Interview de M. Dominique Strauss-Kahn, membre du conseil national du PS, à RTL le 8 mai 1995, sur le résultat du candidat socialiste au second tour de l'élection présidentielle 1995, sur les élections municipales et la recomposition du parti socialiste.

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M. Cotta : Les militants socialistes étaient tous contents hier, est-ce que les dirigeants le sont aussi, est-ce qu'ils considèrent que c'est la fin du purgatoire socialiste, la fin de la sorte de malédiction de 1993, et que maintenant tout est possible ?

D. Strauss-Kahn : Il faut être honnête, on serait plus contents si on avait gagné. On est quand même déçus parce que dans les derniers jours, je dirais presque les dernières semaines, à voir monter l'enthousiasme dans les meetings, dans les réunions, on avait le sentiment – en tout cas moi, je l'avais – que, finalement, ce qui nous apparaissait impossible il y a trois mois, à peine probable il y a un mois, devenait possible. Donc, il y a quand même une déception. Mais il est vrai que le score fait par Lionel Jospin est un score formidable. On a eu un candidat extraordinaire qui a su mobiliser la gauche, remonter tout ça. Et de ce point de vue-là, je ne sais pas si le purgatoire est fini, je n'emploierais peut-être pas ce terme, en tout cas je crois que ce qui est terminé, c'est la gauche décomposée. La gauche a retrouvé sa fierté, les hommes et les femmes de gauche marchent la tête haute. Ils n'ont pas gagné ces élections, certes, mais c'est la démocratie. En revanche, la gauche est de retour.

M. Cotta : Quand avez-vous commencé à croire que Lionel Jospin pouvait être victorieux, à être sûr en tout cas qu'il faisait une bonne campagne ? Il est parti en dernier, début février, il n'a pas fait beaucoup de choses entre février et mars. C'est à partir de mars que vous avez cru que tout était possible ?

D. Strauss-Kahn : Nous sommes partis tard pour des raisons sur lesquelles je ne reviens pas. Il faut un peu de temps pour se mettre dans la peau d'un candidat, organiser une campagne, si bien qu'en effet, ce n'est que vers le début du mois de mars que la campagne a commencé à accrocher. Qu'il ait fait une bonne campagne, je l'ai constaté et ressenti très vite, dès le 15 mars on le sentait. Pour autant, le fait que l'on pouvait gagner, pour ma part, ne m'est apparu que plus tard, peut-être dix ou quinze jours avant le premier tour, début avril.

M. Cotta : Si vous aviez gagné, auriez-vous eu derrière vous la classe politique qu'il fallait pour occuper les fonctions ou le PS était-il très divisé et très difficile à manier ?

D. Strauss-Kahn : Quand le président de la République est élu, ce n'est plus une question de parti et je suis convaincu que Lionel Jospin aurait trouvé dans le pays les forces qui lui auraient permis de gouverner comme il convient, il l'a dit lui-même. Il reste que, c'est vrai, la reconstruction, la rénovation de la gauche, qui est aujourd'hui nécessaire, n'est pas achevée et de ce point de vue-là le travail va être engagé. La reconquête ne commence pas aujourd'hui, la reconquête a commencé avec le début de la campagne de Lionel Jospin.

M. Cotta : Quel est l'avenir de ce mouvement de renouveau, comme dit Lionel Jospin dans son discours d'hier, "l'avenir du mouvement du renouveau".

D. Strauss-Kahn : Je pense que ce que Lionel Jospin a réussi à faire, c'est à regrouper derrière lui à la fois les socialistes, cela va sans dire, mais au-delà des socialistes, ceux qu'on appelait les déçus du socialisme qui sont les hommes et les femmes de gauche qui avaient été déçus pour beaucoup de raisons et qui n'étaient pas encore revenus vers la gauche, en tout cas en 1993 et puis, au-delà de la gauche, des gens qui sont de sensibilité écologiste ou parfois aussi de sensibilité centriste. Il faut bien voir qu'il y a des gens qui s'étaient portés, a priori au premier tour, sur Édouard Balladur et qui se sont reportés sur Lionel Jospin pour des raisons européennes sans doute. Bref, un rassemblement qui va très au-delà du PS. J'oubliais bien sûr le principal apport, le principal support de cette campagne du second tour, qui ont été les voix venant du PC qui se sont très bien reportées.

M. Cotta : Martine Aubry, vous-même, Pierre Moscovici, Jean-Christophe Cambadélis, vous êtes la nouvelle génération des socialistes ?

D. Strauss-Kahn : Nous en faisons, je l'espère, partie. Il y en a beaucoup d'autres. Je ne crois pas obligatoirement au problème de génération en termes d'âge, cela n'a pas beaucoup de sens. Ce que je crois, c'est qu'il y a un vent de rénovation qui souffle, auxquels ceux que vous avez cités participent, d'autres aussi, et que Lionel Jospin va conduire.

M. Cotta : Que vont être vos rapports avec le PS tel qu'il fonctionne, est-ce que vous vous appuierez sur sa direction ou est-ce que le groupe Jospin tentera sa reconquête ?

D. Strauss-Kahn : Votre question laisserait entendre qu'il y a d'un côté le PS et de l'autre côté l'équipe de Lionel Jospin. Je ne vois pas du tout les choses comme ça.

M. Cotta : Vous savez bien que c'était un risque au début de la campagne ?

D. Strauss-Kahn : Je crois que maintenant ce risque est écarté. Le PS est mon parti, j'ai l'intention d'y jouer mon rôle, à ma mesure, avec d'autres et je pense que c'est l'ensemble de ce parti qu'il faut maintenant rénover, en effet.

M. Cotta : Parlons un peu du vote protestataire. Notre correspondant dans le Nord nous disait ce matin que dans les grandes villes ouvrières, beaucoup d'électeurs de Jean-Marie Le Pen se sont retrouvés derrière Lionel Jospin mais avec un fort pourcentage de votes blancs pour d'autres. Est-ce que vous pensez que ce sont des irrécupérables de la vie politique ?

D. Strauss-Kahn : Personne n'est un irrécupérable, je ne ferais cette injure à personne, à nous d'être capables de montrer que nous proposons des vraies solutions. Ce qui est frappant, c'est que le vote contestataire, c'est 60 % au premier tour, c'est tous ceux qui n'ont voté ni pour Chirac, ni pour Balladur. Tous les autres, quel que soit leur vote, ont contesté ce qui se passe. Et ce qui est très surprenant, quand je voyais cette foule en liesse hier – je ne conteste pas sa joie évidemment, tant mieux pour ceux qui étaient heureux –, mais c'est qu'ils se comportent comme si quelque chose allait changer, alors que ce sont les mêmes qui étaient au pouvoir qui vont y rester.

M. Cotta : Est-ce que l'Assemblée, avec ses cinquante députés socialistes, vous paraît refléter le vote d'hier et qu'est-ce que vous allez faire ?

D. Strauss-Kahn : Non, évidemment pas. L'Assemblée en place est légitime, elle a été élue en 1993, elle est là jusqu'en 1998, normalement. Il reste qu'on voit bien qu'elle est aujourd'hui très décalée par rapport aux forces politiques du pays et je ne crois pas que ce soit une bonne chose, si bien que si Jacques Chirac voulait vraiment montrer que c'est un Jacques Chirac nouveau qui vient d'être élu président de la République, et qu'il veut appliquer un programme différent, en rupture – il l'a dit lui-même – par rapport à ce qui a été fait de 1993 à 1995, je pense qu'il serait sage qu'il dissolve cette assemblée et qu'il ait derrière lui – comme le veut un peu la tradition gaulliste d'ailleurs – une majorité sur son nom mais une opposition qui serait plus large et qui représenterait mieux ce qui est aujourd'hui son opposition en France.

M. Cotta : Comment abordez-vous les municipales, avec un espoir accru ?

D. Strauss-Kahn : Oui. Je crois que ce qui s'est passé pendant ces deux ou trois mois a beaucoup changé la donne municipale. Je pense que nous allons gagner, je serai moi-même candidat à Sarcelles où Lionel Jospin a fait un très bon score, sur lequel je m'appuierai et je pense que nous sommes maintenant partis pour gagner les municipales, ce qui est la première étape électorale qui est devant nous, mais il y en aura d'autres.