Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire de la CGT, dans "L'Hebdo de l'actualité sociale" du 9 octobre 1998, sur la préparation du 46ème congrès de la CGT, les orientations, la direction, la place des femmes.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : 46ème congrès de la CGT du 31 janvier au 5 février 1999 à Strasbourg

Média : L'Hebdo de l'actualité sociale

Texte intégral

L'HEBDO : La CGT engage la préparation de son 46e congrès. Qu'est-ce qui change dans la manière de la préparer ?

BERNARD THIBAULT : Il y a ce qui change et ce qui reste conforme à la manière dont se prépare un congrès dans la CGT, entre autres, la volonté d'associer le maximum de syndiqués. Un certain nombre de dispositions sont prises. Le document préparatoire est tiré à 350 000 exemplaires. La conception même du texte a été repensée. Nous ne demandons pas l'adhésion des syndiqués à une philosophie, une théorie élaborée en haut. Il s'agit principalement de pointer les questions, qui nous paraissent fondamentales dans cette période, pour construire ensemble les réponses appropriées. Entre le texte d'aujourd'hui, produit pour susciter le débat, et le texte final adopté au congrès, il y a de la place pour intégrer les opinions des syndiqués.

L'HEBDO : À la lecture du document, il apparaît plus d'approfondissements, que de réelles nouveautés. Est-ce la marque de blocages, de difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre du 45e congrès ?

Nous partons du postulat qu'il n'y a pas de révision déchirante à opérer sur le syndicalisme que nous avions qualifié de solidaire. Nous parions toujours sur l'unité, sur le syndicalisme rassemblé. De ce point de vue, nous restons conformes à l'orientation du 45e congrès. Par contre, il existe un décalage entre ce que nous avions annoncé et ce que nous avons réellement mis en oeuvre. Une part du corps militant et des adhérents n'est pas totalement porteur de notre démarche, il nous faut faire le point !

L'HEBDO : La CGT entend passer d'une culture d'opposition syndicalisme de proposition et de négociation, c'est une « petite révolution » ?

Oui, mais à condition de ne pas se tromper sur le sens des évolutions. On souhaite débattre au congrès de la manière de se positionner CGT, quels que soient les sujets en discussion avec le gouvernement ou le patronat. On ne peut pas prétendre être efficace pour les salariés, en s'en tenant à des positions de rejet. Cela étant dit, il n'y a aucune raison pour qu'à l'avenir, la CGT ne continue pas à condamner ce qu'elle estimera condamnable. Pour autant, il faut aussi être en capacité d'engager une démarche qui nous permette de présenter des contre-propositions. Elles ne peuvent être construites efficacement, qu'avec les salariés directement concernés. Il s'agir donc d'un rééquilibrage auquel nous devons procéder.

Notre démarche revendicative doit être concrète. Nous devons nous situer au plus près des attentes des salariés. Nous devons lutter pour établir un rapport de forces, avec un seul objectif : gagner en intégrant une approche offensive de la négociation. Cette conception bouscule certaines de nos habitudes.

L'HEBDO : Quels sont les thèmes que vous mettrez au centre des débats du congrès ?

On va essayer d'organiser le déroulement des travaux d'une manière plus dynamique, afin de permettre au plus grand nombre de délégués de s'exprimer pour favoriser l'approfondissement sur des sujets importants. Nous avons déjà retenu quatre thèmes de débats, la réduction du temps de travaux, la précarité, l'unité, la CGT et nous verrons d'ici au congrès s'il ne convient pas d'en ajouter un ou deux autres, en fonction des besoins qu'expriment les syndiqués.

L'HEBDO : Sur les 35 heures justement, il semble qu'il y ait un décalage entre les potentialités de la période et l'engagement réel des organisations de la CGT ?

Il existait une hésitation compréhensible des militants de la CGT, sur le contenu de la loi, dès lors que nous étions critiques, à juste titre, sur certaines dispositions. Aujourd'hui, nous cherchons à occuper le terrain et surtout à montrer que le rapport de force, notre capacité à mettre en mouvement les salariés, peut transformer la déduction du temps de travail en réelle avancée sociale. Nous allons continuer à mettre en évidence les succès ; les accords qui articulent préservation du pouvoir d'achat, créations d'emplois et réduction du temps de travail à 35 heures. La CGT a tout à gagner, d'un investissement sans réserve de ses militants pour essayer d'aller avec les salariés, le plus loin possible dans les négociations.

L'HEBDO : Quelles conséquences entraînent le développement de la précarité ?

Nous assistons à une explosion des situations précaires dans les entreprises. Soixante-quinze pour cent des embauches se font sur la base de contrats à durée déterminée. Cela se traduit par une instabilité, des inquiétudes sur l'avenir, l'impossibilité de faire des projets personnels ou professionnels. Nous voulons y réfléchir en termes de conséquences sur les acquis sociaux, d'ajustement de notre démarche syndicale. Comment aborder un monde salarié fait de précarité, de gens qui changent de situations, d'entreprises, de statuts, à toute vitesse. Quelles nouvelles règles de fonctionnement, quels nouveaux positionnements, pour rendre le syndicalisme attrayant à ces salariés qui en ont tant besoin.

La permanence et la qualité des relations avec les autres organisations syndicales doivent servir à valoriser les convergences existantes, à débattre et réaliser des démarches et initiatives unitaires. De telles relations doivent aussi permettre d'approfondir les réflexions et débats sur les divergences constatées, invitant les salariés à y participer

L'HEBDO : Des progrès ont été semble-t-il notés dans le domaine de l'unité ?

Le congrès nous offre la possibilité de faire le point sur l'unité et ce que nous appelons, le syndicalisme rassemblé. La dernière période a montré que nous avons progressé dans les contacts, les échanges, à l'occasion de grandes échéances comme la conférence du 10 octobre 1997 sur la réduction du temps de travail. Il n'en demeure pas moins, que globalement, malgré des luttes souvent très unitaires dans les entreprises, la nature des relations entre organisations syndicales reste dominée par la division. Nous proposons d'être à l'initiative pour l'instauration de nouvelles relations entre dirigeants syndicaux, entre organisations à tous les niveaux. Autrement dit, cela suppose de se parler plus souvent, d'échanger sur les positions des uns et des autres et chaque fois que c'est possible, faire un bout de chemin ensemble dans l'action pour la défense des intérêts des salariés.

L'HEBDO : Les forces syndicales de la CGT sont stables depuis quatre ans. Comment appréciez-vous ce résultat ?

Le nombre de syndiqués est en effet stabilisé. Ce résultat masque des inégalités. Des secteurs professionnels et certains départements accroissent leurs forces syndicales. D'autres sont en perte de vitesse. C'est moins la conséquence d'une démarche CGT que d'un bouleversement du paysage social. Nous avons du mal à trouver des formes d'organisation qui correspondent au monde salarié d'aujourd'hui. Nous cherchons les moyens de conforter les bases syndicales existantes et de nous attaquer à l'immensité des déserts syndicaux. La CGT a vocation à s'adresser à plus de 37 millions de salariés actifs et retraités. Il existe d'immenses terrains sans activité syndicale alors que nous disposons dans la zone industrielle, dans le bassin d'activité, dans la zone touristique, d'une base syndicale CGT. N'y a-t-il pas moyen à l'avenir, de sortir de nos frontières syndicales, pour essayer de rayonner sur ce champ considérable de salariés, qui ne croisent jamais un militant syndical.

L'HEBDO : La construction européenne entre dans une nouvelle phase. Comment la CGT entend-elle être partie prenante de sa construction sociale ?

Nous allons effectivement passer à une nouvelle étape de la construction européenne avec la mise en place de « l'euro » dans des conditions que nous avons critiquées. Des critiques qui demeurent. Dans cette même période un débat important se précise sur l'élargissement de la communauté européenne. Le syndicalisme se doit de peser sur la construction sociale européenne, d'autant qu'elle est très en retard. Il est normal qu'une organisation comme la CGT cherche à être présente partout où elle peut influer sur l'élaboration des choix et le rapport des forces. Le terrain syndical européen est bien naturellement un terrain que nous voulons occuper. On peut penser que dans les prochains mois, la présence de la CGT sera acquise au sein de la confédération européenne des syndicats (CES). Un représentant de la CES sera d'ailleurs présent au congrès.

L'HEBDO : Le congrès est également l'occasion de renouveler les directions syndicales. Qu'avez-vous changer dans votre façon de procéder ?

C'est toujours ennuyeux de commencer par-là, mais c'est un bon exemple pour illustrer la nouvelle manière de procéder. Je vais évoquer la manière dont la CGT a mis publiquement en débat, la proposition concernant la responsabilité de secrétaire général. C'est là une petite révolution. Contrairement aux fois précédentes, plusieurs mois avant le congrès, la direction confédérale sortante à fait part de sa réflexion. Celle méthode permet à l'ensemble des organisations, des syndiqués, de se faire une opinion, d'en discuter et surtout, de préparer leurs positions pour le congrès, jusqu'à cette date, cela demeure une proposition. Je pense qu'on devrait s'en inspirer plus largement dans l'ensemble des organisations. De la même manière, concernant la commission exécutive et le bureau confédéral, nous avons favorisé la réflexion en amont du congrès.

Nous avons poussé l'aspect transparence et démocratie plus loin que les fois précédentes. Nous avons souhaité que chacun réfléchisse dans sa profession, son département, à la nature des propositions pour composer les organismes de direction de la CGT. Pas loin de 200 candidatures seront à la disposition de la CGT pour élire un exécutif de 85 membres environ. Ce large panel doit nous permettre de nous doter d'un exécutif très représentatif de ce qu'est la CGT aujourd'hui et du syndicalisme que nous voulons développer à l'avenir.

L'HEBDO : Sur la place des femmes dans la CGT. Il semble que vous êtes en capacité d'élire autant de femmes que d'hommes dans vos organismes de direction. Personne ne peut remettre en cause le principe mais les candidats sont-il aussi nombreux pour céder leur place ?

Nous avons progressé dans la reconnaissance de cet objectif politique important. Si nous voulons permettre aux militantes d'occuper une plus grande place, comme c'est nécessaire dans l'organisation, peut-être convient-il de modifier certaines formes d'organisation du travail syndical. Dès lors que l'objectif est partagé, cela suppose que les hommes laissent une part des places, si l'on peut dire. Cela ne se raisonne pas en termes de concurrence. Il nous faut parvenir à la parité ou presque parité et de toutes les manières en faire notre objectif. Nous voulons refléter l'image de la société telles qu'elle est, en reconnaissant aux femmes, leur place dans la vie syndicale.

Par notre manière d'être CGT aujourd'hui, nous avons les ressorts nécessaires pour qu'ensemble l'utopie devienne réalité. Ainsi nos modes de vie, de fonctionnement doivent permettre plus naturellement l'implication des femmes dans la vie syndicale, répondre aux attentes spécifiques des jeunes qui feront la société de demain.

L'HEBDO : Pour finir, une question au candidat secrétaire général. Vous avez été porté par le mouvement social c'est pour un dirigeant syndical ce qui peut arriver de mieux. Compte-vous comme Louis Viannet quitter vos responsabilités politiques au PCF ?

Je suis adhérent au PCF, ce n'est un secret pour personne, puisqu'il est assez commun que les médias essayent d'accoler aux responsables de la CGT, une préférence politique.

Au passage, on peut noter que ce n'est pratiquement jamais le cas pour d'autres responsables syndicaux, qui eux aussi peuvent avoir une préférence ou une appartenance politique. Je n'ai pas l'intention de m'amputer d'une partie de mes choix, étant entendu que mes sympathies politiques ne doivent pas avoir d'interférences avec la manière dont je dois essayer d'assurer cette responsabilité, si le congrès me la confie.