Interview de M. Philippe Séguin, président du RPR, à Europe 1 le 6 novembre 1998, sur le débat sur le PACS à l'Assemblée nationale, la cohabitation et les rapports entre le Premier ministre et le Président de la République, l'élection du président du RPR les 12 et 13 décembre et la préparation des élections européennes de 1999.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - La bataille du Pacs reprend demain, en principe jusqu'au vote. Est-ce vous, vous vous amusez de ces…

« Pas du tout ! »

Q - …de ces séances interminables d'invectives, etc. ?

« Non, non, pas du tout ! »

Q - Donc, vous souhaitez que ça s'arrête ou que ça continue ?

« Il faut voir où sont les responsabilités. D'abord il y a une responsabilité du Gouvernement. Sur une affaire aussi complexe, qui remet en cause ? quel que soit le jugement que l'on porte sur le fond, sur une affaire qui est complexe, tout le monde le reconnaît ?, 2 000 ans de Code civil, si j'ose dire, il fallait une préparation sereine, approfondie. Il fallait un projet de loi. »

Q - D'accord, mais là où nous en sommes ?

« On a choisi la proposition de loi. On a choisi de transformer l'Assemblée en cour de récréation dans une banlieue sordide. Cour de récréation d'une banlieue sordide, ou les uns disent : vous nous avez eus une fois, vous ne nous aurez pas deux fois ; et où les autres répondent : on vous a eus une fois, on vous aura une deuxième fois. »

Q - Ça peut continuer comme ça ?

« C'est tout à fait regrettable. Mais je le répète : responsabilité du Gouvernement ; responsabilité de la majorité. Les exactions ? enfin les débordements ? de la majorité, et en particulier du président du groupe socialiste sont inacceptables ! Responsabilité, aussi, je suis au regret de le dire, de la présidence de l'Assemblée qui se laisse imposer un rythme, une organisation du travail qui sont démentiels, et qui ne peuvent conduire qu'à ces désordres qui sont très préjudiciables pour l'image de l'Assemblée et des institutions. »

Q - L'objectif de l'opposition est-il de forcer L. Jospin et Mme Guigou à retirer et à enterrer la loi ?

« L'objectif au RPR est de dire que ce n'est pas sérieux, qu'on ne peut pas traiter d'un texte de ce genre dans l'improvisation et la confusion. Nous sommes prêts à débattre. Nous reconnaissons la réalité des situations auxquelles on prétend vouloir porter remède. Nous demandons un débat serein et organisé. »

Q - Donc, on ne retire pas, mais on prend son temps ?

« Pour ce qui nous concerne, nous ne voulons pas faire de l'obstruction. Nous ne voulons pas ajouter à la dégradation de l'image de l'Assemblée. Nous voulons simplement qu'on nous mette en mesure de faire notre métier. »

Q - Dans les sondages actuels, le président de la République baisse, le Premier ministre monte et il monte haut. A quoi cela tient-il selon vous ?

« J'ai cru comprendre, en écoutant Europe 1 depuis ce matin, très tôt, qu'on célébrait, aujourd'hui, des anniversaires : la mi-mandat et… »

Q - Trois ans et demi, c'est-à-dire la mi-mandat du Président.

« …et puis l'anniversaire de la déclaration, par J. Chirac, de sa candidature ? il y a quatre ans très exactement. Je me souviens très précisément de la soirée que nous avons passée la veille de sa déclaration de candidature, et je me souviens très précisément de l'état des sondages à cette époque. Voilà, je crois vous avoir répondu. »

Q - Oui. Mais vous, vous dites…

« Les sondages étaient dramatiques et J. Chirac a été élu président de la République. C'est vous dire la sérénité avec laquelle nous accueillons ce genre de nouvelles. »

Q - Mais vous, vous croyez que les choses se reproduisent de la même façon ? C'est parfois en farce que ça se termine…

« Non. C'est tout simplement pour dire que les sondages sont un élément très intéressant, très respectable, mais à manier avec la plus grande précaution. »

Q - Il reste trois ans et demi de cohabitation. Vous dites : « Que c'est long, mais que c'est long ? »

« J'ai dit ça moi ?! »

Q - Non, mais vous, est-ce que vous le dites ?

« Non. Puisqu'on parle d'anniversaire sur Europe, moi je considère que le bilan du président de la République est un bilan tout à fait remarquable. Mais il est confronté, depuis un peu plus d'un an, à des circonstances difficiles, mais pour autant, il assume son mandat d'une manière, je le répète, parfaitement remarquable. »

Q - Vous avez donné un entretien très substantiel et significatif au Monde. Vous dites que : « Le Premier ministre empiète sur la fonction présidentielle, et que le président de la République devrait faire, comme F. Mitterrand avec Balladur… »

« Je n'ai pas dit ça, je n'ai pas dit ça ! Je n'ai pas dit ça ! Pas du tout ! Je n'ai pas dit qu'il devait faire comme avait fait F. Mitterrand. Je dis simplement… »

Q - Vous dites que : « F. Mitterrand, comme M. Balladur… »

« Je dis simplement : nous sommes dans une cohabitation longue, une cohabitation, en quelque sorte, de droit commun. Et que, par définition, le rapport des forces s'y établit de manière différente que dans une cohabitation courte, une cohabitation de transition, comme celles que nous avions connues de 86 à 88 et de 93 à 95. Mais ça n'est pas une situation saine. »

Q - Mais on ne peut pas empêcher que ça dure ?

« Ça, il y a des moyens constitutionnels qui n'appartiennent qu'au président de la République pour interrompre ce genre d'expérience. C'est à lui qu'il faut poser la question, pas à moi. »

Q - Oui. C'est lui qui pourrait décider de l'arrêter ?

« Mais pour autant, le mandat de J. Chirac ne s'est pas interrompu au soir des élections du mois de juin. J. Chirac est président de la République. II est en charge de l'essentiel. Il continue, à l'heure qu'il est, d'assumer l'essentiel, et de manière tout à fait remarquable. »

Q - Dans cette…

« Vous ne voulez absolument pas, là, que je parle de ce qu'a fait J. Chirac depuis qu'il est en place ! »

Q - Mais je vous y amène. Alors qu'est-ce qu'il a fait ?

« J'ai entendu tellement d'inepties depuis ce matin… »

Q - Qu'est-ce qu'il a fait ? Aujourd'hui vous êtes le grand défenseur de J. Chirac, formidable !

« Le président de la République est en charge de l'essentiel, et je m'en tiens à l'essentiel, j'essaye de lever le nez du guidon. Je constate d'abord qu'il a eu le courage d'achever les essais nucléaires de la France. Parce que, faute de cet acte de courage, tous les efforts consentis depuis des décennies par les Français auraient été vains, et nous aurions eu une force de frappe obsolète. II a eu le courage de procéder à la professionnalisation de notre armée. Même si les socialistes, ensuite, ont saccagé les mesures d'accompagnement et de volontariat ou le Rendez-vous Citoyen. Il a inauguré une politique étrangère nouvelle, ouverte, particulièrement dynamique, avec des succès remarquables, notamment en ex-Yougoslavie, la France est de retour dans un certain nombre d'endroits du monde ou elle était absente. Il a adopté, il adopte, une posture tout à fait originale, à la fois sur le plan extérieur et sur le plan intérieur, entre l'ultra-libéralisme et d'autre part, la social-démocratie, qui est un modèle tout à fait dépassé. Il apporte un témoignage constant, permanent, sur la nécessité de la modernisation et de la solidarité, de faire en sorte que la France continue… »

Q - Arrêtez !

« Mais vous parlez de bilan. J'essaye déjà de résumer… »

Q - Donc, il n'y a pas de raison que ça ne continue pas, parce que…

« …faire en sorte que la France continue la cohabitation. C'est dire, je le répète, qu'il n'a pas cessé d'assumer fidèlement et remarquablement le mandat qui lui a été confié. »

Q - Vous allez avoir un coup de téléphone dans dix minutes, dès que ce sera terminé. En tout cas, on entend ? et on le voit ce matin ? siffler votre épée. Quelle est la bataille urgente à conduire aujourd'hui ?

« La bataille urgente, c'est la modernisation de la France pour faire face à la mondialisation, et pour participer à notre rang à la construction européenne. Nous avons un défi à relever qui est celui de la mondialisation et qui est celui de l'adaptation. »

Q - Ça se fait !

« Ah bon ! Comment voulez-vous qu'on réponde au défi de la mondialisation dans la mesure où on la nie ? Relisez le discours d'investiture du Premier ministre en juin 1997, il n'a pas employé une seule fois le mot de "mondialisation." En vérité, le Premier ministre prépare sa candidature à l'élection présidentielle, il ne prépare pas la France aux échéances. Il se prépare lui aux échéances, pas la France."

Q - Ça, c'est une surprise !

« Ce n'est pas une surprise, c'est un constat. Mais je suis heureux de constater qu'il est partagé. »

Q - Mais pourquoi sous-estimez-vous depuis toujours L. Jospin ?

« Mais, je ne le sous-estime pas ! Je considère que c'est un adversaire particulièrement talentueux et redoutable. Pour autant, j'essaye de comprendre ce qu'il fait, de rechercher quels sont ses points faibles et de les mettre en exergue. »

Q - Et vous estimez que sa politique est étriquée. Pourtant, il y a un certain nombre de résultats : les 35 heures, la sécurité sociale, la justice, la Nouvelle-Calédonie.

« Ecoutez, quand on parle de réformes avec ce Gouvernement, de deux choses l'une : ou bien on s'en tient à l'effet d'annonce, et la réforme réelle est renvoyée aux calendes grecques ? je parle des retraites, par exemple. Ou alors, on met en oeuvre une réforme. Mais, comme par hasard, les conséquences de cette réforme, le coût de cette réforme ne seront perceptibles qu'après l'élection présidentielle. Exemple : les emplois jeunes. On ne sait pas ce qu'ils vont devenir après. Est-ce qu'on intégrera ces jeunes dans la fonction publique ? Est-ce qu'on les renverra ? Etc. Comment on paiera ? Tout ça, on verra plus tard ! »

Q - Dans cinq semaines, le RPR va vous réélire à sa tête. Vous n'avez pas de rival, mais vous avez averti qu'à moins de 70 % de participation cette élection n'aurait pas de sens. C'est-à-dire faut m'aimer ou je m'en vais ?

« Je ne demande pas qu'il y ait 70 % de gens qui votent pour moi, je veux qu'il y ait 70 % de gens qui participent au vote. C'est tout à fait différent. Ils peuvent voter blanc. »

Q - C'est-à-dire que vous pensez qu'il y a des gens qui voudraient que vous soyez le président par défaut.

« Je ne veux rien du tout. Je dis simplement que nous avons procédé à une réforme particulièrement importante avec l'élection directe du président de notre mouvement ; qu'il se trouve, pour des raisons que je regrette d'ailleurs, que personne n'a souhaité se présenter face à ma candidature, et qu'on ne peut pas provoquer une élection au suffrage universel sans enjeu. Alors faute d'enjeu entre deux hommes, eh bien, il y a un enjeu en termes de participation, en termes de capacité de rassemblement. »

Q - Si vous étiez libéral, centriste, européen, c'est-à-dire UDF, est-ce que vous accepteriez que le RPR conduise une liste commune aux Européennes ?

« Moi, je suis pour l'union. C'est-à-dire que je respecte la diversité. Et respectant la diversité j'accepte tout à fait les critiques de la part de ceux qui ont une autre approche que la mienne. Même ceux qui sont pour la division de l'opposition, j'admets au nom de la diversité de l'opposition qu'ils puissent s'exprimer. »

Q - Alors, quand on se demande quelquefois à quoi l'on sert, vous savez à quoi vous servez ?

« J'ai trois objectifs faire gagner les prochaines élections législatives à l'opposition unie dans L'Alliance ; bâtir un rassemblement moderne qui assure la pérennité des idées gaullistes ; et puis, bien sûr, contribuer à la réélection de J. Chirac. »

Q - S'il ne vous téléphone pas M. Chirac, vous me le direz.

« Je ne vous dirai rien du tout. »