Interview de M. Philippe Séguin, président du RPR, à TF1 le 29 novembre 1998, sur la lutte contre l'exclusion, la nécessité de mettre en place une justice internationale, la présomption d'innocence, le dossier des sans-papiers, sa vision de la construction européenne et l'éventualité d'une liste unique RPR-UDF aux élections européennes de 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Public - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Michel Field :
Philippe Séguin, je vous remercie d’être mon invité pour cette heure que nous allons passer ensemble à feuilleter les grands thèmes de l’actualité. Nous parlerons à la fois de l’état de l’opposition, de vos critiques et de vos réponses aux propos du Premier ministre cette semaine ; on parlera évidemment des échéances qui s’annoncent, notamment les élections européennes, elles n’ont pas l’air extrêmement reposantes comme échéance a priori, si j’en juge par l’actualité…

Philippe Séguin : Ça va, ça va.

Michel Field : Ça va pour vous. Parce que du côté de l’UDF, ça…

Philippe Séguin : Peut-être, mais pour moi ça va.

Michel Field : Vous êtes calme.

Philippe Séguin : Tout à fait.

Michel Field : Serein.

Philippe Séguin : Serein. Déterminé.

Michel Field : Déterminé. Donc on en parlera évidemment et puis on reviendra sur les thèmes de l’actualité de la semaine juste après la publicité, un résumé de la semaine en images.

Michel Field : Évidemment, rectificatif… peu habitué à l’audimat, vous n’étiez pas un million et demi, mais huit millions et demi à suivre l’émission de variétés vendredi ; un million et demi, on n’aurait pas de quoi sourire.

Philippe Séguin : Tout le monde peut se tromper…

Michel Field : Tout le monde peut se tromper et surtout dans les chiffres. Ça vous arrive ?

Philippe Séguin : Absolument.

Michel Field : C’est vrai ? Et est-ce que vous reconnaissez aussi vite que moi – je viens de le faire – vos erreurs ?

Philippe Séguin : Peut-être pas aussi rapidement, mais vous étiez en situation.

Michel Field : La semaine en images.

Agenda de la semaine

Michel Field : Philippe Séguin, nous allons revenir sur la plupart de ces thèmes. Évidemment, celui qui a le plus marqué l’opinion, c’est le froid. C’est de nouveau la question de l’exclusion, des sans-abris, les morts par le froid, quelque chose d’insupportable dans la cinquième puissance industrielle du monde ; et en même temps, on a l’impression que les politiques, et alors tous confondus, sont comme interdits devant ce phénomène-là. Martine Aubry dit : tout ne dépend pas de l’État, du maire, mais de chacun d’entre nous. Comment expliquer cette sorte d’impuissance finalement – et je dirais – de toutes les équipes gouvernementales qui se sont succédé ?

Philippe Séguin : Il y a deux problèmes très différents. Il y a d’abord le problème de l’urgence. Le problème de l’urgence, nous avons vu dans quels termes il se posait. Pour faire face à l’urgence, il y a les centres d’accueil et d’hébergement, il y a les SAMU sociaux – je rappelle d’ailleurs que le premier d’entre eux avait été créé par Jacques Chirac à Paris et a démontré son efficacité – ; il y a les associations – on en a vu une – qui font un travail admirable ; il y a les hôpitaux ; il y a d’autres structures encore. Il faut évidemment les aider et renforcer leurs moyens. Sur ce point, je pense que tout le monde sera d’accord. Et puis, il y a autre chose : il y a la prévention de l’exclusion. Comment faire en sorte pour fermer le robinet de l’exclusion. Parce que l’exclusion, il faut bien le comprendre, elle a acquis une logique autonome, une logique de développement autonome. Même dans les périodes où le chômage baisse, vous voyez l’exclusion, au mieux, stagner et, au pire, continuer à se développer comme une véritable épidémie. Alors, il y a deux choses à faire me semble-t-il : d’abord, il faut bien le comprendre, s’agissant de la réparation de l’exclusion, qu’aider ne suffit pas. Il ne suffit pas je veux dire par là, de donner un toit, de donner de quoi manger, de donner des vêtements même si c’est évidemment une priorité absolue. Il faut, d’autre part, aider chaque individu et même si c’est très difficile, frustrant, à reconstituer sa capacité d’autonomie, à recouvrer sa dignité. Nous ne savons pas encore faire et il faut pourtant trouver les moyens de le faire. C’est tout l’échec du RMI dans l’aspect insertion, revenu minimum d’insertion : le revenu minimum existe, mais l’insertion est un échec. Ce doit être une priorité. Et puis, il y a plus largement à penser à la société de demain qui risque de fabriquer encore plus de l’exclusion qu’aujourd’hui. Vous savez, l’exclusion, elle n’est pas seulement le résultat de phénomènes économiques. Elle est le résultat de phénomènes culturels, de l’incapacité grandissante de certains à s’adapter au monde en changement dans lequel nous vivons. Il y a trente ou quarante ans, un illettré pouvait trouver place dans une entreprise, dans la société sans difficulté. Aujourd’hui, c’est impossible. Que sera-ce demain avec le web, les nouvelles technologies, etc. ? Donc il y a un effort, en termes d’éducation, en termes de formation permanente, immense à accomplir et puis il y a, d’autre part, à imaginer les voies d’une société de pleine activité, à défaut de pouvoir parvenir à une société de plein emploi.

Michel Field : Mais quand le Premier ministre dit que, si on a la précarité systématique dans l’entreprise, elle finit par se vivre dans la rue, et qu’il parle de l’exclusion finalement en soulevant la question d’une vision de la société qui oppose l’économique et le social…

Philippe Séguin : Je ne suis pas certain que son analyse soit très fondée. Il nous a dit : tout ça, c’est le résultat d’une politique libérale telle qu’elle a été conduite dans les dix ou quinze dernières années. D’abord j’observe qu’il s’intègre… les gouvernements dans lesquels il figurait, dans l’erreur, dans le constat d’échec. D’autre part, je ne crois pas que ce soit cette politique qui soit à l’origine des difficultés. De toute façon, la mondialisation, il faut s’adapter. Ce sont les mesures d’accompagnement qui font problème. Alors c’est vrai que c’est extraordinairement difficile ; pour autant, il faut le faire.

Michel Field : Autre thème dont on a vu qu’il soulevait l’émotion considérable de certains des acteurs, c’est l’affaire Pinochet. Alors les défenseurs des droits de l’Homme crient à une sorte de victoire, Robert Badinter a parlé d’un grand progrès de la conscience humaine. D’autres observateurs sont plus réticents, en disant : il y a un imbroglio juridique, diplomatique qui est quasiment inédit et qui peut soulever des difficultés absolument énormes. Votre sentiment ?

Philippe Séguin : C’est un succès, mais ce n’est certainement pas une victoire. D’abord, parce qu’on ne sait pas encore comment l’affaire va évoluer. L’épisode des Lords était finalement relativement prévisible : un chef d’État qui n’est plus en exercice, n’est plus protégé par l’immunité, c’est ce qu’ont dit les Lords, et on n’est pas très avancé. Non, ce que je voudrais dire d’abord, c’est qu’il est des sentiments d’horreur qui résistent au temps. Et bien sûr, on ne peut qu’être en sympathie avec ceux qui demandent justice. Cela étant, cette affaire pose toute une série de problèmes, de problèmes délicats. Elle a d’ailleurs évolué au cours des dernières heures : la presse anglaise fait état de négociations secrètes, enfin faussement secrètes, entre le gouvernement chilien d’une part, le gouvernement britannique d’autre part, pour qu’un éventuel procès de Pinochet ait lieu au Chili. Ce serait vraisemblablement la meilleure solution parce que lorsqu’il y a eu crime contre l’humanité commis par un responsable public, c’est soit à son pays d’origine, s’il en a les moyens, de conduire… de soutenir l’accusation, soit à un tribunal international. Le tribunal international, il n’est pas encore en place. L’affaire Pinochet aura ceci de positif d’ores-et-déjà, de montrer son urgence. Il faut un tribunal pénal international et il faut que nous ratifiions l’accord de Rome qui en prévoit l’existence. Il faut qu’on fasse bien la part entre ce qui revient au tribunal pénal international à créer, et ce qui revient aux juges nationaux. Je crois que le pire serait de s’en tenir à la situation actuelle, c’est-à-dire des juges nationaux, mais d’autres pays qui prennent le dossier par un petit bout du dossier ; ce qui peut nous conduire d’ailleurs à des initiatives intempestives ; ce qui peut nous conduire aussi à des situations absurdes et, en particulier, à ce qui a été dit par un certain nombre de gens : bon – les dictateurs auront compris – il vaut mieux ne pas prendre sa retraite pour ne pas connaître d’ennuis.

Michel Field : Mais ça veut dire qu’il faut faire échapper finalement cette revanche du juridique sur le politique, la faire échapper aux logiques étatiques et finalement donner à I’ONU d’une façon ou d’une autre…

Philippe Séguin : Il faut donner cela à l’ONU. Il faut des règles qui soient applicables partout et qui soient les mêmes. Cela étant, le plus important, c’est le devoir d’insurrection, le devoir de combat des dictatures et ensuite l’organisation dans les meilleures conditions des transitions démocratiques. Moi, ce qui m’a un petit peu gêné dès le départ dans cette affaire, c’étaient les craintes que l’on pouvait nourrir sur le Chili. C’est une jeune démocratie ; elle sort d’années et d’années de dictature, il ne faut pas qu’elle y retombe.

Michel Field : Et quand on voit quand même cette émotion sur un dictateur à la retraite, quand à Paris au sommet franco-africain, un certain nombre de dictateurs qui ne sont pas à la retraite, ont droit aux égards diplomatiques, ça soulève quels…

Philippe Séguin : Pour parler plus précisément de celui dont on a beaucoup parlé, je dirais qu’il ne m’a pas échappé qu’il s’était retrouvé à la tête de son pays autrement que par un processus démocratique très classique. Pour autant, s’agissant de ce qui s’est passé dans la région des Grands Lacs, je me demande s’il est le plus coupable, dans le cas d’espèce, et si d’autres chefs d’État, d’autres pays, ne devraient pas être impliqués aussi.

Michel Field : Quelle réflexion soulève chez vous cette insistance finalement des questions morales et juridiques au sein même de l’activité politique ?

Philippe Séguin : C’est bien. C’est bien, sous une réserve, c’est qu’il ne faut pas que d’autres pouvoirs se substituent totalement, complètement, au pouvoir politique qui est l’émanation du peuple concerné. Si les peuples le souhaitent, eh bien cela doit être fait.

Michel Field : Alors à une autre échelle et dans un tout autre ordre d’idée, on retrouve un petit peu ces questions du rapport du juridique et du politique avec la relaxe de Gérard Longuet, c’est-à-dire cette mise en cause d’un responsable politique qui, au bout de la procédure, est relaxé. Mais je dirais les dégâts politiques ont eu lieu.

Philippe Séguin : Je dirais que ça doit être une incitation pressante à avoir beaucoup de prudence et de retenue lorsque l’honneur d’un homme est en jeu et que sa culpabilité n’a pas été établie par les juridictions concernées. J’imagine que vous voyez à quoi je peux faire allusion…

Michel Field : Mais, pour les téléspectateurs, à qui ça aurait échappé ?

Philippe Séguin : Eh bien, c’est l’affaire Dumas. Bon, regardez le cas de Gérard Longuet : il y a quatre ans que cette affaire a commencé. Il y a quatre ans, Gérard Longuet a dû quitter le gouvernement sous l’opprobre général : il a été cloué au pilori. Des milliers et des milliers d’articles lui ont été consacrés sur les conditions irrégulières – dans un contexte de corruption, de trafic d’influence – dans lesquelles il aurait construit une villa dans le Sud de la France. Vous imaginez ce qu’il a pu vivre. Et puis en fin de course, quatre ans après, après tout cela, eh bien une juridiction d’appel, parce qu’une première juridiction l’avait déjà dit, a dit : eh bien non, il n’y avait rien à reprocher à Gérard Longuet. Bon alors, c’est bien de l’avoir dit et je salue votre initiative d’en avoir fait un événement de la semaine parce que Gérard Longuet mérite réparation. Cela étant, que pèse ce qui aura été dit – c’est souvent quinze lignes dans les journaux – je prenais un grand journal français, voilà ce que ça donne, quinze lignes…

Michel Field : Attendez, on va le montrer à la caméra.

Philippe Séguin : Quinze lignes dans un journal, relaxe de Gérard Longuet…

Michel Field : Alors que ça a fait les unes…

Philippe Séguin : Absolument.

Michel Field : Mais en même temps, quand Longuet dit, c’est parce que…

Philippe Séguin : Mais ce n’est pas équitable, ce n’est pas possible. Et rien ne va se passer. Il y a des gens qui se sont trompés ; il y a des gens qui l’ont mis sur le banc d’infamie, qui ont tort de le mettre sur le banc de l’infamie. Il ne leur arrivera rien. Alors je ne demande pas ce qui se passait, paraît-il, en Chine dans les temps reculés où, paraît-il, le juge qui s’était trompé était condamné à la peine qui devait être infligée à celui qui était victime de l’erreur judiciaire. Je ne demande pas ça.

Michel Field : Mais on sent que ça vous plairait bien quand même.

Philippe Séguin : Le président de la République parlait de responsabilité du juge, je me dis qu’il y a quand même une piste à explorer.

Michel Field : Ça veut dire que, rétrospectivement, vous ne donnez pas raison à Édouard Balladur quand il avait institué un peu ce qu’on a appelé cette jurisprudence Balladur : que tout ministre mis en examen démission immédiatement.

Philippe Séguin : Il avait fait un choix politique. Que ne lui aurait-on reproché s’il n’avait pas pris cette position, d’autant qu’elle avait été prise précédemment, soyons justes de le rappeler, par Pierre Bérégovoy au moment des ennuis de Bernard Tapie. Mais à la différence de Bernard Tapie, Gérard Longuet, lui, est relaxé par un tribunal ; Bernard Tapie, lui, avait bénéficié d’un arrangement et d’un retrait de plainte.

Michel Field : En même temps, quand Gérard Longuet dit : j’ai affronté la justice comme simple citoyen et, d’un certain point de vue, ça m’a aidé. Ça contredit un petit peu ce que vous laissez entendre sur Roland Dumas.

Philippe Séguin : Non, non, je salue son sens de l’honneur, la façon dont il s’est comporté qui a été tout à fait remarquable ; mais je pense que la collectivité n’est pas quitte à son égard. Quant à Roland Dumas, entendons-nous bien, moi, je n’ai aucune sympathie spontanée, particulière pour Roland Dumas, pour ce qu’il représente. Pour autant, je trouve le débat, qui a lieu actuellement, un petit peu inutile dans la mesure où il est le seul à pouvoir prendre la décision que certains attendent. C’est-à-dire la décision de démissionner. C’est un problème entre Roland Dumas et sa conscience ; il ne sert à rien de s’immiscer…

Michel Field : Oui, mais vous êtes très attaché au fonctionnement des institutions. Le Conseil constitutionnel est une institution suprême.

Philippe Séguin : Je suis aussi attaché à la présomption d’innocence même si je me demande parfois s’il ne va pas falloir trouver une autre manière pour faire en sorte que les gens soient condamnés avant d’avoir été jugés.

Michel Field : Laquelle ?

Philippe Séguin : Je me demande si, un jour, il ne faudra pas se dire : eh bien, puisqu’il y a présomption de culpabilité, autant en tirer les conséquences. Dès lors que, dès que quelqu’un est mis en examen, il est considéré comme coupable par la terre entière, eh bien, entourons la mise en examen d’un certain nombre de garanties de manière à ce qu’on ne puisse pas lâcher quelqu’un aux chiens comme ça sans avoir un dossier étayé.

Michel Field : Le Premier ministre s’est exprimé mardi sur une radio. Il est revenu sur l’affaire des sans-papiers et vous avez réagi extrêmement vivement. Vous avez d’abord critiqué sa position en disant qu’il organisait une zone de non droit en France par les propos qu’il tenait ; et puis vous avez parlé de lâcheté, d’hypocrisie de la méthode Jospin. On a l’impression que vous êtes excédé par le Premier ministre, peut-être pas par sa personne, mais en tout cas par sa politique.

Philippe Séguin : Je ne suis pas excédé par le Premier ministre.

Michel Field : C’est des propos très durs quand même, lâcheté, hypocrisie…

Philippe Séguin : Ce sont des propos qui me paraissent tout à fait coller à la position qu’il a prise. Bon. Résumons en deux mots : il a décidé de se lancer dans une opération de régularisation de clandestins, même si, nous dit-il, les sans-papiers sont des clandestins particuliers. Bien, d’accord. Parallèlement, il avait affaibli les lois Debré-Pasqua sur l’immigration clandestine, soit ! Bon, un problème s’est posé très rapidement : que fait-on de ceux qui ne sont pas régularisés ? Nous avons posé la question à l’Assemblée nationale, au Sénat, très souvent, sans obtenir la moindre réponse. Et Madame Voynet, Saint-Jean bouche d’or, l’a obtenue, elle ; bon, elle s’est fait d’abord renvoyer dans ses buts, traiter quasiment d’irresponsable par le Premier ministre parce qu’elle voulait une régularisation générale. Position qui a au moins le mérite de la cohérence. Et le Premier ministre a dit ce qu’on ferait des gens qui ne seraient pas régularisés. Eh bien, je vais vous le lire, ça vient des services du Premier ministre, donc je vais vous lire du Jospin dans le texte. Alors il y a des gens dont on a examiné le dossier et dont on a constaté qu’ils n’étaient pas régularisables : qu’en fait-on ? Alors il répond : « un certain nombre partiront naturellement et le feront spontanément » – on peut toujours le penser –. Bien. Puis les autres, « nous n’irons pas les chercher – ils ont fait un acte de confiance –, on ne va pas aller les chercher chez eux, cela, c’est exclu. Mais naturellement si tel ou tel se trouve à un moment contrôlé, ils auront vocation à être reconduits à la frontière dans des conditions honorables. » Mais on croit rêver en entendant des choses pareilles ! Le Premier ministre invente la théorie du « pas vu pas pris ». Nous ne sommes pas des maniaques de l’ordre public, entendons-nous bien : si nous voulons lutter contre l’immigration clandestine, c’est d’abord parce que nous avons une société qui est fragilisée par le chômage, par l’exclusion. Bien. Et c’est d’autre part parce que nous voulons que l’intégration de ceux, qui sont en situation régulière, puisse se réaliser dans les meilleures conditions possibles. Or, elle est compromise par l’afflux d’immigrés clandestins et par les amalgames qui sont faits ensuite. Vous observerez d’ailleurs que l’intégration, c’est un mot, donc une politique, qu’on utilise fort peu, mais moi j’y crois beaucoup. Alors que fait le Premier ministre ? Le Premier ministre, il adresse à la fois un signal de faiblesse à l’extérieur, encourageant les candidats potentiels à l’immigration, et d’autre part, il fait de la fausse générosité vis-à-vis des gens concernés auxquels il faut quand même songer parce que ces gens, ils ont une dignité, ils doivent être traités honorablement. Or, non seulement ces gens, qu’il tolère sur le territoire, n’ont pas les droits minimums pour avoir une vie décente, mais, qui plus est… qui plus est, maintenant, il leur dit : « ne sortez pas de chez vous parce que, si vous sortez de chez vous, vous risquez d’être contrôlés et donc reconduits à la frontière ».

Michel Field : Alors que faire ?

Philippe Séguin : C’est simple, nous l’avons dit. D’abord, il faut prévoir un délai.

Michel Field : Vous avez proposé un délai de dix-huit mois.

Philippe Séguin : Dix-huit mois, on peut le discuter, ça n’est pas un problème. D’autre part, il faut revoir les dossiers, ne serait-ce que pour revoir la capacité de réemployabilité, chez eux, des intéressés et, éventuellement pourquoi pas, pour procéder à des régularisations supplémentaires. Il peut y avoir des régularisations supplémentaires. Et puis ensuite, il faut faire une opération doublement exemplaire. Il faut organiser les retours, mais les organiser dans le cadre d’une négociation avec les pays d’origine. Enfin, on s’interroge sur notre coopération. On se dit : il faut réorienter notre coopération. Voilà un champ absolument extraordinaire pour être sûrs que notre argent sera bien utilisé. Il y a quelques dizaines de milliers d’immigrés en situation irrégulière à réemployer chez eux, à réinsérer chez eux. Négocions avec les pays d’origine ; définissons avec eux des projets ; finançons-les et affectons les personnes qui rentreront sur les emplois qui seront ainsi crées. Opération doublement exemplaire, je le répète, parce qu’on montrera qu’on est ferme sur le principe et, d’autre part, on montrera que lorsqu’on dit que ce n’est pas dans l’immigration, mais dans le développement des pays d’origine que se trouvent les solutions, eh bien nous sommes sincères.

Michel Field : Et quand votre compagnie, Charles Pasqua, dit : « la France est assez forte, au lendemain du Mondial, pour un acte de générosité : régulariser tous les sans-papiers »…

Philippe Séguin : Écoutez, comme il a la même position que Madame Voynet, je ne suis pas suspect de complaisance à son égard en redisant ce que j’ai dit, à savoir : c’est une solution qui a au moins le mérite de la cohérence. Je suis contre ; le RPR est contre cette solution parce que nous craignons qu’elle soit un signal négatif et qu’elle ait des conséquences négatives pour ceux qui sont sur le chemin de l’intégration. Mais je répète que je reconnais à cette solution le mérite de la cohérence, cohérence qui est totalement absente de la position du Premier ministre. Mais peut-être le Premier ministre – je ne suis pas naïf – souhaitait-il avoir le beurre et l’argent du beurre. À ceux qui sont partisans de la fermeté, il dit : « voyez mes biceps, je ne régularise pas tout le monde » ; et à ceux qui sont partisans de la régularisation générale, il dit : « regardez, du moins je ne les renvoie pas chez eux ». Et il pense peut-être gagner sur les deux tableaux.

Michel Field : D’où l’hypocrisie que vous dénoncez.

Philippe Séguin : Absolument. Mais finalement, il perd sur les deux tableaux et c’est aussi et surtout la France qui perd et les immigrés concernés.

Michel Field : On revient sur ces rapports avec le Premier ministre, sur votre devoir d’opposant et puis sur l’union de l’opposition autour de l’Europe. C’est après la deuxième page de publicité. À tout de suite.

Michel Field : Retour sur le plateau de « Public » en compagnie de Philippe Séguin, le président du RPR…

Philippe Séguin : Et de l’Alliance pour la France.

Michel Field : Et de l’Alliance, oui, on va en parler justement de l’Alliance pour la France. Ce que j’allais vous dire, c’est que je suis content de vous avoir parce que vous êtes comme l’Arlésienne de cette émission : depuis des semaines et des semaines, on parle tout le temps de vous sur mon plateau, pas forcément d’ailleurs en très bons termes, vous avez dû quelquefois avoir…

Philippe Séguin : Chaque fois que vous êtes aimable, il faut que vous rajoutiez quelque chose…

Michel Field : Vous avez dû avoir les oreilles qui sifflent quelquefois entre 19 heures et 20 heures. Je voudrais juste revenir sur des extraits des trois dernières émissions qui vous évoquaient. On regarde.

François Hollande, premier secrétaire du PS, 8 novembre 1998. « À s’opposer sur tout – et Philippe Séguin est un spécialiste –, on finit par ne servir a rien. D’où effectivement la phrase un peu précise que Philippe Séguin a prononcé dans “Le Monde” : à quoi je sers ? Eh bien oui, la question est évidemment posée. »
Daniel Cohn-Bendit, tête de liste des Verts aux européennes, 15 novembre 1998. « Moi, je souhaite que, par exemple pour les Européennes, ce soit Séguin la tête de liste. C’est évident : tous les libéraux qui sont pour l’Europe, ils auront des problèmes. Donc on va pouvoir vraiment ratisser très large et prendre des voix au centre parce que je ne vois pas beaucoup de centristes voter pour Séguin, mais j’espère qu’ils vont mettre Séguin. Là, je ne veux pas leur donner de bonnes idées à repenser leur stratégie européenne. »
François BAYROU, président de l’UDF, 22 novembre 1998. « Nous sommes les héritiers de ceux qui, envers et contre tous, ont fait avancer l’idée de l’Europe. Depuis les pères fondateurs d’après la guerre jusqu’à Giscard. Vous comprenez bien qu’avec les sentiments que j’exprime, le choix que Philippe Séguin a fait il y a six ans, est un problème. Voilà. C’en est un. C’est une difficulté très importante. »

Michel Field : Eh bien, dites donc, vous êtes servi ! Par qui on commence ?

Philippe Séguin : Il n’y avait qu’eux ?

Michel Field : Non, il y en avait d’autres, mais on n’allait pas y passer toute l’émission quand même. Hollande d’abord.

Philippe Séguin : Je suis très, très flatté d’être au cœur des préoccupations des uns et des autres, mais je vais avoir du mal à leur rendre la politesse.

Michel Field : Alors Hollande quand même, la stratégie d’opposition systématique. On a le sentiment que vous êtes sur une ligne d’opposition beaucoup plus radicale que… je ne sais pas…

Philippe Séguin : Que qui ?

Michel Field : Que le président de la République, par exemple.

Philippe Séguin : Le président de la République, il est le président de tous les Français, Monsieur Field. Enfin, le président de la République, il n’est pas à l’Assemblée nationale, il ne siège pas. Il a une fonction qu’il doit assumer.

Michel Field : Et du coup, ça ne sonne pas exactement pareil, ses propos et les vôtres.

Philippe Séguin : Mais c’est tout à fait logique. Il est le président de la République, il assume une fonction institutionnelle et nous, nous avons une autre fonction institutionnelle qui est de nous opposer. Une opposition dans une démocratie, c’est fait pour s’opposer et je dirais, en particulier, dans une démocratie où il y a 15 % qui vont dans un vote protestataire parce que, si l’opposition ne s’opposait pas, les 15 % en feraient peut-être 20, 25, 30, mais c’est peut-être ce que souhaitent certains.

Michel Field : Mais cette opposition très systématique que vous faites à la fois…

Philippe Séguin : Mais elle n’est pas systématique. Il nous arrive de voter…

Michel Field : Donnez-moi, comme ça au débotté, donnez-moi un exemple ?

Philippe Séguin : Écoutez, je vais vous renvoyer la question : est-ce que vous avez entendu un jour Monsieur Hollande ou Monsieur Jospin dire du bien de l’opposition ? Non ! Eh bien c’est normal ! C’est ça qui fait fonctionner la démocratie. Une opposition, ça doit s’opposer, ça doit critiquer l’action du gouvernement pour asseoir des propositions alternatives et aussi pour conduire à la correction des positions que prend le gouvernement parce que les positions que prend le gouvernement, elles ne seraient pas exactement les mêmes s’il n’existait pas une opposition, croyez-moi. Ayant été ministre moi-même, je sais que le fait d’avoir à affronter une opposition, fait que vous prenez quelques dispositions, vous atténuez, vous précisez, etc. et puis tout ça va dans l’intérêt des Français.

Michel Field : En même temps, quand, par exemple, l’opposition monte au créneau sur le PACS de façon extrêmement radicale et je dirais plus radicale que ça n’avait démarré…

Philippe Séguin : Non, non, ce n’est pas l’opposition qui est montée de manière radicale sur le PACS. C’est la majorité qui est montée de manière radicale. C’est le gouvernement. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas déposé un projet de loi ? Pourquoi a-t-il demandé au Parti socialiste de déposer une proposition de loi pour éviter tout le débat préalable, toutes les garanties qui s’attachent à la procédure du projet de loi, vous savez. Il faut des consultations préalables, il faut passer devant le Conseil d’État. C’est très utile le Conseil d’État : regardez ce qu’ils ont fait de la loi sur l’audiovisuel, ils l’ont mise en charpie ! Dieu sait ce que nous aurions comme loi sur l’audiovisuel s’il n’y avait pas eu le Conseil d’État. On passe ensuite en conseil des ministres…

Michel Field : Ça vous fait plaisir ça…

Philippe Séguin : Et ensuite, on a un débat. Là, il y a eu une volonté de passage en force, dans une niche parlementaire. Il était prévu quatre ou cinq heures de débat. Bon, eh bien dans ces cas-là, l’opposition a plutôt tendance à se cabrer. Si vous ajoutez à cela quelques erreurs commises par les intéressés et, en particulier, de faire voter alors qu’ils savent qu’ils vont être battus parce qu’un certain nombre des leurs sont restés en province pour vaquer à d’autres occupations ou pour fuir le débat, eh bien vous avez l’explication de ce qui s’est passé. Regardez, nous, ce que nous avons fait sur la bioéthique ! Regardez ce qu’on a fait sur l’adoption ! C’étaient des sujets très délicats. On pouvait parfaitement avoir un grand débat serein, approfondi, sur le PACS et plus précisément, d’ailleurs, sur le problème des homosexuels parce que le PACS lui-même est une sorte de construction bizarre, une sorte de « happening » pour dissimuler – on se demande bien pourquoi – ce qui était le fond de l’affaire, c’est-à-dire régler les problèmes que le développement du sida avait révélé dans un certain nombre de couples homosexuels.

Michel Field : Donc pas de ramollissement de votre position… ou d’assouplissement de votre position en perspective ?

Philippe Séguin : Je ne sais pas ce que vous entendez par là. Non, on continuera à s’opposer à une procédure qui est viciée depuis le départ.

Michel Field : Alors autre thème et là on aborde l’actualité la plus chaude puisque ce week-end avait lieu le congrès de fondation de la nouvelle UDF. Tir de barrage sur Philippe Séguin. Alors tout à l’heure, vous disiez en souriant : « il n’y en a pas d’autres ? » On n’aurait pas le temps, mais si : Gilles de Robien, Pierre Méhaignerie, François Léotard, François Bayrou, tous unanimes ce week-end pour dire : Philippe Séguin ne doit pas être la tête de liste de l’opposition pour les élections européennes.

Philippe Séguin : Et alors ?

Michel Field : Et alors, quel effet ça vous fait ?

Philippe Séguin : Ah ! Je vois que vous êtes pour la paix des ménages ! Eh bien nous, nous sommes pour la paix des ménages, voyez-vous, précisément. L’union est un chemin difficile ; pour autant, l’union est nécessaire. Personne, dans ce pays, dans l’opposition, ne peut espérer gagner seul. Personne ne peut espérer gouverner seul. C’est pour ça que nous avons fait le choix de l’union et, quand c’est nécessaire, eh bien nous sommes unitaires pour deux, pour trois, pour davantage le cas échéant.

Michel Field : Ça voulait dire quoi, pour la formation de la liste d’opposition ou des listes d’opposition européennes ?

Philippe Séguin : Écoutez, moi, plutôt que de la liste d’opposition, comme un certain nombre de ceux que vous avez cités, moi, je préférerais parler de l’Europe parce que c’est ce qui peut intéresser les Français. Toutes ces histoires de cuisine sont…

Michel Field : Oui, mais on peut soupçonner qu’elles vous prennent un petit peu de temps aussi hors caméras.

Philippe Séguin : Elles me prennent beaucoup trop de temps. Mais non, nous, nous avons été très heureux de notre convention sur l’Europe, de notre effort de réflexion sur l’Europe. Nous sommes très heureux de la campagne qui est conduite actuellement par nos jeunes, vous voyez, qui sont partis en avant-garde et qui ont réalisé eux-mêmes une magnifique affiche qui va être sur tous les murs de France.

Michel Field : Au moment du référendum sur Maastricht, il y aurait eu ce type d’affiche, vous l’auriez brandie avec autant de vigueur ?

Philippe Séguin : Mais évidemment !

Michel Field : Vous pouvez me dire ça dans les yeux ?

Philippe Séguin : Les yeux dans les yeux, Monsieur Field ! Moi, je vous mets au défi de trouver une déclaration de moi aux termes de laquelle je n’aurais pas été favorable à l’Europe. Qu’est-ce que j’ai dit sur le traité de Maastricht ? J’ai dit quelque chose à titre principal ; j’ai dit, d’abord, qu’on faisait l’impasse totale sur le problème de l’élargissement, de l’élargissement aux pays d’Europe orientale et centrale alors que c’était un problème politique majeur et qu’un certain nombre de ces pays risquaient de se retrouver dans le chaos, voire de retourner au communisme si, du moins, une première étape politique n’était pas franchie dans leur intégration, ce que ne prévoyait aucunement le traité de Maastricht. J’ai ensuite regretté qu’au lieu de s’attaquer au déficit démocratique européen, au lieu de tenter de le résorber, le traité de Maastricht, en quelque sorte, l’aggrave. J’ai regretté plus précisément encore qu’il n’y ait aucun contrepoids politique au pouvoir de la banque centrale européenne ; et j’ai regretté enfin – c’était la quatrième critique – que dans les critères de gestion de la monnaie unique, l’emploi soit totalement mis à l’écart.

Michel Field : Mais les choses sont différentes aujourd’hui par rapport à ces quatre points ?

Philippe Séguin : Attendez, attendez, attendez. Voilà ce que j’ai dit sur Maastricht. Voilà ce que j’ai dit, les yeux dans les yeux, au président de la République, dans la sérénité, lors de notre débat à la Sorbonne. Je ne regrette rien de ce que j’ai dit, rien ! D’autant qu’aujourd’hui, ceux-là même que vous citez, reprennent à leur compte ces critiques. Moi, ça m’avait conduit à prendre la position suivante avec 49 % des Français, 49 % des Français ! à savoir qu’il valait mieux qu’on fasse un autre traité qui intègre les quatre préoccupations que j’avais dites. Ça n’a pas été le cas. Le peuple français a décidé. Moi, je suis un démocrate et je m’inscris désormais dans un cadre où le traité de Maastricht est la loi commune. Je pourrais toujours – ça ne servirait à rien – regretter le temps qu’on aura perdu, les difficultés qu’on va avoir maintenant à mettre en œuvre des principes qui sont désormais reconnus. Je le répète, ça ne sert strictement à rien, le traité de Maastricht est là et il faut l’appliquer.

Michel Field : Donc pas de reniement de Philippe Séguin sur la question européenne ?

Philippe Séguin : Absolument aucun reniement. Mais enfin, écoutez, lorsque je vote contre le budget, contre les impôts que propose le gouvernement et que je vais payer mes impôts, Monsieur Field, est-ce que je me renie ? Non ! J’applique la loi, j’applique la loi commune ! Ce sont de bien curieux démocrates ceux qui viennent vous le reprocher que d’accepter la loi du suffrage universel. Ah ! Ils sont bien jolis, après à critiquer Pinochet et la façon dont il se comporte, ils ont si peu de respect pour le suffrage universel ! Moi, le suffrage universel, pour moi, c’est sacré. Alors maintenant il y a un autre traité, c’est Amsterdam. Bien. Alors Amsterdam, d’abord, il faut qu’il soit clair que ce n’est pas la revanche de Maastricht. Maastricht, ce n’était pas un match en deux manches ou deux mi-temps avec une belle éventuelle ou des prolongations. On a perdu à Maastricht, on recommence sur Amsterdam. Amsterdam n’a aucunement la portée qu’avait Maastricht. Amsterdam, d’abord, brille surtout par tout ce qui n’y est pas, malgré les efforts du président de la République et de la diplomatie française. On devait traiter du problème institutionnel. Une fois encore, on n’y est pas parvenu avec nos partenaires…

Michel Field : Votre critique de 92 qui disait : chaque étape de la construction européenne passe pour la conséquence inéluctable de la précédente et on ne voit pas où on va…

Philippe Séguin : Non, ça n’a rien à voir. S’agissant d’Amsterdam, ce n’est pas le cas pour une raison simple, c’est que ça traite d’un problème très concret qui est l’immigration et le droit d’asile. Quelle est la situation ? La situation, c’est que nous n’avons plus… nous n’allons plus avoir de frontières internes chez les quinze. Bon, il va de soi qu’il faut avoir une politique de l’immigration commune. Si quelqu’un qui arrive à Palerme, c’est comme s’il était déjà à Paris, il faut avoir des règles communes. Alors c’est ce qui est prévu. Il est prévu en plus que, pendant cinq ans, on décide à l’unanimité, et que ce n’est qu’au bout de cinq ans qu’éventuellement – et en le décidant à l’unanimité – on peut passer à la majorité. Donc, s’il y a un problème de souveraineté, il ne se posera que ce jour-là. Il n’y a aucune urgence. Et dernière chose, nous avons toujours – comme dirait François Léotard –, le compromis de Luxembourg, c’est-à-dire une disposition qui permet, dès lors que nous pensons que nos intérêts fondamentaux sont en cause, de nous opposer, nonobstant le fait que nous aurions été battus à la majorité.

Michel Field : Si vous êtes tête de liste de la liste d’opposition aux européennes, vous devrez siéger à Strasbourg. Ce n’est pas pousser le masochisme un petit peu loin pour l’ancien champion du « non » à Maastricht ?

Philippe Séguin : Celui qui conduira la liste européenne, devra évidemment siéger à Strasbourg. Je vous mentirais en disant que, lorsque j’étais petit et qu’on me demandait : que feras-tu quand tu seras grand, je disais « je veux siéger à Strasbourg ». Je mentirais, mais celui qui sera tête de liste, fera son devoir, c’est-à-dire honorer la confiance des électeurs. Mais attendez, attendez, sur la tête de liste, soyons clairs : pour ce qui nous concerne et a priori – sous réserves de la décision de nos instances – nous sommes, nous, au RPR, favorables à une liste d’union de l’opposition. Nous y sommes favorables pour diverses raisons : d’abord parce que ça nous paraît la suite logique de la création d’Alliance pour la France ; ensuite parce qu’il nous semble qu’il faut que l’opposition s’accorde sur un projet commun pour l’Europe sur les cinq années qui viennent ; et puis parce que, enfin, c’est la solution la plus efficace et c’est la meilleure chance de gagner et de battre les socialistes. Bon. Alors cela étant, nous, ce que nous avons proposé et c’est ainsi que nous avons procédé, c’est de commencer par les problèmes de fond, commencer par discuter des vrais sujets, des problèmes, de ne pas s’en tenir, d’ailleurs, au plan franco-français, ce qui est une erreur. Il faut voir avec tous ceux qui, en Europe, se situent entre les socialistes et leurs alliés, et l’extrême-droite, d’autre part, s’il n’y a pas moyen de trouver les éléments d’un projet commun, s’il n’y a pas moyen de trouver les voies d’une coordination de nos campagnes respectives. Et puis ensuite, on pourra chercher quelle est la solution la plus efficace pour la composition de la liste…

Michel Field : Et si un centriste continue à avoir une allergie à votre présence à la tête de cette liste ?

Philippe Séguin : Étant précisé que, pour ce qui nous concerne, nous pensons que, dans cette méthode que nous proposons, il doit être bien clair qu’il n’est pas question d’exclusive à l’égard de quiconque, d’ostracisme, d’excommunication, etc. Il ne faut pas faire de la politique en regardant en permanence dans le rétroviseur. J’ajoute, en matière européenne, ceci qui est encore plus précis : on ne peut pas dire qu’on peut s’accorder sur tout, sauf sur l’Europe parce que, l’Europe, elle est dans tout. Alors, ou bien on s’accorde sur tout, l’Europe y compris, ou alors on ne s’accorde sur rien.

Michel Field : Alors, si l’allergie de vos partenaires centristes à votre propre personne, en tant que tête de liste, faisait capoter la liste unique, est-ce qu’on ne risque pas de se retrouver dans un cas de figure – laissez-moi juste finir – d’une liste RPR, d’une liste centriste, d’une liste de Charles Pasqua…

Philippe Séguin : Je cherche à vous interrompre parce que vous êtes parti sur une mauvaise piste, là…

Michel Field : C’est des choses auxquelles vous n’avez jamais réfléchi vous-même,

Philippe Séguin : Je ne crois pas, ici devant vous, avoir fait acte de candidature.

Michel Field : Il en est beaucoup question quand même.

Philippe Séguin : Ah bien ça ! Oui, il en est question parce que, dès lors que j’ai déjà eu l’occasion de dire ce que je viens de vous dire, certains dans nos rangs – et comment les blâmerais-je ? – ont pensé que tous ces critères conduisaient à la solution que vous disiez, et pas seulement dans nos rangs d’ailleurs, à l’extérieur de nos rangs, et y compris à I’UDF. Vous voyez, mercredi, si je ne m’abuse, j’étais à Nice pour soutenir une candidate à une élection – je n’en parle pas parce que le scrutin n’est pas clos – et puis j’ai entendu une forte personnalité de l’UDF – c’était le président départemental de I’UDF – me dire publiquement qu’il était favorable à une liste d’union que je conduirais.

Michel Field : Mais si c’était vous qui faisiez problème en fin de compte, est-ce que vous accepteriez de laisser la place je ne sais pas… à Nicolas Sarkozy ou à d’autres membres imminents du RPR qui feraient moins problème ?

Philippe Séguin : Parlons, je vous en prie, de l’Europe et laissons tous ces problèmes de côté. Vous croyez vraiment que ça intéresse les gens ! J’ai entendu cet après-midi qu’on en était même, maintenant, à évoquer des candidatures à l’élection présidentielle. On donne une très mauvaise image de la politique en donnant à penser aux gens que la politique est un jeu auquel quelques dizaines ou quelques centaines de gens jouent sans intéresser personne, pour pousser leur pion personnel, pour assouvir leurs rancœurs ou leurs rancunes, etc. Ce n’est pas ça la politique. La politique, c’est dire l’Europe qu’on veut. Eh bien nous, ce que nous voulons, c’est une Europe qui donne plus d’emplois, plus de sécurité, plus de démocratie aux citoyens. Ce que nous voulons, c’est une Europe qui défende notre modèle social, qui assure sa promotion, qui défende et qui assure la promotion de nos spécificités culturelles et une Europe qui nous empêche d’aller, comme ce serait le cas si on n’y prenait garde, vers un monde unipolaire et uniformisé. Donc nous, déléguer notre souveraineté, nous y sommes prêts chaque fois que ça se traduit par une valeur ajoutée pour les citoyens européens. Voilà. On a enfin parlé pendant quelques instants de l’Europe.

Michel Field : S’il y a une liste unique de l’opposition, est-ce que vous ferez de ces élections un test national, par exemple, dans la concurrence avec la liste socialiste si vous passiez devant, ce que certains sondages commencent à préfigurer ?

Philippe Séguin : Il est évident qu’une élection européenne, ça a deux aspects : ça a l’aspect spécifiquement européen et ça a, d’autre part, un aspect national. J’ajoute que l’aspect national l’emporte très souvent aux yeux de beaucoup, y compris aux yeux de certains qui jouent les cabris, sur l’aspect européen.

Michel Field : C’est de vos amis de l’Alliance dont vous parlez ?

Philippe Séguin : Non, non, c’est personne !

Michel Field : Ce n’est pas personne ? C’est qui les cabris ?

Philippe Séguin : Ce que nous souhaitons, c’est parler de l’Europe, parler de l’Europe aux Français parce que, Monsieur Field, si notre démocratie perd de la substance, c’est parce que les problèmes sont de plus en plus complexes et parce qu’un certain nombre de partis politiques n’assument pas leurs responsabilités vis-à-vis des Français. Responsabilités d’autant plus contraignantes que nous sommes, aujourd’hui, financés sur fonds publics et que nous avons une mission de service public à accomplir. Nous devons faire de la pédagogie. Alors c’est vrai que l’Europe, c’est compliqué. C’est de plus en plus compliqué, mais nous devons aller l’expliquer aux Français parce que le débat, il n’est pas, comme on l’a caricaturé, entre ceux qui sont « pour » et ceux qui sont « contre ». Non, il est entre diverses formes d’Europe possibles. Eh bien nous, nous avons notre conception d’une certaine Europe à construire, d’une Europe européenne qui a les caractéristiques que j’ai dites et nous voulons à la fois la défendre et expliquer le contexte dans lequel nous voulons la construire.

Michel Field : On ne saura pas qui sont les cabris à qui vous pensiez, ceux qui sautent sur leur siège en disant : l’Europe, l’Europe, l’Europe ! Vos partenaires de l’Alliance, non ?

Philippe Séguin : Mais enfin ! D’abord, puis-je vous rappeler, s’agissant des partenaires de l’Alliance, parce que…

Michel Field : Je vais me prendre un pain avant la fin de l’émission. Je sens que ça vient…

Philippe Séguin : On va faire un peu de pédagogie, Monsieur Field, puisque vous parlez de I’UDF, là comme ça. Les gens, je ne suis pas sûr qu’ils comprennent toujours. Il faut savoir qu’il y a, dans l’Alliance, le RPR et que I’UDF, ce que les gens ont connue pendant plusieurs décennies, s’est scindée en deux mouvements : l’un qui s’appelle « Démocratie libérale » et l’autre qui s’appelle encore « I’UDF ». Alors je comprends l’agacement que peuvent concevoir certains quant aux conséquences de cette situation et je trouve, dans des propos que vous me rapportez, les traces de cet agacement. Cet agacement, il vient du fait que, dès lors que l’ex-UDF est aujourd’hui repartie dans deux mouvements distincts, il y a forcément un effet d’optique qui fait que le RPR paraît plus fort. Mais nous n’y sommes pour rien. Nous, nous n’y sommes pour rien.

Michel Field : Ça ne vous fait pas franchement déplaisir non plus !

Philippe Séguin : Nous n’y sommes pour rien. Nous nous sommes attachés à faire en sorte que les conséquences négatives de cet éclatement soient limitées au maximum. Nous avons veillé à ce que les deux nouveaux partis, issus de cette scission, continuent à se parler et, pendant un certain temps, par notre intermédiaire, et nous n’avons aucune volonté d’hégémonie.

Michel Field : Philippe Séguin, je vous remercie.

Philippe Séguin : C’est déjà fini ?

Michel Field : Oui, c’est fini. Ça passe vite !

Philippe Séguin : Oui.

Michel Field : Dimanche prochain, je reçois Dominique Strauss-Kahn qui sera l’invité de « Public ». Alors, c’est le ministre par excellence dont dépendent beaucoup d’aspects de notre vie quotidienne. Aussi bien je voudrais me faire l’interprète des questions que vous voulez lui poser. Toute la semaine, vous aurez l’occasion par téléphone, par Minitel, par Internet, par courrier également de poser les questions que vous souhaitez poser au ministre de l’économie et des finances et je m’efforcerai d’en être l’interprète dimanche prochain sur le plateau de « Public ». Philippe Séguin, puisque vous êtes là encore une minute, la question que vous souhaiteriez poser à Dominique Strauss-Kahn ?

Philippe Séguin : Comment peut-il encore prétendre que nous aurons 2,7 % de croissance et qu’attend-il pour prévoir un collectif pour son budget 1998 ?

Michel Field : Parce que, pour vous, il ne fait aucun doute que la croissance sera moindre ?

Philippe Séguin : Je crois que, pour Monsieur Strauss-Kahn, ça ne doit pas faire de doute non plus.

Michel Field : Si vous le permettez, ce sera sans doute la première question que je lui poserai dimanche prochain, Dominique Strauss-Kahn, invité de « Public ». Philippe Séguin, je vous remercie.