Interview de M. Daniel Cohn-Bendit, tête de liste des Verts pour les élections européennes de 1999, à France Info le 19 novembre 1998, sur la régularisation des sans-papiers et la préparation des élections européennes de 1999, notamment les relations des Verts avec la gauche plurielle.

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Média : France Info

Texte intégral

Patrick BOYER : L'invité aujourd'hui Daniel Cohn-Bendit, député européen, tête de liste aux européennes. Daniel Cohn-Bendit, bonjour.

Daniel COHN-BENDIT : Bonsoir.

Patrick BOYER : Vous avez provoqué un double coup de tabac à gauche, d'abord en disant que vous vouliez faire mieux que les communistes aux Européennes, ensuite en réclamant la légalisation des sans-papiers. Vous semblez être le premier surpris de l'émoi suscité. C'est de la fausse modestie ?

Daniel COHN-BENDIT : Non, c'est-à-dire que je n'arrive pas tout à fait à comprendre pourquoi des choses simples que j'arrive à dire de temps en temps, fassent un tel tabac. Donc j'essaie de comprendre un peu le rythme disons des réactions de la vie politique française.

Patrick BOYER : Mais alors si vous ne dites rien d'extravagant, est-ce que ça veut dire que c'est votre langage qui fait vieillir le discours politique ?

Daniel COHN-BENDIT : Je n'en sais rien. Ce n'est pas à moi de m'analyser, écoutez, j'ai été journaliste assez longtemps ; je ne suis pas ethnologue. Il faut attendre maintenant. Après cette campagne, je ferai une auto-analyse.

Patrick BOYER : Donc il n'y a pas d'effet COHN-BENDIT à gauche qui menacerait les équilibres subtils de la majorité plurielle ?

Daniel COHN-BENDIT : Moi je parle à la société ; je ne vais pas me mettre comme ça à dire : gens de gauche, peuple d'extrême-gauche, peuple du Parti communiste, peuple du Parti socialiste, n'écoutez pas ; abstentionnistes, écoutez ce que je dis parce que les autres, je vais vous voler... voix aux pères ou mères respectives dans les partis différents. Non, je parle à la société française ; les Verts parlent à la société française. On a des positions, sur les sans-papiers, sur les chômeurs, sur les érémistes et maintenant aux gens de réagir et de trouver si ce qu'on dit est juste ou pas.

Patrick BOYER : Oui, mais vous avez intégré une famille, les pluriels. Est-ce que vous allez semer la zizanie chez les pluriels ?

Daniel COHN-BENDIT : Ecoutez, trois mois avant les législatives, le futur Premier ministre Lionel JOSPIN a été interviewé à France Inter. Là, on lui demande, dans le débat sur les sans-papiers : Monsieur JOSPIN, est-ce que vous recevriez les sans-papiers chez vous ? Et là il répond quelque chose d'extraordinaire ; il dit : Lionel, oui, JOSPIN, non. Eh bien moi je suis pour Lionel. Moi, la gauche plurielle, la majorité plurielle, c'est Lionel JOSPIN. Il faut renforcer Lionel contre JOSPIN, c'est-à-dire dire JOSPIN a une idée très noble de la démocratie, de la loi et Lionel a une idée très noble de la générosité et du mouvement. Eh bien il faut que Lionel gagne un peu de terrain sur JOSPIN.

Patrick BOYER : Oui, mais JOSPIN, lui, il est au pouvoir Vous, vous ne l'êtes pas...

Daniel COHN-BENDIT : Lionel aussi est au pouvoir.

Patrick BOYER : Oui, mais vous, vous ne l'êtes pas, donc il n'y a pas de différence possible entre Daniel et COHN-BENDIT.

Daniel COHN-BENDIT : Si, il y a des tas de moments où je ne sais pas très bien ; par exemple quand je fais de la politique, quand je discute, je sais qu'un budget c'est un budget et on ne peut pas le dépenser n'importe comment. Mais quand je lis dans « Le Monde » par exemple qu'il y a douze milliards de recettes en plus en France, je me dis : il y a trois millions de chômeurs, il y a un million de érémistes ; si on lui donnait pour Noël comme ça, parce qu'on a peur de Noël parce qu'il fait froid, trois mille francs, ça fait douze millions. Ça serait un geste extraordinaire. Douze milliards de recettes de plus. La majorité plurielle, la France et ces trois millions... ces douze milliards seraient donnés ensemble main dans la main par CHIRAC et JOSPIN. Ça serait vraiment surmonter la fracture sociale. Ça serait JOSPIN et CHIRAC ensemble faisant un geste à un moment ou effectivement il y a des gens qui ont peur du grand Réveillon.

Patrick BOYER : Et ça, ça ne fait pas père Noël paternaliste ?

Daniel COHN-BENDIT : Qu'est-ce que ça veut dire père Noël paternaliste ? Nous sommes dans une société et Lionel JOSPIN ou JOSPIN a raison quand il dit : nous voulons réduire la fracture sociale à long terme en créant du travail, en donnant du travail aux gens. C'est juste, mais ça dure trois, quatre, cinq ans et les Noël, ils arrivent chaque année. Et pourquoi laisser des gens qui sont en difficulté, seuls. La solidarité, la chaleur humaine, ce n'est pas le paternalisme, c'est ce qu'on appelle la convivialité sociale.

Patrick BOYER : Alors revenons à la famille des pluriels qui est un peu sensible puisque vous savez que le Mouvement des Citoyens de Georges SARRE a tout de suite dit à Dominique VOYNET de tirer les conséquences de son désaccord avec la ligne du Gouvernement sur les sans-papiers.

Daniel COHN-BENDIT : Oui, mais alors il faut qu'ils partent tout de suite du Gouvernement parce que eux, ils sont contre l'Europe, ils sont pour ne pas ratifier Amsterdam, pour ne pas changer la Constitution, tout ce qu'aime Lionel JOSPIN, donc qu'ils partent tout de suite. Je veux dire c'est complètement ridicule ce genre de petites phrases ! Tout le monde sait que la majorité plurielle et d'ailleurs Dominique VOYNET l'explique très bien dans « Le Monde » aujourd'hui, ce sont des différences. A la différence de l'Union de la gauche d'il y a quelques années, c'est une majorité qui exprime, qui accepte, qui connaît ses différences et son unité.

Patrick BOYER : Alors sur le fond, Lionel JOSPIN a été très net mardi à l'Assemblée. Il a dit : il est irresponsable que dans une situation dramatique, on pousse des gens à faire la grève de la faim. Il ne faut pas jouer avec la peau des autres.

Daniel COHN-BENDIT : Mais c'est vrai ! C'est tout à fait vrai ! Mais il y a une chose : personne n'a poussé des gens qui sont acculés au désespoir à faire la grève de la faim. C'est eux qui ont décidé. Est-ce qu'on ne peut pas laisser aux êtres humains qui font 70 jours de grève, la paternité de leur acte ? Personne ne leur a dit de faire la grève. Ils ont décidé parce qu'ils veulent rester en France. C'est quand même extraordinaire qu'un homme, une femme, fasse 70 jours de grève pour rester en France. C'est un geste incroyable pour la France et ça honore la France que des gens fassent la grève de la faim pour rester en France, pour vivre en France parce qu'ils aiment la France. C'est ça qu'il faudrait comprendre. Et alors là effectivement on leur donnerait quelque chose pour la France, avec la France.

Patrick BOYER : Vous déjeunez à la fin du mois avec le successeur de Georges MARCHAIS. Robert HUE met en garde contre un score gonflette. Il rappelle que la liste TAPIE avait fait 12 % aux Européennes et que les radicaux de gauche ne font pas 12 %.

Daniel COHN-BENDIT : Oui, mais les radicaux de gauche, c'est les radicaux de gauche. Les Verts, c'est une vraie force politique en Europe ; ce n'est pas une force politique du passé. Regardez ce qui se passe dans tous les pays européens : sur quinze ministres de l'environnement, il y a quatre ministres Verts. Il y a un ministre Vert des affaires étrangères en Allemagne – je sais que c'est un des plus petits pays européens mais ça ne fait rien. On pourra continuer. La prochaine fois, on fera ministre des affaires étrangères au Luxembourg, donc on équilibrera après les choses. Non, je veux dire par là que l'une des forces politiques de l'avenir, ce sont les écologistes, ce sont les Verts en Europe et Robert HUE a tout à fait raison de se battre pour qu'ils fassent un très bon score. Ça, c'est vraiment la concurrence en solidarité à l'intérieur de la majorité plurielle.

Patrick BOYER : Donc saine émulation et solidarité gouvernementale...

Daniel COHN-BENDIT : A toute épreuve. A toute épreuve. Là je crois qu'il n'y a pas d'alternative en France à la gauche plurielle. La gauche plurielle change beaucoup de choses en France, d'ailleurs c'est très bien écrit dans le texte de Dominique VOYNET aujourd'hui dans « Le Monde ». Et puis il y a des choses ou on a des opinions différentes, des sensibilités différentes. On pourrait parler du nucléaire ou là aussi il faut qu'il y ait un grand débat en France. La France s'isole sur le nucléaire. On pourrait parler de l'agriculture intensive, de ce que ça a comme conséquences pour notre nourriture, pour ce qu'on mange, pour ce qu'on boit. Ça, ce sont des problèmes du quotidien et je crois que les Verts sont à la pointe du combat pour la qualité de la vie.

Patrick BOYER : Vous voulez débattre avec SEGUIN à Epinal, HOLLANDE en Corrèze. Pourquoi cette idée du débat décentralisé ?

Daniel COHN-BENDIT : Parce que je crois que les débats dans les médias, ça ne suffit pas et l'Europe vaut plus et mieux qu'une campagne électorale. Donc il faudrait faire de la France un forum sur l'Europe ; utiliser ces six mois jusqu'aux élections européennes pour donner à la France l'envie de l'Europe, lui faire comprendre l'Europe, que l'Europe ne fasse plus peur et que les jeunes aient envie de se balader de par l'Europe, qu'ils aient envie d'aller à l'école partout en Europe. Ça, ce serait formidable.

Patrick BOYER : Mais eux pourraient vous dire : pourquoi pas chez vous ? Vous les inviteriez à Francfort !

Daniel COHN-BENDIT : Quand il veut... D'ailleurs SEGUIN, avant qu'il soit chef de l'opposition, avait envoyé des gens pour venir à Francfort pour discuter avec nous de ce que nous faisons à Francfort. Donc pas de problème mais moi j'habite Paris maintenant.

Patrick BOYER : Ou Montpellier !

Daniel COHN-BENDIT : Près de Montpellier.

Patrick BOYER : On dit déjà que Monsieur FREYCHE s'inquiète de vous voir dans les parages.

Daniel COHN-BENDIT : Je ne vois pas pourquoi les gens s'inquiéteraient, je suis quelqu'un de si gentil que justement les gens, ils ont envie de déjeuner ou de dîner avec moi. Personne ne s'inquiète de moi.

Patrick BOYER : Vous êtes la nouvelle
 coqueluche du monde politique français ?

Daniel COHN-BENDIT : Pas coqueluche. Non, je suis quelqu'un de sympa et j'ai envie de discuter avec des gens d'une manière conviviale.

Patrick BOYER : Merci. Daniel COHN-BENDIT, députe européen, tête de liste des Verts, était l'invité de France Info.