Texte intégral
Q - Peut-on considérer que la loi sur les 35 heures est ou sera un accélérateur des transformations envisagées par la CGT en vue de son 46e Congrès ?
C'est un accélérateur de fait, dans la mesure où le processus de la mise en oeuvre des 35 heures nous oblige à décupler les efforts que nous avons entrepris pour une mise en oeuvre d'une démarche syndicale beaucoup plus tournée vers les salariés. Une démarche basée sur le contact, la discussion, le débat, et aussi sur le thème de l'expression démocratique des salariés. Cela nous pose un double problème. D'abord dans les entreprises où existent des organisations CGT, car elles sont toutes placées devant la nécessité de mettre en oeuvre une démarche syndicale beaucoup plus ouverte. La pire des situations serait en effet que les discussions avec les directions d'entreprise sur des questions aussi essentielles se déroulent sans sensibilisation ou mobilisation suffisante des salariés. Le patronat a essayé de jouer là-dessus, notamment dans les négociations de la métallurgie en profitant de la période des vacances. Ensuite, dans les entreprises où n'existent pas d'organisation syndicale, il faut chercher à aller au contact avec les salariés, afin de les aider à peser dans les discussions. Cela implique des efforts considérables, des efforts culturels. Tous les militants de la CGT doivent en prendre la dimension et considérer qu'ils ont des responsabilités, pour les salariés de leurs entreprises, mais bien au-delà pour les salariés en général. Nous devons dégager le potentiel qui nous permette de développer une démarche audacieuse de reconquête.
Q - Une sorte de « chance historique » ?
Oui, nous le présentons comme tel. Nous sommes bel et bien devant un enjeu majeur, car l'histoire ne repasse jamais deux fois les plats. Si on loupe cette occasion, on risque de le payer cher.
Q - Les salariés ne risquent-ils pas de rester l'arme au pied alors que les syndicats semblent avoir du mal à s'entendre ?
C'est un constat : les trois confédérations ont des approches différentes des 35 heures. Ce qui nous guide, nous, ce sont les objectifs à atteindre. La mise en oeuvre des 35 heures peut se traduire par une amélioration des conditions de travail et de vie des salariés mais elle peut aussi se traduire par une grave détérioration de la situation. C'est à partir de cet enjeu que nous essayons de faire émerger des convergences entre les différentes organisations syndicales qui sont un gage d'efficacité. D'ailleurs, nous faisons le constat que c'est au niveau des entreprises que les conditions, sinon de front commun, du moins d'entente sur des points précis, peuvent le plus facilement se dégager. Les accords de branche ne sont pas tout. D'ailleurs nous avons déjà des exemples, notamment dans la métallurgie où, dans des entreprises, des accords viennent d'être signés par la CGT et qui vont dans le sens des objectifs que nous poursuivons.
Q - L'annulation de « l'accord » EDF-GDF par la cour d'appel a fait couler beaucoup d'encre. La CGT n'est-elle pas mal à l'aise aujourd'hui ?
Pas du tout. Ce jugement met en pleine lumière les carences dont souffrent les relations sociales dans notre pays et va forcément revivifier le débat sur la représentativité et les pratiques conventionnelles qui en découlent. Même s'il donne lieu à une polémique syndicale momentanée, le jugement fait suite à un processus judiciaire conforme à la loi, alors que le contenu de l'accord se trouvait non seulement dérogatoire au statut, mais instaurait, de fait, un double statut. Dès lors que l'enjeu touchait au statut, cet accord minoritairement approuvé était illégal et la direction comme le Gouvernement le savaient. Il est clair que l'ancienne direction d'EDF-GDF a pris une très lourde responsabilité en cherchant à mettre le personnel et la justice devant le fait accompli et en plaçant une partie de son personnel en situation d'otage. Ni les nouveaux embauchés ni les volontaires ayant choisi le temps partiel ou les départs anticipés en retraite ne portent la moindre responsabilité dans la situation créée et il ne saurait être question de tolérer qu'ils fassent les frais de cette inconduite. C'est à la direction de sortir de cet imbroglio. Si ces jeunes n'étaient pas intégrés à durée indéterminée dans l'entreprise et les droits des préretraités respectés, la direction s'exposerait à un rude bras de fer.
Q - Cette situation incite-t-elle à réfléchir sur les questions de représentativité des pratiques conventionnelles ?
Dès lors que la conclusion ou la non-conclusion d'un accord engage l'ensemble des salariés compris dans le champ de négociation, il devient essentiel que sa validité soit conditionnée par l'aval majoritaire de la collectivité de travail, soit parce que les parties signataires représentent la majorité du personnel, soit, dans le cas contraire, parce que l'accord reçoit l'approbation de la majorité du personnel. Cela va nous conduire à lancer le débat sur une conception rénovée de la représentativité. Il est en effet devenu urgent, pour asseoir la validité d'un accord, de mettre en harmonie négociateur et aval de la majorité des salariés concernés.
Q - La CFDT a posé des conditions à votre entrée dans la Confédération européenne des syndicats. Allez-vous y répondre ?
La CGT a suffisamment motivé les raisons de sa demande d'adhésion à la CES, du fait des enjeux de la construction européenne, du rôle et des responsabilités que le syndicalisme peut y jouer, pour ne pas considérer cette perspective comme un événement mineur. Notre volonté d'améliorer les relations entre les organisations syndicales en France et de dépasser les clivages repose essentiellement sur un critère d'efficacité de l'intervention du syndicalisme en France. Nous n'avons jamais discuté de notre adhésion à la CES en termes de conditions à remplir… Dès l'instant où nous sollicitons cette adhésion, c'est que nous sommes conscients des responsabilités que cela engage pour nous. Je le dis : l'adhésion de la CGT à la CES ne pourra que favoriser l'amélioration des relations entre les organisations syndicales françaises et créer de meilleures conditions pour de plus grandes convergences revendicatives. La revendication des 35 heures réaffirmée par la CES montre que les organisations syndicales européennes sont confrontées, à des défis, sinon identiques, du moins fort proches, que ce soit en Allemagne, en Italie, en Espagne, en France…
Q - Dans votre ouvrage publié en 1995, « Syndicalisme, les nouveaux défis », vous aviez poussé un cri d'alarme concernant la situation du syndicalisme en France. Pensez-vous, bientôt trois ans après les mouvements de l'hiver 1995, qu'il y a de quoi être un peu rassuré ?
Très sincèrement oui. Lorsque j'ai écrit ce livre, les événements de 1995 étaient à venir. Je pense qu'ils ont amorcé un début de réponse en montrant au moins une chose : dès l'instant où les objectifs revendicatifs sont clairement définis et correspondent à une aspiration forte des salariés, alors, les potentialités de rassemblement sont bien réelles. Je constate par ailleurs que le regard des salariés sur les syndicats s'est un peu modifié – même s'il est toujours critique. J'ai tendance à regarder l'avenir avec beaucoup de confiance.
Q - Le passage de témoin annoncé à la tête de la CGT va-t-il conforter cette démarche ?
Complètement. Les orientations de ce congrès – un nouveau pas en avant vers plus de démocratie, plus de débats, plus d'efforts pour aller vers les salariés – me confortent dans l'idée que les avancés déjà entreprises étaient les bonnes. Tout cela porte ses fruits.
Q - Et l'après-congrès se présente comment… pour vous ?
Bien. Vous savez, ma décision était mûrement réfléchie et je la considère comme nécessaire pour la CGT. Nous avons réalisé des choses. Mais, pour que ces avancées prennent leur plein développement, il leur faut du « sang neuf ». Quant à moi, je pourrai me consacrer à mes loisirs, ne pas passer après tout le monde pour ramasser des champignons… Je ne me retirerai pas pour autant sur l'Aventin, et me rendrai disponible pour mon syndicat, dans des tâches qui n’empiéteront pas sur le travail de la nouvelle direction confédérale.