Déclaration de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, sur le rôle des futurs diplômés de l'École Nationale de Santé publique et sur l'organisation de l'école, Rennes le 27 février 1995.

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Intervenant(s) : 
  • Simone Veil - Ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville

Circonstance : Visite à l'Ecole Nationale de la Santé Publique (ENSP) à Rennes le 27 février 1995

Texte intégral

Madame la Directrice, 
M. le Recteur,
Mesdames et Messieurs les Professeurs, 
Mesdames et Messieurs les enseignants et responsables administratifs de l'école,
Mesdames et Messieurs les élèves,

La visite d'un établissement d'enseignement fait partie des moments heureux de la vie d'un ministre, car une école, c'est l'avenir, c'est la réflexion, c'est l'espérance. Aussi voudrais-je commencer par adresser mes remerciements à Mme Mengual qui m'a invitée à Rennes, et vous dire aussi tout le plaisir que j'ai à être parmi vous.

La dernière fois que je suis venue à l'ENSP, c'était le 30 septembre 1993, lors de la journée professionnelle des inspecteurs des Affaires sanitaires et sociales. Le gouvernement était à ses débuts, et j'avais présenté à l'époque un état des lieux. Depuis cette date, beaucoup de choses ont évolué dans le paysage sanitaire et social de notre pays.

Je n'insisterai pas sur l'œuvre législative accomplie : 8 lois, la plupart de grande ambition et de portée importante pour notre société, ont été adoptées en vingt mois à l'initiative du ministère des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville. Elles concernent notamment la famille, les retraites, la sécurité sociale, la bioéthique. Dans le même temps, le budget du ministère, dont une bonne part est gérée par les services déconcentrés et donc demain par vous, élèves de l'ENSP, a progressé de 17 %, trois fois plus vite que l'ensemble du budget de l'État. Cette progression n'a été ni aveugle, ni mécanique. Elle a permis de financer les priorités que nous nous sommes délibérément fixés : la lutte contre le Sida, la lutte contre la toxicomanie, la lutte contre l'exclusion sociale ont littéralement changé d'échelle. Le programme d'insertion et de réinsertion que j'ai annoncé il y a quelques mois s'est traduit par des progrès significatifs dans le domaine de l'action sociale : 15 000 places d'accueil ont été créés pour les plus démunis, l'accès aux soins a été développé, des SAMU sociaux sont mis en place dans les grandes villes.

Au cours de ces deux années, un progrès considérable a par ailleurs été obtenu dans la maîtrise des dépenses de santé, en accord avec les professions médicales. La maîtrise des dépenses d'assurance maladie est une urgence essentielle. C'est d'elle que dépend la sauvegarde de notre système de protection sociale.

Enfin, de très nombreuses innovations, qui n'apparaissent ni dans des textes législatifs, ni directement dans notre budget, ont contribué à des améliorations dans le champ sanitaire et social : je pense à la réforme de nos services déconcentrés, mais aussi à la modernisation des budgets des CHRS, ou encore au lancement d'expérimentations comme par exemple en matière de dépendance.

La leçon que je tire de tout cela est double : d'abord, c'est que le champ du sanitaire et du social est, de plus en plus, au cœur des actions de l'État. La part du social – et cela se voit aussi bien dans la place prise par le ministre des Affaires sociales dans le protocole gouvernemental que dans le budget –, tant à devenir la première. Le temps est révolu où l'action sociale était une activité bien réglée, paisible, et comme marginale, exercée par les pouvoirs publics aux frontières de la société. Aujourd'hui, le social est un domaine où la République joue sa légitimité, sa vocation, son avenir. C'est dire quelle sera demain votre responsabilité ; la seconde leçon, c'est que les professions du secteur social sont appelées à changer très vite.

Ce que vous apprenez ici, dans cette école, que vous soyez dans une filière sanitaire, dans une filière sociale, ou dans une filière de type ingénieur, c'est une méthode, sans doute. Mais c'est avant tout un état d'esprit. Car il est certain que les métiers auxquels vous vous préparez vont évoluer avec une grande vitesse, dans un paysage lui-même mouvant. Les méthodes vont changer, les métiers vont changer. Mais ce qui restera, c'est un certain esprit. On ne choisit pas une profession sociale de manière anodine. La souffrance, la solitude, la maladie, l'exclusion : ce ne sont pas des objets d'étude comme les autres. Vous qui êtes dans cette salle le savez bien. Ce que vous apprendrez ici ne vous donnera pas une connaissance acquise une fois pour toute, mais vous ancrera, je l'espère, dans votre vocation.

Je voudrais à présent vous parler de deux sujets.

D'abord, de l'environnement dans lequel vous exercerez demain vos fonctions d'infirmier général, d'inspecteur, de directeur, de médecin inspecteur ou d'ingénieur ; et ensuite, de la manière dont je vois l'avenir de votre école.

Et d'abord, l'environnement. Vous connaissez aussi bien que moi la situation sanitaire et sociale de notre pays.

En prenant de l'ampleur, la "question sociale", comme on disait jadis, a changé de nature. Elle n'est plus extérieure à notre société ; elle est au cœur de notre société. J'ai eu l'occasion de dire devant le Parlement que notre société ne vivait pas une crise, comme on l'entend dire, car une crise, cela a un début et une fin, une fin qui ressemble à ce qui existait avant le début de la crise. Notre société ne connaît pas une "crise", mais plutôt une transition vers quelque chose de différent, de nouveau. Et cette transition, qui durera sans doute encore longtemps, a un coût social sans précédent : chômage, exclusion, régression dans l'accès aux soins, fracture sociale, quartiers en difficultés, inégalités géographiques. Le coût social de la mutation que nous vivons représente un défi sans précédent pour l'État. S'il vaut sauver la cohésion sociale, l'État doit mettre le social au premier rang de ses préoccupations. S'il renonce à cet effort, il se mettra lui-même en péril.

C'est pour ces raisons que depuis deux ans, la priorité sociale du gouvernement a été manifestée dans tous les domaines.

Dans quelques semaines ou dans quelques mois, vous allez rejoindre une administration qui connaît de fortes évolutions. Nos services déconcentrés, réorganisés par un décret publié le 7 décembre dernier, ont entrepris une démarche de modernisation dont il faut beaucoup attendre.

Les DDASS et les DRASS doivent apprendre à travailler davantage ensemble. Parce que vous n'aurez pas le poids de l'histoire administrative sur les épaules, vous pourrez être des artisans privilégiés de cette modernisation, qui suppose de renoncer à l'esprit de chapelle.

Les SROS ont été signés dans toutes les régions, et il faudra les mettre en œuvre.

Les contrats de ville sont eux aussi signés, et il faudra les faire vivre, en liaison avec tous les partenaires impliqués.

Pour mettre en œuvre ces actions nouvelles, vous disposerez de moyens accrus. J'ai obtenu de mon collègue ministre du Budget le dégel, cette année, de 45 emplois dans les services déconcentrés dont 10 postes d'IASS, 9 postes d'inspecteurs principaux et 3 postes de directeurs adjoints. Dans le même temps, 50 des 80 postes créés pour la lutte contre le Sida seront implantés dans les services déconcentrés; il s'agit de postes de médecins, également d'IASS et d'infirmiers.

La création d'antennes régionales du Réseau National de Santé Publique donnera un nouveau débouché pour des médecins inspecteurs, et apportera un progrès décisif dans notre dispositif de veille sanitaire. Les services santé environnement seront, eux aussi, renforcés : notre budget pour 1995 le permet.

Mais le renforcement des structures n'est pas tout ; il y a aussi les questions statutaires. J'ai tenu à ce que les corps recrutés par l'ENSP soient traités aussi bien que possible. Les fonctionnaires œuvrant dans le, domaine sanitaire et social ont une responsabilité particulièrement lourde. Il est normal que l'État tire les conséquences, en termes de ressources humaines, de la priorité donnée au social.

C'est une œuvre de longue haleine. D'ores et déjà, les IASS se sont vu attribuer une prime de technicité, dont le taux sera porté à 10 % du traitement au 1er juillet prochain. Pour les mêmes IASS, j'ai obtenu tout récemment, et j'allais dire de haute lutte, que le principe du recrutement spécifique et de formation à l'ENSP figure dans le statut. De fortes pressions existaient pour que soit consacrée une formation en IRA. Les ingénieurs du génie sanitaire ont désormais un accès possible à l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) aux termes d'un décret publié lundi dernier.

Enfin, un nouveau statut des directeurs d'établissements sanitaires et sociaux est actuellement soumis au cabinet du Premier ministre.

Quant à l'avenir de votre école, l'ENSP, je dirai qu'il doit être regardé avec ambition.

L'ENSP est un très bon outil. Sa première force, c'est l'interdisciplinarité. L'école prépare à huit métiers différents, qui couvrent tout le champ sanitaire et social. L'école doit miser sur cette particularité ; elle doit développer l'interdisciplinarité.

Si les cadres formés par l'ENSP ont chacun leur spécificité, ils sont néanmoins, à divers titres et divers moments, amenés à mettre en commun leur savoir-faire, pour satisfaire les besoins des populations.

L'école doit aussi développer des actions favorisant la coopération entre les différentes fonctions publiques : fonction publique hospitalière pour laquelle elle intervient déjà en partie, mais pour laquelle elle devrait jouer un rôle plus actif et plus étendu ; fonction publique territoriale, notamment dans le domaine des politiques sociales ; fonction publique d'État enfin où, sur des champs communs ou très complémentaires, des agents de divers ministères sont appelés à travailler ensemble (environnement, équipement, intérieur, justice, jeunesse et sports, éducation nationale… ), pour tout ce qui concerne les politiques de la ville et d'intégration sociale, ou le secteur santé-environnement.

Beaucoup est déjà fait, et je saisis l'occasion pour saluer ici les élèves de l'Institut National du Travail et des Écoles Nationales d'application des cadres territoriaux en stage à l'ENSP.

L'école doit également s'insérer dans le réseau d'autres écoles de formation, comme le Centre national d'études supérieurs de sécurité sociale (CNESS), l'Institut national du travail (INT) ou d'autres écoles notamment d'ingénieurs, dont le champ d'activité est très complémentaire de celui de notre ministère.

Dans tous ces secteurs, l'école de la Santé doit devenir, notamment pour la formation continue, le lieu privilégié permettant de constituer un réseau relationnel et fédérateur, capable de capitaliser des expériences de terrain et de mettre en œuvre des formations intégrées, correspondant aux enjeux de l'évolution de notre société et à la mise en œuvre sur le terrain de politiques coordonnées.

Pour mener à bien ces missions et développer une stratégie globale de la formation, l'école doit évoluer.

Cette évolution concerne aussi bien le fonctionnement interne de l'école que son ouverture sur l'extérieur.

En terme de fonctionnement interne, la poursuite du décloisonnement est une nécessité.

L'organisation en départements et en filières a eu pour effet de rendre très complexe le fonctionnement de l'école, les différents responsables n'ayant pas souvent une approche précise de leurs missions.

Il est donc important de clarifier les rôles et les responsabilités des uns et des autres, afin que la direction de l'école puisse, d'une part jouer son rôle d'intégrateur des activités et des choix pédagogiques, d'autre part assurer sa fonction de pilotage et de contrôle des activités de l'école.

Il convient aussi que le ministère assure pleinement ses responsabilités, en déterminant de manière précise les objectifs qu'il fixe à l'école, pour lui permettre d'anticiper aux besoins futurs des professions et d'adapter l'enseignement à l'évolution de l'environnement.

Cette adaptation passe par un développement de l'enseignement de l'épidémiologie à tous les corps de métiers concernés, et notamment les cadres administratifs. Elle nécessite également, pour tous les professionnels, une formation développée à la pratique managériale et notamment la gestion des ressources humaines, à l'utilisation des outils modernes de gestion et de contrôle ainsi que des systèmes de formation.

Enfin l'école, lieu privilégié de réflexion pédagogique, doit développer sa mission d'ingénierie de la formation en direction de l'administration centrale.

Je ne saurai trop insister sur l'importance qui s'attache à la formation en matière de sécurité sociale, et notamment à l'audit des organismes de sécurité sociale.

Aujourd'hui et demain c'est sur le terrain, au plus près des réalités, que se jouera l'avenir de notre protection sociale et les services de l'État ont un rôle déterminant à assumer en la matière.

À ces réformes internes doit s'ajouter une volonté d'ouverture sur l'extérieur.

En premier lieu, une ouverture sur l'université. Déjà amorcée, celle-ci doit s'amplifier: la présence du professeur Crozier, président du conseil scientifique montre cette volonté d'ouverture (que M. le recteur l'Hostis, également présent ne démentira pas.)

Cette ouverture doit être poursuivie par une ouverture plus grande sur le monde de la recherche ; déjà des laboratoires sont associés dans le secteur santé-environnement. Cette voie doit être poursuivie notamment dans le domaine des politiques sanitaires et sociales.

L'ouverture sur l'extérieur suppose également l'élargissement des relations et des échanges dans le domaine européen et international.

S'il existe aujourd'hui déjà des coopérations ponctuelles avec divers pays Afrique, Asie, Amérique latine, Canada… il est à remarquer que celles-ci sont faiblement développées avec les pays de l'union européenne.

C'est avec ces pays qu'il est nécessaire aujourd'hui de développer des relations efficaces. Le Centre des études européennes de Strasbourg peut être le premier maillon de ce réseau qui doit être étendu non seulement aux écoles de santé publique mais également à toutes les institutions œuvrant dans le domaine sanitaire et social.

Le programme est vaste mais il faut que cette école soit porteuse de fortes ambitions.

Le conseil scientifique qui a été récemment mis en place doit être précisément l'organe d'exploitation, de veille et de prospective, ayant pour mission d'éclairer le ministère et le conseil d'administration et lui proposer une ligne stratégique d'actions mieux raisonnée.

Madame la Directrice, mesdames, messieurs, c'est l'école qui jadis a fondé la République. Une grande école comme l'ENSP, moderne et dynamique, doit continuer à la faire vivre face à son plus formidable défi : le défi social.