Articles de M. Jean Glavany, secrétaire national et porte-parole du PS, dans "Vendredi" les 2, 16 et 30 juin 1995, sur les projets du nouveau gouvernement, le conflit yougoslave, la lutte contre le Front national et le résultat des élections municipales.

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Vendredi : 2 juin 1995

Juppé tous azimuts

Depuis quelques jours, la situation en ex-Yougoslavie s'est brutalement aggravée et, à certains égards, sa présente aujourd'hui sous une nouvelle forme.

Alors que les Serbes viennent d'ajouter de nouveaux otages aux 326 prisonniers des forces de l'Onu – dont 173 Français – la mise en place de « boucliers humains », attachés à des pylônes à des rambardes de pont, sur des sites susceptibles d'être bombardés par des avions de l'Otan, apparaît comme un acte de barbarie qui rappelle fâcheusement les odieuses pratiques du dictateur irakien lors de la guerre du Golfe. Qu'en outre des soldats de la Forpronu, c'est-à-dire des soldats de la paix qui ne sont présents sur le terrain que pour s'interposer, soient pris en otages, est une provocation insupportable à l'égard de l'ensemble de la communauté internationale.

Dans la mesure où la vie des soldats français est en jeu, le devoir de prudence s'impose à tous les responsables politiques et la priorité absolue doit être accordée à la libération des otages.

Au-delà, une situation nouvelle n'impose-t-elle pas une nouvelle politique pour la France, pour l'Europe et pour l'Onu ? On a du mal à croire que seule la poursuite de la logique diplomatique d'Alain Juppé puisse permettre de faire entendre raison aux agresseurs. Un Premier ministre qui n'a pas oublié qu'il fut ministre des Affaires étrangères depuis 1993 et qui veut « garder la main » sur ce délicat dossier au point de transformer le ministre des Affaires étrangères en factotum dévalué dans les négociations internationales. Il s'agit de faire aboutir, coûte que coûte, le plan de paix et de transformer en succès politique une démarche qui, ces derniers mois, s'est singulièrement enlisée et qui apparaît désormais comme dépassée.

L'Élysée transformé ou « monde du silence »

Au point également de transformer l'Élysée en « monde du silence ». Voyez cela : la crise internationale est là, grave, menaçante, des soldats français sont tués, d'autres menacés, les risques d'escalade et d'embrasement sont réels et le nouveau président se tait. Oui, Jacques Chirac se tait et c'est le Premier ministre qui parle quand il s'agit pourtant des compétences constitutionnelles du président de la République, chef des armées et garant de l'essentiel… Curieux spectacle que cette lecture paradoxale de notre constitution, lecture pas tout à fait gaullienne. Alain Juppé tous azimuts disait-on.

Il en va de même sur la scène intérieure française. Lors de l'émission « 7 sur 7 » de dimanche, le Premier ministre a repris en détail son programme économique et social et commencé de lever le voile sur son coût et son financement.

Il faut dénoncer cette supercherie qui consiste à dire aux Français qu'on ne peut pas dire comment on financera tant qu'on ne sait pas exactement ce qu'il y a ou, plus exactement, ce qu'il n'y a pas, dans les caisses de l'Etat. C'est grotesque ! M. Juppé était ministre dans le gouvernement Balladur et il a même eu un conflit public avec son prédécesseur à propos de la régulation budgétaire dont son ministère était victime. Et si M. Juppé veut en savoir plus sur l'état des finances publiques et les déficits considérables laissés par M. Balladur, il n'a qu'à se référer à la lettre rédigée par M. Alphandéry sur le sujet il y a quelques semaines.

TVA = Tout va augmenter

Reste le fond : on aura donc droit à une hausse de TVA, impôt que l'on va nous présenter désormais comme indolore, moderne efficace. Et nous, socialistes, nous répondrons inlassablement : oui, mais injuste. La TVA est un impôt doublement injuste : d'abord parce que le taux n'est pas progressif puisqu'il est le même pour les riches et pour les pauvres, ensuite parce qu'il est un impôt sur la consommation et que les plus défavorisés consomment une plus grande partie de leurs revenus alors que les plus riches épargnent.

« TVA = Tout va augmenter », on se souvient de ce slogan vieux de trente ans. C'est pourquoi les mesures de rattrapage – et non pas de revalorisation – du Smic vont apparaître dérisoires. On comprend le marché de dupes : « je te donne 2 % de pouvoir d'achat du Smic, je te prends 1,5 % de TVA, qu'est-ce qui te reste ? Oui, Juppé tous azimuts.

Mais un Juppé qui s'expose autant ne restera pas longtemps indemne.


Vendredi : 16 juin 1995

Rassemblement et mobilisation

Après le vote du premier tour des élections municipales, les socialistes tirent les leçons d'un scrutin édifiant.

D'abord un premier mot sur la date des municipales, soigneusement choisie par Pasqua.

Nous avions dit que la droite voulait escamoter le débat municipal, débat démocratique pourtant essentiel en le plaçant juste après la présidentielle, c'est-à-dire après le débat majeur de la démocratique. Nous avions hélas raison et nous ne pouvons que regretter l'abstention trop importante de ce premier tour : messieurs Balladur et Pasqua ont porté un mauvais coup à la démocratie, autant le répéter. Mais les responsables de la droite avaient aussi un objectif partisan : bénéficier d'un éventuel « état de grâce » présidentiel. De ce point de vue, c'est raté.

La défaite spectaculaire d'un des ministres les plus en vue, Elisabeth Hubert, très proche du président de la République, en est la meilleure preuve. Elle, dont le seul programme, comme disait Jean-Marc Ayrault était « je suis Ministre de Jacques Chirac » se trouve à l'origine d'un premier vote-sanction à l'égard du gouvernement, comme Madame Hostalier à Armentières.

On remarquera, d'ailleurs, qu'en d'autres temps François Mitterrand avait demandé à des ministres désavoués par le suffrage universel de démissionner du gouvernement. Monsieur Chirac fera-t-il de même, et ces ministres battus seront-ils aussi démocrates ?

Pour la gauche, pour les socialistes, ce premier tour est satisfaisant puisque, si nous comptons quelques échecs regrettables beaucoup de nos sortants sont réélus dès le premier tour avec des succès spectaculaires à Nantes, Brest, Strasbourg, Limoges, Pau, Poitier, Lens et Liévin, et que la plupart des autres sont en ballottage très favorables.

Un premier tour satisfaisant

Mieux, nous avons déjà repris Montceau-les-Mines, Morlaix et Digne à la droite et nous sommes en bonne position pour gagner, face à des maires-sortants de droite à Sarcelles, Grenoble ou Arles. C'est-à-dire que ce scrutin ne sera pas la chronique d'une défaite annoncée pour la gauche.

Aujourd'hui, les socialistes en appellent au Rassemblement et à la mobilisation. Rassemblement de toute la gauche, de toutes les forces de progrès à partir de la discipline républicaine : les primaires, de toutes sortes, doivent laisser place au rassemblement.

Mobilisation, car une élection n'est jamais jouée avant le deuxième tour. On a vu, dans le passé, des renversements spectaculaires. La gauche et, au-delà, tous les démocrates tous les républicains, doivent se rassembler pour construire, dimanche prochain, le nécessaire contre-pouvoir au tout-État RPR. Après tout, après le vote-sanction de Nantes ou d'Armentières, pourquoi ce deuxième tour ne serait-il pas aussi l'occasion de lancer un avertissement politique à ce gouvernement qui se livre sous nos yeux à une formidable opération politicienne ? Celle-ci ne vise-t-elle pas à retarder jusqu'au lendemain des municipales l'annonce des mesures de rigueur et d'injustice qui, une fois de plus, vont frapper le pouvoir d'achat des plus défavorisés ? Oui, pourquoi ne pas refermer brutalement la porte de ce piège sur le nez de la droite ?

Clarté et responsabilité

Bien entendu, ce rassemblement ne sera pas irresponsable. Dans aucune ville, les socialistes ne prendront le risque de faire élire un maire du Front national. Dans quelques rares cas, pour éviter ce risque, nous n'avons pas hésité à retirer nos listes sans faire preuve de naïveté ni d'angélisme :  la droite parlementaire sera aussi jugée sur pièce, au-delà de ses beaux discours, quant à sa capacité à être aussi responsable.

Il suffit pour cela de prendre ses responsabilités, en toute autonomie, sans négociation ni compromis. Il n'est pas question pour autant d'imaginer je ne sais quel « Front républicain » resurgi d'on ne sait où, qui gommerait les différences entre la droite et la gauche et n'amènerait que confusion.

Non, ni Front républicain, ni confusion. Clarté et responsabilité !


Vendredi : 30 juin 1995

Éloge des tribuns

Le monde politique et jusqu'à notre parti voient nager en leurs eaux des poissons d'espèce et de grosseur différentes. Profilés pour la nage médiatique, certains viennent des élevages en eau douce de la technocratie ou des lagons protégés où les appareils nourrissent des alevins ambitieux. Souvent les électeurs boudent cette friture. Et puis il y a les tribuns, ces mammifères marins qui surgissent des océans profonds de la politique. Après avoir remonté les courants hostiles, après avoir livré de nombreuses batailles électorales, ces vastes, ces puissants animaux laissent derrière eux un étonnant sillage de villes, de circonscriptions ou de départements conquis. Ils savent créer un engouement, une volonté, une adhésion. Il en est très probablement ainsi de Lionel Jospin qui, après son bon score à l'élection présidentielle, demande légitimement le retour de l'espoir qu'il a fait naître. Il en est étalement de Henri Emmanuelli qui a su au moment le plus difficile, garder, fort et uni, le parti des socialistes.

Recueillant un PS qui roulait vers son déclin, devenant Premier secrétaire alors que nous avions connu deux échecs électoraux parmi les plus durs de notre histoire, venant diriger une organisation qu'une gestion plus que médiocre avait conduite au borde d'une banqueroute financière infamante, Henri Emmanuelli, comme dans les Gouvernements de François Mitterrand, comme à l'Assemblée nationale, comme dans les Landes, s'est mis au travail. Sur une ligne nécessairement de « gauche », par le la relance salariale, la redistribution et la réduction du temps d e de travail, le Congrès de Liévin a redonné aux socialistes, anesthésiés, – à tort plus qu'a raison – par dix ans de pouvoir, une force de conviction.

L'éloignant du « champ de ruines », dès l'automne, une série d'élections partielles victorieuses et le retour d'un solde enfin positif dans l'opinion ont marqué le redressement de notre formation. La résistance au gouvernement Balladur s'est organisée. Des contacts ont été repris avec le Parti communiste, entretenus avec nos alliés radicaux prolongés avec nos partenaires des assises de la transformation sociale. Ils ne l'oublieront pas lors des désistements des municipales qui marqueront notre plus grand succès dans une consultation locale.

Engagé dans la course à la désignation parce qu'il eut été anormal que le premier des socialistes soit indifférent à l'idée de porter leurs couleurs à l'élection présidentielle, Henri Emmanuelli en définit le cadre loyal, en organise les règles démocratiques par un recours inédit au suffrage universel et, par son attitude devant la défaite, rendue avec un fair play qui n'était plus dans nos mœurs depuis Rennes. Durant la campagne présidentielle, enchaînant meeting sur intervention, il est le premier soutien de Lionel derrière lequel il a rangé, matériellement, politiquement, le parti. Il va jusqu'à lui en proposer la direction au lendemain du second tour, tranchant avec une époque où il convient davantage de s'accrocher à ses mandats que de les céder par choix politique.

Cette démarche est courageuse. À beaucoup elle évoque un souvenir précis. C'est le même panache que celui qui a présidé à Saint-Brieuc lorsque l'ancien trésorier, bien que n'étant ni le responsable juridique du parti au moment des faits, ni le créateur d'URBA, a accepté l'injuste sanction judiciaire qui le frappait en notre nom à tous. Mais au-delà de ces gestes forts, de ces gestes généreux et libres, la force des tribuns et ailleurs. Ils savent qu'il n'y a pas de politique sans rêve, qu'un programme est autant un phénomène culturel qu'un document économique, que rien ne sera fait dans les actes, une fois le pouvoir retrouvé si l'on n'a pas été plus loin plus vite ou plus fort dans la détermination, dans la volonté, dans les engagements.

Pour que nous tenions nos promesses, pour que nous luttions contre le désespoir de celles et ceux qui souffrent, pour que nous ne versions plus dans les travers qui nous ont fait perdre à la fois notre identité et le vote de l'électorat populaire, nous aurons besoin à l'avenir de tribuns qui nous renvoient à nos idées, à nos valeurs, tout comme nous en avions besoin aujourd'hui. Devant le front des militants réunis, qui pourrait dire que Henri Emmanuelli a démérité du Parti ?