Interviews de M. Jean-François Mancel, secrétaire général du RPR, à RTL le 11 juin, France 2 le 12 et RMC le 13 juin 1995, sur les résultats du premier tour des élections municipales de 1995 et sur la stratégie du RPR pour le deuxième tour.

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Circonstance : Elections municipales, premier et deuxième tour les 11 et 18 juin 1995

Média : RTL - France 2 - RMC

Texte intégral

RTL : Dimanche 11 juin 1995

RTL : Vous êtes intéressé par les résultats que nous donnons, et notamment à Rouen où la division de la droite fait le jeu de la gauche ?

J.-F. Mancel : C'est un peu le lot des élections municipales, il y a toujours quelques listes dissidentes ici et là, ce sera réparé pour le deuxième tour.

RTL : À Rouen vous allez faire en sorte que ça marche ?

J.-F. Mancel : À Rouen comme ailleurs.

RTL : Et notamment Mulhouse ?

J.-F. Mancel : Le candidat que nous avons soutenu qui est arrivé derrière son concurrent, mais néanmoins ami de la majorité, va le soutenir au deuxième tour, c'est ce qui va se passer et que nous demanderons.

RTL : Les candidats de la majorité vont se maintenir au deuxième tour ?

J.-F. Mancel : Celui qui sera arrivé en tête, c'est la loi du premier tour.

RTL : Il y a aura une triangulaire à Mulhouse ?

J.-F. Mancel : Vraisemblablement.

RTL : Vous ne craignez pas que le maintien des candidats de la majorité permette au FN de réussir à enlever la mairie ?

J.-F. Mancel : Je ne peux pas faire de prévision sur ce qui va se passer à Mulhouse dimanche prochain, on peut appeler tous les électeurs de Mulhouse à se mobiliser derrière le candidat de la majorité qui est le mieux placé dans ce deuxième tour.

RTL : Êtes-vous en mesure de faire une évaluation de l'effet présidentiel sur cette municipale ?

J.-F. Mancel : En ce qui me concerne, j'avais toujours émis beaucoup de réserves sur ce qu'on peut appeler l'effet présidentiel. J'avais souligné que ce n'était pas un test national à partir du moment où ces élections avaient lieu cinq semaines après le premier tour de l'élection présidentielle. Les électeurs sont peut-être un peu fatigués de voter, on l'a vu avec la participation du premier tour. En revanche ce sont des élections de la vie quotidienne qui comptent beaucoup pour les gens et j'espère que les Français voteront plus nombreux au deuxième tour.

RTL : Comment estimez-vous la performance du gouvernement ?

J.-F. Mancel : Pour les membres du gouvernement comme pour l'ensemble des candidats, on peut tirer les mêmes conclusions : il y a généralement un avantage pour les sortants, et puis quelques bonnes surprises ou hélas quelques mauvaises.

RTL : Et le rôle du FN ?

J.-F. Mancel : Il va falloir se battre au maximum pour le candidat de l'UDF pour qu'il se maintienne. Mais il est difficile de faire un pronostic dès dimanche soir, nous verrons les choses de plus près lundi et mardi, d'ici nous prendrons toutes les dispositions dans la ligne de ce que nous avons fait au premier tour, c'est-à-dire : aucune alliance avec le FN. Mais en revanche nous en appellerons à leurs électeurs en leur disant que ce dont ils souffrent, le chômage, l'insécurité, c'est nous qui allons pouvoir régler ce type de problèmes demain, et qu'il faut qu'ils soutiennent ceux qui sont en mesure de répondre à leurs attentes, et non pas le FN qui fait preuve de démagogie et parfois de haine.

RTL : Donc pas d'alliance ?

J.-F. Mancel : À partir du moment où nous avons un candidat de la majorité qui est en place pour être candidat au deuxième tour, il y aura aucune raison de le trahir. Il est tout à fait normal que chacun se batte sous ses couleurs au premier tour, et qu'au deuxième tour on soutienne nos amis de la majorité, comme eux nous soutiendront dans d'autres cas.


France 2 : Lundi 12 juin 1995
J.-F. Mancel et C. Bartolone

G. Leclerc : On dit qu'il n'y a pas eu d'effet d'entraînement, que c'est surtout la prime au sortant, la gauche résiste bien. C'est votre opinion ?

J.-F. Mancel : C'était vraiment les élections municipales, c'est-à-dire que les électeurs font bien la distinction entre les différents types d'élections, ils ont voté pour les maires, pour les conseillers municipaux. Et puis d'autre part, les élections municipales avaient lieu à cinq semaines des présidentielles, il était trop tôt pour une revanche des uns et aussi trop tôt pour une confirmation des autres.

G. Leclerc : Il y a quand même quelques déceptions pour vous. Je suppose Nantes avec la défaite sévère d'E. Hubert et Paris où le grand chelem n'est pas assuré.

J.-F. Mancel : Paris est quand même bien parti. Nantes, hélas E. Hubert n'a pas gagné. C'est dû vraisemblablement aux qualités du maire sortant. D'où la prime forte pour les sortants. Mais n'oublions pas Bordeaux où A. Juppé est élu au premier tour.

G. Leclerc : C. Bartolone, même question : est-ce que c'est la prime au sortant. Est-ce qu'il y a eu quelque part un petit effet Jospin ?

C. Bartolone : D'abord, rien n'est joué. Il y a un fort taux d'abstention et tout se jouera au second tour. Pour le reste, c'est vrai que c'était pour nous l'élection de tous les dangers. Pasqua avait magouillé pour que ces élections municipales aient lieu après l'élection présidentielle et compte tenu du bon niveau d'implantation des socialistes obtenu, il y a six ans, dans les villes notamment de plus de 20 000 habitants, c'était une élection dangereuse. Nous avons bien résisté, nos maires ont bien travaillé. Maintenant, il va falloir confirmer tout cela pour le second tour.

G. Leclerc : Vous parlez d'élections dangereuse. Ça peut effectivement l'être pour vous, notamment à Marseille et éventuellement même à Clermont-Ferrand ou Lille ?

C. Bartolone : Ce n'est pas la même chose mais je pense que dans les trois villes, rien n'est joué. Il faut absolument que l'ensemble des électeurs de gauche puisse rassembler pour que ces musicalités permettent de rééquilibrer les pouvoirs. C'est vrai qu'actuellement la majorité a tout : la présidence de la République, Matignon, l'Assemblée, le Sénat, le pouvoir économique, 80 % des départements et la totalité des régions moins une. Il est bon, pour la gauche, de préserver ses municipalités, de renforcer son implantation, et nous allons pouvoir, si cette gauche sait se rassembler, préserver nos municipalités et aussi en gagner d'autres.

G. Leclerc : Autre enseignement et l'un des principaux, c'est le FN qui progresse dans beaucoup de villes et qui est en position d'arbitre dans une centaine de villes.

J.-F. Mancel : En ce qui nous concerne, les choses sont très claires ; il n'y a pas d'alliance avec le FN. En revanche, nous allons nous adresser aux électrices et aux électeurs du FN. Pourquoi votent-ils FN ? Parce qu'ils sont mécontents de ce qu'ont fait les socialistes pendant 14 ans. Ils sont victimes du chômage, de l'exclusion, de l'insécurité. Nous allons leur expliquer que c'est nous qui pouvons, dans les mois et dans les années, qui viennent apporter des réponses à leurs inquiétudes sur tous ces sujets. C'est une campagne que nous allons mener en direction de l'électorat mais, évidemment, pas du tout en accord avec les états-majors.

G. Leclerc : Donc, vous dites : pas d'accord. Mais il n'y a pas de risques d'accords locaux ?

J.-F. Mancel : Aucun risque d'accord local. En revanche, un discours très fort en direction des électeurs.

G. Leclerc : C. Bartolone, ce vote FN, quelque part, c'est souvent dans les anciens bastions de gauche ?

C. Bartolone : Dans le même temps, la droite est revenue au pouvoir et alors qu'on nous avait dit que c'est lorsque la gauche est au pouvoir que le FN progresse, on ne peut pas dire que cette constatation soit révélée.

G. Leclerc : Alors, comment expliquer ce vote ?

C. Bartolone : J'ai l'impression qu'il y a une partie de cet électorat de droite qui s'est radicalisée et qui ne voit pas dans la politique proposée par M. Juppé la solution à ses problèmes. Ils ont l'impression que M. Juppé leur propose du petit Balladur et en ce qui concerne les problèmes des quartiers, en ce qui concerne les problèmes de l'emploi, ils ne voient pas poindre la moindre solution à l'horizon.

G. Leclerc : Dans un certain nombre de villes, le FN est en mesure de l'emporter, comme à Mulhouse, à Dreux, à Vitrolles. Peut-on imaginer éventuellement un front anti-FN des autres forces ?

J.-F. Mancel : Je ne crois pas que ce soit souhaitable. Je pense que ce qu'il faut faire dans ces cas-là, c'est soutenir le candidat de la majorité le mieux placé. C'est ce que nous ferons à chaque fois.

C. Bartolone : Nous ne forons rien qui puisse faciliter l'implantation du FN.

G. Leclerc : Par exemple à Dreux où le FN est en tête et le deuxième est un RPR ?

C. Bartolone : Nous regarderons les situations les unes après les autres. Parce qu'il n'est pas question de choisir un aveugle contre un borgne. On verra la personnalité des candidats de droite qui seront candidats dans ces villes. Mais en aucun cas nous prendrons une attitude électorale qui favorise le FN.

J.-F. Mancel: L'exemple de Dreux, que vous citez, notre candidat G. Hamel peut parfaitement l'emporter. On va se mobiliser à ses côtés.

G. Leclerc : À Mulhouse, par contre, le candidat Klifa a déjà annoncé qu'il se retirait.

J.-F. Mancel : On verra bien ce que fera M. Klifa qui n'est pas au RPR. Donc, là nous sommes prêts à le soutenir en revanche.

G. Leclerc : Dernier enseignement de ces élections, c'est l'abstention : 35 %. Il y a eu trop d'élections ou ça dénote un malaise, un désenchantement ?

J.-F. Mancel : Je crois que c'est dû tout simplement au fait qu'il y a eu une longue campagne présidentielle. Il y a eu deux tours pour l'élection présidentielle et les électeurs ont un peu soufflé lors du premier tour des municipales. Je les engage vivement à ne pas le faire au deuxième et à se mobiliser car ce sont des élections très importantes.

C. Bartolone : Je ne crois pas que ce soit aussi facile. J'ai l'impression que les électeurs souhaitent de la part des politiques, plus de propositions concrètes pour réellement modifier et améliorer leur vie. Pour le moment ils ne voient pas dans le discours tenu par le droite ces solutions miracles. Ils ne sentent pas encore le souffle de la modernisation de la gauche et la préparation de l'alternance. Il y a un phénomène d'attente. J'espère que nous réussirons à combler ce vide dans les semaines qui viennent.

G. Leclerc : Le deuxième tour sera plus politique que le premier ?

J.-F. Mancel : Sans doute un peu plus mais je crois que la preuve a été faite qu'il y a maintenant une distinction bien meilleure de par les électeurs qui choisissent les élections municipales en fonction de critères municipaux.

G. Leclerc : Et ça ne vous déçoit pas qu'il n'y ait pas eu un effet de souffle présidentiel ?

J.-F. Mancel : Non, absolument pas. J'ai d'ailleurs dit très largement avant l'élection qu'il n'y en aurait pas parce que je considère que les électeurs savent bien faire la distinction entre les différents types d'élections et c'est ça la démocratie.

G. Leclerc : C. Bartolone, ce deuxième tour ?

C. Bartolone : Ce deuxième tour, c'est là où tout se jouera. Des villes qui vont être battue et qui vont être gagnées ou des villes qui vont être perdues. J'en appelle à la mobilisation de la gauche, à la mobilisation des forces de progrès pour faire de ces élections municipales un môle de résistance par rapport à cette majorité qui a tout et pour continuer à faire de ces villes, des villes de solidarité et d'innovation.


RMC : Mardi 13 juin 1995

P. Lapousterle : Avez-vous été surpris par les scores du Front national et pensez-vous qu'ils sont dangereux ?

J.-F. Mancel : Surpris non car c'est hélas ! une évolution que l'on a constatée lors des précédents scrutins et lors d'élections présidentielles. Dangereux oui dans la mesure où les idées et les valeurs auxquelles le FN fait assez souvent appel ne correspondent pas du tout aux nôtres et surtout à notre idéal démocratique. Nous maintenons donc nos positions à l'égard du FN.

P. Lapousterle : N'est-ce pas un désaveu du Premier ministre qui avait dit que « voter Front national était inutile » ?

J.-F. Mancel : Je ne crois pas. Le FN aujourd'hui maintient et développe ses positions parce que les maux dont souffrent beaucoup de Français n'ont pas encore trouvé de solutions, parce que la politique du gouvernement n'est pas encore véritablement rentrée en œuvre. Qu'il s'agisse du chômage, de l'insécurité, de l'exclusion, ce sont des situations qui provoquent le vote FN. Quand nous aurons fait reculer ces fléaux les choses changeront et les électeurs du FN ne voteront plus pour le FN.

P. Lapousterle : J.-M. Le Pen hier soir a redemandé, tendu à nouveau la main vers vous, en vous appelant à un accord dans certaines villes pour éviter qu'elles ne basculent à gauche ou qu'elles ne gardent leur maire de gauche, c'est toujours non ?

J.-F. Mancel : C'est totalement non ! Les choses sont claires et ça a toujours été non ! et ça le sera en permanence.

P. Lapousterle : Envisagez-vous, comme l'a fait le PS à Dreux et à Marignane, des retraits ponctuels dans quelques circonscriptions quand le candidat de la majorité n'a pas de chance, pour éviter que le maire ne soit FN ?

J.-F. Mancel : Je crois que le PS est en train de se donner bonne conscience à petit prix dans cette affaire.

P. Lapousterle : Pourquoi pas ?

J.-F. Mancel : C'est son droit mais je ne suis pas persuadé que ce soit la bonne chose à faire. D'autant que le PS depuis deux septennats est à l'origine du FN. Ce sont les échecs socialistes qui ont généré le développement des électeurs du FN pour les raisons que j'évoquais. À partir de là notre position est claire : nous sommes hostiles au FN mais il est bien évident aussi que nous n'allons pas aller nous allier avec les socialistes et les communistes dans une sorte de front républicain.

P. Lapousterle : Je vous repose la question car vous n'avez pas répondu : seriez-vous opposé à un retrait, sans alliance, ponctuel, pour éviter que le maire ne soit FN, quand le candidat de la majorité n'a aucune chance ?

J.-F. Mancel : Je suis favorable à ce que nos candidats, partout où ils peuvent se maintenir, se maintiennent et se battent sous leurs couleurs. Il faut être clairs dans le cadre d'une démocratie.

P. Lapousterle : Vous n'êtes pas de l'avis de P. Séguin qui pensait qu'il était possible, envisageable, que le candidat de la majorité se retire ?

J.-F. Mancel : Compte tenu de la personnalité de P. Séguin, je suis sûr que si nous étions en désaccord il me l'aurait fait savoir.

P. Lapousterle : Vous désapprouvez la position de M. Klifa à Mulhouse qui se retire en faveur du sortant socialiste ?

J.-F. Mancel : Je crois qu'il ne faut pas tomber dans ce genre de combine. Encore une fois, nous avons deux adversaires dans ces municipales : le FN d'un côté et puis les socialistes et les communistes de l'autre. Aller combiner avec l'un ou avec l'autre ça me paraît malsain et ça n'est pas clair. En démocratie il faut être clair.

P. Lapousterle : Pour vous, donc, et pour le RPR, le candidat socialiste est aussi dangereux que celui du FN ?

J.-F. Mancel : Pour d'autres raisons oui puisque les idées développées par les uns et les autres ne sont pas les mêmes mais nous sommes opposés aux socialistes comme nous le sommes au FN.

P. Lapousterle : On lit, ce matin, que dans la collectif budgétaire, l'impôt sur la fortune serait augmenté de 10 %. Ça vous paraît une bonne mesure ?

J.-F. Mancel : J'y suis tout à fait favorable dans la mesure où, s'il y a des efforts à faire, je considère qu'au nom de la justice sociale ils doivent être partagés, et largement, par ceux qui mit les plus gros moyens.

P. Lapousterle : Et quand on lit que le contrat initiative-emploi serait un peu rogné dans ses enveloppes financières, qu'au lieu de 50 milliards il en aurait 15 et qu'au lieu des 2 000 francs à tous les chômeurs on les donnerait à certains chômeurs, que l'allocation sera un peu diminuée. Est-ce que les promesses que tout serait fait pour l'emploi, que tout serait maintenu si ces projets passaient, c'est toujours…

J.-F. Mancel : J'ai le sentiment que le gouvernement est bien décidé dans la ligne définie par le président de la République, à tout faire pour l'emploi. Aujourd'hui, il est un peu tôt pour aller dire si dans le futur collectif budgétaire ou dans les textes qui viendront en discussion devant le Parlement en juillet, il y aura telle ou telle disposition. Je fais une confiance absolue à A. Juppé et je suis convaincu que vous allez trouver, dans tout ce qu'il va proposer, un combat sans merci contre le chômage.

P. Lapousterle : On entend dire de la gauche et du FN que finalement, au bout du compte, tel qu'on peut le voir au bout de six semaines, le gouvernement Juppé fait du Balladur. Est-ce juste ou faux ?

J.-F. Mancel : D'abord, il n'y a rien de désobligeant là-dedans. Par ailleurs, il faut savoir que nous sommes en démocratie, et dans une démocratie, il y a des procédures à respecter. D'ici quelques semaines, le gouvernement va présenter ses principaux projets, ils seront discutés devant le Parlement et là on va voir que, véritablement, la guerre avec tous les moyens possibles est déclenchée contre le chômage.