Texte intégral
M. Cotta : J. Chirac a plaidé, hier, pour la Force de réaction rapide auprès de B. Clinton et de B. Boutros-Ghali ; il a peut-être convaincu B. Clinton, mais a-t-il convaincu le Congrès américain de la nécessité de cette Force de réaction rapide (FRR) ?
C. Millon : Il n'est plus nécessaire de démontrer la nécessité absolue de la FRR. Depuis maintenant, trois semaines, on se rend compte que ce qui renverse le climat et les rapports, en Bosnie, c'est la fermeté, or, elle doit s'affirmer, et elle s'affirmera grâce à une Force de réaction rapide, c'est-à-dire une force qui sera composée de troupes qui pourront riposter, garantir la liberté de circulation des Casques bleus et qui permettront aux Casques bleus d'assumer leur mission. Je suis convaincu que le Président Clinton mettra tout en œuvre pour convaincre le Congrès que si l'on veut maintenir l'équilibre et la sécurité dans cette partie du monde et de l'Europe, il convient de mettre en place le FRR.
M. Cotta : Combien devrait-elle coûter ?
C. Millon : La FRR, si elle a 1 500 personnes, comme il était prévu au départ, coûterait 60 millions de France par mois.
M. Cotta : Le Congrès américain parle de 380 millions de dollars ou même de 780 millions de dollars sur six mois ?
C. Millon : Tout dépend du nombre de personnes qui seront engagées dans cette force. Il ne faut pas que les pays s'obsèdent sur cette question de financement. Pour le moment, il faut décider le principe de la mise en place de cette FRR. Il faut décider le principe que les soldats se battront sous leur uniforme national. Il faut décider le principe que la chaîne de commandement serait réduite, rapide, sous le contrôle opérationnel de l'ONU pour que les Serbes, les Croates, les Bosniaques sachent que nous avons la volonté de maintenir la paix.
M. Cotta : Qu'est-ce qui se passera si les Américains décident de ne pas la financer, cette FRR ?
C. Millon : Il y a deux solutions : soit le financement est accordé par l'ONU, soit ce seront les pays qui eux-mêmes financeront directement. Ce sera une décision des chefs d'État à ce moment-là. Il n'y aura pas un changement de nature mais un changement de mode de financement, le grand problème, aujourd'hui, c'est de décider l'installation.
M. Cotta : Est-ce que vous n'avez pas peur que l'on passe à une guerre totale au moment où l'on parle encore de FRR ?
C. Millon : Je crains une aggravation du climat politique et militaire en Bosnie. Comme le président de la République l'a fait hier, je me permets d'attirer l'attention du gouvernement bosniaque sur la gravité d'une contre-offensive qui viendrait peut-être casser toute la démarche de paix, d'équilibre et de rapport de forces qu'on essaye d'instaurer depuis trois semaines. Je comprends qu'ils soient exaspérés par des actes de barbarie qui ont été perpétrés par un certain nombre de belligérants mais il faut raison garder et il convient de mettre en place des procédures qui assurent la paix et l'équilibre.
M. Cotta : Vous avez l'impression que les forces bosniaques prennent un peu le G7 en otage ?
C. Millon : Je ne le crois pas. Il y a un phénomène d'exaspération, les bosniaques veulent reprendre un certain nombre de positions et veulent démontrer qu'ils sont présents et qu'ils sont là. Ils doivent être autour d'une table de négociation. La solution, en Bosnie, ne sera pas d'ordre militaire, elle sera diplomatique et politique. C'est pourquoi nous essayons de mettre en place des rapports de forces qui interdisent les offensives ou les contre-offensives.
M. Cotta : J. Chirac a décidé de reprendre les essais nucléaires, il a fait allusion à des rapports d'experts. Ce matin, beaucoup d'experts contestent l'expertise scientifique, la jugent opaque et pensent qu'il s'agit d'une décision politique plutôt que technique. Est-ce que les experts n'ont pas prêché un convaincu ?
C. Millon : C'est évident que c'est une décision politique qui a été prise sur des références techniques. Lorsque J. Chirac a décidé de reprendre les essais nucléaires. C'est une démarche de paix : la suspension des essais, en 1992, s'est faite d'une manière inopinée, F. Mitterrand l'avait constaté lui-même puisque, en juillet 1993, il avait jugé bon de mettre en place une commission pour s'interroger sur la nécessité ou non de reprendre les essais nucléaires. Deuxième raison : pourquoi reprendre huit tirs aujourd'hui ? C'est pour assurer la fiabilité, la sécurité, et l'efficacité de nos armes nucléaires afin d'avoir toujours une politique de dissuasion et donc d'indépendance. Troisièmement, c'est de parer au vieillissement de notre arsenal nucléaire et de garantir notre indépendance nationale.
M. Cotta : En France, le PS annonce une pétition pour demander l'annulation de la décision de J. Chirac. Quelle est votre réaction ?
C. Millon : Le PS devrait écouter les anciens ministres de la défense et en particulier les analyses de J.-P. Chevènement qui sont forts intéressantes. Tous ceux qui ont eu à s'approcher de ce dossier de la défense et de l'indépendance nationale ont un point de vue tout à fait différent de la nécessité de l'arme nucléaire pour garantir l'indépendance de la France.