Extraits d'une déclaration de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, à Montreuil le 17 juin, parus dans "Le Peuple" du 1er juillet 1998, sur la situation sociale, la stratégie revendicative de la CGT et les relations avec les autres syndicats notamment la CFDT.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion de la commission exécutive de la CGT à Montreuil le 17 juin 1998

Média : Le Peuple

Texte intégral

Le bureau confédéral a considéré qu'il y avait nécessité, dans le prolongement du débat du CCN, d'avoir un échange assez large, approfondi même, au niveau de la commission exécutive sur les questions que nous pose la situation en regard de notre stratégie revendicative, dans la mesure où le CCN a montré à la fois les progrès incontestables dans la prise de conscience de l'importance et de l'intérêt de notre démarche, et en même temps, la persistance d'un certain nombre de débats sur les questions de tactique de luttes, pratiques revendicatives et positionnement par rapport au Gouvernement.

Tout d'abord quelques mots sur le contexte actuel marqué par des aspects fortement contradictoires. En effet, nous avons d'un côté une pression revendicative qui reste forte, marquée par des initiatives de luttes, la plupart du temps unitaire, qui témoigne de réelles potentialités pour peu que l'on élargisse encore le champ de notre démarche revendicative...

Il est intéressant de noter que le mois de mai et la première partie du mois de juin ont été marqués par des actions significatives. Ainsi, il est à souligner sans la moindre notion de priorité, la lutte de la DCN à Toulon avec un soutien affirmé des salariés de la CMR des Bouches-du-Rhône, les luttes dans l'énergie, les luttes des cheminots, les luttes importantes dans le commerce, de nombreuses luttes dans le textile, les luttes des banques, la marche des privés d'emplois, et j'en oublie certainement.

Sans doute, cette pression revendicative ne conduit pas forcément à des résultats ressentis comme spectaculaires. Mais elles constituent une donnée forte dont gouvernement et patronat, chacun pour ce qui les concerne, sont amenés à prendre en compte et qui se traduit par un certain nombre d'évolution. Je pense au recul du Gouvernement sur les allocations familiales, je pense à la loi sur l'exclusion dont nombre d'aspects ont reflété cette pression revendicative, en particulier l'impact de la lutte des chômeurs, je pense au recul du patronat dans l'offensive de dénonciation des conventions collectives, je pense au succès sur les questions de salaire dans un certain nombre de conflits d'entreprise, je pense au patronat du textile qui vient d'être contraint d'avancer les discussions salariales, bref, une situation marquée par une pression sociale nette. Un ensemble d'éléments qui confirme la nécessité d'intensifier les efforts de mobilisation à partir du lieu de travail, du débat avec les salariés, d'une élaboration démocratique des revendications, en mesurant que le rapport des forces en construction témoigne, contrairement à certaines affirmations, voire même à certaines apparences, que les salariés ne sont pas en situation de faiblesse.

Bien sûr les luttes sont dures, souvent longues, car les résistances patronales sont bien réelles. Le climat dans les entreprises est tendu, les pressions en matière de droits et libertés sont lourdes, y compris dans les entreprises nationales, mais au total, le climat général n'est ni à la résignation, ni au consensus mou et certains succès revendicatifs, je pense à la lutte des salariés de l'hôpital d'Avicenne, sont autant d'éléments de confiance pour capitaliser cette volonté de s'investir.

D'un autre côté, on sent grandir beaucoup d'interrogations sur la démarche.

Certains camarades, voire certaines organisations donnant la priorité de leurs réflexions aux aspects négatifs ou préoccupants d'un certain nombre de dossiers, tendent à privilégier ou à solliciter des initiatives de caractère national et interprofessionnel, comme s'il y avait opposition entre les deux opportunités et en sous-estimant l'importance décisive du contenu revendicatif qui au final détermine les possibilités unitaires et la capacité de mobilisation.

Dans cette situation, nous avons besoin de pousser la réflexion d'autant que nous sommes et nous allons être confrontés dans les prochaines semaines à des dossiers lourds.

Populariser nos propositions

Je pense : au devenir des systèmes de retraite dès cet automne sur le devant de la scène, avec la mission qui a été confiée au Plan. Au débat qui s'annonce sur les régimes spéciaux, au devenir de la protection sociale avec la dégradation de l'assurance maladie qui témoigne de la nocivité du plan Juppé et le besoin impérieux de remettre le tout en chantier. L'offensive des assurances privées pour la privatisation de la Sécurité sociale et la position de Spaeth, le président de la caisse maladie de transformer cette caisse maladie en établissement public, montrent toute l'importance que nous avons à utiliser le champ d'intervention que nous ouvre la perspective des États généraux sur la santé.

Je pense au devenir des services publics et des industries nationales avec des questions lourdes à d'EDF, à la SNCF, Air France, à la DCN, ou dans le secteur financier. Je pense à la politique industrielle pour laquelle nous avons toujours beaucoup de difficultés à appréhender ce qu'est véritablement la stratégie du Gouvernement. Je pense à la perspective du budget 1999. Bref des dossiers importants qui vont venir s'ajouter aux problèmes de l'emploi, des salaires, et notamment la question du Smic, dans le cadre du début de mise en oeuvre des 35 heures.

Autant de dossiers sur lesquels nous avons besoin de populariser nos positions, nos propositions, sans attendre d'être le nez sur ce que seront les propositions du Gouvernement ou les positions du patronat.

C'est bien à partir de ces considérations que l'on ressent le besoin de débattre à nouveau de notre positionnement par rapport à notre démarche.

Quel doit être le point central, l'objectif central de notre positionnement ? L'objectif revendicatif, la revendication élaborée avec les salariés, les efforts de mobilisation pour en faire des objectifs de conquête, ou la seule cristallisation autour des orientations et des décisions du Gouvernement ?

Ici et là, l'acharnement que nous mettons à ferrailler sur la nécessité d'enraciner l'action revendicative à l'entreprise est interprétée comme un refus de croiser le fer avec le Gouvernement sous prétexte que nous avons un Gouvernement de gauche, qu'il y a des ministres communistes, que sais-je encore. C'est pourquoi, nous devons être clairs sur notre approche de la situation.

En effet, nous voulons, non seulement, être acteur de l'évolution de la situation, mais un acteur qui se donne les moyens de peser, de gagner, d'enfoncer des brèches, et cela n'a rien à voir avec un comportement de juge de touche, puisqu'on est en période de la coupe du monde, qui consacre son énergie à signaler les fautes, à les commenter. Cela ne nous empêche pas de dire ce que l'on a à dire et ne nous conduit pas à être naïfs ou complaisants. Cela ne nous empêche pas de combattre avec toutes nos forces si nous l'estimons nécessaire, mais en ne perdant jamais de vue que notre potentiel de mobilisation est étroitement dépendant des enjeux et des objectifs revendicatifs.

En témoignent notamment les luttes sévères sur la question du service public, qui même si nous en mesurons à la fois les difficultés et aussi les potentialités que le développement de ces actions peuvent générer qu'il s'agisse de l'emploi, des salaires, de la réduction de la durée du travail, de la protection sociale, de la retraite, c'est bien de la mobilisation autour d'objectifs revendicatifs débattus avec les salariés que dépend l'évolution de la situation. Pour m'en tenir aux 35 heures, je signale, parce que peut-être certains camarades n'ont pas été confrontés à cette donnée, qu'un texte circule actuellement et est même proposé au débat dans un certain nombre de congrès contre la loi des 35 heures. Que pourraient bien gagner les salariés, à une offensive conjointe de la CGT et du patronat contre la loi, sous prétexte d'un certain nombre d'insuffisances bien réelles que nous avons pointées, que nous avons soulignées, que nous avons dénoncées, sinon le risque de voir la deuxième loi annuler les seuls aspects positifs de la première et du même coup, démoraliser les salariés au moment où précisément leur mobilisation est essentielle.

Pour des issues positives

Il est certain que les mécontentements vont aller en grandissant au regard des enjeux que portent les dossiers qui viennent maintenant sur le devant de la scène. Mais la question qui nous est posée est bien de définir la meilleure démarche pour faire déboucher ce mécontentement sur des initiatives d'action qui permettent des issues positives.

Et c'est en toute lucidité de cette réalité et de la tendance à cristalliser les réactions autour des seules décisions gouvernementales que nous devons pousser le débat sur la démarche.

Je comprends que certains veuillent en découdre avec le Gouvernement - j'épargnerai à la commission exécutive de faire la liste des désaccords que nous avons avec un certain nombre d'orientations, de décisions et de choix - encore faudrait-il préciser sur quoi, comment, avec qui pour déboucher sur quelles perspectives.

Je n'imagine pas que l'on puisse avoir comme perspective une déstabilisation du Gouvernement qui aiderait au retour de la droite. S'il s'agit simplement de faire pression sur lui pour modifier les choix ou en faire triompher d'autres, le meilleur moyen n'est-il pas de faire grandir le rapport de forces à partir d'une démarche revendicative solidement ancrée sur les salariés ?

Nous pouvons être conduits, dans les mois à venir, en fonction de l'évolution d'un certain nombre de dossiers à prendre des mesures de mobilisation importantes sur un certain nombre de sujets, je pense au Smic : je ne sais pas comment va évoluer la situation. Nous allons être en conflit direct avec le Gouvernement et aucune hésitation ne doit avoir lieu - encore faudra-t-il s'appuyer sur un contenu revendicatif concret largement popularisé et débattu avec les salariés.

C'est la condition décisive pour que l'action syndicale soit perçue comme efficace par l'ensemble des salariés. Or, nous voyons tous les jours combien les différents éléments du champ revendicatif deviennent de plus en plus mêlés, complémentaires et interfèrent les uns sur les autres, qu'il s'agisse des salaires, de l'emploi, de la réduction de la durée du travail, de la protection sociale, des questions de la retraite, toucher à l'un ou l'autre de ces domaines c'est provoquer des conséquences dans tous les autres.

Nous avons impérativement besoin d'aider toutes nos organisations, et quand je dis nos organisations c'est d'abord à nos syndicats que je pense, à resituer tous ces aspects par rapport au travail. C'est-à-dire à faire en sorte que notre activité à l'entreprise porte bien l'ensemble cohérent de ces objectifs revendicatifs faute de quoi, nous risquons devant l'importance des dossiers qui viennent, d'être tirés à hue et à dia, d'être interpellés pour des initiatives ciblées tantôt sur un sujet, tantôt sur un autre sans que les salariés perçoivent l'efficacité d'une telle démarche dispersée. Faire vivre dans la cohérence nos objectifs revendicatifs à l'entreprise c'est la condition pour que se fassent jour des possibilités d'initiatives nationales interprofessionnelles qui auraient d'autant plus d'impact que ces objectifs seraient ciblés en s'appuyant sur les aspirations dominantes des salariés et nous ne renonçons nullement à cette perspective. De même, c'est la mise en oeuvre de cette cohérence qui peut le mieux nous aider à dépasser les incompréhensions qui peuvent surgir entre professionnel et interprofessionnel.

A l'évidence, un certain nombre de problèmes appellent à la construction de rapports de forces à l'échelle de la profession et peuvent d'ailleurs déborder sur des éléments de solidarité qui élargissent les perspectives d'action. D'autres, appellent directement à la construction d'un rapport de forces plus large, plus solidaire, interpellant toutes les professions.

Les uns et les autres partent bien de l'entreprise et prennent de l'impact s'ils sont effectivement portés par l'activité sur le lieu du travail. Du coup, nous mettons en pleine lumière tous les efforts qui restent à faire pour progresser encore quant à la qualité de notre activité sur le lieu de travail pour que notre démarche revendicative devienne la propriété de tous nos syndicats, du plus grand nombre possible de syndiqués pour nous permettre de nouvelles avancées tant dans les rapports syndicats/salariés - où il y a encore beaucoup de choses à faire - que dans le prolongement de notre activité vers les entreprises qui n'ont pas de syndicat en favorisant une démarche offensive, par exemple sur la question du mandatement, qui nous permette de faire en sorte que l'activité de l'union locale soit portée par toutes les forces qui composent l'union locale.

Admettons entre nous que nous avons encore à investir beaucoup d'efforts avec beaucoup de ténacité pour y parvenir, tout en mesurant les progrès réels qui ont été effectués dans cette direction. C'est pourtant là que se trouve la clé de nombre de nos problèmes en particulier pour résoudre la difficulté que nous avons à faire avancer dans un même mouvement la démarche vers les salariés et la démarche vers les autres syndicats.

Bien sûr, nous n'avons pas l'illusion de voir disparaître brutalement les différences de conceptions du syndicalisme qui existent entre les différentes forces syndicales. Pour autant, les secousses qui traversent actuellement le syndicalisme dans la totalité de ses composantes et je n'en exclus aucune avec des aspects plus accentués au sein de Force ouvrière, au sein de la CFTC, au sein de la CGC, montrent que la question de la recherche de l'efficacité de l'action syndicale bouscule pas mal de données.

La phase actuelle de balkanisation du mouvement syndical, parce qu'on en est quand même là, peut déboucher sur des conditions nouvelles plus favorables à une démarche de convergence et de rassemblement pour peu que nous nous battions avec acharnement sur notre démarche visant à travailler le rassemblement autour d'objectifs élaborés au prix d'un vaste effort démocratique de débats avec les salariés. Mais, elle peut déboucher aussi sur une flambée de réactions corporatistes voire populistes et ouvrir une marge de manoeuvres pour des entreprises de déstabilisation du syndicalisme de toutes natures.

Je me dois de dire à la commission exécutive que nous avons intérêt à être attentifs à certaines opérations d'entrisme dont on peut considérer que le renforcement de la CGT n'est pas à la source de la motivation. Notons, que c'est une des conditions pour battre en brèche également toutes les tentatives qui visent à entretenir ou élargir le clivage entre un syndicalisme protestataire et un syndicalisme de proposition. Notons, au passage, que c'est aussi la condition pour dépasser les débats qui perdurent aussi, ici et là, dans la CGT visant à opposer contestation et proposition ou revendication et proposition. Dès lors que le mouvement se structure autour d'objectifs élaborés avec les salariés, il nourrit à la fois des propositions mais aussi la contestation de ce qui s'y oppose ou de ce qui y tourne le dos, il nourrit cette complémentarité sur un fond dynamique, offensif, rassembleur et unitaire. De ce point de vue, je pense qu'un certain nombre de choses sont en train de bouger en profondeur de façon plus importante qu'il n'y paraît actuellement.

Nous avons eu plusieurs échanges avec la CFDT. Les camarades qui les ont assurés, en feront un compte rendu devant la commission exécutive. Mais lors d'une première rencontre avec Nicole Notat, nous sommes convenus d'engager des conversations sur le fond de nos conceptions puisque nos deux organisations vont l'une et l'autre vers un congrès confédéral, donc travaillent, réfléchissent, élaborent. Nous avons effectivement, convenus de confronter les approches, les points de vue, non pas avec des ambitions de convaincre les uns sur le bien fondé des positions de l'autre mais simplement pour bien identifier nos positions respectives pour pointer les convergences, pour clarifier les divergences avec l'idée que c'est le meilleur chemin pour commencer à travailler ensemble de façon plus régulière sur tous les points où nous avons des convergences mais aussi sur les autres. Si cela peut paraître lourd ou fastidieux, toutes les pistes possibles de rapprochement entre organisations syndicales doivent être explorées avec tout le monde car l'avenir est au rapprochement de toutes les organisations CGT - CFDT - FO - FSU - Unsa et toutes les autres sur des objectifs conformes aux aspirations des salariés.

Pour le moment, cela semble difficile avec Force ouvrière, mais l'avenir n'est pas bouché. Cela peut devenir possible avec la FSU si ses dirigeants engagent une démarche plus réaliste quant à la nature de l'effort à fournir et se dégagent de la tendance actuelle qui aboutit à se limiter à des rapports avec Sud ou avec le groupe des dix ou seulement les opposants de la CFDT.

La recherche de convergences

Nous ne sommes pas hostiles par principe à répondre à telle ou telle sollicitation de rencontre, d'échange, de discussion, de participation à des colloques sur tel ou tel sujet d'autant que les sollicitations de ce genre affluent maintenant à une cadence régulière.

Mais, pour le moment, nous sommes bien obligés de constater que des initiatives, qu'il s'agisse des initiatives de Ressy, d'autres de nature identique, de l'espace de débats de la FSU, tournent autour des mêmes, que l'on retrouve discutant avec les mêmes sans que cela contribue à modifier le paysage avec toutefois une petite tendance à vouloir tirer la CGT sur un champ, pour le moment, où ni la CFDT ni FO ne sont décidées à aller.

Sans renoncer à saisir quelque opportunité que ce soit pour faire avancer le débat, nous ne lâcherons pas notre terrain de travail essentiel que constitue la recherche de rapprochements et de convergences avec les grandes confédérations qui constituent bel et bien l'élément à partir duquel peut se construire un rapport de forces efficace. Même si c'est difficile, même si persistent des terrains de divergences fortes, comme c'est le cas par exemple pour les privés d'emploi.

À ce sujet je voudrais indiquer à la commission exécutive que nous avons programmé une discussion au bureau confédéral sur la question de la bonne articulation du travail de la direction confédérale et du comité national des privés d'emploi. Les camarades du comité national ayant eux-mêmes engagé la réflexion, nous aurons une rencontre entre le bureau confédéral et les camarades des privés d'emploi avec en prolongement une discussion à la commission exécutive. Non pas que nous ayons des divergences graves à résoudre, mais tout simplement parce que nous sommes dans une phase d'apprentissage de travail en commun sur fond de développements intéressants et rapides de notre comité national, ce qui est réconfortant, mais pose les problèmes normaux de toute évolution.

Les enseignements à tirer du Tour de France qui a permis de consolider nombre d'acquis des luttes de décembre et de janvier, confirment le besoin d'une réflexion plus poussée pour examiner comment mieux intégrer confédéralement en amont les préoccupations des camarades du comité national, et comment créer les conditions pour une participation plus systématique du comité national aux réflexions des secteurs d'activités de la confédération.

Une première interpellation nous est faite pour le prochain conseil d'administration de l'Unedic qui a à son ordre du jour le relèvement des allocations chômage. Ce qui n'est pas sans signification et pas sans rapport avec le mouvement montant d'actions des privés d'emploi. Le mieux serait que la CGT aille à ce conseil avec des propositions sur le relèvement souhaité, sur l'élargissement du champ des indemnisés, sur les fonds sociaux et aussi des propositions pour une remise en chantier de l'ensemble du système Unedic et de son financement. ( ... )

La situation de l'emploi reste tendue. Les plans de licenciements continuent dans le textile, dans la métallurgie et dans bien d'autres branches. Les discours sur l'amélioration de la situation économique n'y changent rien, même si cela correspond à une certaine réalité. Il y a effectivement reprise des activités, il y a incontestablement une relance économique certaine, une amélioration des rentrées financières de l’État, mais voyons bien que si les créations d'emplois s'améliorent c'est sur la précarité et l'intérim qu'elles portent pour l'essentiel, avec une forte poussée des temps partiels inférieurs à 78 heures par mois. Ce qui fait qu'au total le taux d'activité mesuré en équivalent emploi à temps plein ne bouge pas de façon sensible. Ce qui pose le problème des aides, de l'utilisation des aides, en lien avec la perspective de la mise en oeuvre des 35 heures, car se vérifie que ces aides sont plus des aides aux entreprises, y compris à celles qui n'en ont pas besoin, que des aides à l'emploi.

Le débat sur le lieu de travail

Il y a là un champ à investir au niveau des entreprises, en lien avec le processus de négociations qui va s'ouvrir sur la réduction de la durée du travail, sur les salaires, en faisant le lien avec emploi et protection sociale bien sûr. Ce qui, d'ailleurs, nous faciliterait la compréhension des raisons pour lesquelles nos syndicats doivent investir la préparation des États généraux de la santé que le Gouvernement a enfin acceptés après avoir tout fait pour les éviter.

Nous avons d'autant plus intérêt à le faire que la situation de l'assurance maladie est à nouveau difficile alors que le plan Juppé continue de s'appliquer.

L'exigence d'une véritable politique nationale de la santé, élaborée démocratiquement, en lien avec les problèmes de financement de la protection sociale, est donc légitime. Et nous avons besoin d'aider toutes nos organisations, là encore, à engager le débat sur le lieu de travail. Ces questions vont forcément percuter la préparation du budget où la CGT se doit de porter ses propositions sur beaucoup de points. D'abord parce que nous avons des choses à dire sur l'efficacité des dépenses, on touche ici à l'efficacité des aides; nous avons à monter le ton sur la nécessaire réforme de la fiscalité qu'il faut maintenant mettre en oeuvre, en ayant comme objectif des mesures allant dans le sens de la redistribution : d'un côté baisse de la TVA, limitation des taxes d'habitations, pour permettre à la fiscalité de jouer son rôle dans la redistribution ; de l'autre pour exiger la suppression des privilèges exorbitants des revenus du capital, le renforcement de l'impôt sur la fortune en incluant les actifs professionnels comme vient de le demander le Conseil des impôts.

Toujours dans la même démarche, je crois qu'il faut également faire descendre le débat sur le lieu de travail, sur les problèmes que va poser l'Euro. A n'en pas douter, ils vont percuter de plein fouet nos objectifs revendicatifs, parce que les questions de l'emploi, des salaires, de la flexibilité, de la protection sociale vont venir sur le devant de la scène au nom de la compétitivité que l'Euro va intensifier, avec les risques de restructurations dévastatrices pour l'emploi dans un certain nombre de secteurs.

De ce point de vue, ce n'est pas ce qui vient de se passer au sommet de Cardiff qui peut nous amener à baisser la barre de nos exigences. Je crois que ce sommet, qui a reflété les contradictions qui grandissent en Europe sur fond de domination des partisans d'une Europe du simple libre échange apparaît bien comme un début de mini crise avec blocage des institutions. Tous les textes sociaux ont été rejetés, les quelques ouvertures qui avaient été faites au sommet de Luxembourg sur les questions de l'emploi ont été blackboulées, toutes les propositions de la CES pour ce sommet ont été renvoyées en touche, et le budget lui-même a été reporté pour cause de désaccord.

Ce qui constitue un terrain annonciateur de tensions sociales fortes dans les mois à venir, et du même coup élargit le champ des convergences revendicatives au niveau européen et va donc donner de la force au débat sur la responsabilité du syndicalisme européen dans une telle perspective. C'est donc sous le signe d'un champ revendicatif lourd, touchant à des dossiers engageant l'avenir que va se présenter la rentrée. Pour autant, nous n'avons pas d'autres choix que de mettre toutes les forces de la CGT sur le pont pour travailler d'arrache-pied à la mise en oeuvre de notre démarche pour multiplier les initiatives qui vont nous permettre d'entrer en contact et d'avoir débat avec les salariés.

Toute velléité de généraliser, de globaliser, ou de centraliser, en faisant l'impasse sur le travail irremplaçable d'ancrage des revendications à l'entreprise pourrait nous entraîner vers des initiatives d'agitation dans lesquelles l'efficacité ne trouverait pas son compte. Ce travail acharné peut permettre de créer les conditions d'un mouvement plus large mais ces conditions ne se décrètent pas elles se construisent et pour cela nous avons besoin de toutes nos forces.

Nous aurions besoin d'ailleurs de plus de forces, beaucoup plus de forces, et je voudrais souligner que ce que nous nous sommes déjà dit, quant à l'écart existant entre la perception du besoin de syndicalisme, l'aspiration à l'unité et la réalité de l'évolution de nos effectifs, restent toujours d'actualité. ( ... )