce point de vue-là a été insuffisante.

Je voudrais saluer, au premier rang de cette salle, le dernier chef de gouvernement qui ait appartenu à notre famille politique. Je salue Pierre Pflimlin. Je le salue à la fois comme son ancien collaborateur, et s'il le permet, avec respect, comme son ami. Je le salue aussi comme une sorte de reproche pour nous. Tant que nous n'aurons pas donné à Pierre Pflimlin des successeurs, des collègues, tant que nous n'aurons pas assumé les responsabilités majeures du pouvoir, d'une certaine manière, nous ne serons pas tout à fait fidèles. Voilà 36 ans, depuis le premier jour de la IVe République, voilà 36 ans que les décisions majeures se prennent sans nous, loin de nous. Voilà 36 ans que se poursuit devant, nos congrès la controverse la plus stérile qu'on puisse imaginer, la controverse entre les purs qui veulent rester isolés et les pragmatiques qui veulent se rallier. Et je m'étonne que l'on ne voit pas qu'il s'agit des deux faces de la même médaille d'impuissance. C'est parce qu'on est isolé que l'on est contraint de se rallier. Et parce qu'on se rallie qu'on demeurera isolé. C'est la même médaille.

C'est un débat, mes amis, qui dure depuis longtemps chez nous. Souvenez-vous du procès qu'on a fait à Jean Lecanuet parce qu'il avait décidé, à votre demande et pour sauver cette famille, de présider l'UDF. Je ne pense jamais sans honte au congrès de Lille, où on l'a empêché de finir son discours à la tribune. C'était son dernier congrès et son dernier discours.

C'est un procès qu'on a fait longtemps à René Monory en sourdine, en disant à voix basse qu'il n’était pas de la famille. C'est un procès vous le savez bien, qu'on me fait à moi-même, comme si d'avoir adhéré à 20 ans, sans aucune pression familiale, sans même connaître un seul démocrate-chrétien, comme si d'avoir été le collaborateur et l'ami des deux derniers présidents du MRP, des deux présidents du centre démocrate et du CDS, comme si d'avoir dirigé bénévolement pendant 10 ans Démocratie Moderne, ça ne suffisait toujours pas pour être de la famille. Comme s'il n'y avait que la génétique qui pouvait permettre d'entrer dans cette famille. Ce n'est pas ma conception, c'est un procès que je refuse. C'est un procès que je n'accepte pas. Nous sommes une famille vivante. Et nous sommes une famille qui veut et qui doit rassembler pour gouverner. Or, on ne gouverne pas en ignorant les règles des institutions. Nous vivons dans des institutions sous la Ve République où toutes les élections majeures se jouent à deux tours et où pour figurer au deuxième tour, il faut être capable de gagner le premier. C'est parce que nous n'avons pas été capables, sur les 36 années écoulées, de constituer un mouvement assez large, assez fort, assez sûr de lui pour gagner le premier tour que nous n'avons jamais pu gagner le deuxième. Voilà le véritable enjeu. Ou bien nous choisissons de rester entre nous, et nous sommes condamnés à la marginalité. Ou bien nous choisissons au contraire de constituer autour des valeurs du CDS, autour des valeurs de notre histoire, autour de celles de Schuman, de Dru et de Lecanuet que j'évoquais à cette tribune, un grand mouvement politique capable de gouverner la France. Je demande que nous constituions un PPE à la française. Un Parti Populaire à la française, un Parti Populaire Européen chargé de diffuser les valeurs de la démocratie chrétienne dans la société française. Et ce mouvement, ce PPE à la française, c'est le seul moyen dont nous disposons à mes yeux pour faire réellement rayonner l'équipe de responsables remarquables que vous avez au premier rang, dont vous suivez l'action. Pardonnez-moi de ne pas les citer tous, mais je veux citer René Monory, je veux citer Pierre Méhaignerie, je veux citer Dominique Baudis, je veux citer Jacques Barrot, je veux citer Edmond Alphandéry, je veux citer Bernard Bosson, je veux citer Philippe Douste-Blazy dont, si j'ai bien compris, le destin cet après-midi sera de se trouver appelé sur cette estrade quel que soit le vainqueur. Je veux citer Jean Arthuis, je veux citer Maurice Blin. Je veux citer Nicole Fontaine. J'en ai oublié beaucoup, ils me pardonneront naturellement. Ou ils ne pardonneront pas, mais enfin je leur demande de me pardonner de les avoir oubliés.

Voilà, une équipe qui serait faite de gens qui considéreraient que naturellement la carrière cela compte, mais que la carrière ce n'est pas l'essentiel. Si ce centre avait existé, si ce PPE à la française avait existé, il aurait gouverné la France et il aurait rassemblé bien au-delà de ses rangs. Il aurait arrêté tous ceux qui nous ont rencontrés un jour, ont essayé de faire un bout de route avec nous et puis se sont éloignés. S'il avait existé, Raymond Barre aurait été dans ce PPE à la française. Il y aurait eu Simone Veil, il y aurait eu Giscard, il y aurait eu Millon, il y aurait eu Jean François-Poncet. Si ce mouvement avait existé, Balladur et Delors en auraient été membres.

C'est notre isolement et l'isolement de nos voisins, c'est notre impuissance qui a organisé la diaspora des forces du Centre, qui a fait que nous avons été écartés du pouvoir et que ceux qui ont gouverné ont été écartés de nous.

Alors naturellement, me dira-t-on, dans ce mouvement, il y aura des nuances. Mais, chers amis, lorsque nous affirmons cela, lorsque nous disons que la nuance est insupportable pour nous, qu'il faut vraiment que tout le monde chez nous pense la même chose, j'aimerais que nous regardions nos rangs et que nous mesurions les nuances qui y existent déjà. Nous avons dans nos rangs des militants, des responsables et des élus que nous aimons, dont on ne peut pas affirmer qu'ils soient exactement sur la même ligne politique. Pardonnez-moi de vous le dire. Je ne cite que le nom de deux de mes plus proches amis : je ne crois pas que Bernard Stasi et Christine Boutin soient exactement sur la même ligne politique. Je dis seulement qu'ils travaillent ensemble, qu'ils vivent ensemble dans les rangs de notre formation politique. Et donc j'appelle à ce que nous regardions les nuances qui heureusement existent déjà entre nous. Comment voulez-vous rassembler une majorité de Français si vous n'acceptez pas la nuance dans vos rangs ?

Et c'est en particulier vrai naturellement au Centre. Je souhaite que nous ayons le courage d'être nous-mêmes et le courage de réhabiliter le mot Centre. Non, pour moi le mot de centriste n'est pas une injure.

Je crois que l'on ne peut rien transmettre si l'on n'est pas fier de ce que l'on est. Où voulez-vous que nous allions, où voulez-vous que l'on nous place : à droite, à gauche, ailleurs ? Je suis fier d'être au centre. Je demande seulement que nous l'assumions et que nous le revendiquions, que nous en fassions une fierté au lieu d'en faire une honte.

C'est le moment de la refondation. Et le moment de la refondation, il est aujourd'hui à un point historique tel qu'il ne se représentera pas de sitôt, c'est ma conviction. Je le dirai très rapidement, sans insister, mais vous comprendrez que la crise des forces, est naturellement, si nous voulons refonder le centre, si nous voulons en faire le PPE à la française, une chance de nous adresser à ces interlocuteurs qui auront les oreilles ouvertes, qui auront besoin de constituer quelque chose d'autre. Mes amis, ne laissons pas passer cette chance historique.

Les institutions commandent. Naturellement, si les institutions changeaient, je comprendrais qu'on puisse changer de discours. Si nous étions, comme les Allemands, à la proportionnelle, je comprendrais que l'on envie le destin d'un Parti Libéral à l'allemande, ce FDP qui fait cinq, six, sept pour cent des voix et qui change de camp pour changer de vainqueur, d'allié et qui obtient ses quatre portefeuilles ministériels rituels et indispensables à l'exercice de la majorité. Moi je n'aimerais pas cela, je vous le dis franchement. Je n'ai jamais oublié cette affirmation du président de l'Assemblée nationale d'Israël dans une conversation que nous avions. Parlant des exigences toujours plus grandes de ces petits partis qui servent à faire la majorité et du caractère insupportable que cela représentait pour lui, il a eu cette formule que j'ai adorée, que je vous livre. Il a dit : « vous savez, chez nous en Israël, on ne sait plus si c'est le chien qui remue la queue ou si c'est la queue qui remue le chien ».

Et bien je n'envierais pas le sort de ces mouvements d'appoint mais, au moins, je considérerais qu'il y a un chemin, qu'il y a une voie, que c'est plaidable. Mes amis, je considère que l'isolement, dans le monde où nous sommes et avec les institutions que nous avons, est non seulement à déconseiller, mais même qu'il est implaidable. Je considère que choisir de rester entre nous, de continuer à demeurer un parti d'appoint, choisir de continuer à nous efface. Et cela au moment où il me semble qu'il y a une extraordinaire attente des Français même si les réflexions se multiplient sur la déconsidération, le dégoût que les Français auraient pour la politique et leur désintérêt pour celle-ci. Il me semble que c'est une mauvaise analyse. Mon intuition ce n'est pas que les Français se détournent de la politique, c'est qu'ils se détournent de la politique qu'on leur propose. Ils se détournent de la manière dont on la fait, mais il y a quelque part, au fond de ce peuple, une immense attente de générosité et d'engagement.

Philippe Douste-Blazy le sait bien, voulez-vous considérer la part que les Français font à l'humanitaire, voulez-vous regarder le Téléthon qui a eu lieu la semaine dernière, les dizaines de milliers de nos compatriotes mobilisés pour ce Téléthon, les centaines et centaines de millions de francs recueillis. Ne trouvez-vous pas que cela a un sens, que cela signifie quelque chose et en particulier que les Français ont envie de se dévouer, quelquefois même de se sacrifier, de donner en tout cas beaucoup à ceux qu'ils considèrent comme plus grands qu'eux ? Le jour où nous leur aurons fait comprendre que précisément au sommet de l'humanitaire il y a la politique, que le maximum d'humanitaire, c'est l'engagement politique où l'on s'occupe non seulement de ses proches, mais aussi de son prochain. Ce jour-là, nous aurons rencontré à nouveau le cœur des Français. Et nous aurons refait d'eux des militants. Parce que comme je veux réhabiliter l'idée, l'identité même de Centre qui est dans notre nom, je veux revendiquer devant vous et réhabiliter le militantisme.

Nous sommes fiers d'être des militants. Nous n'en avons pas honte. Et il va y en avoir besoin.

Je fais une observation au passage. Il n'y a pas eu d'observateur pour noter à quel point le militantisme allait désormais devenir indispensable. Nous allons voter, Pierre dans quelques jours j'espère, une loi dont la responsabilité a été difficile à prendre mais qui, à mes yeux, est bienvenue, que j'approuve et que j'appelais de mes vœux. C'est celle qui consiste à couper tout lien entre le financement politique et le monde de l'entreprise. Avez-vous remarqué ce que cela signifie pour nous ? De nouveau, nous allons avoir besoin de ces hommes et de ces femmes qui donnent de leur temps, de leurs forces et un peu de leur argent s'ils en ont, pour faire vivre la politique. De nouveau, nous allons avoir besoin de ceux qui acceptent de distribuer des courriers ou des prospectus, de ceux qui acceptent de coller des affiches, ce qui supposerait naturellement qu'il y ait des affiches à coller. Et donc nous avons besoin de nouveau du militantisme. Je veux le réhabiliter.

C'est pourquoi, j'ai proposé un projet de militant citoyen. Pas pour cette élection. Je l'ai proposé en 1986 et je l'ai adressé à beaucoup d'entre vous. Je crois que ce projet n'a pas vieilli, dans sa manière de décrire nos travaux et nos décisions. Et bien j'ai proposé un projet pour qu'il soit engagé, pour que chacun d'entre vous soit associé, pour que chacun d'entre vous ait sa place. Et je veux vous dire, que, si vous me faites l'honneur de m'élire président de cette famille, dès lundi, j'écrirai à chacun d'entre vous, non pas seulement pour lui dire mon plaisir et ma joie, mais pour lui demander ce que, avec son expérience personnelle, avec sa capacité personnelle, il peut faire pour que notre famille politique avance, ce qu'il peut mettre au service de notre famille politique.

Le projet que je vous ai envoyé, vous le connaissez : aide aux fédérations, aide matérielle, budget minimal contre les objectifs minimaux fixés ensemble. Alors j'ai lu qu'ici ou là on s'en étonnait. Je veux dire à ceux qui s'en sont étonnés que je propose une aide matérielle aux fédérations, même aux plus petites. Je veux leur dire que nous qui avons été dans le sud-ouest sur une terre de mission, nous qui savons ce que c'est que d'être sur une terre hostile, nous savons aussi que quand vous êtes en face des fédérations du Parti Socialiste, du RPR et parfois du PR, avec les moyens considérables qui sont les leurs, un budget minimal ce n'est pas de trop. C'est notre manière de considérer que tout n'est pas à sens unique et que les fédérations ne sont pas au service du national, que d'une certaine manière, le national aussi est au service des fédérations.

Parmi ces objectifs, je mettrai au premier rang la formation. Mes amis, j'ai été très attristé que l'on abandonne l'Institut de Formation Démocrate que j'avais mis en place avec Pierre Méhaignerie, dans les années 1986. J'étais très attristé parce que, je comprenais très bien les sacrifices qu'il convenait de faire, mais un mouvement qui ne joue pas, qui ne mise pas sur la formation, c'est je pensais qu’un mouvement qui ne peut pas s'en sortir. Je voudrais rappeler à vos esprits l'exemple de la JAC, pour moi un exemple formidable parce que je suis un fils de paysans. La JAC a construit le monde rural et la révolution agricole, à partir de ces paysans autodidactes, de ces jeunes paysans qu'elle saisissait et à qui elle proposait non pas seulement une formation technique, une formation d'animateur d'association, mais une véritable méthode pour l'action, une véritable philosophie à partir de laquelle gouverner leur analyse et leur vie. Je trouve que nous devrions nous réinstaller, sans jeu de mot, dans ce sillon-là. C'est le nôtre.

Je vous propose d'investir sur la formation, en nous efforçant d'y associer ce que, chez nous, nous appelons les équipes, les JDS, les femmes démocrates. J'ai noté au passage qu'à la tribune tout à l'heure il n'y avait aucune femme parmi les 10 militants présents. Nous avons nous aussi à féminiser ce mouvement. Je voudrais dire un mot particulier pour France Forum, tant je crois que la place de notre parti est dans le mouvement et le débat culturels. Nous avons comme priorité de faire renaître une grande revue de réflexion et d'engagement qui s'ouvre très largement au-delà de nos frontières pour à nouveau occuper la place que – il faut bien le dire, hélas – la majorité a abandonnée depuis des décennies dans le monde de la pensée et de la création. Voilà ces équipes. Je souhaite que leur expérience soit désormais mieux prise en compte et c'est pourquoi je proposerai, si vous en êtes d'accord, lors de notre prochain conseil politique, que nous instituions à côté du président et de ceux qui l'entoureront dans l'équipe qui dirigera cette maison, une sorte de conseil économique et social dans lequel on essayerait de discerner les évolutions de la société française et les réponses que l'on peut y apporter.

Mais la puissance n'est rien si l'on n'a pas l'inspiration. Je crois que nous pouvons construire un mouvement large, je crois que nous pouvons l'organiser. Mais naturellement, ce mouvement n'a de sens que s'il est au service de nos idées. C'est pourquoi je voudrais maintenant m'arrêter quelques minutes sur les grands enjeux que nous allons avoir à déchiffrer et dont l'issue dépendra de nous. Car ma conviction est que comme la France des années 60, 70 et 80 a terriblement souffert de l'absence d'un centre fort et puissant qui croie en lui-même, de la même manière, nous n'entrerons pas dans le XXIe siècle si nous n'avons pas la capacité d'influencer la décision nationale et le destin national sur trois ou quatre très grands sujets que je voudrais traiter devant vous.

Vous comprendrez que je mette en premier, en raison de l'actualité et de l'urgence de l'heure, le sujet européen. Il me semble que nous sommes placés devant une souffrance de l'idéal européen. Au moins sur deux fronts : le premier étant hélas, même si c'est dérisoire, le débat public français, et le deuxième la Bosnie.

Débat public français. J'aurais dû dire pour être plus exact dans les rangs de la majorité. On n'entend plus de défenseurs de l'Europe, on n'entend plus, malgré nos efforts, d'avocats ou d'amoureux de l'Europe. On n'entend plus que les procureurs et les contempteurs, sûrs d'eux-mêmes, qu'ils viennent d'Épinal ou qu'ils viennent de Vendée, affirmant, le verbe haut, qu'ils sont les défenseurs de la France. Mes amis, je voudrais que nous décidions de nous battre sur ce terrain-là précisément et que nous cessions cet abus de confiance.

Les amoureux de la France, ce sont ceux qui donnent à la France un destin pour le siècle qui vient. Les patriotes, ce sont ceux qui veulent lui donner les moyens de son indépendance et de sa grandeur. Et comme il n'y a ni indépendance ni grandeur sans construction de la maison européenne, les seuls patriotes dans le débat, les seuls amoureux de la France, ce sont ceux qui sont en même temps les défenseurs de l'Europe. Edmond Alphandéry a bien raison d'y veiller. Nous en avons le plus urgent, le plus ardent besoin. Demandez-le à tous les industriels, s'il y en a dans la salle, à tous ceux qui ont à approcher le commerce international, s'il y en a dans la salle. Demandez-leur ce que cela représente que de ne pas avoir à sa disposition l'instrument d'une monnaie forte.

Je vis dans une région où la filière bois a eu des milliards de francs de perte de chiffre d'affaires et des milliers d'emplois perdus, simplement parce que les monnaies scandinaves et espagnoles ont été dévaluées de plusieurs dizaines de pour cent en 24 heures. Et l'on vient plaider la grandeur de la France. La grandeur de la France, c'est d'avoir un instrument qui lui permette de se défendre sur les marchés internationaux, d'imposer d'une certaine manière sa loi. Demandez à ceux qui sont dans l'aéronautique ce que représente la baisse en quelques jours, nous l'avons connue cet été, de 10 % du dollar alors que tous les marchés sont libellés en dollars et que, d'un seul coup d'un seul, les devis de leurs concurrents se sont trouvés naturellement beaucoup moins chers que les leurs. Est-ce que nous savez ce que ça représente en milliards de francs de chiffre d'affaires et en milliers d'emplois perdus ? Ces milliards et ces emplois, c'est la vraie grandeur de la France.

Jean Arthuis a bien raison de veiller de son côté à ce que nous essayons de construire un espace européen qui protège les emplois européens. C'est le seul moyen en effet, si nous voulons d'une certaine manière y arriver. L'Europe est le seul chemin.

Mes amis, pardonnez-moi d'évoquer maintenant le sujet le plus grave, le plus douloureux, celui de la Bosnie. Ce qui se joue en Bosnie est d'une certaine manière une double défaite pour l'Europe. La Bosnie, Bihac, crie l'absence de l'Europe. Et ce cri a un double sens. Il signifie vous êtes fous, et il signifie vous n'êtes pas fidèles. Il signifie vous êtes fous parce que lorsqu'on est un Européen et qu'on a même une vague teinture d'histoire, on sait que les Balkans sont la poudrière de l'Europe. On sait que cette poudrière a explosé à la face de notre continent et on sait ce qui s'en est suivi. Et croire aujourd'hui que simplement parce qu'on a passé quelques dizaines d'années, les poudrières ne sont plus dangereuses, c'est se tromper beaucoup sur la nature des hommes et la nature du monde.

Nous sommes fous, et deuxièmement, nous ne sommes pas fidèles, parce que si l'Europe a un sens, c'est bien celui de défendre l'essentiel de ce que à quoi elle croit : les droits de l'homme, une certaine vision des rapports entre les hommes, la volonté de ne pas laisser se développer par impuissance des guerres civiles, ethniques, religieuses à quelques kilomètres de nos frontières. Nous sommes incapables de les arrêter alors qu'elles occupent l'espace d'un département français.

Alors je dis, devant cette impuissance, qu'ils avaient bien raison les Pierre Pflimlin, les pères fondateurs de 1954, lorsqu'ils ont voulu construire la Communauté européenne de défense. Nous n'en serions pas réduits à louer des avions russes lorsque nous avons un contingent à envoyer au Rwanda et à demander aux Américains leurs photos de tous les points chauds de la planète, faute de disposer du satellite indispensable. Ils avaient bien raison. Et le temps va venir où, une fois menée au terme, la très belle aventure de la monnaie européenne, il va bien falloir que nous nous occupions de la défense et de la sécurité, de la voix de l'Europe à l'extérieur. C'est cela l'enjeu, ne vous y trompez pas. Cet enjeu, ce n'est pas dans dix ans qu'il se joue, c'est dans les mois et les années qui viennent parce que l'Allemagne est devant un choix crucial pour elle et qu'il va falloir que nous lui répondions. Le choix est celui de la souveraineté et de la puissance partagées. Ou bien l'histoire de l'Allemagne va retrouver la géographie et de nouveau l'Allemagne va être la tour de contrôle au centre de l'espace européen, ouverte de tous les côtés, puissante de tous les côtés. Alors, ne vous y trompez pas, c'est un jour la tentation hégémonique qui risque de revenir. Je dis que c'est à nous d'apporter la réponse et que c'est à nous de prononcer le choix historique. Vous comprendrez naturellement quel est le nôtre. Nous voulons construire la maison européenne pour la France, et le plus tôt sera le mieux.

Naturellement, cela ne nous empêche pas d'apercevoir les questions. Cela ne nous empêche pas de savoir qu'il faudra un nouveau desse.in pour les institutions. C'est la chute du mur qui a rendu l'élargissement inévitable. Et cela pose des problèmes. Nous savons bien entendu qu'il va falloir répondre à trois questions au moins. La première de ces questions, c'est la vitesse variable. Comment faire pour que ceux qui veulent aller plus vite et plus loin n'en soient pas empêchés, comment faire pour qu'il y ait un contrat entre eux et que ce ne soit pas l'Europe à la carte.

Comment faire aussi pour décentraliser l'Europe, comme nous voulons qu'on décentralise la France ? Pour ne pas donner le sentiment à nos concitoyens qu'il y a quelque part un pouvoir tatillon et lointain qui règle tout à leur place, leur donner le sentiment, par des gestes précis, que l'Europe a décidé vraiment de ne s'occuper que de l'essentiel et qu'elle est prête à faire les sacrifices nécessaires. Ce qui obligera au passage les gouvernements à sortir d'une hypocrisie qui est la leur depuis longtemps et consiste à se servir de l'Europe deux fois. Une fois comme bonne à tout faire et une fois comme bouc émissaire.

La deuxième question à laquelle nous devons répondre et dont la réponse dépend de notre faiblesse ou de notre force, c'est celle de la société française. Je l'évoquerai très vite pour ne pas lasser votre attention. Sur deux sujets principaux.

Premier sujet, la répartition du pouvoir dans la société française. Ne vous y trompez pas, les Jacobins sont de nouveau au travail. Les Jacobins ont décidé que les pouvoirs locaux, c'était beaucoup. Et ils travaillent tous les jours à essayer d'arracher à cette responsabilité locale ce qu'elle a de substance et ce qu'elle a d'important. Pour nous, nous ne voulons pas laisser faire cela. Nous savons que les sociétés efficaces, Pierre l'a souvent dit, sont celles dans lesquelles le pouvoir est rapproché des citoyens, des acteurs.

Deuxième sujet, tout aussi lié à notre force, celui d'une vie sociale renouvelée en France. Je ne sais si vous vous rendez compte que 15 ans, presque 20 ans après les années 70, nous voilà revenus à une vie syndicale dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'a pas beaucoup progressé. Nous voilà de nouveau aux grèves dont le slogan est 1 000 ou 1 500 francs pour tous et tout de suite. Aucune interrogation sur le sort des exclus, aucune interrogation sur la répartition du travail, aucune interrogation sur le premier emploi. Il me semble que nous vivons une espèce de drame dans lequel les acteurs principaux du syndicalisme ne croient pas un mot des slogans qu'ils profèrent. Le choix va être ou bien de sortir du débat avec amertume ou bien de se remettre fabricant de banderoles. Il dépend de nous que nous trouvions une réponse à cela aussi.

Enfin, un troisième problème. Je l'aborderai pour conclure, ayant ainsi respecté le temps de parole que Jacques Barrot m'avait imparti. Mon intuition, c'est que les grands problèmes du siècle qui vient, ce sont les problèmes de l'identité des hommes. On a, au cours des décennies précédentes, fait comme si tout le monde allait être uniformisé. À l'Ouest par le Coca-Cola, à l'Est par la puissance communiste. Et bien tout cela explose. Nous qui avons eu l'intuition de ce dialogue fondateur entre les personnes et les communautés, nous savons que les personnes ont besoin d'identité et les communautés aussi. Nous sommes probablement les seuls à pouvoir régler les rivalités d'identité au sein des communautés que nous voulons construire. Voyez-vous, je suis de ceux qui regrettent que le mot communauté pour l'Europe n'ait pas été conservé et ne soit pas davantage mis en avant. C'était une superbe réponse au débat si artificiel entre le fédéral et le confédéral que celui de répondre par la communauté. C'est la communauté qui protège et qui promeut les identités, c'est la famille qui protège et promeut ceux qui la composent, c'est l'Europe qui peut protéger et promouvoir les nations qui la composent. Nous sommes du côté de la communauté. Mais cela ne doit pas nous empêcher d'ouvrir l'œil sur les débordements de l'identité.

Vous le savez, j'ai eu à trancher un problème très difficile qui tient à l'intégrisme islamique en particulier. Ce que l'on voit sur les rives de l'Algérie, ces adolescentes hier, ce journaliste avant-hier, hachés de balles, lui parce qu'il écrivait, elles parce qu'elles avaient choisi d'aller à l'école et que le voile ça ne suffisait pas. Il y avait autre chose derrière le voile. L'intégrisme ne se satisfait jamais de ce qu'il demande. Il y a toujours, comme dirait Bernard-Henri Lévy, une pureté de plus à conquérir et, au nom de cette pureté, on brûle les écoles et on tue les enfants. En face de ce mouvement-là qui menace la planète, il me semble qu'il ne faut pas se contenter de voir. Il faut aussi prendre des décisions. C'est la raison pour laquelle, au nom de la France, au nom de l'école, au nom de la laïcité, j'ai pris la responsabilité de dire que nous aussi, face aux intégrismes, nous avions des valeurs à affirmer, que, nous aussi, nous croyions à quelque chose et que nous en étions fiers. J'ai pris la responsabilité de dire : nous ne céderons plus.

Et que ce soit un homme de foi et de conviction religieuse qui le dise, avec respect pour les religions et en particulier pour l'islam, cela a, à mon avis, une signification aussi pour l'avenir de la société française.

Vous l'avez constaté, il n'y a qu'un sujet que je n'ai pas abordé. Ce sont les élections présidentielles.

D'abord, parce que je considère que ce n'est pas le sujet du Congrès. Jean Lecanuet, à chaque fois qu'il nous recevait pour la première fois, nous enseignait une chose : inconditionnel de personne, même pas dans nos rangs, et les idées d'abord. Je fais la même réponse pour les élections présidentielles. Je dis qu'il faut attendre de savoir qui sont les candidats, ce que nous ne savons pas. Il faut rencontrer les candidats pour essayer de savoir en quoi ils ont l'intention de prendre en compte nos propres convictions. Et puis après, nous déciderons ensemble, disons au mois de janvier. Si vous me choisissez comme président, j'adopterai en votre nom une attitude qui sera ma règle de conduite tout au long de cette campagne présidentielle, et qui se résume en deux mots : alliés om, ralliés non.

Voilà, fidèles et loyaux oui, amicaux oui, mais pas muets. Nous avons quelque chose à dire parce que c'est sur nos terres que va se jouer l'élection présidentielle. C'est parmi nos amis et ceux qui croient en nous que va se jouer l'élection présidentielle. Nous avons le devoir y compris pour le candidat que nous choisirons de soutenir, d'être leur voix, parce qu'autrement leurs voix s'en iront ailleurs.

Voilà l'enjeu. Je vous propose de construire ensemble un grand mouvement qui ait une pleine conscience de ce qu'il croit, qui soit fier de ce qu'il est. Un grand PPE à la française, capable non seulement de témoigner, non seulement d'être sympathique, mais si vous le voulez bien, d'exercer le pouvoir.

Alors je sais bien que c'est difficile, que c'est même une tâche immense. Mais les noms et les exemples que j'ai cités à cette tribune, Marc Sangnier, Robert Schuman, et Gilbert Dru, vous ne croyez pas que leur tâche était plus difficile que la nôtre ? Vous ne croyez pas que le sang et la haine et le pays décomposé, et le pays meurtri, et le pays détruit, vous ne croyez pas que c'était autrement difficile que les divisions politiques que nous aurons à surmonter ? Mes amis, je vous propose que nous choisissions ensemble d'être fidèles, d'être fidèles à leur exemple, de construire et d'avancer. Oui, la France va aller de l'avant parce que l'Europe va se construire. Mes amis, le Centre est fier de ce qu'il est. Le Centre est de retour.

 

Date : 15 décembre 1994
Source : Démocratie Moderne

Les discours des candidats

François Bayrou : « Si mon intervention n'a qu'un sens ce sera celui-là : c'est un appel à la refondation de notre famille politique »

Mon Cher Pierre, je voudrais m'adresser à toi pour commencer. M. le Président du CDS, je voudrais m'adresser à toi, non pas seulement comme ton ancien collaborateur, non pas seulement comme ton ami, je voudrais m'adresser à toi comme un militant, pour te dire merci.

Tu as décidé en conscience de ne pas te représenter. Tu l'as fait pour deux raisons. Tu l'as fait parce que le temps passe et puis tu l'as fait parce que tu avais essuyé des vagues de critiques que je trouve tout à fait injustes.

Je voulais te dire, Pierre, que la compétence et la solidité qui sont les tiennes dans la responsabilité très lourde, très difficile que tu assumes aujourd'hui, cela représente un atout non seulement pour notre présent, non seulement pour notre passé, mais pour notre avenir. Je voulais te le dire au nom de cette famille politique. C'est une manière d'exprimer uns gratitude que je pense unanime.

Tout à l'heure, vous allez avoir le choix. Vous n'aurez à répondre qu'à une seule question. Non pas de savoir si vous préférez telle ou telle personne, non pas de savoir avec qui vous êtes ami. Vous n'aurez à répondre qu'à une seule question dans le siècle dans lequel nous allons entrer, ce siècle qui ouvre un millénaire, dans ce siècle, quelle organisation, quel visage faut-il pour que notre famille politique marque durablement son avenir ? (…) Nous sommes en 1994. En 1894, c'était la création du Sillon de Marc Sangnier. En 100 ans, ces hommes qui avaient décidé de croire ensemble, du même mouvement, à la cité du ciel et à la cité de la terre, ces hommes ont changé le visage de notre siècle. 100 ans. Et puis, en 1924, 70 ans, c'est la création du Parti démocrate populaire que présidera Auguste Champetier de Ribes, député de la-deuxième circonscription des Pyrénées-Atlantiques dont je suis l'élu aujourd'hui. 70 ans. Et puis 1944, 50 ans, c’est la création du Mouvement républicain populaire. Le mouvement qui va saisir la France, au lendemain de l'horreur et du déchirement, pour en faire la nation moderne qui nous permet d'être là aujourd'hui.

100 ans, 70 ans, 50 ans. Mes amis, pour moi, ce ne sont pas des anniversaires. Ce sont des appels. Et si mon intervention devant vous n'a qu'un sens, ce sera celui-là. C'est un appel à la refondation de notre famille politique. (...)

Je veux citer à cette tribune le nom d'un jeune homme qui avait 24 ans il y a 50 ans, un jeune homme qui a été haché place Bellecour à Lyon par les balles des mitraillettes de la Gestapo de Barbie. Il s'appelait Gilbert Dru. C'était un philosophe. Et je voudrais qu'à cette tribune, dans ce congrès de la refondation, le nom de l'un de cette armée de l'ombre au moins soit présent. À ce nom, je voudrais associer celui de Jean Lecanuet. Voilà notre héritage. Voilà notre mémoire.

Et l'on n'a pas le droit de dilapider l'héritage. On n'a pas le droit de trahir la mémoire.

Mais il y a plusieurs manières de trahir. Il y a la manière habituelle, ordinaire. Il y a la manière vulgaire, celle des carriéristes qui passent leur temps à renier leurs paroles pour monter un peu l'échelle de perroquets. Et puis il y a, hélas ! d'autres manières. C'est la manière de ceux qui se croient fidèles, je dirais, c'est la manière des intégristes. Ceux qui croient qu'on est fidèle à une graine, à une semence lorsque pour l'adorer on l'enferme dans un bocal de verre. Mes amis, on est fidèle à une graine que si on la met en terre, si on l'expose aux risques de la pluie, si on la fait pousser.

Et, c'est la question de notre fidélité qui est posée. Comment Robert Schuman, Gilbert Dru, Jean Lecanuet, comment pouvons-nous être fidèles à vos destins interrompus ? Et bien, il suffit d'interroger, de s'interroger et de se demander ce que voulait Dru. Il voulait la victoire. Ce que voulait Schuman, il voulait que l’Europe se fasse. Ce que voulait Lecanuet, il voulait que nous gouvernions. Mes amis, dans le combat, la fidélité, c'est de tout faire pour préparer la victoire. La vraie fidélité, c’est la victoire.

Et c'est pourquoi je dis, sur l'autre rive du Rhin, je dis qu'Helmut Kohl est fidèle, lorsqu'il fait gagner pour la quatrième fois consécutive nos idées, lorsqu'il mobilise autour de cet idéal 45 % du peuple allemand pour le réunifier, pour le faire avancer, pour construire l'Europe. Et je dis dans le même temps que nous, depuis 36 ans, notre fidélité de ce point de vue-là était insuffisante.

Je voudrais saluer, au premier rang de cette salle, le dernier chef de gouvernement qui ait appartenu à notre famille politique. Je salue Pierre Pflimlin. (...)

C'est un débat, mes amis, qui dure si longtemps chez nous. Souvenez-vous, du procès qu'on a fait à Jean Lecanuet parce qu'il avait décidé, à votre demande et pour sauver cette famille, de présider l'UDF. Je ne pense jamais sans honte au congrès de Lille, où on l'a empêché de finir son discours à la tribune. C'était son dernier congrès et son dernier discours.

C’est un procès qu'on a fait si longtemps à René Monory en sourdine, en disant à voix basse qu'il n'était pas de la famille. C'est un procès vous le savez bien, qu'on me fait à moi-même, comme si d'avoir adhéré à 20 ans, sans même connaître un seul démocrate-chrétien (...), ça ne suffisait toujours pas pour être de la famille. Comme s'il n'y avait que la génétique qui pouvait permettre d'entrer dans cette famille. C'est un procès que je n'accepte pas. Nous sommes une famille vivante. Et nous sommes une famille qui veut et qui doit rassembler pour gouverner (...).

Ou bien nous choisissons de rester entre nous, ou bien nous choisissons de constituer autour des valeurs du CDS un grand mouvement politique capable de gouverner la France, un PPE à la française, un Parti populaire européen chargé de diffuser les valeurs de la démocratie chrétienne dans la société française. Et ce mouvement, c'est le seul moyen dont nous disposons à mes yeux pour faire réellement rayonner l'équipe de responsables remarquables que vous avez au premier rang. Pardonnez-moi de ne pas les citer tous. (...)

Voilà une équipe qui serait faite de gens qui considèreraient que naturellement la carrière cela compte, mais que la carrière ce n'est pas l'essentiel. Si ce centre avait existé, si ce PPE à la française avait existé, il aurait gouverné la France et il aurait rassemblé bien au-delà de ses rangs. Il aurait arrêté tous ceux qui nous ont rencontrés quelques jours. Pardonnez-moi, s'il avait existé, Raymond Barre aurait été dans ce PPE à la française. Il y aurait eu Simone Veil, il y aurait eu Giscard, il y aurait eu Millon, il y aurait eu Jean-François Poncet. Si ce mouvement avait existé, Balladur en aurait été et Delors en aurait été membre. (…)