Texte intégral
Point de presse du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charrette, au Luxembourg, le 12 juin 1995
M. Barnier, ministre délégué, vous a informés des travaux de ce matin, notamment le Conseil d'association avec Chypre et Malte, de même que la signature des accords européens d'association avec les trois pays baltes, il n'est pas besoin que je vous en reparle.
Nous avons évoqué les questions concernant le document de stratégie sur la Conférence euro-méditerranéenne de Barcelone ainsi que les conclusions de procédure qui seraient conduites ainsi que sur la décision de stratégie globale sur la lutte contre le racisme et la xénophobie.
Nous avons eu la présence de M. Carl Bildt pendant nos travaux. Nous avons d'abord salué le travail qui a été accompli par M. Owen, vis-à-vis duquel l'Union européenne à une dette de reconnaissance pour le travail qu'il a accompli, pour sa connaissance du terrain et pour les progrès qu'il a réussi à mettre en œuvre. Nous avons pris acte du fait que les chefs d'État et de gouvernement, réunis à Paris vendredi dernier, avaient procédé à la désignation de M. Carl Bildt en lieu et place de Lord Owen pour présider, au titre de l'Union européenne, la Conférence internationale sur l'ex-Yougoslavie. Nous avons eu un tour de table très intéressant sur la situation des territoires ; entre autres, nous avons adopté une déclaration dont je vous rappelle les éléments : l'Union européenne exige la libération immédiate et sans condition des otages encore détenus, l'Union européenne apporte son soutien aux efforts des Nations unies pour doter la FORPRONU d'une capacité de réaction rapide qui lui permette d'assurer sa mission avec une efficacité accrue, l'Union européenne demande la relance du processus diplomatique dès lors que les otages seraient libérés.
S'agissant de la Croatie, le Conseil a convenu de mettre en œuvre l'ouverture des négociations d'un accord de commerce et de coopération ; le Conseil se réserve le droit de tenir compte à tout moment de l'attitude de la Croatie dans la mise en œuvre des résolutions de l'ONU, notamment en ce qui concerne le respect des mesures concernant la cessation des activités militaires et la coopération avec l'ONURC. Le comité politique est chargé de suivre de près la mise en œuvre de ces dispositions.
Nous avons évoqué la question de la signature d'un accord intérimaire avec la Russie. Le Conseil est convenu de garder la question sous examen et de se tenir prêt à procéder à la signature dès que possible. Le Conseil souhaite que l'on puisse parvenir à une signature dans les meilleurs délais. Nous avons d'autre part pris acte de l'engagement du gouvernement ukrainien, confirmé par le Président Koutchma à Bruxelles le 1er juin. Nous avons par conséquent considéré que les conditions étaient réunies pour la mise en œuvre de la première tranche du prêt au titre de 1995.
Concernant l'Arménie, la Géorgie les pays de la CEI, le Conseil, pour les trois premiers, a demandé à la Commission d'entamer des négociations sur la base de celles déjà existantes en vue d'un accord de partenariat et de coopération avec ces trois pays. S'agissant de l'Ouzbékistan et du Turkménistan, nous avons chargé la Commission d'entreprendre des conversations exploratoires dans ces pays et de nous faire rapport de ces premiers contacts.
Ensuite, nous avons préparé le Conseil européen de Cannes. J'ai indiqué à mes collègues que le Conseil européen devrait se concentrer sur la préparation de la Conférence intergouvernementale, sur les questions économiques et monétaires et l'emploi, sur le financement des politiques extérieures, et sur quelques autres sujets tels qu'Europol, peut-être l'audiovisuel et, bien sûr, des thèmes de politique extérieure, notamment sur la situation en ex-Yougoslavie.
Aujourd'hui, je ne vais pas évoquer tous ces points qui relèvent d'autres formations du Conseil qui se réuniront dans les prochains jours. Par contre, nous avons longtemps débattu de l'aide a apporter respectivement aux PECQ et aux pays méditerranéens. Les ministres ont constaté que l'objectif est d'aboutir à la fin de la période des perspectives financières, c'est-à-dire en 1999, à un rééquilibrage entre les actions d'aide de l'Union en faveur des PECQ et des pays méditerranéens. Nous pensons qu'il y a une relation entre les deux catégories de pays, conforme à l'engagement pris à Essen sur la base des propositions de la Commission et dans le cadre de la procédure budgétaire normale. Il y a donc accord entre les 15 ministres sur le montant de l'aide aux PECQ et aux pays méditerranéens en 1996 ; accord aussi sur l'objectif à atteindre d'un rééquilibrage en 1999.
Je dois préciser que l'Allemagne a donné son accord au référendum. Cette question est donc, en principe et sous cette réserve, réglée au niveau des ministres. La solution à laquelle nous sommes parvenus devrait être confirmée par le Conseil européen de Cannes. C'est un élément très important qui était resté en suspens et je suis heureux que nous ayons pu le résoudre aujourd'hui.
S'agissant du 8ème FED, c'est un peu plus compliqué. J'ai sensibilisé mes collègues sur l'importance de ce dossier, sur son caractère prioritaire pour la présidence française et, par conséquent, sur la nécessité impérative de le régler dès que possible et, en tous cas, avant le Conseil européen de Cannes. La délégation allemande a admis qu'il était nécessaire de parvenir à un compromis. La délégation britannique a réaffirmé ses réserves. Nous en sommes restés là. La présidence a conclu qu'il serait politiquement inacceptable d'aboutir à une offre qui se traduirait par une baisse de l'effort à 15 en faveur des pays ACP par rapport à celui qui a été fait à 12 pendant la période du 7ème FED.
Le Conseil a adopté des directives de négociations en vue de l'établissement d'un nouveau cadre de relations entre l'Union et l'Afrique du sud. Les négociations pourront donc s'engager dès avant la fin de la présidence française, comme celle-ci l'avait prévu et souhaité.
L'Union contribue ainsi au succès du processus de reconstruction et de développement conduite par le nouveau gouvernement sud-africain.
Nous avons évoqué la perspective d'un nouvel accord d'association avec Israël. Nous avons noté qu'il y avait encore quelques difficultés techniques, relativement mineures et nous avons fixé deux objectifs : d'abord, celui d'aboutir rapidement, c'est-à-dire si possible dans les jours qui viennent à un accord avec Israël. Je crois que nous en sommes proches. Nous avons invité la Commission à nous proposer un paquet global, en principe définitif que le Conseil pourrait très prochainement adopter.
S'agissant du Mercosur, grâce à la levée de la réserve formulée par l'Espagne, le Conseil a adopté des directives de négociations d'un accord cadre inter-régional de coopération économique et commerciale avec le Mercosur. Le Conseil a également adopté un projet de déclaration conjointe sur le dialogue politique entre l'Union européenne et le Mercosur. C'était aussi l'un des objectifs de la présidence française qui se trouve ainsi réalisé.
Nous avons débattu d'un projet de conclusions de la Commission et du Conseil, de l'attitude de l'Union européenne vis-à-vis du projet des zones de libre échange, suite à une communication de la Commission sur ce thème. Nous sommes tombés d'accord sur le fait que désormais, avant toute initiative tendant à la constitution d'une zone de libre échange, la Commission devrait procéder à une analyse de l'accord envisagé, avec les règles de compatibilité de l'OMC et à l'analyse des conséquences d'un tel accord, sur les politiques communes et sur les relations avec les principaux partenaires commerciaux. Le texte va être finalisé au COREPER.
S'agissant du Canada, le Conseil a donné son accord en faveur d'une concession temporaire envers le Canada jusqu'à la date d'entrée en vigueur des résultats de négociations menées avec ce pays au titre de l'article XXIV-6 du GATT.
Cette proposition est un geste qui vise à régler le contentieux avec le Canada ; ce geste significatif qui a été longuement débattu, sur son principe, sur ses modalités, ce geste qui vise à régler le contentieux avec Canada, serait bien entendu remis en cause dans le cas où le Canada mettrait à exécution sa menace de mesures unilatérales de rétorsion à l'égard de l'Union européenne.
Enfin, on en a terminé en disant que la Commission a rendu compte des négociations en cours à l'OMC concernant les services, les transports maritimes. La présidence a lancé un appel à la flexibilité des partenaires afin que la négociation sur les services financiers puissent aboutir à la date prévue, qui est le 30 juin.
C'était donc un Conseil chargé. Il a abouti sur beaucoup de points et a contribué à préparer le sommet de Cannes de façon positive.
Q. : J'ai noté que vous étiez très satisfait de l'accord intervenu sur le dossier financier, que signifie aboutir d'ici à la fin de l'année à un rééquilibrage ?
R. : Non, nous n'avons pas fixé d'échéancier budgétaire pluriannuel, pour une raison simple : c'est que les règles budgétaires de l'Union européenne s'y opposent ; elles s'opposent à ce que le Conseil puisse, à lui seul, prendre une décision qui a un caractère pluriannuel. Nous n'avons pas pensé que c'était possible ni souhaitable de le faire. Par contre, dans la position que nous avons prise, il a été prévu que la Commission réitère, et même écrive sous la forme d'une déclaration, les intentions qu'elle a déjà exprimées, et nous avons convenu de fixer des sommes pour le budget 1996, de donner la position du Conseil pour l'année 1996 et en donnant clairement notre intention d'un rééquilibrage entre les montants donnés aux uns et aux autres. Autrement dit, même s'il peut y avoir le sentiment que l'on ne soit pas allé jusqu'au bout, je crois que dans la pratique, dans la réalité des positions prises, des engagements acceptés, cela revient très exactement au même. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la plupart des délégations qui étaient assez allantes sur ce sujet, y compris la Présidence, ont accepté ce dispositif, qui nous a paru être un dispositif opérationnel, pratique, concret, marquant avec grande force quel était l'objectif que nous souhaitions atteindre, s'agissant de l'effort que doit faire l'Union européenne à la fois pour les PECQ et aussi pour les pays méditerranéens. Nous avions bien entendu à l'esprit, la préparation de la conférence de Barcelone. C'est la délégation espagnole qui est particulièrement concernée puisqu'elle va assurer la présidence de l'Union et, qu'à ce titre, elle aura la responsabilité de l'organisation de cette conférence, et la présidence française a souhaité que cette question soit traitée au Conseil européen. Il y avait pas mal d'obstacles, pas mal de réticences, il y avait même, ici ou là, l'idée de bloquer cette question tant que d'autres sujets éventuellement traitables à l'occasion de Cannes ne seraient pas eux-mêmes traités. Et, c'est pourquoi nous sommes tout à fait satisfaits, de l'arrangement qui nous paraît très positif à la fois pour Cannes et, en l’occurrence, pour les pays méditerranéens. C'est une bonne nouvelle pour les pays méditerranéens un élément très positif, c'est un très bon coup d'envoi donné à Cannes, à la conférence de Barcelone.
Q. : Sur la déclaration sur l'ex-Yougoslavie, que signifie le fait que le terme "groupe de contact" n'apparait plus. À propos, de Schengen, quel avenir prévoyez-vous par la France ?
R. : Sur la première question, il n'y a aucune conclusion à tirer du fait que le groupe de contact n'est pas évoqué. Nous avions à traiter la question de la désignation de M. Bildt en remplacement de M. Owen ; nous avons fait un tour d'horizon, et nous avons arrêté les trois principes de base de la position européenne.
Vous avez parlé des déclarations faites par un membre du gouvernement français concernant Schengen. Je voudrais vous apporter la mise au point suivante : nous sommes convenus avec nos partenaires d'une période de 3 mois de mise en application de la convention de Schengen. Nous sommes en train de faire le bilan de cette période et d'examiner au plan technique le fonctionnement des choses depuis le 26 mars, dans le cadre normal de concertation interministérielle. Le comité exécutif, justement chargé du suivi de fonctionnement de cet accord se réunira à la date prévue et il aura à apprécier collectivement et d'un commun accord les difficultés en question. Dans ces conditions, je crois qu'il est tout à fait prématuré de tirer, à ce stade des conclusions.
Q. : Au sujet de l'aide aux PECO et aux pays méditerranéens ?
R. : Nous sommes parvenus à un accord sur ces deux points -accord ad référendum pour l'Allemagne. C'était la mission que nous avait confiée les chefs d'États et de gouvernements. Ils ont souhaité que nous travaillions sur ce dossier, nous apportons un dossier qui est bouclé ; ensuite, les décisions qui se prennent dans un sommet dépendent de ce que les gouvernements et les Chefs d'États décideront et qu'ils jugeront opportuns.
Q. : Sur la Slovénie ?
R. : Vous savez qu'il y avait une difficulté qui venait de ce que le projet d'accord, pour des raisons tenant en particulier à la délégation italienne, n'avait pas pu être paraphé. Ce texte peut désormais être paraphé. Ceci étant, je dois rappeler que la question de savoir qu'il y a lieu ou non à un sommet relève de la présidence ; la présidence du Conseil n'a pas encore établi sa position et reste en contact avec l'ensemble des parties. Pour être tout à fait complet, j'ajouterai que la Jurisprudence est que sont invités au sommet les pays associés, c'est-à-dire après la ratification des accords d'association, ce qui n'est pas le cas de la Slovénie.
Q. : Au sujet de l'aide aux PECO, pays méditerranéens et ACP : faut-il établir un lien ?
R. : Sur le point de savoir s'il faut établir des liens, je ne suis pas d'avis qu'il faille compliquer les choses.
Ex-Yougoslavie
Interview du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, à Radio France, au Luxembourg, 12 juin 1995
Q. : Monsieur le ministre, trois questions. La première, quelle est aujourd'hui à l'heure où nous parlons la situation de nos otages là-bas ?
R. : la situation n'a pas changé à l'heure où nous parlons maintenant et, par conséquent, je ne peux que vous confirmer que la France – mais aussi l'ensemble des pays concernés – maintient sa demande urgente d'une libération rapide, totale et sans condition de tous les otages détenus illégalement et en violation des règles internationales sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine.
Q. : Il n'y a pas donc d'élément nouveau et récent ?
R. : Non.
Q. : Deuxième question, Monsieur le Ministre. Où en est la négociation avec M. Milosevic dans ce contexte ?
R. : Écoutez, M. Frasure, l'émissaire américain, s'était rendu en Yougoslavie, à Belgrade, après une première interruption à l'initiative du gouvernement américain. Nous avions insisté pour que la mission soit reprise sur la base de nouveaux éléments concernant notamment la question de la suspension des sanctions. Les discussions se sont poursuivies. M. Frasure est retourné aux États-Unis mais ce n'est pas une interruption des discussions, il n'est pas nécessaire qu'elles se poursuivent sur le terrain. Tout cela pour vous dire que le contact n'est pas du tout rompu et que par conséquent sur ce point il faut garder, comment dire, un optimisme mesuré et en sachant que nous sommes habitués à beaucoup de surprises et d'aléas dans un territoire où les choses sont difficiles.
Il faut que vous ayez bien à l'esprit que la question des otages bloque tout. Nous sommes absolument déterminés à faire en sorte que désormais la FORPRONU ne soit plus soumise aux attaques aux humiliations et à l'incapacité dans laquelle elle s'est trouvée d'accomplir sa mission. Ça, c'est terminé. Nous ne l'accepterons plus et c'est l'objet même de la Force de réaction rapide que de permettre, grâce, pour l'essentiel, aux Britanniques et à nous-mêmes mais aussi au concours des Hollandais, de nous mettre dans une situation désormais radicalement différente et nous irons jusqu'au bout naturellement, de façon à assurer l'impartialité et l'efficacité de la mission de la FORPRONU. Et puis enfin, le volet diplomatique reste essentiel à nos yeux, c'est-à-dire qu'une fois tout cela réglé dans les meilleurs délais, il faudra prendre des initiatives diplomatiques susceptibles de mettre rapidement les partenaires autour de la table en considérant le plan de paix comme le point de départ de nos travaux.
Q. : Précisément, Monsieur le ministre, est-ce qu'on se rapproche de la résolution des Nations unies qui avaliserait la Force de réaction rapide ?
R. : Écoutez, elle est actuellement déposée, elle sera débattue dans les 24 ou 36 heures. Nous avons fait savoir que, du point de vue français, du point de vue britannique, du point de vue des participants, il nous paraissait extrêmement urgent que ce texte soit voté pour que les dispositions concrètes puissent commencer et vous savez qu'il y a déjà des premiers éléments, des premiers détachements avancés de cette force de réaction rapide sur le terrain qui préparent les choses de façon que la Force puisse se déployer dans des délais extrêmement brefs, une fois votée la résolution du Conseil de sécurité qui, telle qu'elle est, tient compte de l'ensemble des préoccupations et notamment tient compte des préoccupations russes qui étaient de bien s'assurer que tout cela se passe dans le cadre de la FORPRONU elle-même et dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité.
Il n'y a pas de changement de mandat. Il s'agit bien toujours de contribuer au maintien de la paix et non pas d'imposer la paix par la voie militaire. Je rappelle que la paix, elle, viendra par la voie politique.