Texte intégral
LCI - 30 octobre 1998
Jean-Marc SYLVESTRE : Bonjour. Le MEDEF a donc remplacé cette semaine le CNPF, le Mouvement des entreprises françaises c'est le nouveau nom pour l'organisation patronale qui cherche à se donner un nouveau look, une nouvelle ambition, une nouvelle stratégie aussi de fonctionnement. Alors sur ce plateau l’artisan du changement, Ernest-Antoine Seillière, président donc du MEDEF depuis quatre jours. Pour vous interroger, Nicolas Beytout des Échos, Éric Israelewicz, Le Monde. Est-ce que le terme de patron était à ce point aussi lourd à porter qu'il a fallu vous en débarrasser ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : C'était plutôt le terme de patronat qui était difficile. Patron, je le dis très souvent est parfaitement reconnu et utilisé dans l'entreprise. « Le patron n'est pas de bonne humeur ce matin, il veut qu'on livre tout de suite etc.». Mais le patronat c'était vraiment porteur en effet, à mon avis, d'une série d'images tout de même assez passéistes, des remugles de lutte des classes, je crois que tout cela était fini. Alors cc ne sera pas très facile parce que ça vient spontanément encore beaucoup dans le vocabulaire mais nous allons dire maintenant le Mouvement pense que et le patronat, j’espère…
Nicolas BEYTOUT : Et les unions patronales vont rester unions patronales ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non, les unions patronales, les ex-unions patronales vont toutes être MEDEF Yonne, MEDEF Allier etc., je vais cet après-midi d'ailleurs à Auxerre, je vais ensuite à Tours, à Saint-Étienne pour signer des contrats de franchise en quelque sorte avec le Mouvement qui va apparaître comme un grand mouvement national.
Nicolas BEYTOUT : Et en même temps même si le mot patron n'est pas « disqualifié », vous préférez le mot « entrepreneur », c'est ça ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oui, le mot « entrepreneur » me paraît, si vous voulez… d'abord, c'est assez curieusement un mot international. C'est comme cela que l'on appelle l'entrepreneur, le chef d'entreprise, aux États-Unis en Angleterre, et donc anglo-saxon dans le monde entier. Pour une fois qu'un mot français porteur de quelque chose qui nous représente est reconnu mondialement, autant le prendre et puis ensuite en effet ça a un côté, si vous voulez, terrain, responsable qui me convient.
Nicolas BEYTOUT : A un moment où on est très obsédé de féminiser les noms et de dire « madame la ministre » et non pas « madame le ministre », comment est-ce que l'on appelle une « patronne » dans le langage moderne, une « entrepreneuse » ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : (rires) Ecoutez, on verra si « l’entrepreneuse » fait son chemin. Pour l'instant on dit encore « madame » mais vous savez ça changera peut-être.
Jean-Marc SYLVESTRE : Mais qu'est-ce qui vous gênait ? C'était que le CNPF était trop associé dans l'esprit du public à la défense des propriétaires, à la défense du capital et qu'aujourd'hui dans les entreprises ce ne sont plus les propriétaires qui managent mais ce sont des salariés, c'est ça qui a changé ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE: Oui. J’ai la réputation de présenter des petits cartons quelquefois et si vous le permettez, je vous montre le nouveau sigle, le nouveau logo du CNPF…
Jean-Marc SYLVESTRE : ... de l’ex…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : … De l'ex-CNPF, le MEDEF, il associe les couleurs nationales et les couleurs européennes, jaune et bleu, et il montre trois profits, trois profils qui représentent les entrepreneurs et leurs dirigeants, les salariés et leur encadrement, les épargnants et les actionnaires, c'est-à-dire tous ceux qui font ensemble l'entreprise. Et donc « entreprise », « entrepreneur » montre en réalité que c'est une affaire d'hommes et de femmes, c'est une affaire humaine et nous avons donc voulu rappeler dans notre sigle cette réalité.
Nicolas BEYTOUT : Derrière la réforme et le changement de nom qui est très symbolique, il y a beaucoup d'autres choses et en particulier une réforme du mode de fonctionnement du CNPF ? Et celui-ci vus la demande beaucoup plus de travail et beaucoup plus d'entregent à l’intérieur du mouvement. Comment est-ce que vous avez fait pour faire passer une réforme qui modifie en effet l'équilibre entre les grandes fédérations ?
Éric IZRAELEWICZ : Parce que le CNPF c'était surtout les grands patrons ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Le CNPF était vu, était vu comme étant surtout des grands patrons, moi je dois reconnaître que les grands patrons n'étaient pas très en contact avec nous, peut-être les petits patrons, comme on disait, non plus et il y avait donc vraiment en effet un effort à faire pour nous relégitimer. Nous n'avons pas contesté que nous étions très représentatifs, mais on nous a contesté d'être légitimes. « Vous ne parlez pas au nom des entrepreneurs, vous êtes loin du terrain » et donc nous avons fait tout de même pendant huit mois un très gros effort de travail et de réflexion pour voir comment... et le changement de nom si vous voulez vient couronner cet effort. Mais il ne faut pas considérer que le changement de nom est en soi quelque chose d'important. Alors qu'est-ce que nous avons fait ? Nous avons essayé de vraiment nous retourner vers le terrain et la base, et je le redis, ça va être moi maintenant mon travail pendant six mois que de créer le réseau national et de mettre en place toute cette interactivité entre les entrepreneurs du terrain et nous de façon à vraiment refléter leur sentiment. Et ensuite il y a un problème d'efficacité : comment faire fonctionner en effet notre organisation comme une organisation qui décide de positions claires et ouvertes dans lesquelles on dit les arguments, le « pour », le « contre », nous sommes au fond devenus beaucoup plus libres.
Jean-Marc SYLVESTRE : Et ce sont des positions qui émanent de la base ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Des positions qui seront ou émanant de la base ou vérifiées avec la base. Il n'y aura plus, je dirais, de technocratie, d'apparatchiks qui dans je ne sais quelle commission décident de quelque chose dont on n'aura pas vraiment délibéré ce sera vraiment difficile à faire mais c'est nécessaire.
Éric IZRAELEWICZ : Il y a un an; quand vous êtes arrivé à la tête de ce qui était encore le CNPF, vous avez proclamé votre intention de faire un grand projet pour les entreprises, vous avez beaucoup parlé d'un grand projet. On est un peu déçu, vous changez de nom, vous changez d'organisation mais on a l'impression que le grand projet se résume sur le fond aux même anciennes que celles du CNPF autrefois, c'est-à-dire il y a trop d'État, il faut réduire les charges…
Jean-Marc SYLVESTRE : … on se plaint.
Éric IZRAELEWICZ : … on ne voit pas très bien, alors peut-être allez-vous nous l'expliquer. Ce grand projet, c'est quoi ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : D'abord je n'ai pas dit que c'était un grand projet mais un projet. Mais j'ai quand même présenté à Strasbourg, dans une intervention de quarante minutes, nos idées dont certaines étaient connues et d'autres à mon avis relativement nouvelles sous un triptyque : nouveau dynamisme, nouveau dialogue, nouveau partage. Si l'on prend si vous voulez ces trois thèmes, qu'est-ce qu'on peut trouver en effet comme substantiel ? Sur le nouveau dynamisme nous disons : nous voulons mettre en place dans l'Europe et l'euro qui se mettent en place, être capables vraiment de réussir l'entreprise et l'emploi, et pour cela il faut nous harmoniser sur le plan social et fiscal avec la moyenne européenne. On ne demande pas à être les meilleurs mais au moins la moyenne. Notre thème est un peu nouveau, il est gagnant pour nous parce que nous sommes partout en tant qu'entreprises moins bien traitées que la moyenne européenne. Sur le plan fiscal et sur le plan de la réglementation sociale. Donc ça, si vous voulez c'est un thème, c'est un projet, harmonisons le.
Nicolas BEYTOUT : Il n'y a rien de nouveau quand même comme thèmes, c'est moins d'impôts et la baisse des charges.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non, c'est la formulation. Nous ne sommes pas en train de critiquer un gouvernement pour faire ceci ou cela, c'est leur affaire après tout, la démocratie fonctionne dans notre pays, nous en sommes bien entendu totalement respectueux. Ce que nous disons, c’est : regardez ce que font nos voisins, vous nous avez mis en compétition, nous faisons 90 % de nos échanges maintenant avec des pays qui sont voisins des nôtres, complètement intégrés dans l’euro, nous ne pouvons pas fonctionner si vous n'avez pas regardé en effet la manière dont nous sommes compétitifs ou non. Alors ça, c'est le thème, c'est un projet harmonisons nous. Deuxième thème sur le nouveau dialogue, nous voulons un dialogue décentralisé, en entreprise, et dans la branche quand les entreprises souhaitent ou sentent que c'est nécessaire et nous voulons la en effet que l'on puisse aller jusqu'à un dialogue avec les élus du personnel, la ou les syndicats n'ont pas pu pénétrer ou ne sont pas assez puissants.
Nicolas BEYTOUT : C'est un renoncement à une forme de votre pouvoir au centre, à la tête.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Tout à fait, nous avons renoncé sauf, bien entendu exception, il ne faut pas être je dirais être dogmatique, à ce que le dialogue social soit centralisé autour de nous et que nous soyons les seuls, je dirais, en France à pouvoir…
Éric IZRAELEWICZ : Vous allez dans le sens de Martine Aubry qui veut pour les 35 heures que ce soit au niveau de l'entreprise.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Mais tout à fait. Je crois que nous avons Martine Aubry et le MEDEF exactement la même approche : que le terrain délibère et décide. Mais nous, nous disons : respectez les accords.
Nicolas BEYTOUT : Comment est-ce que l'on fait par exemple pour l’assurance-maladie ? Puisque là il s'agit de gérer au niveau national, vous êtes co-gestionnaire, il y a une parité au sein de la caisse nationale d'assurance-maladie, lorsque l'on veut déléguer et descendre dans les entreprises comment fait-on pour rester à la tête d'une caisse nationale ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE: Les entreprises n’ont pas le choix d'adhérer au système social de leur choix, ce sera peut-être le cas plus tard mais pour l'instant c'est encore un monopole dans les mains de l'État et du paritarisme. Donc nous sommes à ce moment-là amené à définir une position du MEDEF sur le système de sécurité sociale et nous aurons bien entendu une décision du MEDEF qui sera transmise à nos représentants à la Cnam et dans les différents organismes mais la position du MEDEF, elle, sera délibérée avec la base.
Éric IZRAELEWICZ : Et vous avez le sentiment que la base, les entrepreneurs seront contents de quitter cette responsabilité du MEDEF ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Dans notre tour de France, dans notre Tour de France on a beaucoup posé la question, nous avons passé six mois en effet, il y a eu des forums etc., je peux vous dire qu’à la base les entrepreneurs ne savent pas ce que nous faisons dans nos systèmes de sécurité sociale, notamment d'être associés à sa gestion.
Éric IZRAELEWICZ : Et vous-même, vous le savez ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE: Non ! Je dois dire que maintenant nous sommes du sentiment en effet que nous n'y servons à rien, quasiment à rien.
Nicolas BEYTOUT : Ernest-Antoine Seillière, quelle conclusion en tirer alors ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : La conclusion c'est que nous devions en partir, c'est tout à fait clair, j'avais reçu mandat que Conseil exécutif de sortir et de préparer cette sortie sur 6 mois quand est arrivé en effet monsieur Johanet comme nouveau directeur général qui a écrit un livre que nous avons eu le temps de lire parce que c'était des vacances, et que nous avons tous trouvé en effet qu'il y avait dans ce livre en effet beaucoup d'idées, beaucoup de directions qui étaient valables. Et nous avons dit : donnons à la sécurité sociale nouvellement pourvue d'un directeur général et bien entendu Martine Aubry aura à confirmer si ses idées sont bonnes ou pas. Si elles sont bonnes, je crois qu'il faut donner sa chance. Si elles ne sont pas en effet capables de se mettre en œuvre, je crois en effet que nous confirmerons à ce moment-là notre départ que nous organiserons.
Éric IZRAELEWICZ : Donc vous y restez pour le soutenir dans sa lutte contre le déficit ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : En tout cas pour en effet l'aider à formuler quelque chose qui fera un meilleur système de santé avec 100 milliards de coûts de moins.
Nicolas BEYTOUT et Éric IZRAELEWICZ : Vous avez un délai ?
Jean-Marc SYLVESTRE : Essayez de ne pas poser les questions en même temps !
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : C'est quelque chose qui ne me paraît pas faisable en moins de 6 mois, un an.
Jean-Marc SYLVESTRE : Oui mais c'est provisoire. A terme vous quitterez ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non, pas du tout ! Si au contraire en effet on s'engage dans la bonne direction, dans un système qui coûtera moins cher et qui sera meilleur je ne vois pas en effet pourquoi nous ne serions pas des accompagnateurs tout en sachant que nous ne sommes pas les responsables de ce système. Parce que le paritarisme reste, sauf si monsieur Johanet obtient qu’on le transforme en quelque chose qui est encore entre les mains de l’État.
Jean-Marc SYLVESTRE : Mais vos moyens d'action vont quand même un peu changer avec la nouvelle organisation. Marc Blondel cette semaine semblait un peu « regretter » votre changement parce qu'il disait : auparavant le CNPF pouvait s'engager dans la négociation, demain le MEDEF devra en référer à sa base constamment.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oui, eh bien je crois que franchement moi je ne regrette pas du tout ces changements.
Jean-Marc SYLVESTRE : Je simplifie un peu son argumentaire.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non, mais c'est vrai y a des syndicalistes qui étaient très, très habitués au caractère institutionnel, qui avait l'habitude de pousser la porte du CNPF, de l'ex-CNPF et de dire : c'est là que ça se passe, nous avons fait un accord, le problème est réglé. Et nous, nous avons considéré que ceci ne fonctionnait pas et bien entendu les 35 heures a été le dernier avatar de cette méthode.
Éric IZRAELEWICZ : L'une des directions du MEDEF, c'est de faire des propositions, c'est d'être plus positifs, pas seulement de réclamer des baisses d'impôts. Alors l’une des propositions que vous avez relancée c'est une franchise sur les charges sociales, c'est pour favoriser l’emploi ? Une franchise de 5 000 francs sur les charges sociales. Est-ce que vous avez une idée du coût d'une telle mesure ? Est-ce que vous l'avez évalué ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oui, le coût global de cette mesure quand elle serait appliquée à tous les salariés français serait de l'ordre de 150 milliards de francs, c'est donc…
Éric IZRAELEWICZ : C'est gigantesque !
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : C'est gigantesque et c'est une réforme profonde qui modifierait considérablement en effet les conditions de l'emploi par un très fort allégement des charges. Bien entendu…
Éric IZRAELEWICZ : Et vous en attendez combien de créations d’emplois ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Ça, je ne suis pas capable de vous le dire mais enfin nous sentons et nous savons puisque maintenant tout le monde se rallie à cette idée que allégement des charges est créateur d'emplois, il n'y a pas de raison. Vous savez je vois actuellement les Pays-Bas, la Grande-Bretagne qui sont à court de main-d'œuvre, c'est vraiment dommage que nous ne soyons pas dans les mêmes circonstances, ça ne doit pas être si difficile que cela d'y arriver. Mais si ça coûte très cher il faudra bien entendu que nous gagions ces dépenses sur des recettes et pour nous c'est tout à fait simple, si j’ose dire, c’est : les 100 milliards de francs qui sont annoncés à terme comme l’objectif allégement de coût du système de santé, qu’il ne faudra pas prélever, et puis c'est bien entendu les systèmes d'aide à l'emploi qui sont, on le sait aujourd'hui , très coûteux parfois et très inutile et sur lesquels on peut également faire des économies.
Jean-Marc SYLVESTRE : La statistique du chômage pour septembre est tombée ce matin, elle marque une progression assez spectaculaire des créations d'emplois imputable à l’action du Gouvernement, imputable à la reprise de l'économie. Votre jugement, votre diagnostic là-dessus ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : J’inverserais simplement peut être…
Jean-Marc SYLVESTRE : Enfin moi c'est ce que…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : … le terme imputable en effet à l'expansion et à l'action du Gouvernement parce qu'en effet vraiment il a fait les emplois-jeunes et qu'en effet les emplois-jeunes réduisent le chômage avec un coût pour la collectivité, bien entendu, mais enfin ça il faut bien entendu le reconnaître. Nous pennons que l'augmentation de l'emploi et la réduction du chômage au mois de septembre est une très bonne chose, vous vous souvenez qu'on a eu à peu près d'ailleurs le même chiffre en recul au mois d'août, donc que les deux mois font finalement plus ou moins zéro et je crois si vous voulez qu’il ne faut pas modifier son humeur à la sortie mensuelle…
Jean-Marc SYLVESTRE : Oui mais ça affaiblit vos revendications ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non, mais nous n'avons pas de revendications. Nous avons en vue le plein emploi et la marche de l’entreprise. Comme le Gouvernement. Vous savez, le MEDEF est très libre et très décontracté dans sa capacité de dire au Gouvernement bravo. Je crois que c'est en effet un des symboles qui s'en va, c'est un CNPF qui était réputé être en position de combat ou de lutte contre le Gouvernement. Tout cela est fini, nous sommes maintenant, je dirais, une force de proposition dans la société civile, dans la société française, parfaitement respectueuse de la démocratie.
Éric IZRAELEWICZ : Et donc maintenant la guerre sur les 35 heures c'est fini. Maintenant vous allez la mettre en œuvre dans les entreprises.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : La guerre des 35 heures a été déclenchée comme vous le savez de façon très violente par le Gouvernement quand il a imposé à tous les entrepreneurs de France cette affaire, nous avons réagi en conséquence, la loi a été votés, maintenant tous ces combats sont derrière nous, nous sommes dans les mécanismes et dans la pratique d'application de la loi sur le terrain et donc il y a actuellement, je dirais, une émotivité, un aspect politique qui s'est beaucoup évanoui.
Éric IZRAELEWICZ : Mais visiblement entre les entrepreneurs, par exemple ceux de la métallurgie, ceux du textile, il y a des visions différentes de ce dossier des 35 heures. Donc c'est normal il y aura de plus en plus de diversité. Tout le monde ne chausse pas du 35 !
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Ah mais de plus en plus ! Ecoutez, je vais vous dire, ce qui va être formidable, c'est que j’espère que la chose va être à ce point complexe et difficile à suivre sur le terrain parce qu'elle va s'adapter à toutes les situations des entreprises et des professions, que comme on dit communément un chat n'y retrouvera pas ses petits. C'est-à-dire qu'il va être très difficile de dire : mais attendez, il va falloir maintenant réglementer tout cela, non la réalité aura pris le dessus. C'est ce que nous souhaitons bien entendu, encore une fois, pour la réussite des entrepreneurs et pour l’emploi.
Jean-Marc SYLVESTRE : Ernest-Antoine Seillière on revient dans quelques minutes sur le rôle nouveau que vous voulez donner à ce que l'on appelle aujourd'hui le MEDEF. Pour l'instant, ce sont les infos sur LCI.
JOURNAL
Jean-Marc SYLVESTRE : Retour sur le plateau avec Ernest-Antoine Seillière, le président du MEDEF, le Mouvement des entreprises françaises qui a donc qui a pris cette semaine la place du CNPF. Une question sur l'organisation, Nicolas.
Nicolas BEYTOUT : Une question sur l'organisation parce que vous avez au-delà de cette modification du nom changé l'équilibre respectif entre les différentes professions représentées au sein de l'ex-CNPF, aujourd'hui le MEDEF. Et en particulier l'UlMM qui est la principale fédération, en tout cas le principal contributeur d'hier, va voir son poids relatif un petit peu diminuer et puis les services, le commerce enfin un certain nombre de professions différentes monter en puissance. Comment est-ce que c'est vécu en interne ça ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Ça n'aurait pas été possible si les fédérations n'avaient pas accepté parce que bien entendu comme elles étaient en position de décider, c'est elles qui se sont laissées convaincre et elles se sont laissées convaincre en effet du fait que la création d'emplois aujourd'hui dans notre pays se fait pour l'essentiel par les nouvelles activités de services ou par les sociétés de services, seulement l'industrie qui reste bien entendu essentielle, sans laquelle on ne peut pas faire réussir en effet l'emploi et l'économie dans notre pays, elle, ne sera plus capable de créer beaucoup d'emplois. La part de chacun donc industrie et services dans le produit national brut évolue et donc nous voulons prendre en compte ce mouvement et faire une place plus grande aux services. Elles sont donc amenées, ces fédérations de services, à contribuer plus au fonctionnement de notre institution qui, d'ailleurs comme vous le savez, a un petit budget, c'est pas quelque chose de très puissant, mais elles vont monter en puissance dans notre organisation, il va y avoir un équilibrage progressif que nous voulons sur quelques années parce qu'on ne peut pas faire ça brutalement.
Éric IZRAELEWICZ : Toujours sur l'organisation. Comment allez-vous vous situer ou gérer vos relations avec une autre organisation d'entrepreneurs, la CGPME ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Alors, nous avons eu avec Lucien Rebuffel et l’équipe de la CGPME des relations constantes tout au long de ces derniers mois. Nous nous respectons complètement la CGPME qui a une vraie sensibilité en effet de petites et moyennes entreprises de base…
Éric IZRAELEWICZ : C'est ceux que vous souhaitez mieux représenter.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : C'est ça, si vous voulez. Nous ne voulons pas en effet que le MEDEF soit sensé ne pas représenter la totalité des entrepreneurs. Nous nous donnons beaucoup de mal pour cela et nous voulons vraiment en convaincre tout le monde. Ça n'empêche en rien que la CGPME continue de faire son travail, nous souhaitons bien évidemment que la CGPME le fasse le plus proche de nous. Et nous…
Éric IZRAELEWICZ : On peut imaginer un rapprochement, une fusion ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : C'est quelque chose que en tant que MEDEF, personnellement je n'exclue pas si bien entendu la CGPME souhaitait se rapprocher de nous plus dans le respect total de l'organisation de sa sensibilité.
Éric IZRAELEWICZ : Un peu comme la CFDT et la CGT. On dit qu'ils se rapprochent actuellement…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oh écoutez, ça je ne peux pas commenter en effet ce qui se passe du côté des syndicats de salariés.
Éric IZRAELEWICZ : Vous trouvez que ce serait une bonne chose qu'il y ait une unité syndicale plus forte du côté des organisations de salariés ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Nous l'avons dit, nous, à Strasbourg lors de la création du MEDEF, nous pensons que le fait que les syndicats n'ont pas dans notre pays la force qu'ils ont dans d'autres parce qu'ils n'ont pas beaucoup d'adhérents – vous savez, c'est 5 % dans les métiers marchands où nous sommes, c'est pas beaucoup – et nous pensons en effet que plus les syndicats se sentent forts, d'ailleurs plus ils sont unis et plus il y a une position représentant les salariés, plus et mieux le dialogue peut se faire. Je parle bien entendu, là aussi, de l'entreprise et du terrain. On sait que lorsqu'il y a des syndicats divisés les uns par rapport aux autres, trouver la vole, quand on est entrepreneur, commune pour un accord est plus difficile.
Nicolas BEYTOUT : Quand vous avez été nommé il y a un an, vous avez désigné un numéro 2 au sein du CNPF d'alors. Celui-ci est parti aujourd'hui. Est-ce que vous allez le remplacer ? C'est une question qui est beaucoup plus importante que simplement de cuisine interne parce que on cite le nom d'un homme, Denis Kessler, qui, s'il était numéro 2 du CNPF pourrait orienter peut-être différemment le discours politique tel que vous le décrivez aujourd’hui.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Alors d'abord deux choses, si vous voulez. C'est vrai que moi je crois que pour faire le travail du président du MEDEF et être en même temps entrepreneur, il faut avoir une organisation qui élargit ceux qui représentent l’organisation et l'animent et donc je suis toujours en effet partisan de mettre en place un vice-président délégué qui peut en effet doubler la voilure.
Nicolas BEYTOUT : Alors qui ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Alors deuxièmement j'en ai mis un en place pour créer la fonction, il est redevenu entrepreneur, et maintenant la place est libre. J'aurai à voir avec le Conseil exécutif d'ici la fin de l’année comment pourvoir en effet cette mission. S'il s'agissait d'ailleurs de Denis Kessler, ne dites pas que sa présence transformerait ou pousserait dans une direction ou dans une autre. Nous sommes l’équipe du CNPF parfaitement unis sur les positions que nous prenons, excusez-moi, l'équipe du MEDEF parce qu'il m'arrive encore de me tromper.
Nicolas BEYTOUT : Il y a des tonalités différentes tout de même, Ernest-Antoine Seillière; il y a des tonalités différentes…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Bien entendu, il y a des tonalités différentes…
Nicolas BEYTOUT : Et dans le discours politique, la tonalité, le choix des mots, de la couleur que l'on veut donner, tout cela est déterminant.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Tout cela, s'il y a des choix de mots et de couleurs, je serai l’ensemblier.
Jean-Marc SYLVESTRE : Dans votre vocation, Ernest-Antoine Seillière, est-ce qu'il n'y a pas de la part des entreprises une demande de la part des entreprises en services, services de formation, services d'accompagnement à l'exportation par exemple ? C'est une demande que remplissent certains syndicats patronaux étrangers. En Allemagne, par exemple, il y a des services aux entreprises, ce que le CNPF ne fait pas ou très peu.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Le CNPF ancien avait tout de même créé une chose comme CNPF International qui est très important, qui entretient des relations bilatérales avec une centaine de pays, envoie des missions, reçoit sans cesse des gens, organise, je dirais, la présence des entrepreneurs lorsqu'il y a des visites d'État, des visites de premier ministres étrangers etc., c'est un service, c'est-à-dire en fait c'est payant pour ceux qui y appartiennent et je crois que nous pouvons parfaitement au MEDEF développer des choses comme ça.
Jean-Marc SYLVESTRE : Est-ce que vous n'êtes pas gênés par la surpuissance des chambres de commerce, par exemple ? qui remplissent un peu ce rôle ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non, moi je ne suis pas du tout du sentiment qu'il y a entre le MEDEF et les chambres de commerce des conflits, des tensions, on a vraiment, je crois, réglé cela…
Jean-Marc SYLVESTRE : Mais les chambres de commerce sont très représentatives du monde de l'entreprise, du commerce…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oui, mais elles fonctionnent, si vous voulez, comme des établissements publics. C'est-à-dire en fait qu'elles remplissent pour la collectivité des entrepreneurs en effet des services, elles gèrent des aéroports, elles font de la formation, ce rôle est parfaitement reconnu par nous. Nous, nous sommes, je dirais, dans une fonction qui est plus de définition de positions en vue en effet de faire exprimer la société civile des entrepreneurs dans l'ensemble des débats, les chambres de commerce sortiraient de leur rôle si elles étaient dans cette mission-là.
Éric IZRAELEWICZ : Toujours un peu sur le rôle du MEDEF, à vos yeux. Vous êtes devenu un mouvement, est-ce que vous ne risquez pas de devenir un parti, le parti des entreprises ? Et de glisser vers une fonction politique, vous le disiez, vous souhaitez définir un peu la position de la société civile des entrepreneurs, vous souhaitez vous exprimer sur les grands sujets de société, comme l'éducation, l'aménagement de la \ville, l'Europe, etc. qui sont des sujets plus politiques. Donc, est-ce que vous n'allez pas occuper l'espace laissée libre par une droite politique libérale ?
Jean-Marc SYLVESTRE : Le terme « mouvement » d'ailleurs préfigure, ce que dit Éric Izraelewicz.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : « Mouvement » pour nous c'est « en avant l’entreprise » qui est notre slogan. Alors bien entendu, on peut lui donner une connotation plus politique mais enfin soyons tout à fait clairs là-dessus et j'ai été là aussi, à Strasbourg, tout à fait net. Nous n'avons strictement aucun rôle politique. Je pense que être politique ça veut dire, soit se présenter à des élections, etc. soit appuyer des gens qui se présentent à des élections, c'est-à-dire être partisan. Nous, notre mouvement n'est pas partisan. Il est destiné en effet à présenter des idées et des arguments que les politiques prennent ou ne reprennent pas. Mais enfin c'est leur affaire et c'est l'affaire des citoyens d'approuver ou de ne pas approuver les programmes, les idées politiques qu'on leur présente. Nous sommes, nous, apporteurs d'idées, apporteurs de propositions et nullement dans un rôle politique. Je le dis avec beaucoup de conviction, parce qu'à la minute où nous serions vus comme tel notre efficacité s'arrêterait, or je veux un mouvement efficace.
Nicolas BEYTOUT : Ernest-Antoine Seillière, il y a quelques années, lors de consultations électorales précédentes, vos prédécesseurs ont travaillé sur les programmes électoraux, en l'occurrence de la droite. Est-ce que c'est quelque chose que vous continuerez à faire pour apporter des idées, voire si elles sont reprises par les hommes politiques ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE: Non. Nous ne ferons plus, je dirais, de participation directe à quoi que ce soit de politique. Bien entendu, je crois qu'il est du devoir de l'équipe du MEDEF d'entretenir des relations avec les hommes politiques de façon à ce qu'ils connaissent et comprennent nos idées. Mais nous irons voir les hommes de gauche, de droite, du centre exactement de la même manière.
Jean-Marc SYLVESTRE : Vous ferez du lobbying au sens anglo-saxon du terme ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Je ne sais pas. Force de proposition, apporter des idées, dire ce que les entrepreneurs veulent, recommander…
Jean-Marc SYLVESTRE : C'est du lobbying, c'est du lobbying…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : ... et je ne vois pas pourquoi d'ailleurs on ne suivrait pas leurs idées. Vous savez l'idée que parce que ça vient du milieu des entrepreneurs, ça ne doit pas être retenu. Il faut aussi que les autres fassent des efforts. Nous faisons des efforts, nous, pour renoncer totalement à toute vision politique. Que les politiques fassent des efforts pour accueillir les idées d’entrepreneurs.
Jean-Marc SYLVESTRE : Mais enfin, il ne faut pas se cacher derrière les mots. Au-delà de ce que viens de dire Nicolas, il ne faut pas se cacher derrière les mots.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : ... Vous savez nous sommes le seul pays ou la politique…
Jean-Marc SYLVESTRE : … le CNPF a parfois aidé à rédiger un certain nombre d'amendements.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non. Mais écoutez, le CNPF a fait des tas de choses. Encore une fois quand en changeant de nom et nous modifiant, nous essayons de prendre un nouveau départ. Alors je vous dis clairement la règle du jeu, que personnellement, tant que je serai président du MEDEF, je ferai respecter.
Éric IZRAELEWICZ : Et peut-être alors un exemple concret : l'éducation. Vous avez dit que le MEDEF souhaite s'exprimer sur les grands problèmes, l'éducation, évidemment les entreprises ont besoin de main-d'œuvre qualifiée, donc l’éducation est importante. La réforme de l'État est également un de vos grands thèmes. Alors qu'est-ce que vous pensez de la politique .de Claude Allègre en matière d’éducation ? Il souhaite déconcentrer le système éducatif, il souhaite, et il l'a annoncé, il va augmenter le nombre de personnel dans l'Éducation nationale. il souhaite alléger le programmes. Alors qu'est-ce que le MEDEF, qu'est-ce que les entreprises pensent ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Le MEDEF a eu, enfin le CNPF a eu avec Claude Allègre déjà de multiples contacts. Nous avons d'ailleurs même fait des communiqués après nous être rencontrés et nous avons, en fait sur ces questions-là, nous, une position qui appuie la position du ministre. Déconcentrer l'Education nationale quand on est gestionnaire d'entreprise on sait que ça va permettre de mieux gérer l'immense appareil de l'Éducation nationale. Modifier, alléger les programmes de façon à ce que les jeunes soient plus en mesure que les autres en effet du passé d'absorber la réalité moins la théorie, etc, etc. Et nous souhaiterions être reconnus encore une fois absolument pas au nom d'une attitude politique mais comme apporteurs de propositions dans le domaine de l'éducation. Ça je crois que ça sera quelque chose sur lequel où nous serons amenés à être très actifs.
Jean-Marc SYLVESTRE : Toujours dans l'actualité, Nicolas.
Nicolas BEYTOUT : Toujours dans l'actualité. On a entendu hier Dominique Strauss-Kahn dire que le changement de nom de l’ancien CNPF ressemblait à un changement de carrosserie, mais qu'en gros le moteur émettait toujours le même bruit et qu'il y avait toujours le même message. Est-ce que vous considérez que c'est, comment dire, une vision amicalement humoristique ou quelque chose qui relève de la dérision et du fait que votre message n'a pas été compris ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Je crois que c'est amical. Je crois que ça entretient un peu de dérision parce que les politiques sont toujours dans le réflexe d'hier de considérer que ce qui vient du patronat ne doit pas être considéré en effet comme sérieux ou intéressant. Ce qui viendra du MEDEF… Ecoutez un moteur qui fait du bruit, moi je n'aime pas trop, je préférerais que notre moteur marche plus, c'est-à-dire qu'on ne l'entende pas et qu'on voit, en effet, arriver le véhicule.
Jean-Marc SYLVESTRE : Ernest-Antoine Seillière, je voudrais votre réaction à deux questions d'actualité, deux débats. Un : la conjoncture économique. Comment vous la sentez aujourd'hui alors qu'il y a des inquiétudes chez les industriels ? Et puis deux : l'Allemagne.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Alors sur la conjoncture, la consommation a repris en effet ce que l'exportation avait laissé comme négatif…
Nicolas BE'YTOUT : Elle est même extrêmement dynamique grâce à la politique du Gouvernement de soutenir la consommation.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Elle est très dynamique grâce en effet au fait que le chômage diminue. En effet, on a créé 280 000 emplois marchands depuis Alors le Gouvernement dit : quand on crée des emplois c'est moi, quand on licencie, c'est eux. Moi je veux bien mais écoutez, nous ne revendiquons pas, ce n'est pas là le sujet. Pour l'instant donc la consommation se développe et entretient en effet la croissance à un bon niveau, et nous en sommes tous extrêmement heureux. Nous sommes en effet inquiets des anticipations des industriels qui nous le disent depuis maintenant plusieurs mois, nous sentons l'inflexion et nous pensons en effet que l’année 1999 verra une inflexion de croissance quelque part en dessous de 2,5 %, je ne peux pas dire où, qui va rendre l’hypothèse budgétaire en effet difficile à réaliser…
Nicolas BEYTOUT : ... en tout cas ce n'est pas 2,7 % comme l'espère le Gouvernement ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Or nous savons que quand il y a un déficit, on le comble soit en réduisant des dépenses publiques, difficile, soit par de nouveaux prélèvements, pour nous vraiment impossible. Donc il y a vraiment un problème.
Jean-Marc SYLVESTRE : Est-ce que le Gouvernement est imprudent ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Le Gouvernement est imprudent en maintenant en effet à 2,7 % aujourd'hui, l'hypothèse de croissance sur laquelle il fait voter le budget. Nous le disons depuis des mois, depuis que nous avons en effet senti dans nos rangs l'annonce d'une inflexion.
Éric IZRAELEWICZ : Mais est-ce qu'il n'y a pas un certain paradoxe au constat, vous le soulignez, que les Français, finalement, sont optimistes ? Malgré la crise mondiale et malgré la crise extérieure, les Français sont très confiants, vous le disiez, la consommation est forte, tous les indices, LES ECHOS en ont publié un ce matin de Démoscopie, montrent que le moral des Français est au plus haut et c'est les chefs d'entreprise qui sont démobilisés, qui sont inquiets, qui disent qu'ils ne peuvent plus investir.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oui, mais enfin vous comprenez, les Français sont optimistes, tout ça, ça résulte d'appréciations subjectives…
Éric IZRAELEWICZ : Ils consomment !
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Les entreprises qui deviennent plus précautionneuses, elles lisent des carnets de commandes, ce n'est pas du même ordre. Alors on se glorifie du bon tonus moral des Français, tant mieux, mais nous, nous n'avons pas en effet à commenter ça c'est politique. Nous regardons, nous, en effet ce que nous disent nos fédérations.
Jean-Marc SYLVESTRE : Deux mots sur l'Allemagne pour terminer. Les nouvelles orientations économiques, la présence des écologistes, la présence d'Oskar Lafontaine. Ça va changer quelque chose à l'évolution européenne ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : J'ai beaucoup de contacts actuellement avec nos amis allemands, chefs d'entreprise et représentants du MEDEF allemand. Et je crois qu’on n'a pas encore conclu, du côté allemand, dans quel sens allait s'orienter Monsieur Schröder. Il y a du Blair chez cet homme, il y a du Jospin chez cet homme.
Nicolas BEYTOUT : Les patrons sont assez remontés contre un certain nombre d'orientations tout de même ?
Éric IZRAELEWICZ : Les patrons allemands.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oui, mais on sent encore une ambiguïté qui n'a pas été résolue et nous ne ferons pas de commentaires.
Éric IZRAELEWICZ : Le Gouvernement a clairement souhaité une baisse des taux d'intérêt en Europe. Est-ce que vous pensez, vous aussi, qu'une baisse des taux d'intérêt est nécessaire ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE: Nous ne pensons pas que c'est actuellement le sujet majeur de la croissance. Mais nous pensons que ceux qui baissent les taux d'intérêt, favorisent en effet l'expansion, mais il faut également faire attention à ne pas utiliser ces armes-là à contretemps.
Nicolas BEYTOUT : L'euro n'est pas trop fort pour les entreprises ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Le juste prix de l'euro c'est le prix de l'euro. C'est le marché qui le décide et nous aimerions en effet que l'euro soit en mesure de combattre, le cas échéant, les manipulations du dollar que, on le sait, l'autorité monétaire américaine fait pour l'économie américaine. Il faut que l'euro soit capable de se mettre en face et donc ou de négocier ou de faire contrepoids à ce qu'il y aurait d'excessif dans les changements monétaires décidés par les autorités monétaires américaines.
Jean-Marc SYLVESTRE : Bien. Ernest-Antoine Seillière merci beaucoup. Merci de vous être plié à cet exercice.
France 3 - Dimanche 1er novembre 1998
Christine OCKRENT : Bonsoir, notre invité ce soir, Ernest-Antoine Seillière, président, il faudra s'y habituer, non plus du CNPF mais du Mouvement des entreprises pour la France. Monsieur Seillière, les chiffres du chômage viennent d'être connus, – 5 % en un an. Est-ce que vous estimez désormais que c'est un résultat qui est à porter, comme vous le disiez il y a quelques mois, toujours à l’actif d'une conjoncture dont le Gouvernement a bénéficié, ou est-ce que vous en créditez au moins pour partie le Gouvernement actuel.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Je ne peux pas vous dire que ce soit pour moi une vraie question. Ce qui est important, c'est que le chômage diminue, qui s'en attribue le mérite n'a pas une importance de premier plan. Mais si vous me posez la question, je dirai que sans, en effet, l'expansion dont nous bénéficions et qui est largement la résultante d'une expansion internationale, je pense que nous n'aurions pas été capables de faire ce mouvement en avant. Est-ce que le Gouvernement a su créer des conditions psychologiques pour faire reprendre la consommation mieux que d’autres ? C'est possible et donc quand il s'attribue ce mérite je souhaiterais qu'il s'attribue éventuellement le cas échéant le moment où le chômage pourrait reprendre… qu'il s'en attribue, je dirais, pour partie la faute…
Christine OCKRENT : … mais les sondages d'opinion prouvent que les Français gardent le moral. Mieux, peut-être que les chefs d’entreprise.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Vous savez les chefs d'entreprise, ils regardent leur carnet de commandes, ils regardent leurs résultats financiers…
Christine OCKRENT : Ils sont plutôt pleins ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : ... et donc c'est ça qui leur donne le sentiment que ça va ou ça ne va pas. Le moral est quelque chose en effet de plus politique que l'on peut mieux stimuler peut-être par des expressions, par une incitation psychologique. Vous savez les chefs d'entreprise actuellement considèrent en effet que nous sommes rentrés dans une période d'inflexion de la croissance, qui les inquiète un peu, plus semble-t-il que l'opinion, ce n'est pas une divergence très marquée.
Gilles LECLERC : Est-ce que vous estimez justement que le moral des Français peut donner un coup de pouce à la croissance 1999 qui, elle, peut peut-être subir les conséquences de la crise financière que l'on a vu dans le monde ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Je crois qu'en 99 pour que l'hypothèse de croissance que le Gouvernement a affichée se réalise, il faudrait vraiment…
Gilles LECLERC : 2,7 points...
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : ... 2,7 points, il faudrait qu'il y ait vraiment un très grand mouvement d'optimisme en effet de la consommation.
Gilles : Vous ne croyez pas à ce pronostic ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non, non. Nous avons quant à nous vraiment le sentiment, et nous l'avons dit souvent, que 2,5 points moins, nous paraissait beaucoup plus réaliste, pas des différences énormes, mais quand on a en effet un budget tendu 0,2 point de croissance fait une différence à financer importante et il peut y avoir à ce moment-là soit nécessité à renoncer à la dépense publique, soit de faire de nouveaux prélèvements, ce n'est donc pas négligeable.
Serge JULY : Est-ce que vous pensez qu'il a dans cette crise financière assez nouvelle, assez originale, il y a un risque de récession mondiale ? Monsieur Camdessus quand il était de passage à Paris avait évoqué cette éventualité, en tous cas cette crainte.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE: Nous, nous avons été plutôt du sentiment quand on a vu le demi, ou simili krach boursier que cette affaire n'était pas vraiment grave et nous avons dit vous verrez en fait que peu à peu l'opinion mondiale se remettra, je dirais, à considérer que tout ceci est acceptable. C'est ce qui se passe actuellement. Comme vous le savez, on a en fait un peu partout retrouvé un certain équilibre des sentiments boursiers et autres. Et donc nous ne sommes pas, nous, du sentiment qu'il y a eu, comme certains commentateurs l'ont dit…
Serge JULY : ... Vous pensez que l'inquiétude est passée, que le gros de la crise est passé…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oui, c'est un à-coup, c'est un à-coup et cet à-coup n'est pas annonciateur pour nous de beaucoup plus grave, je sais que certains commentateurs, dès qu'on a aperçu qu'il y avait une certaine faiblesse des marchés, ont dit : ça y est, les marchés c'est fini, l'État doit reprendre ses droits... Non, pour nous, la vie globale, mondiale, économique et financière…
Serge JULY : L'État ne doit pas reprendre des droits, sinon ses droits ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non, l'État dit bien entendu faire son travail mais je crois qu'il le fait très bien aussi avec un marché qui fonctionne.
Serge JULY : On a quand même assisté dans des autorités mondiales et financières très importantes à l'idée qu'il fallait plus de régulation, qu'il n'y avait pas assez de régulation finalement dans le système et que c'était une des raisons pour lesquelles ça prenait des allures aberrantes parfois.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Je crois qu'on peut très bien en effet perfectionner le système mondial de liberté de circulation des capitaux qui n'a pas, bien entendu, une très, très longue existence. Au point où il en est de globalisation, d'immédiateté par l'information et la communication, que tout ceci ait besoin en effet d'une certaine forme de régulation internationale apparaît tout-à-fait possible …
Serge JULY : Nécessaire ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Je pense que c'est nécessaire mais que ça prendra le temps, il ne faut pas se précipiter, on améliorera le capitalisme mondial par cette manière…
Christine OCKRENT : Vous ne faites pas partie des chantres du libéralisme débridé qui considèrent que les marchés de toute façon s'autorégulent, quelle que soit la casse et quels que soient les grincements…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Dans la mesure où je traduis le sentiment des entrepreneurs de notre pays, je crois pouvoir vous dire en effet que nous ne sommes pas des libéraux débridés.
Gilles LECLERC : Monsieur Seillière, pour revenir à l'emploi, je voudrais vous citer d'autres chiffres parce que le nombre d'emplois précaires a été multiplié par quatre en quinze ans, ce sont les chiffres de l'Insee, en tous cas ils ne débouchent sur un poste stable que dans 29 % des cas. Est-ce que c'est quelque chose qui est évitable ou est-ce que c'est du à la flexibilité que vous réclamez ou est-ce qu'il faudra faire avec ou est-ce que l'on peut corriger cela ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Je crois que la forme moderne du travail en effet implique maintenant beaucoup plus de changement, beaucoup plus d'adaptation, beaucoup plus de souplesse et que donc l'idée qu'on peut rentrer dans une entreprise et y faire carrière, comme on fait carrière dans la fonction publique, avec le sentiment que c'est pour la vie, est probablement quelque chose en effet qui aujourd'hui doit être considérablement revue. Cela dit, il n'y a pas non plus nécessité de faire en sorte qu'il y ait une mobilité de tous les instants, et je crois, là aussi, que le changement d'époque dans lequel nous sommes et que nous voulons traduire d'ailleurs par notre changement de nom, c'est-à-dire en fait accompagner un vrai changement, il y a probablement en effet des stabilités qui viendront après des périodes de mobilité plus fortes, je crois que c'est de l'adaptation, nous avons besoin de cela, en tous cas, nous les entrepreneurs, nous souhaitons en effet traduire ce besoin d'adaptation de la société française.
Gilles LECLERC : Quand on parle précarité souvent on pense aussi à pauvreté car on voit également que la pauvreté se renforce en France.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Je ne crois pas que ce soit synonyme. Je ne pense pas que précarité nécessairement accompagne une faiblesse des revenus et il y a énormément de jeunes, comme vous le savez, qui actuellement en effet passe par l’Intérim qui est en effet une forme de précarité et qui trouvent que c'est une manière de s'insérer dans la vie professionnelle dans de bonnes conditions, et je crois que, là aussi, il faut éviter les excès.
Serge JULY : Et vous ne pensez pas que ça illustre le fait qu'il y ait un débat sur la flexibilité qui était parfois un faux débat sur les mots, alors qu'il y a une certaine flexibilité du marché du travail, celle que vous évoquiez à l'instant, 7 millions de précaires en France, quand même, c'est flexible…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Absolument, mais je crois là aussi que notre changement de nom appelle en effet plus de décontraction sur les mots et sur les réalités, nous voulons regarder les choses en face, la flexibilité fait partie aujourd'hui, qu'on l'appelle souplesse ou autrement en effet, de la nécessité de l'adaptation de notre économie aux fluctuations dont elle est l'objet. C'est comme ça et je crois que ce n'est pas en effet en criant « Vive les statuts » que l'on empêchera en effet ceci de...
Serge JULY : Donc c'était un faux débat d'une certaine manière, ce débat qu'il y a eu en France depuis plusieurs années…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : On adore, comme vous le savez en France, se battre sur des mots, nous sommes des gens qui aimons les concepts et qui pensons que quand on a imposé un concept à l'autre on a gagné sur la réalité. Nous sommes, nous entrepreneurs, en train de sortir en effet et nous sortirons beaucoup des batailles de concepts pour essayer de nous adapter à la réalité et de pousser la société française à la faire.
Christine OCKRENT : Mais vous avez quand même changé de sigle en fonction d'un concept et en fonction de ce goût des mots !
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non, pas d'un concept. De la volonté en effet du mouvement, de se mettre en mouvement, ça c'est certain. Nous avons d'ailleurs dit « en avant l’entreprise », il n'y a pas de doute que nous ne voulons plus, plus être vus en effet comme quelque de défensif, de fixe, d'immobile, nous allons accompagner le monde dans lequel nous rentrons. Et puis « entreprise », c'est vrai que nous avons préféré non pas ce concept mais cette réalité là à celle de « patronat » que nous trouvions là aussi très partielle, défensive, un peu démodée, un peu arriéré et donc en passant de mouvement et puis « entreprises » de la France, parce que c'est vrai que dans l'Europe qui se fait notre volonté de réussir en tant que collectivité nationale est forte et que donc nous voulons le rappeler.
Serge JULY : C'est pour cela que vous évoquez la France alors que l'on est quand même à la veille de l'euro, de la construction européenne, le fait d'appuyer comme ça sur…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Monsieur July, je crois que l'on n'a pas du tout compris encore en France le bouleversement qui va venir avec l'euro. Je crois que nous allons nous intégrer très vivement et très fortement dans une économie-continent dans laquelle il sera assez difficile en effet de repérer ce qui se passe sur le plan national. Mais dans le même temps, on n'a pas pour autant éliminé la réalité nationale. Et donc nous voulons la prendre en compte, nous voulons faire réussir en effet l'emploi de l'expansion en France et c'est quelque chose que nous voulons rappeler. Nous sommes bien entendu internationaux dans notre comportement parce que les marchés le commandant, parce que les entrepreneurs en effet s'adressent au monde de plus en plus mais c'est tout de même la collectivité nationale que nous voulons en effet faire réussir, nous avons voulu le marquer.
Christine OCKRENT : L'Europe mais d'abord le chômage. En avant maintenant pour le « Bloc-notes » de Philippe Alexandre.
Philippe Alexandre : le chômage, Martine Aubry, l'Alliance, les. Européennes et les têtes de liste.
Christine OCKRENT : Monsieur Seillière, l'Europe. Je me souviens qu'il y a quelques années vous faisiez partie d'un petit groupe de grands patrons et vous militiez pour Maastricht. Est-ce que vous allez militer pour la ratification d'Amsterdam et engager le Mouvement des entreprises de France dans cette forme-là de combat ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Les entrepreneurs ont parfaitement compris l'importance du phénomène européen et je crois qu'ils étaient d'ailleurs un peu réticents au départ – vous savez, il y avait des traces de protectionnisme dans le milieu d'affaires français il y a encore dix ans et un peu de nationalisme -, je crois que c'est complètement terminé et que maintenant les entrepreneurs et donc le MEDEF est résolument européen. C'est vraiment le cadre de notre expansion, c'est le cadre dans lequel les entrepreneurs s'engagent, nous allons être soumis à une compétition, il faut que cette compétition soit là sans quoi nous nous encroûterions dans la médiocrité et donc nous sommes tout à fait partisans et nous allons nous engager, je ne pense pas que ça demandera beaucoup de militantisme parce que tout cela me donne le sentiment d'avoir été maintenant parfaitement acquis et compris en France. La France est devenue européenne.
Christine OCKRENT : C'est plus un problème d'état-major politique que d'opinion de décideurs…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non, je crois que les entrepreneurs n'auront strictement aucun débat intérieur dans ce domaine…
Serge JULY : Pas de débat mais il pourrait y avoir une intervention...
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non, il n'y a pas la moindre intervention à avoir dans ce domaine, vous savez, nous sommes en réalité en Europe, nous y sommes installés, nous demandons d'ailleurs à ce que l'on veuille bien harmoniser les conditions dans lesquelles nous y travaillons de façon à ne pas avoir en effet de handicap par rapport à nos voisins qui nous entourent, mais tout ceci est fait et...
Serge JULY : Quand vous parlez d'harmonisation, c'est d'harmonisation fiscale ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Fiscale…
Serge JULY : ... harmonisation sociale ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : sociale... Oui tout ce qui nous met dans la moyenne européenne nous le considérons, nous entrepreneurs français, comme favorable, parce que nous sommes partout...
Serge JULY : Mais comme vous le savez au niveau de l'harmonisation, on harmonise plutôt vers le haut.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oui, mais alors en harmonisant justement les autres vers le haut, ce qui pour la compétition française ne sera pas plus mauvais... donc c'est notre leitmotiv : d'accord bien entendu pour l'Europe mais à condition qu'il y ait harmonisation. Il y a d'ailleurs un certain nombre d'États qui ne sont pas tellement pour cela parce que se sachant mieux placés dans la compétition, leurs entreprises ayant de meilleures conditions, ils ne veulent pas en effet aller vers une moyenne qui les pénaliserait. Nous, la moyenne nous avantage dans pratiquement tous les domaines, et donc c'est un peu ce que nous demandons, très normalement d'ailleurs, au Gouvernement : puisque vous nous mettez dans une Europe dans laquelle nous voulons bien venir de toute façon, faites en sorte que nous puissions y travailler comme les autres et pas plus mal.
Gilles LECLERC : Ça passe par une réforme du code du travail, selon vous ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non, pas par une réforme du code du travail mais par la mise en effet d'un certain nombre de points du code du travail, à la moyenne européenne...
Gilles LECLERC : Je vais être plus précis... réforme du smic, par exemple, ça va dans le sens de l'Europe, réforme du droit de licenciement ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oui, je crois, si vous voulez, que dans ces domaines-là nous considérons en effet que la manière dont on fixe le smic… nous sommes le seul pays d'Europe dans lequel c'est le Gouvernement qui décrète le smic et qui pour des raisons politiques donne ici un coup de pouce, ici un autre, etc. Tout ceci n'a rien à voir en effet avec la recherche de conditions compétitives. C'est un dialogue avec soi-même, il faut en effet que le Gouvernement s'habitue dans l'Europe qui vient à regarder en permanence chez ses voisins, puisque nous sommes complètement en compétition avec eux.
Christine OCKRENT : Mais cette Union européenne qui est maintenant très largement rose clair ou rose médian, qui est une Europe très largement dominée par des gouvernements socialistes et sociaux-démocrates surtout, comment expliquez-vous cela, comment expliquez-vous que cette Europe-là soit majoritairement maintenant une Europe de gauche ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oh, je pense y a toutes sortes de raisons intelligentes. Pour moi il y a tout de même en Europe des racines de type sociaux-démocrates et la tendance de l'Europe confrontée à la compétition mondiale est de se réfugier sur ces valeurs-là en essayant de les entretenir alors on se regarde les uns les autres et on se rassure en disant : puisque ça se passe comme ça, je vais faire la même chose. Mais ça ne correspond en effet à une sorte de volonté sociale et politique qui existe. Le concept de solidarité, le concept d'égalité – beaucoup plus développé en Europe qu’il ne l'est aux États-Unis ou au Japon bien entendu où les vertus d'opportunité, de liberté, d'efficacité sont beaucoup plus à l'honneur…
Serge JULY : Et vous pensez que ce sont des valeurs européennes ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Je pense en effet que les sociaux-démocrates en Europe qui sont en effet je crois actuellement 13 gouvernements sur 15, dans leur mouvement de marche en avant vers l'Europe recherchent une société plus solidaire et plus égalitaire qu'ailleurs et donc c'est pour cela d'ailleurs je crois que le mouvement d'harmonisation européenne actuellement se met en place. Est-ce que ça fera une Europe compétitive ? Ça, on le verra bien. En tous cas, ce que nous demandons, nous qui faisons en gros 90 % de nos échanges avec nos voisins européens pour l'instant, c'est de nous trouver en effet de mesure d'être en compétition avec eux dans des conditions similaires.
Serge JULY : Pour poursuivre la question de Christine Ockrent, pourquoi finalement l'Europe à l'heure de l'euro – c'est-à-dire on entre vraiment dedans la maintenant dans quelques semaines – l'opinion européenne se tourne plutôt vers les sociaux-démocrates ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Je n'ai pas de réponse à donner là-dessus…
Serge JULY : Est-ce qu'il y a eu des excès ? Ou des formes d'incompréhension après une période, disons, libérale ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non, je ne crois pas. Je crois que les pays européens, qui ont tous subi en effet au lendemain de la guerre un certain nombre de difficultés, du fait de reconstruction, sont tous passés en effet par une forme plus dirigiste, plus interventionniste, plus sécuritaire et que ceci est encore largement répandu. Encore une fois, nous les entrepreneurs, nous sommes démocrates et républicains, nous vivons dans le milieu politique où l’on nous met et simplement je crois que nous avons vraiment besoin, et j'y reviens, de ne pas être surchargés par rapport aux autres. Sans quoi nous ne pourrons pas maintenir la progression du produit national brut en France et ce serait très dommageable pour l'expansion française et pour l'emploi. C'est notre responsabilité d'appeler en effet l'attention de ceux qui nous gouvernent sur ce point.
Gilles LECLERC : Monsieur le président; vous savez que les parlementaires examinent en ce moment le dossier de la sécurité sociale. Je voudrais savoir si vous, en tant .que président du MEDEF, vous voyez des différences entre le plan Aubry qui est examiné en ce moment et le fameux plan Juppé ?
Serge JULY : Est-ce que vous seriez jusqu'à dire que le plan Aubry c'est le plan Juppé en pire ? Comme l'a dit un libéral...
Gilles LECLERC : Monsieur Madelin…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Je ne voudrais pas rentrer dans le détail de ces questions parce que la vraie question que nous nous posons, nous les entrepreneurs, c'est de savoir si nous avons vraiment une légitimité à participer comme nous le faisons à la gestion du système de santé en France. Dans notre Tour de France, vous savez que nous faisons un très fort retour au terrain de façon à vraiment traduire le sentiment des entrepreneurs de France, petits et grands, petits j'y insiste, qui nous paraissent avoir l'esprit d'entreprise et la mentalité d'entrepreneurs plus que d'autres encore, nous n'avons pas entendu dans ce Tour de France que l'on nous demande de rester dans le système de sécurité sociale, parce que nous y serions particulièrement utiles.
Gilles LECLERC : Vous seriez tentés de quitter les organismes paritaires ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oui, nous avons été, nous sommes encore très tentés de quitter certaines d'entre elles et nous sommes retenus par l’idée que nous nous faisons qu'il y a actuellement en effet une tendance, notamment au niveau de la direction générale de la sécurité sociale de vouloir attaquer les problèmes. Donc nous sommes, je dirais très attentifs, et si c'était le cas bien entendu nous le soutiendrions. Mais il y a vraiment une interrogation : ne serions-nous pas beaucoup plus utiles, nous les entrepreneurs, à participer de façon très intime au système d'éducation, parce que là vraiment il y a un vrai problème d'adaptation aux entreprises…
Serge JULY : Vous voulez du paritarisme dans l'éducation mais pas dans la sécurité sociale…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oui, je crois si vous voulez que c'est quelque chose qui monte, le MEDEF aura certainement à prendre en compte une novation dans la manière dont les entrepreneurs voient leur rôle dans la société civile, qui est probablement en effet d'être beaucoup plus intéressés à la formation que d'être intéressés aux problèmes de santé, les problèmes de santé étant bien entendu essentiels mais est-ce que les entrepreneurs réellement peuvent y jouer un rôle, surtout lorsqu'il s'agit, comme vous le dites, de nuancer telle ou telle forme de relation avec les médecins etc ? Je ne crois pas que, en gestionnaires que nous sommes, nous ayons forcément une très grande valeur ajoutée dans ce domaine, donc i1 y a un problème à régler.
Serge JULY : Mais vous exprimez cela comme plutôt une menace pour que le Gouvernement prenne des mesures importantes ou est-ce que, comme vous dites, c'est une réflexion que vous avez finalement décidée et que vous allez annoncer plus tard ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non, ce n'est pas une menace. Parce que je crois d'abord que ce n'est pas le rôle des entrepreneurs que de menacer quiconque mais je crois que c'est avec réalisme que nous considérons que la sécurité sociale coûte trop cher pour le type de régime de santé qu'elle installe dans notre pays, on nous dit d'ailleurs. Qu'on pourrait…
Gilles LECLERC : Vous avez bien une idée sur les économies que l'on peut faire, vous avez même chiffré 100 milliards de francs…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Ça ne vient pas de moi, c'est monsieur Johanet qui a cité dans un livre fort bien fait ce chiffre de 100 milliards qu'il a d'ailleurs repris en arrivant en disant : je vais vous faire une meilleure politique de santé dans notre pays avec 100 milliards d'économies. Nous, qui je dirais, sommes des gestionnaires et qui sommes tout à fait partisans... Alors pourquoi pas ?
Gilles LECLERC : On les fait où, par exemple, ces économies ? Comment peut-on les faire ?
Serge JULY : Vous avez été rassurés d'ailleurs par la nomination de Johanet ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Rassurés, je ne dis pas, mais nous serions probablement partis si on avait voulu mettre en place je ne sais quel fonctionnaire réputé au fond ne connaissant pas ses sujets, nous avons la chance d'avoir là quelqu'un qui les connaît bien, je ne sais pas s'il pourra faire ou…
Serge JULY : Ça dépend de quoi votre maintien dans le système paritaire ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Eh bien ça dépend en effet du fait que le Gouvernement accepte ce que pourraient lui proposer les responsables de la sécurité sociale, dans le sens en effet d'une économie forte d'un système dans lequel s'opérerait le tri entre ce qui est de la responsabilité de l'Etat, ce qui peut être en effet géré par les partenaires sociaux et ce qui peut être privatisé, c'est-à-dire mis en concurrence. Nous aurons certainement besoin en effet de bouger tout cela, sans quoi ça coûtera très, très cher pour un système de santé dont on me dit qu'il n'est pas meilleur qu’ailleurs.
Christine OCKRENT : Mais dans d'autres pays européens, à aucun moment le patronat n'intervient dans ce genre de problème. Donc est-ce que l'interrogation pour le MEDEF n'est pas celle de choisir entre un rôle de lobby, enfin de groupe de pression comme c'est le cas par exemple en Grande-Bretagne pour vos collègues britanniques, comme c'est le cas d'une certaine manière aussi en Allemagne ou en Italie, et d'abandonner ce rôle de partenaire institutionnel qui est une spécificité française et, semble-t-il, un peu bancale ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Je crois que, si vous voulez, le changement de nom et tout de même le changement de statuts que nous avons opéré parce que notre nom cache en fait une réforme très profonde de nos organisations, dont on verra dans les années qui viennent en effet les orientations qu'elles prennent, marque la volonté de ne plus faire semblant d'être dans des rôles, nous les entrepreneurs, où nous n'avons en effet ni confort, ni utilité. Et donc nous voyons très bien ce que nous pourrions faire d'utile en renvoyant le dialogue social sur l'entreprise, sur les branches, dans les métiers, en quittant en effet ce rôle un peu théâtral et finalement relativement inutile aux utilisateurs…
Serge JULY : ... et qui sert à pas grand-chose, c'est ça ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : ...Et qui ne sert pas à grand-chose dans la mesure en effet où c'est l'État qui a confisqué immédiatement dans la plupart des cas, le cas des 35 heures étant particulièrement illustratif, les efforts que faisaient les partenaires sociaux pour faire des choses au sens moi je crois qu'il faut en effet aller vers la réalité, je pense que dans le système paritaire en effet les entrepreneurs ont à réinventer un rôle et nous voulons être un peu pionnier dans la remise en cause d'institutions nées du lendemain de la guerre dans lesquelles vous trouvez en effet les syndicats, la sécurité sociale, l'ensemble d'un système de code du travail, voire d'ailleurs une organisation de l'État. Nous donnons un signal de rénovation, nous disons : la France rentre dans l'Europe et l'euro, le XXIe siècle, est-ce qu'elle doit en effet être dans la continuité ? Nous nous sommes fortement remis en cause, nous souhaiterions d'ailleurs que d'autres le fassent autour de nous.
Serge JULY : A quoi vous servez ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Eh bien nous allons servir justement à tirer, à tirer sur le réel beaucoup de gens qui se sont mis dans des postures politiques et sociales dont ils ne peuvent pas sortir. Nous pensons que notre pays…
Christine OCKRENT : Vous pensez aux partis politiques
?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : ... Les partis politiques bien entendu, mais également les institutions sociales, nous avons en effet besoin de réalisme et les entrepreneurs peuvent être utiles dans la société civile dans la mesure où ils appellent au réalisme. C'est que nous avons, à mon avis, comme mission à faire dans la société française, c'est de lui dire : ça va très vite, il y a beaucoup de compétition, adaptez-vous. Adaptez-vous en regardant le réel et le possible. Ça veut dire en effet qu'on sort d'attitudes de concepts et d'institutions dans lesquelles on s'est éternisé. Il y a beaucoup de rénovations à faire dans notre société. Je pense que nous avons, nous le MEDEF, un certain rôle de réforme à mener dans notre société.
Christine OCKRENT : Vous faisiez allusion aux 35 heures, une question à ce propos de Paul Burel.
Paul BUREL : Bonsoir, monsieur le président permettez-moi de vous parler de deux exemples d'entreprise de la région nantaise. Bâti Technologies et Moulin. J'imagine bien que vous ne les connaissez pas, or elles viennent pourtant de signer un accord de réduction du temps de travail à 35 heures avec création d'emplois et cela dans le secteur de la métallurgie. Ces exemples ne sont pas isolés. Alors je me pose la question et je vous la pose : est-ce qu'il n'y a tout de même pas une espèce de hiatus un peu dangereux entre le sommet et la base, entre l'institution patronale qui continue à dénoncer sans nuance les 35 heures et les patrons de l'autre côté qui signent des accords, qui sont pragmatiques. Est-ce que dans ce contexte, ce n'est pas finalement Martine Aubry qui marque aujourd'hui des points en jouant les patrons contre le patronat, je veux dire bien sûr les chefs d'entreprise contre le Mouvement des entreprises de France.
Christine OCKRENT : Votre réponse ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Ma réponse, elle est tout à fait simple. D'abord nous n'avons, nous, dans tout ceci aucune attitude politique et si Martine Aubry marque des points, qu'elle marque des points, ce n'est pas notre affaire. Ce qui est tout à fait clair et net, c'est que nous disons que lorsque des entreprises signent des accords et des accords type, je dirais loi Aubry, complètement orthodoxes et dont on tient la liste méticuleusement. Mais ça nous fait plaisir ! Ça veut dire que des entreprises règlent leurs problèmes en faisant appel aux mécanismes qui a été proposé. Tant mieux ! Il n'y en a pas des masses, il y en a 500, ça couvre actuellement environ 50 000 salariés, c'est beaucoup moins que 1 % des salariés du secteur marchand, à peu près 0,3 %, donc c'est pas très brillant, si ça va d'ailleurs à 10 %, ce sera 1,5 million de salariés, tout ceci nous montrent en effet que les 35 heures ont beaucoup de difficulté à rentrer dans la réalité. Mais nous avons tout à fait clairement dit que les 35 heures sont une erreur et une sottise, nous n'allons pas revenir là-dessus, nous ne changerons pas notre point de vue 1à-dessus, nous en sommes convaincus. Mais puisque c'est la loi, alors qu'on négocie et qu'on trouve en effet à s'accommoder sur le terrain. C'est ce qui se produit et nous n'avons rien à y redire. Et donc quand j'apprends qu'à Nantes que deux entreprises ont signé, il n'y a strictement de notre côté que de la satisfaction. Et ceci est profond, on se méprend sur le fait que nous serions fâchés quand il y a des accords qui se concluent. Ce que nous demandons, oui, c'est qu'on veuille bien les respecter.
Gilles LECLERC : Il y a quand même des différences très importantes entre différentes branches du MEDEF. Par exemple, entre un accord de l'UIMM ou l'accord du textile, ça n'a pas grand-chose à voir. Vous, quel type d'accord préférez-vous ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : D'abord, vous savez que personne n'est d'accord pour savoir si l'accord UIMM est proche ou pas proche de l'accord textile. Et nous, ex-CNPF, nous le disions déjà. Nous disions déjà : ça n'a pas d'importance pour nous. Ce qui est important, c'est que le terrain négocie dans sa diversité. Et aujourd'hui, le fait que le MEDEF regarde la réalité et que personne ne soit très capable de savoir si un accord est bon ou pas bon, sous l'angle politique, parce qu'il y a une variété immense de cas qui vont en effet commencer à sortir, pour nous c'est une réussite. Parce que ça veut dire que le réel de la négociation l'emporte en effet sur les concepts. Et que les gens, les uns après les autres, enfin espérons-nous, vont pouvoir supporter une vraie difficulté, une erreur, une vraie difficulté auxquelles on nous a confrontés. Donc nous n'avons pas à dire, bien, pas bien, et nous voudrions d'ailleurs que du côté du Gouvernement on ne dise pas non plus bien pas bien, on dise : voilà ce qui s'est fait sur le terrain, je le respecte.
Christine OCKRENT : Sur le terrain, précisément, il y a des patrons qui se reconnaissent dans le MEDEF, il y en a d'autres aussi, beaucoup, qui n'y sont pas, qui n'en font pas partie. Valérie Pactole et Jean-Christophe Duclos sont allés à la rencontre de ces patrons hors MEDEF.
Reportage Valérie PACTOLE : Ses salariés l'appellent « monsieur 2 000 volts ». Lui, se dit plutôt humaniste. Depuis six ans, ce patron de 35 ans fait le grand écart : son adhésion à l'Union patronale du Vaucluse, membre du MEDEF, est de circonstance. Histoire de représenter sa branche. En fait, comme 2 500 autres patrons, il ne trouve son compte qu'au centre des Jeunes dirigeants d'entreprise, c'est là qu'il défend le quotidien de sa PME de services et ses valeurs.
Yvan PARADES (PDF Proxim) : Je viens d'un milieu assez particulier, je suis rentré en 1984 à 20 ans dans une entreprise de gardiennage et j'ai été gardien. J'avais un chien et je fonctionnais. Et 12 ans après, je suis sorti PDG de cette entreprise. Comment je suis arrivé à passer de gardien à PDG ? Tout simplement parce qu'il y avait un homme, un homme qui a pris en considération l’être humain. Ce n'est pas le capital qui détermine l'entreprise, c'est la finalité, c'est l'homme. L'homme est source de productivité, source de production dans l’entreprise.
Valérie PACTOLE : Et Yvan Paradès en prend pour preuve l'exemple de son groupe. De la distribution de colis au gardiennage, en passant par le nettoyage. Il y a deux ans, il a repris ses sociétés de services en difficulté, il est passé d'une dizaine d'emplois à une centaine. De deux années difficiles à 750 000 francs de marge bénéficiaire. Un pari sur l'emploi pour ce patron militant qui est un peu le poil à gratter du MEDEF.
Yvan PARADES : Je regrette fondamentalement que monsieur Seillière n'ait pas pris l'occasion qui lui était donnée de dire à partir du moment où la responsabilité de l'entreprise était le chômage, de renverser la donnée du problème, puisqu'aujourd'hui nos entreprises sont fiscales, elles ne sont pas sociales. Nos hommes sont des charges et ne sont pas des productions reconnus au niveau du bilan.
Valérie PACTOLE : Du coup, les patrons du CJD tournent le dos à toute opposition de principe aux 35 heures. En septembre ils ont signé un accord avec Martine Aubry : 400 entreprises l'expérimenteront pour faire remonter leurs doléances.
Yvan PARADES : Aujourd'hui, on ne répond pas à des marchés qui sont essentiellement le week-end et les jours fériés parce que la loi ne nous le permet pas. A partir du moment où on annualise, nos collaborateurs par exemple dans le gardiennage, et qu'on peut répondre à ce marché qui est en marge aujourd'hui, à des meilleures conditions de tarification, nous permettront dans ce cadre-là de le retraduire en productivité et en salaire au niveau de nos collaborateurs.
Valérie PACTOLE : Ce sont tous des lobbyistes de la croissance. Depuis 1997, une centaine d'entreprises de haute technologie appartient à ce cercle très fermé et régulièrement, Pascal Brandys et les autres fondateurs examinent les demandes d'adhésion. Les critères sont sévères, les adhérents doivent avoir doublé en cinq ans leur chiffre d'affaires, leurs effectifs ou leur capitalisation boursière. Mais ce n'est pas tout, l'implantation internationale et le partage du capital sont des laissez-passer.
Pascal BRANDYS (PDG de Genset, vice-président de Croissance Plus) : Une des idées fortes, c'est qu'on ne peut pas sacrifier la croissance au contrôle de l'entreprise. Et, effectivement, très souvent les deux sont incompatibles. Donc il faut effectivement que le fondateur accepte une certaine dilution de son capital, accepte d'abandonner éventuellement le contrôle en échange de la croissance.
Valérie PATOLE : En 1989, ce polytechnicien, style Harvard, s'est associé à un professeur de virologie pour lancer ce laboratoire de recherche à Evry. C'est ici qu'un gène impliqué dans le cancer de la prostate a été découvert. Leur métier consiste à vendre leurs recherches aux laboratoires pharmaceutiques pour de nouveaux médicaments. Résultat : plus de 400 emplois créés.
Pascal BRANDYS : Un sujet comme par exemple les 35 heures est assez marginal pour Genset. Nous avons essentiellement des gens qui font de la recherche et du développement. Nos chercheurs continuent à penser après 35 heures. Il y a relativement peu de personnes qui sont concernées par ce sujet dans l'entreprise. En revanche, attirer les talents, pour nous c'est extrêmement important, attirer les chercheurs, attirer les talents dans des tas de domaines, donc les stock-options pour nous c'est quelque chose de fondamental. Voilà par exemple une grande différence, si vous voulez, les priorités entre Croissance Plus et le CNPF.
Valérie PATOLE : Priorité différente parce que le MEDEF n'a pas senti le vent tourner suffisamment tôt, ces nouveaux patrons préfèrent donc défendre eux-mêmes leur chapelle auprès des ministères.
Gilles LECLERC : Monsieur Seillière, vous estimez donc qu'on peut se passer du MEDEF ? En tout cas on entend ces chefs d'entreprise, on a l'impression que oui. Comment vous expliquez, en outre, pourquoi au fond il y a eu tant d'années d'immobilisme puisque vous vous décidez à changer seulement aujourd’hui ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : D'abord ce reportage rend compte de deux réalités très différentes. Vous avez tout le système des 600 syndicats professionnels auxquels adhère la plupart des entreprises, même la grande majorité d'entreprises et qui, regroupés en 85 fédérations forment le MEDEF. C'est une structure. Et puis vous avez les possibilités qu'ont les chefs d'entreprise d'adhérer à des regroupements où se marque une sensibilité. Les CJD ont une sensibilité en effet très fondamentalement sur l'homme. Et puis il y a les patrons chrétiens, et puis il y a Entreprise et Cité, Entreprise et Progrès, donc ce sont des rassemblements, si vous voulez qui se font au niveau des entrepreneurs, mais qui n'ont pas le côté structurel. D'ailleurs, je crois que dans l'un des cas, on a dit : il est membre de son MEDEF local, et en même temps, il adhère au CJD. D'ailleurs, je vais vous dire deux choses. La première, c'est que vous verrez que dans les nominations que nous ferons pour compléter le Conseil exécutif, nous allons nommer deux anciens présidents du CJD. Donc, nous sommes très proches, je dirais, de cette tendance. D'autre part, je vous indique nous avons mis dans notre nouveau logo trois profits. Des profits qui sont là pour marquer en effet que les entrepreneurs et l'entreprise, c'est une affaire d'hommes et de femmes. Et ces trois profits, nous disons : ce sont les entrepreneurs et leurs dirigeants, ce sont les salariés et leur encadrement, et ce sont les épargnants et les actionnaires. Donc, tout ceci, ce sont des hommes et des femmes qui, unis, forment l'entreprise qui va réussir. Donc je crois que, si vous voulez, nous avons en fait dans notre MEDEF, certainement à prendre en compte plus que dans le passé, l'aspect humain des entreprises qui est absolument fondamental. Et il est possible, en effet, que l'ex-CNPF, embarque dans des querelles politiques qu'on imposait, ait progressivement, en effet un peu effacé cette dimension. Vous allez la voir revenir très fortement, notamment parce que nous sommes beaucoup plus en contact des entreprises de terrain qui nous le rappellent sans cesse.
Serge JULY : Tout à l'heure vous disiez, je vous cite, les entrepreneurs ont à réinventer un rôle. On a l'impression que le CNPF était épuisé, c'est-à-dire ne savait plus très bien à quoi il servait. Est-ce que…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Ecoutez, je ne vais pas vous dire qu'il ne servait à rien puisque j'en avais pris la présidence. Mais je crois en effet qu'il avait subi…
Serge JULY : ... Certains entrepreneurs disaient ça…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : … Qu’il avait subi…
Serge JULY : ... Quand on pense à Franck Riboud par exemple qui posait la question…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : … Oui, oui mais Franck Riboud…
Serge JULY : ... Franck Riboud qui posait la question : à quoi sert le CNPF ? A rien...
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : C'est moi qui l'ai dit d'ailleurs à la presse. J'ai dit, Franck Riboud, je lui ai posé la question en commission de réforme : il a dit, le CNPF ça ne sert à rien. Eh bien, j'ai dit, parfait, voilà une bonne base de départ pour redécouvrir le rôle du MEDEF. Et nous avons travaillé d'ailleurs à partir de là. Je ne suis pas en train de faire le procès, bien entendu du CNPF d'hier, mais c'est vrai qu'il a pris beaucoup de coups, mais c'est vrai qu'il a été en effet porteur d'énormément d'idées qui ont été fortement combattues. Je crois que ceci doit être fini. L'entrepreneur doit être admis dans la société civile comme la base. Ce n'est pas un enjeu politique, l'entreprise. Ce n'est pas un objet de combat. Ce sont des hommes et des femmes qui font la richesse nationale.
Serge JULY : Est-ce que vous pensez que c'est un combat de dire aujourd’hui : les entrepreneurs jouent un rôle dans la société ? L'entreprise est une entité qui joue un rôle central dans la société ? Vous pensez qu'il y a un combat ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Écoutez, j'ai l'impression que c'est quelque chose qui a été oublié et qu'on a pensé, en effet, qu'on avait là une espèce de caisse d'épargne dans laquelle on pouvait puiser, d'une réalité que l'on pouvait en effet traiter un peu comme on voulait. Non, ce n'est pas vrai. L'entrepreneur et l'entreprise, c'est la base de la société française. Les politiques, les administratifs…
Serge JULY : ... Vous pensez qu'on l'a oublié ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oui, je crois qu'on l'a oublié…
Serge JULY : ... Les politiques l'ont oublié ?…
Christine OCKRENT : ... Les politiques, la politique prendrait trop de place par rapport à d'autres acteurs ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : La société civile n'est pas reconnue. Elle n'est pas reconnue comme étant inspiratrice d'une politique en tant que telle. Les problèmes de l'entreprise ne sont pas des enjeux politiques de chaque instant. Il peut y en avoir, mais il faut en effet pouvoir sortir cette réalité du combat politique. C'est pour ça d'ailleurs que nous avons affirmé à Strasbourg le caractère fondamentalement non partisan de notre mouvement. Nous ne sommes pas engagés dans un combat politique, ni de droite, ni de gauche. Nous représentons la société civile…
Serge JULY : ... Oui mais enfin vous avez fait un manifeste qui est de nature quand même très libérale. Vous intervenez…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Le libéralisme est-il de droite ou de gauche ?…
Serge JULY : ... Vous intervenez sur l’école, sur la réduction…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Le libéralisme est-il de droite ou de gauche, d'abord je vous le demande ? Tony Blair est-il libéral, est-il socialiste ou non ? Sortons de ces concepts ! Je refuse absolument de me laisser cantonner, en tant que représentant des entrepreneurs, dans je ne sais quelle appellation ou étiquette ! Nous portons la réalité, en effet, de ce qui fait et de ce qui doit faire la richesse de ce pays. C'est nous qui faisons l'emploi. Nous le ferons et nous dirons à quelles conditions nous pouvons le faire dans la compétition.
Serge JULY : On a l'impression que vous avez été un déçu des politiques, disons libérales, en France, et qu'il faut incarner un vrai libéralisme, que vous êtes plutôt le parti des entreprises.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oh écoutez, nous les entrepreneurs, nous avons été fondamentalement déçu de la succession de gouvernements qui, au fond, n'ont pas su prendre en compte notre réalité d'entrepreneurs pour la porter aussi loin qu'on le voudrait. Je ne vous dis pas que tout ceci a été un ratage total. Mais nous avons eu le sentiment, en effet, quasiment en permanence, que les fonctionnaires qui, comme vous le savez, dans leur immense majorité, occupent les responsabilités politiques, je vous le dis en passant, 22 fonctionnaires sur 28 ministres actuellement ! Notre réalité d'entrepreneurs a besoin…
Christine OCKRENT : … Vous-même le fûtes…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : ... Pardon ?
Christine OKRENT : Vous-même le fûtes fonctionnaire…
Serge JULY : ... A bonne école…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : ... Vous savez ce sont les repentis qui sont quelquefois les meilleurs avocats. J'ai donc, en effet, une bonne connaissance de ce que c'est que la fonction publique, et je sais qu'on a besoin d'y connaître mieux l'entreprise. Et nous allons, nous, MEDEF, en toute décontraction faire beaucoup de pédagogie, beaucoup d'explication et crier le réseau national qui fera sentir partout la réalité de l'entrepreneur et son côté absolument impératif dans notre société. Rien ne peut se faire sans nous. Nous n'en tirons pas gloire, mais qu'au moins, on le reconnaisse.
Christine OCKRENT : La politique garde ses droits, en tout cas dans les émissions du week-end. Dans les autres médias, un résumé de ce qui a été dit ce week-end ici ou là.
Reportage
Robert HUE (au Club de la Presse d'EUROPE 1) : A propos de monsieur Seillière, je crois que le CNPF devienne le MEDEF ne change pas grand-chose. Il reste toujours…
JOURNALISTE d'EUROPE 1 : … Il parle plus des entreprises, il parle plus des entreprises…
Robert HUE : Mais il parle des entreprises, mais le problème c'est qu'il parle des entreprises au sens de la rentabilité financière jusqu'au bout. C'est-à-dire qu'il garde les dogmes ultralibéraux. Le problème ce n'est pas parler de l’entreprise ! Moi je parle aussi de l'entreprise, il ne faut pas diaboliser l'entreprise, mais en même temps, les dogmes de monsieur Seillière restent les mêmes. Il reste complètement opposé aux 35 heures, il reste pour une baisse sensible du coût du travail. Et ça… Bon, le baron Seillière reste l'baron Seillière.
Marc BLONDEL (« Public », TF1) : Moi, je crois qu'il ne s'agit pas d'un lifting. C'est plus important que cela. Je crois que le CNPF, parce que je continue à l'appeler pour l'instant le CNPF, a été touché par les mécanismes anglo-saxons. Et notamment le fait qu'on appelle maintenant le MEDEF, on veut simplement dire que les rapports sociaux vont s'établir beaucoup plus dans les entreprises qu'au niveau des branches ou qu'au niveau interprofessionnel. Cela veut dire qu'on met en l'air les mécanismes de solidarité. Je pense que ce n'est pas du tout anodin, et après avoir discuté assez longuement avec le président Seillière, je sais que c'était son intention.
Philippe DOUSTE-BLAZY (« Public », TF1) : Il y a là une modification importante, je dirais, de la philosophie même en décentralisant le CNPF, en allant au niveau de l'entreprise elle-même. Et je crois que c'est important que les informations partent du bas pour aller vers le haut et non pas le contraire. Et je crois que c'est en opposition totale avec les réformes un peu dures, un peu brutales présentées par madame Aubry depuis 18 mois. Je crois qu'il faudra négocier, expliquer, informer, discuter au sein même de l'entreprise, et non pas contraindre de Paris. Moi, personnellement, je trouve que c'est mieux.
Gilles LECLERC : Monsieur Seillière, je voudrais vous demander tout simplement lequel de ces trois discours vous estimez avoir mieux compris, ou en tout cas, quel est celui qui vous a le mieux compris ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Ah... Le piège ! Ah le piège ! Eh bien, écoutez, tous les trois m'ont intéressé…
Gilles LECLERC :... C'est un peu la langue de bois, ça…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : … Vous permettez que je sois un peu politique quelquefois dans ma manière de réagir à des questions où on voudrait m'enfermer. Pas du tout... Je suis tout à fait d'accord pour dire que le Parti communiste ne comprend pas tout de suite le MEDEF. Mais on va faire expliquer mieux au Parti communiste ce que c'est que l'entreprise, de façon à ce qu'il la comprenne mieux. Ce n'est pas impossible. Il y a déjà beaucoup d'évolutions d'ailleurs que l'on a noté. Je pense que monsieur Blondel et moi nous avons en effet beaucoup parlé de beaucoup de sujets et que c'est vrai que je souhaite décentraliser le dialogue social, et c'est vrai que lui-même n'est pas tout à fait partisan de cette formule. Et quant à monsieur Douste-Blazy, il dit qu'il s'est passé quelque chose d'intéressant et de positif, et je crois qu'il a raison aussi.
Gilles LECLERC : Vous portez un regard positif, je dirais par exemple, sur la classe politique qui a bien intégré, selon vous, si je vous ai bien écouté, la notion d'entreprise et d’entrepreneur ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Je trouve formidable, si vous voulez, que de partout on s'intéresse à ce que nous avons fait, qu'on se dise il s'est produit quelque chose, on ne comprend pas très très bien en effet encore vers quoi ça va mener. D'ailleurs, sommes-nous sûr de ce à quoi ça va mener ? Je ne le crois pas. Je crois que nous sommes pragmatiques, nous allons en effet essayer d'accompagner la prise de réel de la société française dans cette formidable modification que représenté l'Europe, nous allons essayer d'être positifs, de favoriser l'emploi. Et qu'est-ce que voulez, on verra bien, si j’ose dire, en fin de mandat ce que ça aura donné.
Serge JULY : Parmi vos propositions, il y avait l'idée d'aller beaucoup plus loin dans la décentralisation en général et vous étiez notamment, vous êtes très favorable, à la suppression d'un échelon territorial.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Dans la structure française ?
Serge JULY : Oui, dans la carte administrative française.
Ernest-Antoine SEILLIÈRE: Ce n'est pas en effet notre numéro 1. Mais enfin, disons que...
Serge JULY : … Oui mais j'ai été frappé que vous; insistiez...
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : … Mais disons que, c'est vrai que gestionnaires, nous avons, nous, dans nos entreprises, supprimé des échelons hiérarchiques à tour de bras. Nous voulons avoir pas plus de 4 niveaux entre l'atelier et le président. Bon, il y en avait quelquefois 7 à 8 sur les modèles administratifs. Ça coûte très cher, ça perd énormément de temps et on se perd en effet…
Serge JULY : ... Vous pensez que la lourdeur de l'Etat vient du fait qu'il y ait trop de niveaux…
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : La lourdeur de l'Etat, mesdames et messieurs est considérable. Parce que nous, les entreprises, nous faisons des progrès de productivité de l'ordre de 10 % par an assez couramment et nous savons que nous ne pouvons survivre qu'à ce prix. L'Etat ne fait jamais de progrès de productivité. Il reste éternellement le même, appelant la recette, et dépensant à tour de bras. Il ne sait pas ce que c'est que de gérer…
Serge JULY : ... Donc il faut supprimer le département...
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : … Il ne sait pas ce que c'est que de gérer. Et je m'amuse quelquefois que de penser qu'on nous envoie des consultants payés par le contribuable, de la part de Madame Aubry, pour nous apprendre à nous organiser. Mais enfin, c'est risible ! L'Etat, lui, a tout à faire !
Serge JULY : ... Et donc vous êtes favorable à la suppression du département ? Dans les gains de productivité ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Je crois si vous voulez que communes, syndicats de communes, cantons, départements, régions, État, ça vous fait 6 échelons en effet et qu'il y a manifestement dans tout cela probablement deux échelons à supprimer.
Serge JULY : Et vous pensez que l’une de vos fonctions sera de faire du lobbying sur ces questions ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Non. Je crois que notre fonction sera en effet de dire : comme vous ne pouvez pas augmenter la dépense publique et qu'il faut même la réduire beaucoup, comme vous ne pourrez pas prélever plus, vous allez être obligé, un jour ou l'autre, de réorganiser tout ça. Sans quoi, évidemment, nous serons dans la très grande difficulté, c'est-à-dire la pagaille. Donc il faut en effet s'y mettre, gérer l'Etat, la réforme de l'État est fondamentale, c'est bien entendu aux politiques de la déterminer et de la mettre en œuvre. Je crois que c'est devenu aujourd'hui urgentissime.
Christine OCKRENT : Et vous enverrez des consultants auprès de Madame Aubry pour lui expliquer comment reformer le ministère ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Eh bien, si on veut faire appel à quelques chefs d'entreprise pour donner des conseils dans ce domaine, nous les donnerons très très volontiers. Je pense que ça sera très utile.
Gilles LECLERC : Monsieur Seillière, une question importante tout de même sur les retraites. Est-ce que vous voyez comme un signe encourageant l'annonce par le Gouvernement d'un projet de loi pour 1999 sur les retraites par capitalisation ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Oui, c'est un sujet sur lequel depuis 10 ans nous essayons d'appeler l'attention en effet des pouvoirs publics. Si on avait créé des fonds de pension il y a 10 ans, nous aurions déjà contribué à régler à peu près le tiers du problème qui se pose à nous avec acuité. Vous savez que la fonction publique dispose d'un régime de fonds de pension, le Préfonds, qui est absolument celui que nous voulons. Et ça m'amuse de voir des ministres dire : mais c'est impossible... alors que eux-mêmes contribuent chaque mois à un fonds de pension qui a été créé dans la fonction publique.
Serge JULY : Et vous pensez que c'est un bon système Préfonds ?
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Le système Préfonds est un système…
Serge JULY : ... On pourrait l’étendre...
Ernest-Antoine SEILLIÈRE : Il est pratiquement parfait. Les fonctionnaires savent faire fonctionner les choses à leur avantage quand ils le veulent. Ils savent aussi se dispenser des choses désagréables quand ils le veulent. Je vous rappelle que les 35 heures ne s'appliquent pas à la fonction publique et un ministre a dit : écoutez, vous permettez, c'est trop compliqué et c'est trop cher. Alors, je dois dire que là, ça nous a quand même assez… (inaudible).
Christine OCKRENT : Monsieur Seillière, merci d'avoir accepté notre invitation ce soir.