Texte intégral
Le Monde
« Vous êtes aujourd’hui le seul candidat à la présidence du RPR. Cette situation ne prive-t-elle pas votre parti d’un débat interne sur sa stratégie ?
Philippe Séguin - Cette unicité de candidature ne correspond pas à ce que je souhaitais. Nous avons visiblement à consentir un travail d’accoutumance à la démocratie interne. J’aurais voulu persuader qu’une candidature, fut-ce face à un président sortant, n’est pas un acte de lèse-majesté et, plus généralement, qu’un débat interne ne met aucunement en cause l’unité de notre mouvement.
D’autant qu’il y a sûrement, au RPR, des gens qui considèrent que la stratégie que j’ai mise en œuvre n’est pas la bonne. Il aurait été souhaitable qu’ils le disent, qu’ils l’expliquent et qu’ils proposent de lui en substituer une autre, plutôt que d’en être réduits, après, à des critiques ou à des initiatives qui, elles, ne seraient pas aussi claires.
Le Monde
- Le risque, pour vous, n’est il pas que cette élection, qui se fait pour la première fois au suffrage direct des adhérents, ne soit finalement un non évènement ?
Philippe Séguin - Je ne souhaite pas être un président par défaut ou au rabais. Je veux bien rendre service, mais condition que l’on m’en donne les moyens. Une élection au suffrage universel doit avoir un enjeu. Celle-ci en aura un en tout état de cause : il doit être clair qu’à moins de 70 % de participation à cette élection, elle n’aurait, à mes yeux, ni sens, ni portée. A chacun, donc, d’en tirer les conséquences.
Pour ma part, je ferai campagne autour de trois thèmes : quel mouvement ? Quelle stratégie Quelle politique ?
Quel mouvement ? Je dirai ce qu’est pour moi une formation moderne, un rassemblement, et j’insisterai sur nos devoirs en temps de morale publique. Quelle stratégie ? Je rappellerai que nous devons soutenir le Président de la République, approfondir nos valeurs, favoriser l’union. Pour quelle politique ? Je déclinerai ce que nous avons dit dans notre projet : le contexte de la mondialisation, celui de l’Europe que nous voulons.
Le Monde
- Quel est, à vos yeux, le principal acquis de vos quinze mois de présidence du RPR ?
Philippe Séguin - Je retire une certaine satisfaction du souvenir qu’au moment de mon élection, on se demandait si le RPR existerait encore quelques semaines plus tard et du constat qu’aujourd’hui, on lui reproche d’être hégémonique… Ce que je retiens de positif, c’est que, d’une part, nous avons passé, sans compromettre notre unité, une période extraordinairement difficile, pendant laquelle les obstacles n’ont pas manqué et que, d’autre part, nous avons engagé une mutation à commencer par celle de l’organisation du mouvement.
Maintenant, cette organisation, il faut la faire vivre. Je souhaite que nous construisions une formation politique moderne. Il s’agit à mes yeux, en dehors des fonctions traditionnelles d’un parti politique, d’être un lieu de débats et d’échanges, un lieu de formation, pour des équipes susceptibles d’exercer des responsabilités publiques. Il s’agit aussi d’assumer une mission pédagogique vis-à-vis de l’opinion, mission que je crois essentielle, aujourd’hui, compte-tenu de la complexité des problème. Etant financés sur fonds publics, nous avons une mission de service public a assumer, qui ne se limite pas à la seule exaltation du fait que nous nous considérons comme les meilleurs…
Le Monde
- Pour porter le débat européen, envisagez-vous de conduire vous-même une liste d’union de l’opposition aux élections européennes ?
Philippe Séguin - Le problème de la tête de liste, reste, à mes yeux, prématuré. Nous avons commencé une réflexion de fond qui, je crois, est de bonne qualité. Nos amis de l’Alliance s’y sont engagés à leur tour. Il faut d’abord assumer cette priorité. Il nous faut aussi régler préalablement les questions des deux rendez-vous liés à Amsterdam et, alors, on pourra se demander si nous avons la possibilité, comme je l’espère, de faire une liste d’union.
Restera à définir ce à quoi s’engageront celles et ceux qui seraient élus sur une liste d’union. Je crois qu’on ne pose pas le vrai problème en s’interrogeant seulement sur leur rattachement administratif. Ce qui compte, c’est de treize pays européens sur quinze sont de direction socialiste ou ont un gouvernement à participation socialiste. Les socialistes des Quinze vont aborder les élections européennes dans un climat d’euphorie qu’expliquent leurs succès récent.
Tout indique que, malgré leurs différences, ils vont coordonner leurs efforts au cours de la campagne électorale. Si rien ne se passe pour l’empêcher, ils risquent de contrôler le Parlement européen et, au-delà, de peser sur le choix du président de la Commission.
Il s’agit donc de savoir, aujourd’hui, si l’ensemble des forces politiques qui se situent, en Europe, entre les socialistes et leurs alliés, d’une part, et l’extrême droite, d’autre part, sont prêtes à coopérer, à bâtir un discours commun et à mener des campagnes qui soient à la fois parallèles et complémentaires, puis à constituer un groupe commun, qui conduirait une action commune. Je souhaiterais qu’on s’engage, au niveau européen, à celle que nous avons lancée en France avec L’Alliance.
Le Monde
- Les conditions que vous posez à la ratification du traité d’Amsterdam et à la révision constitutionnelle qu’elle suppose ne risquent-elles pas de vous compliquer la tâche ?
Philippe Séguin - Nous n’avons jamais dit qu’il s’agissait de conditions sine qua non. D’ailleurs, j’ai cru comprendre que l’idée d’ajouter une préambule ou un article additionnel, au terme duquel la réforme institutionnelle est un préalable à l’élargissement, est assez consensuelle en France.
En fait, l’essentiel de notre acte politique porte sur la révision constitutionnelle. Nous voulons un aménagement de l’article 88-4, qui traite du contrôle parlementaire national sur la législation européenne. Nous souhaitons, en outre, faire droit aux préoccupations de ceux qui estiment qu’une modification des conditions essentielles d’exercice de la souveraineté mérite mieux qu’une simple décision gouvernementale, et nous essayons de placer la décision à prendre au moment où elle doit être prise.
Certains nous disent qu’il y ait un référendum et qu’on ne peut se satisfaire du passage au Congrès. A ceux-là, nous répondons, d’abord, que le choix entre la procédure parlementaire et le référendum est de la compétence exclusive du Président de la République. En conséquence, nous n’entendons pas, en tant que mouvement politique, interférer. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a dit lui-même qu’il n’y a aucun problème de souveraineté aussi longtemps que l’on ne bascule pas dans la règle de la majorité. Donc, la question se posera au moment où nous déciderons que la France est pour la règle de la majorité.
C’est pourquoi nous disons : prévoyons dans la Constitution - cela apaisera ceux qui ont des doutes - que cela se fera par voie législative et prévoyons une rédaction telle que cette loi puisse être soit une loi simple, soit une loi organique, soit une loi référendaire. Il reviendra au Président de la République et au Premier ministre de faire le choix le moment venu.
Le Monde
- Est-ce que, sur ce sujet, vous agissez en harmonie avec le chef de l’Etat ?
Philippe Séguin - La seule chose que l’on sache aujourd’hui, c’est qu’il n’entre pas dans les intentions du Président de la République d’organiser un référendum. Dès lors, c’est au Gouvernement et au Parlement de s’expliquer. Nous souhaitons que tous nos amendements soient adoptés et nous dédierons, le moment venu, de l’attitude que nous prendrons si tel ou tel d’entre eux était refusé. Mais il y a fort à parier que les plus nombreux, parmi nous, inclineront pour un vote favorable.
Le Monde
- L’Alliance pour la France peut-elle être autre chose qu’un syndicaux électoraux ?
Philippe Séguin - Ce que j’observe, tout d’abord, c’est que personne ne peut prétendre gouverner seul. Deuxième constat, personne ne peut gagner seul. Donc, puisque nous devons, de toute façon, à un moment ou à un autre, travailler ensemble, autant le faire le plus rapidement possible, pour que cela soit efficace et crédible. Il s’agit bien, en effet, avec l’Alliance, de préparer des élections et un Gouvernement commun.
Le Monde
- Vous vous inspirez de l’exemple de la gauche « plurielle »…
Philippe Séguin - Il faut être logique. Nous n’avons plus de système idéologique « clé en main ». Même à l’intérieur des partis de type classique, vous avez une grande variété de positions ; a fortiori entre les grandes formations. Le parti monolithique, qui va à la bataille derrière un drapeau, un chef et une doctrine, c’est terminé » depuis longtemps !
Il n’en demeure pas moins qu’il faudra aller aux élections ensemble et, ensuite, trouver un programme de Gouvernement. Chacun a pu vérifier, en observant ce qui s’est passé récemment en Allemagne, que des gens ayant des approches différentes peuvent, ensuite, se mettre d’accord sur un programme de législature. Il faut donc que l’opinion sache que l’opposition est au travail pour présenter ce programme.
Le Monde
- Avant les élections législatives, il y a les élections municipales. Craignez-vous qu’elles n’aient les mêmes effets - démultipliés - que les élections régionales et n’incitent les élus de droite à passer des accords avec le Front national ?
Philippe Séguin - Le mode de scrutin municipal met en œuvre, automatiquement, le principe auquel, pour notre part, ,nous nous étions tenus dans les conseils régionaux : celui qui a la majorité relative a vocation à exercer les responsables. Les alliances ne sont possibles qu’entre les deux tours, mais, alors - à la différences de e qui s’est passé jusqu’ici aux régionales -, elles sont soumises aux électeurs au second tour. Nous ferons en sorte d’empêcher les alliances contre nature, mais s’il s’en produit, les électeurs feront la démonstration de ce que nous ne cessons d’expliquer à savoir qu’une alliance avec le Front national est non seulement une faute morale et une faute politique, mais aussi un très mauvais calcul électoral.
Le Monde
- La perspective des élection municipales alimente, à Paris, le conflit que vous pensiez avoir réglé, autrement dit la compétition ente trois chefs de file possibles pour le RPR : Jean Tibéri, Jacques Toubon et Edouard Balladur…
Philippe Séguin - Il y’ avait un problème lorsqu’il n’y avait plus de majorité claire à Paris et lorsque des élus appartenant à la même formation politique se retrouvaient dans des groupes différents et hostiles au Conseil de Paris. Ce problème a été effectivement réglé. Aujourd’hui, je m’en tiens à deux faits incontournables. Le maire et la majorité parisienne ont été régulièrement élus 1995, et leur mandat court jusqu’en 2001. Il revient donc à tous les élus, en particulier RPR, de se préoccuper d’abord d’honorer la confiance que les Parisiens ont placée en eux.
Quant au candidat du RPR en 2001, il ne sera pas autoproclamé, mais désigné par des instances dont, sous réserve de ma réélection, j’assurerai la présidence. Là je peux indiquer que le choix ne se fera pas sur le critère de la contribution la plus forte, entre temps, à la désunion et au désordre. Ce double rappel s’adresse à tous.
Le Monde
- Vous vous étiez prononcé en faveur du mandat parlementaire unique. Etes-vous prêt, aujourd’hui, à suivre le Gouvernement, qui propose qu’un mandat parlementaire ne puisse être cumulé avec la direction d’un exécutif local ?
- Ma position personnelle reste inchangée, mais, en tant que président du RPR, je m’en tiens à l’essentiel de la position défendue par le Sénat, à savoir un mandat parlementaire et une fonction exécutive. La position que propose le Gouvernement est hypocrite. On ne va pas recommencer ce qui s’est passé avec les ministres-maires, qui sont devenus ministres-premiers adjoints. On se moque de la tête des gens. Si l’on peut cumuler, alors, cumulons clairement !
Le Monde
- Vous insistez souvent sur la nécessité de restaurer le crédit de la parole politique. La situation du président du Conseil constitutionnel, Roland Dumas, vous parait-elle de nature à aggraver le discrédit de l’action et de la parole politique ?
Philippe Séguin - La décision n’appartient qu’à lui, et nul ne peut le contraindre. J’imagine d’ailleurs aisément le dilemme qu’il peut vivre : partir serait probablement un soulagement pour tout le monde, y compris pour lui ; mais partir peut aussi passer aux yeux de certains comme l’aveu de culpabilité qu’il conteste. En tant que mouvement politique, nous ne pouvons que déplorer une situation qui affaiblit un organisme, le Conseil constitutionnel, dont le bon fonctionnement est nécessaire à l’équilibre de nos institutions.
Le Monde
- La cohabitation longue, dans laquelle nous sommes, vous parait-elle de nature à altérer l’équilibre institutionnel de la Ve république ?
Philippe Séguin - Actuellement, nous sommes en situation d’attente. Nous passons d’un régime mixte, à la fois présidentiel et parlementaire, à un système double avec, d’un côté, un régime parlementaire qui fonctionne entre le Gouvernement et l’Assemblée et, de l’autre, un pouvoir présidentiel qui se maintient. Je ne dirais pas que ces deux systèmes s’ignorent ; ils ont des rendez-vous, des synergies et des compromis ; mais ils ne fonctionnent pas conformément à ce qu’ont souhaité les constituants.
Je crois que si cela devait continuer pour un nouvelle législature, au-delà de celle qui s’est ouverte en juin 1997, le choix serait alors, pour simplifier, entre la reine d’Angleterre et le président Clinton… Régime parlementaire ou régime présidentiel. A ce moment-là, tout car qui est proposé par certains en matière de réforme constitutionnelle devrait être sérieusement débattu. Mais nous ferons tout pour éviter cette situation.
Le Monde
- Avez-vous le sentiment que Lionel Jospin empiète sur la fonction présidentielle ?
Philippe Séguin - Il est peu de premiers ministres qui s’y seront autant employés que lui. Cela tient, bien sur, à la longueur de la cohabitation. Lorsque Edouard Balladur, Premier ministre, avait fait une forte incursion dans le domaine de la politique étrangère, il s’était attiré une verte réplique de la part du Président de la République d’alors, François Mitterrand. Nous sommes aujourd’hui dans une situation où, par la force des choses, les territoires sont moins clairement délimités.
Le Monde
- L’échec de la dissolution n’est-il pas lui-même à l’origine de l’affaiblissement de la fonction présidentielle ?
- Sur la dissolution, j’ai fait part de mon opinion au Président de la République, comme la Constitution m’en faisait, d’ailleurs, obligation (M. Séguin était, en 1997, président de l’Assemblée nationale). Mais j’ai toujours considéré qu’elle n’appartenait qu’à mon interlocuteur. Je le considère encore aujourd’hui.
Le Monde
- Vous avez été le premier à dire, publiquement, que Jacques Chirac est « par définition », le candidat de la droite à la prochaine élection présidentielle. Considérez-vous que Lionel Jospin se comporte d’ores et déjà comme le candidat de la gauche ?
Philippe Séguin - Que l’on s’achemine vers un second tour Chirac-Jospin n’a, je crois, échappé à personne. Je ne pense pas m’avancer beaucoup en risquant le pronostic. C’est, en tout cas, celui que font tous les Français.
La politique étriquée du Gouvernement est inspirée par deux faits. Le premier, c’est l’hétérogénéité de la majorité et la demande idéologique de chacune de ses composantes. Le second, c’est que M. Jospin est candidat. On dit qu’il règle magnifiquement les conflits sociaux. C’est vrai. Cela étant, comme il est candidat, il règle les conflits sociaux, mais il ne règle pas le problèmes qui sont à l’origine de ces conflits. Je pense à l’éducation, par exemple.
Le Monde
- Il y a quelque temps, vous disiez que votre tâche était de préparer les élections législatives et non pas l’élection présidentielle. Avez-vous changé votre analyse sur ce point ?
Philippe Séguin - Je me suis fixé trois objectifs : faire gagner les élections législatives à l’opposition unie dans l’Alliance contribuer à la réélection de Jacques Chirac : bâtir un rassemblement moderne et ouvert, qui assure la pérennité des idées gaullistes.
Le Monde
- « Contribuer à la réélection de M. Chirac » incite à vous demander, en reprenant votre formule de 1988 à propos de François Mitterrand : « Un deuxième mandat pour quoi faire ?
Philippe Séguin - Pour lui rendre les moyens politiques de mettre en œuvre les ambitions qu’il a développées en 1995.
Le Monde
- Vous avez déclaré que la génération à laquelle vous appartenez doit faire fi de ses ambitions personnelles. Vous considérez-vous comme la génération sacrifiée de la droite ?
Philippe Séguin - Cela dépend de ce que l’on entend par génération sacrifiée. On peut être utile à son pays sans exercer telle ou telle responsabilité. L’essentiel, c’est d’être utile, là ou l’on est, et de faire avancer les choses.