Extraits d'une communication de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, sur ses principes pour l'enseignement dans les lycées, Paris les 1er et 2 juillet 1998, publiée dans "Le Monde" du 17 octobre 1998.

Prononcé le 1er juillet 1998

Intervenant(s) : 
  • Claude Allègre - Ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie

Circonstance : Audition de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale de la recherche et de la technologie, devant les commission des affaires culturelles du Sénat et de l'Assemblée nationale les 1er et 2 juillet 1998

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral


Mes principes pour l’enseignement dans les lycées.

Nous publions ci-contre la communication du ministre de l’éducation nationale devant la commission des affaires culturelles du Sénat et celle de l’Assemblée nationale, prononcée les 1er et 2 juillet 1998. Ce texte, intitulé Principes de références destinés à servir de base à l’organisation des études, synthétise la réflexion de Claude Allègre sur l’enseignement dans les lycées. Il a été rédigé après lecture du rapport de Philippe Meirieu, remis au ministre au mois d’avril. M. Meirieu s’était inspiré des résultats de la consultation nationale des lycéens et des enseignants, notamment des réponses apportées à quatre millions de questionnaires.

Ces principes sont destinés à être discutés au Parlement et à servir de base à la réforme qui sera progressivement mise en place à partir d’octobre 1999. Ils se présentent comme des exigences indissociables.

1. Le lycée est dans le parcours scolaire le cycle de la diversification.

C’est le cycle au cours duquel on choisit, donc on se forme pour :
– soit la poursuite d’études vers les enseignements supérieurs ;
– soit l’entrée dans la vie professionnelle (…).

Ces choix et cette préparation au futur doivent se faire avec pour objectifs :
– l’égalité des chances pour tous ;
– la prise en compte de tous les talents, ce qui implique l’égalité dans la diversité ;
– aucune sortie du système scolaire ne doit se faire sans une qualification attestée.

Par l’affectation des moyens, par la confection des programmes, par la mise en place des examens de contrôle : l’éducation nationale est la garante de ces objectifs.

2. Le lycée doit être le lieu d’apprentissage de la citoyenneté républicaine.

Les connaissances acquises au lycée doivent permettre, dans toutes les disciplines, de développer le sens de l’effort, l’attitude de probité intellectuelle, de recherche honnête de la vérité, de respect de l’opinion d’autrui (…). Les contenus disciplinaires à enseigner au lycée, tout en favorisant la spécialisation progressive dans un champ disciplinaire ou professionnel, doivent contribuer à la construction de la cohésion sociale. En effet, il serait inacceptable que des élèves, devenus ouvriers, employés, agriculteurs, techniciens supérieurs, agents de maîtrise, cadres moyens ou supérieurs, dans des spécialités différentes, ne puissent communiquer que difficilement ou soient empêchés de mener ensemble une négociation sociale ou un projet commun (…).

L’organisation du lycée doit être un exemple pratique de démocratie, de respect mutuel, dont la violence physique ou verbale est bannie. La citoyenneté lycéenne sera organisée, les droits des lycéens discutés, adoptés et respectés.

3. Education et formation doivent être présents dans l’enseignement donné au lycée dans des proportions qui varient en fonction du type d’établissement.

Nous réaffirmons l’existence de trois voies distinctes d’égale dignité : la voie d’enseignement général, la voie technologique, la voie professionnelle. Chacune doit avoir sa spécificité propre, bien définie par son nom et ses contenus disciplinaires, mais ils doivent tous trois inclure dans leurs enseignements des éléments d’éducation générale et des éléments de formation.

Cela veut dire, par exemple, que les lycées devront acquérir la maîtrise d’exercices fondamentaux de la vie pratique, comme par exemple la rédaction d’une lettre ou d’un rapport, la lecture d’un tableau de chiffres, le repérage sur un plan, la pratique orale d’une langue étrangère, l’usage d’un traitement de texte, la maîtrise d’un exposé en temps limité. Tous devront être initiés à l’apprentissage des nouvelle technologies dans une vision pratique.

4. L’orientation devra être progressive, fondée sur des critères positifs et conçue de manière à permettre une irréversibilité.

Pour qu’il en soit ainsi, il faut que les cursus et les filières ne soient pas trop cloisonnés, que des passerelles existent, que des rattrapages soient possibles. Il faut aussi que les orientations ne soient pas trop brutales et ne soient pas perçues comme des constats d’échec. Dès la classe de seconde, les professeurs, en liaison avec les conseillers d’orientation, devront traiter de l’orientation, des métiers, en présentant aux élèves des choix clairs et en les mettant en contact avec les métiers de la vie réelle. Les orientations devront être discutées avec les parents, les élèves eux-mêmes, et ne pas apparaître comme imposées arbitrairement.

5. Les horaires d’enseignement excessifs et les programmes surchargés concourent à la déstructuration de la formation intellectuelle et aggravent la discrimination sociale.

Il faut mettre fin à l’inflation des programmes en ce concentrant davantage sur les connaissances de base, les apprentissages fondamentaux, la maîtrise des savoirs structurants. Les horaires d’enseignement en classe ne pourront dépasser 26 heures dans la voie générale, 30 heures dans les voies technologiques et professionnelle, auxquelles peuvent s’ajouter 2 heures d’option.

Les moyens ainsi dégagés seront réutilisés et permettront aux élèves de recevoir, en fonction de leurs besoins, qui sont variables, dans le cadre du lycée et sous la responsabilité des professeurs, une aide personnalisée, d’effectuer des travaux en petits groupes, d’accéder aux ressources documentaires et aux matériels informatiques de l’établissement (…).

6. Les enseignements littéraires et de sciences humaines devront s’appuyer sur la culture de base qui constitue le fondement de notre héritage européen.

La maîtrise de la langue française, tant à l’oral qu’à l’écrit, doit être privilégiée, et ce à travers des exercices multiples. A la dissertation classique devra s’ajouter la pratique des œuvres d’imagination connue souvent sous le vocable de rédaction.

L’enseignement de l’histoire et de la géographie constitue un élément essentiel de la formation intellectuelle de l’élève. La présentation d’une optique européenne sera recherchée dans la mesure du possible.

L’enseignement des sciences sociales et politiques doit donner des réponses rigoureuses aux interrogations des élèves face aux problèmes contemporains.

7. L’enseignement des sciences sera conçu sous son aspect autant culturel et historique qu’opératoire.

Pour les sections plus littéraires, l’aspect culturel sera privilégié. Pour les sections scientifiques, les deux aspects seront équilibrés.

Il sera équilibré entre l’apprentissage de l’observation et de l’abstraction, entre la méthode déductive et la méthode inductive. La méthode expérimentale sera abordée à travers des pratiques individuelles simples. On ne donnera pas aux mathématiques la rôle prépondérant dans les processus de sélection et d’orientation, mais on aidera à s’y consacrer ceux qui le souhaitent. L’enseignement des mathématiques pratiques appuyées sur l’ordinateur sera privilégié pour les sections et les disciplines pour qui les mathématiques sont des outils (…).

8. L’enseignement des langues étrangères devient dans notre monde moderne un élément essentiel de la formation des futurs citoyens.

L’objectif de parler deux langues étrangères à la sortie du lycée, voire trois pour certaines sections, doit être affirmé. Les exercices d’apprentissage devraient faire appel largement aux nouvelles technologies et aux locuteurs natifs.

9. Le rôle de l’enseignant est de délivrer son enseignement, de permettre à tous les élèves l’accès au savoir, mais il est aussi d’aider l’élève à maîtriser ces apprentissages.

Dans le cadre de programmes nationaux, il sera laissé une grande liberté aux enseignants pour créer leurs enseignements et les adapter en fonction des élèves. L’enseignant doit être aussi un guide et un aide pour l’élève. Il doit pouvoir s’appuyer sur les nouvelles technologies. Ces activités devront être prises en compte dans le service des enseignants en tenant compte, bien sûr, de la diversité des exigences propres à chaque discipline (…).

10. le baccalauréat constitue l’examen final du lycée. Il est aussi l’examen d’entrée à l’université, dont il constitue le premier diplôme.

Diplôme national garantissant l’égalité républicaine, il doit comporter obligatoirement des épreuves nationales anonymes identiques pour tous, même si, en fonction des spécificités des disciplines, une partie du contrôle en cours de formation peut en constituer un élément, comme c’est déjà le cas.

11. Deux voies, technologique et professionnelle, caractérisent la formation technique en France.

Celles-ci comportent une large part de formation générale, qui garantit la capacité d’évolution des diplômés et contribue à l’élévation du niveau culturel du pays. (…) Aujourd’hui, l’aboutissement d’une formation qualifiante et reconnue ne se conçoit plus sans un temps suffisant passé au sein de la production des biens ou des services en situation d’exercice réel. Ces périodes en entreprises, cette alternance doivent être articulées avec la formation en établissement pour constituer un ensemble coordonné et cohérent, elles doivent se situer au moment où elles peuvent être le plus bénéfiques, le plus souvent dans les dernières phases de la formation (…).