Déclarations de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, sur le développement de la prise en charge des toxicomanes par la méthadone, Paris les 12 janvier et 6 avril 1995.

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Intervenant(s) : 
  • Simone Veil - Ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville

Circonstance : Visite du Centre La Terrasse à Paris le 12 janvier 1995. Inauguration du Centre d'hébergement d'urgence pour toxicomanes "Sleep'in" à Paris le 6 avril 1995

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

C'est un grand plaisir pour moi d'inaugurer aujourd'hui ce centre de prescription méthadone.

"La Terrasse" a développé à Paris plusieurs types d'activités, parmi lesquelles une Boutique, et un centre de soins aux toxicomanes. Votre centre a souhaité posséder en outre un mode de prise en charge supplémentaire, la prescription de méthadone.

Vous savez que les résultats obtenus avec ce traitement sont à ce point intéressants que je me suis engagée à ce qu'il sorte du statut qui est actuellement le sien, et qu'il soit désormais classé comme médicament. Je vais y revenir.

Mais avant de parler plus longuement de la méthadone, il est probablement utile de clarifier quelques malentendus ou, au moins, de faire quelques mises au point.

Tout d'abord, contrairement à ce que l'on peut lire ou entendre ici ou là, les pouvoirs publics n'ont pas choisi "tout méthadone".

Le plan gouvernemental de septembre 1993 a prévu un renforcement exceptionnel du dispositif de prise en charge des toxicomanes que je qualifierai de "classique". Ainsi dans le secteur où le retard se fait le plus criant, celui des places avec hébergement, nous avons prévu de doubler en trois ans les 640 places existantes.

Dès l'année dernière 380 places supplémentaires ont été agréées ; elles ouvrent progressivement, au fur-et-à-mesure que sont recrutées les équipes très spécialisées nécessaires.

Je viens de signer la circulaire toxicomanie 1995 qui donne le cadre des actions à développer en matière sanitaire pour cette nouvelle année ; elle prévoit d'agréer 80 places supplémentaires et 80 autres sont prévus pour 1996 de façon à atteindre l'objectif fixé.

Bien sûr, il faudra aller encore plus loin ; mais sachons cependant que ces nouvelles places permettront de résorber en grande partie les files d'attente existantes.

Le dispositif classique doit au demeurant s'adapter aux nouveaux besoins des toxicomanes en demande de sevrage.

En effet, les nouveaux dispositifs destinés aux toxicomanes les plus désacralisés comme les Boutiques ou la méthadone, font apparaître une demande de sevrage de la part de toxicomanes peut-être plus indépendants qui acceptent mal les règles traditionnelles de vie dans les centre comportant un hébergement ; les centres et les équipes doivent donc s'adapter.

Certains s'étonnent parfois que nombre de centres avec hébergement soient implantés dans des régions rurales. Il n'y a rien d'étonnant à cela : il est important pour certains toxicomanes de rompre avec leurs familles, leurs copains, leur milieu ; la géographie des centres n'a pas de raison d'être calquée sur la géographie de la consommation. Il faut donc que les centres, au fur et à mesure qu'ils se multiplient, apprennent à travailler en réseau pour qu'un toxicomane parisien puisse trouver une place de post cure dans l'arrière-pays marseillais, et qu'un toxicomane niçois puisse rompre avec la drogue dans un centre spécialisé des Pays de la Loire.

L'augmentation de 28 % des crédits prévus en 1995 pour la lutte contre la toxicomanie sera très largement consacrée à l'augmentation des centres avec hébergement.

Les choses sont donc claires : les pouvoirs publics n'ont pas l'intention d'abandonner le dispositif classique de prise en charge des toxicomanes. Mais, ils ne peuvent pas rester sans rien faire pour les toxicomanes qui ne sont pas prêts à se sevrer.

Trop longtemps dans notre pays, nous avons vécu avec l'idée que le dispositif sanitaire et social ne devait s'intéresser qu'aux toxicomanes en demande de sevrage. Le SIDA et les hépatites nous ont contraints à changer d'avis. Aujourd'hui, la responsabilité dont font preuve les toxicomanes les plus désocialisés en matière d'échange de seringue a déjà fait évoluer le regard que les équipes médicales et sociales portent sur eux.

Je pense utile à ce propos de souligner à quel point se révèlent utiles les Boutiques, ces lieux que nous avons lancés il y a 18 mois environ, pour aider les toxicomanes les plus marginalisés à reprendre contact avec le dispositif sanitaire et social, pour reprendre tout simplement contact avec les non-toxicomanes.

Je suis donc très heureuse que La Terrasse ouvre prochainement une Boutique à Paris.

C'est dans ce nouveau cadre que s'inscrit le recours à la méthadone. Vous savez que ce traitement possède au moins trois qualités majeurs, à condition d'être prescrit dans les conditions adaptées et avec un accompagnement de qualité.

Tout d'abord, il permet une resocialisation des toxicomanes qui peuvent retrouver une vie affective et professionnelle normale ; n'ayant plus l'obsession de se procurer de la drogue, ils peuvent rompre avec la délinquance.

En second lieu, la méthadone permet de limiter, puis de supprimer les injections de produits ; l'accompagnement social dont ils bénéficient permet de développer une information sur la prévention, notamment sur l'usage du préservatif ; je rappelle que 30 % des héroïnomanes sont contaminés par le SIDA, et 70 % par les hépatites B ou C.

Enfin, la méthadone favorise la reprise d'une vie libre de toute dépendance. La méthadone n'est qu'une étape, mais cette étape peut durer plusieurs années. Le but est de parvenir à vivre sans drogue, et sans méthadone le jour où cela devient possible.

Comme vous le savez, la Commission d'Autorisation de Mise sur le Marché a d'ores et déjà donné un avis favorable pour une AMM pour la méthadone. Je m'en réjouis.

Mon objectif est en effet que tous les toxicomanes pour lesquels la méthadone est considérée comme la meilleure indication, à un moment donné, puissent en bénéficier, mais avec des conditions de prescription est de délivrance rigoureuses. Le diagnostic doit être fait par un médecin compétent, ayant l'habitude de traiter des toxicomanes ; le démarrage de la prise en charge doit donc être décidé et assuré par des médecins spécialisés, exerçant dans des centres spécialisés de prise en charge des toxicomanes. Le patient doit alors se rendre quotidiennement dans le centre pour prendre son traitement et faire régulièrement des analyses médicales.

L'expérience montre que certains patients sont, au bout de quelques mois ou quelques années, parfaitement stabilisés : ils ont un logement, un emploi, une protection sociale ; ils ont une vie affective normale ; ils prennent une quantité de méthadone identique tous les jours ce qui permet d'espérer baisser très progressivement ces quantités, et les résultats de leurs analyses médicales sont parfaitement normales.

Dès lors, leur médecin traitant du centre peut considérer qu'il n'est plus indispensable qu'ils se rendent chaque jour dans un centre spécialisé et qu'ils peuvent être suivis par un médecin de ville formé à la prescription de la méthadone. À lui de mettre en œuvre une telle prise en charge.

Des médecins de ville pourront donc prescrire la méthadone en travaillant en réseau avec les centres spécialisés et les pharmacies d'officine. Pour ce faire ils devront avoir reçu une formation adaptée et ne seront pas habilités à délivrer les premières prescriptions.

Il ne s'agit donc pas d'ouvrir la prescription de méthadone pour tous les toxicomanes dans n'importe quelles conditions, mais de permettre aux toxicomanes stabilisés socialement et médicalement grâce à un traitement méthadone, d'être ensuite suivi par un médecin de ville.

Avant la publication de l'AMM, il reste encore divers problèmes à régler, en particulier la fabrication de la méthadone. Pendant les années expérimentales, c'est la pharmacie centrale des hôpitaux de Paris qui a assuré la fabrication de ce produit avec beaucoup de compétence ; elle a assuré tous les travaux permettant la sortie de l'AMM et je pense que nous pouvons tous lui rendre hommage.

Aujourd'hui, avec la montée en régime de ce type de prescription, avec l'autorisation de mise sur le marché, une nouvelle étape doit être franchie. Il est maintenant inévitable que la méthadone soit fabriquée par un établissement pharmaceutique. Un appel d'offre va être lancé dans les prochains jours par l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris pour l'exploitation de l'AMM. L'objectif est que l'AMM puisse être publiée avant le 31 mars.

Sans attendre cette date très proche, sans attendre l'AMM, il est possible de faire évoluer le dispositif existant dans le sens d'une plus grande facilité d'accès à la méthadone des toxicomanes pour lesquels ce type de prise en charge est adapté.

C'est pourquoi, j'ai pris les dispositions pour qu'il soit dorénavant possible, à tous les centres de prise en charge des toxicomanes, de prescrire de la méthadone. Pour les centres qui prescrivent déjà, les seuils de 25 ou 50 places vont être assouplis ; chaque centre prescrira en fonction de ses capacités globales de prise en charge.

Ainsi, de la même façon qu'aujourd'hui il n'y a pas de limite administrative au nombre de patients suivis par les centres d'accueil de jour, chaque centre fixera le nombre de patients pris en charge sous méthadone qui lui parait adapté à son encadrement, à son personnel soignant et qui lui permet de conserver les exigences de qualité de soins qui sont en vigueur aujourd'hui.

La méthadone n'est pas le seul traitement de substitution que nous envisageons de développer. Ainsi une AMM est actuellement à l'étude à l'Agence de Médicament pour un médicament à base d'une autre molécule, la Buprénorphine, qui aurait pour indication la prise en charge des toxicomanes.

Par ailleurs, de nouvelles expérimentations devraient être lancées ce trimestre, en particulier concernant l'utilisation de la naloxone à l'issue d'un traitement à la Buprénorphine.

Je voudrais pour finir revenir quelques instants sur les spécificités du centre méthadone de La Terrasse que nous inaugurons aujourd'hui.

Comme chacun ici le sait, ce centre est situé dans un quartier de Paris très marqué par le trafic de drogue et par une population de toxicomanes particulièrement marginalisés.

Cette situation pose des problèmes d'ordre public presque insupportables, que nul ne peut ignorer.

Des mesures ont été prises afin d'améliorer la situation et de permette aux habitants de ce quartier de vivre normalement. Pour cela, il faut aussi envisager un renforcement réel des moyens de prise en charge sanitaire et sociale des toxicomanes dans ce secteur.

C'est pourquoi je fais demander, dès aujourd'hui, au Préfet de Paris de réunir en urgence un groupe de travail avec l'ensemble des partenaires concernés, c'est-à-dire la ville de Paris, les centres de prise en charge des toxicomanes, les associations d'habitants, les associations pour la réduction des risques chez les toxicomanes, et bien sûr les différents services de l'État concernés y compris la préfecture de police : ce groupe devra faire sous un mois ses propositions.

J'ai également décidé de mettre en place un autre groupe de travail pour examiner très rapidement les problèmes posés par la prise en charge des toxicomanes dépendants du crack, ce produit peu cher, aux conséquences particulièrement néfastes, dont la diffusion est importante dans cette partie Nord de Paris. Ce groupe de travail s'appuiera sur le savoir-faire des équipes de certains Départements d'Outre-Mer, qui malheureusement par l'expérience, connaissent bien cette question.

Ce centre a aussi la spécificité d'être implanté dans les locaux d'un hôpital psychiatrique, ce qui permettra d'évaluer l'opportunité de ce rapprochement entre psychiatrie et toxicomanie. En effet, les structures de psychiatrie sont aujourd'hui singulièrement absentes de la lutte contre la toxicomanie, alors que de nombreuses institutions se sont adjoints les services d'un psychiatre.

Si tous les toxicomanes ne relèvent pas de la pathologie psychiatrique, loin s'en faut, on peut néanmoins se demander si un diagnostic préalable fait par un psychiatre ne permettrait pas une prise en charge plus appropriée des intéressés, notamment dans la prévention des conduites à risque qu'ils adoptent encore trop souvent.

Pour toutes ces raisons, j'ai confié à M. Le Docteur Pommier une mission sur le sujet psychiatrie-toxicomanie-sida. Ses conclusions sont attendues pour le mois de juin prochain.

Voici, Mesdames, Messieurs, les quelques mots que je souhaitais prononcer à l'occasion de l'inauguration du centre.

Avec cette inauguration, nous disposons de 1 325 places, c'est-à-dire 1 325 possibilités de prise en charge simultanée pour les toxicomanes. 50 places supplémentaires doivent ouvrir la semaine prochaine à Paris, et 120 début février. Restent 6 projets pour lesquels les financements sont en place, les autorisations données, mais pour lesquels nous rencontrons des difficultés pour trouver des locaux ou pour recruter des équipes médicales : il s'agit de projets à Marseille, Annecy, Créteil, Gennevilliers, Mulhouse et à l'hôpital Sainte-Anne de Paris. S'il apparaissait que les projets n'étaient pas viables, il faudrait réaffecter les moyens financiers correspondants. J'y veillerai personnellement.

Je suis accompagnée aujourd'hui par le nouveau Délégué Général à la Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (DGLDT), monsieur Theis, dont une des premières missions sera de travailler sur la prévention, car il s'agit d'un des domaines où nous pouvons sans doute le plus progresser.

Mes derniers mots cet après-midi seront pour rendre hommage au travail exceptionnel de tous ceux, professionnels et bénévoles, qui chaque jour travaillent à aider les toxicomanes à sortir de l'enfer de la drogue.

Nous savons à quel point leur travail est difficile et ingrat, mais aussi à quel point ils sont indispensables dans le monde si dur aux plus faibles dans lequel nous vivons.

 

Jeudi 6 avril 1995

Madame, Monsieur,

C'est une grande joie d'être aujourd'hui parmi vous pour l'inauguration de cette nouvelle structure, le "Sleep'in". Croyez-bien que ce n'est pas là une formule de politesse. Je suis en effet très heureuse que les circonstances fassent qu'une des dernières inaugurations que j'aurai eu l'honneur de présider en tant que ministre du Gouvernement d'Édouard Balladur soit pour cette structure qui est exemplaire à plus d'un titre, et qui illustre parfaitement la politique que j'ai souhaité mener dans le domaine grave et douloureux de la prise en charge des toxicomanes.

Cette politique a quatre caractéristiques :

1. Tout d'abord, elle a permis un renforcement du dispositif de prise en charge, qui permet de ne plus abandonner à eux-mêmes les toxicomanes les plus désocialisés, ceux qui ne formulent pas encore de demande de sevrage.

2. Ensuite, elle a réalisé une vraie diversification du dispositif de prise en charge, qui permet de ne plus abandonner à eux-mêmes les toxicomanes les plus désocialisés, ceux qui ne formulent pas encore de demande de sevrage.

3. En outre, cette politique a pris résolument en compte les risques de contamination par le SIDA et les hépatites.

4. Enfin, elle a organisé l'implication et la mise en réseau d'un plus grand nombre de professionnels du sanitaire, comme du social.

Avec le "le Sleep'in", c'est effectivement une nouvelle structure au service des toxicomanes et de leurs familles qui s'ouvre. Depuis l'annonce du plan gouvernemental du 21 septembre 1993, ce sont près de 400 places avec hébergement qui auront été agréées et qui s'ajoutent aux 610 places existantes, ce sont 1 600 places de méthadone, ce sont une dizaine de boutiques d'accueil de jour, qui ont été créées.

Les budgets consacrés à la prise en charge des toxicomanes ont presque doublé en deux ans. C'est dire le chemin parcouru même s'il faut aller plus loin.

J'ai souhaité que le renforcement du dispositif s'accompagne d'une diversification des approches. Pourquoi ?

D'abord parce que les toxicomanes sont des malades je dirai "compliqués", difficiles à guérir, et qui réagissent de façons très variables aux différentes thérapies qui existent. Ainsi, certains ont ainsi déjà essayé à de nombreuses reprises de se sevrer, sans succès, d'autres au contraire arrivent à sortir de la drogue assez rapidement après un sevrage à l'hôpital ou en ambulatoire. Nous devons donc mettre à leur disposition, à la disposition de leur famille et de leur médecin, l'ensemble des outils existants qui ont fait leurs preuves à titre expérimental en France, ou dans d'autres pays confrontés, comme la France, au fléau de la toxicomanie.

Si j'ai souhaité que le dispositif de prise en charge soit diversifié, c'est aussi parce que je considère qu'il ignorait trop les toxicomanes qui ne font pas encore de demande sevrage.

50 % des toxicomanes ne fréquentent pas aujourd'hui le dispositif de soins : ils ne voient ni infirmière, ni médecin, ni en ville, ni à l'hôpital. Beaucoup d'entre eux vivent dans un grand dénuement matériel. Nous avions le devoir d'inventer ou d'implanter dans notre pays des structures, et des méthodes de prise en charge adaptées à ces toxicomanes. Je crois que les traitements de substitution d'une part, mais aussi les 10 premières Boutiques, et depuis quelques semaines le premier "Sleep'in" que nous inaugurons aujourd'hui, répondent à cette nécessité.

Il faut, dans ce domaine plus que dans d'autres, savoir sortir des méthodes traditionnelles, savoir prendre des risques, des risques extrêmement mesurés bien sûr, après avoir mené les concertations indispensables et s'être entouré d'une grand nombre d'avis, après avoir expliqué les raisons de ces choix.

C'est précisément la méthode de travail que j'ai suivie pour la méthadone, pour laquelle comme vous le savez, une autorisation de mise sur le marché vient d'être accordée.

Beaucoup d'études, d'analyses ont été faites avant de prendre des décisions dans ce domaine de traitements de substitution.

Comme vous le savez, étant un des pays les plus en retard il y a deux ans, nous avions au moins l'avantage de pouvoir bénéficier des expériences des autres pays. De plus, la commission des traitements de substitution, qui regroupe des personnalités d'expériences très diverses, travaille régulièrement depuis un an pour élaborer et faire évoluer un cadre d'utilisation rigoureux et sûr des traitements, en particulier de la méthadone.

J'entends certains s'inquiéter des risques du "tout méthadone", ou encore s'inquiéter des risques que représentent la possibilité de prescription et de délivrance de la méthadone en médecine de ville. Je souhaite ici les rassurer.

Tout d'abord, je ne le dirai jamais assez, il ne s'agit pas d'aller vers le "tout-méthadone" et la méthadone elle-même doit seulement être une étape vers le sevrage, vers une vie sans drogues, sans dépendance. Mais à l'inverse, je le répète, il n'y a aucune raison de priver les toxicomanes d'une méthode thérapeutique qui peut permettre à certains d'entre eux de sortir de l'enfer de la drogue, de retrouver une vie affective et sociale normale et en tout cas, même s'ils ne parviennent pas au sevrage d'échapper au risque mortel du Sida et à la marginalité.

La prescription et la délivrance en médecine de ville constituent un nouveau pas important, et je pense que nous avons pris un très grand nombre de précautions pour qu'il n'y ait pas de risque de dérapage de nouveau dispositif, et en particulier pour limiter au maximum les risques de surdose. Je citerai quatre précautions :

1. Pour commencer la première prescription de méthadone se fera toujours dans des centres spécialisés où travaillent des équipes habituées à la prise en charge des toxicomanes. C'est dans ces centres que sera déterminée, semaine après semaine, la posologie adaptée au patient.

2. Ensuite, seuls les toxicomanes stabilisés médicalement, mais aussi socialement, c'est-à-dire bénéficiant d'une réelle insertion sociale et professionnelle, bénéficiant bien sûr d'une couverture sociale, pourront bénéficier d'une prescription en ville, et non plus en centre spécialisé.

3. De plus, seul un médecin et un pharmacien choisis par le patient, en accord avec le médecin du centre de première prescription pourront prescrire et délivrer de la méthadone en ville. Les noms du médecin et du pharmacien seront inscrits sur la première ordonnance. Il n'y a donc pas de risque de diffusion incontrôlée des prescriptions.

4. Enfin, nous avons voulu parer à un autre risque : celui qu'un toxicomane puisse essayer d'obtenir des ordonnances de deux centres spécialisés. Pour cela il est prévu, avant toute prescription de méthadone, une analyse urinaire qui permette de détecter une absorption préalable de méthadone.

Comme vous le voyez, la prescription et la vente en médecine de ville se feront sous un contrôle médical rigoureux, et en s'étant entouré d'un maximum de précautions.

Autre domaine dans lequel il nous a fallu innover : la mise à disposition des héroïnomanes de seringues stériles. Les pharmacies d'officine sont aujourd'hui beaucoup plus impliquées dans la prévention du Sida, en particulier chez les toxicomanes, et je tiens à les en remercier, car je sais que l'accueil des toxicomanes dans une pharmacie n'est pas toujours facile.

Nous savons aujourd'hui que le "stéribox", cette petite boîte à 5 Frs qui contient notamment 2 seringues stériles, 1 préservatif et des conseils de prévention est un bon produit, dont les pharmacies délivrent environ 9 000 exemplaires par jour.

Je rappelle que pour la première fois en France, la dernière campagne de prévention du SIDA a abordé directement cette question de la prévention des toxicomanes dans la presse quotidienne grand public avec ce slogan : "dans une seringue qu'on prête, il y a le SIDA qu'on donne".

Il faut bien sûr poursuivre la politique d'accès aux seringues et plus généralement la politique de prévention du SIDA et des hépatites. La politique de réduction des risques donne des résultats, les enquêtes épidémiologiques le montrent. Il ne faut pas relâcher notre effort, il faut au contraire l'amplifier.

La modification du décret de 1972 sur les seringues, qui est intervenu il y a quelques semaines, donne enfin une base réglementaire aux programmes d'échange et de distribution de seringues. Je viens, en complément de ce décret, de signer une circulaire aux préfets, leur demandant d'accélérer la mise en place de programmes d'échange de seringues et de s'impliquer personnellement dans la concertation locale indispensable sur ce sujet.

Il reste des champs importants dans lesquels il va falloir innover ; c'est par exemple le cas de la prise en charge des toxicomanes au crack pour lesquels deux groupes de travail doivent faire des propositions ; l'un de ces groupes s'intéresse particulièrement aux problèmes du quartier de Stalingrad.

Le "Sleep'in" illustre bien la politique innovante que j'ai souhaitée dans le domaine de la toxicomanie, il est aussi un exemple de la politique de mobilisation et de mise en réseau qu'il nous faut tous ensemble développer.

Beaucoup de jeunes qui viennent ici ne se contentent pas de dormir sous un toit sûr et accueillant ; ils demandent à voir un médecin ou une assistante sociale. Certains formulent même une demande de sevrage.

Ce constat, après quelques mois de fonctionnement à titre de rodage est très encourageant et presque inespéré. Il illustre de façon éclatante, à quel point les toxicomanes souhaitent accéder au dispositif sanitaire, dès lors qu'on leur tend la main. Cette situation nous oblige aussi à nous mettre en mesure d'apporter des réponses aux demandes qui commencent à s'exprimer, et en particulier aux demandes de sevrage.

C'est là qu'il faut savoir mobiliser davantage l'hôpital. Dans le cadre des suites du rapport demandé au Professeur Parquet, je viens de prendre trois décisions. Tout d'abord, une cellule d'appui sur la toxicomanie a été créée à la Direction des Hôpitaux pour encourager les efforts des hôpitaux qui s'impliquent dans la prise en charge des toxicomanes. Ensuite, une circulaire demandera prochainement aux hôpitaux de mettre en place une section spéciale de leur CME sur les questions de dépendance. Enfin, je souhaite qu'une conférence de consensus soit organisée en 1996 sur les questions de sevrage.

La mise en réseau dans le domaine de la toxicomanie sera accélérée par deux types de mesures : le doublement du nombre de réseaux ville-hôpital-toxicomanie, qui sont déjà au nombre de 11 ; l'organisation de formations pour les médecins et pharmaciens de ville sur différents sujets dont les traitements de substitution.

La mise en réseau, c'est aussi le travail des centres spécialisés entre eux. Deux exemples : les centres de postcure de l'arrière-pays marseillais acceptent des toxicomanes sevrés à Roubaix qui ont besoin de quitter leur environnement proche pour s'en sortir ; la première communauté thérapeutique ouverte dans le cadre du plan gouvernemental de septembre 1993, celle de Saint-Gilles dans le Gard, accueille des toxicomanes venus du "Sleep'in".

Je voudrais, pour terminer vous remercier, chère Régine, et remercier toute l'équipe de SOS Drogue International pour le travail que vous accomplissez au service des toxicomanes.

Votre association est devenue un des acteurs majeurs du dispositif de soins français pour les toxicomanes. Elle a très bien su innover. Elle est ainsi à l'origine de la communauté thérapeutique de St-Gilles ouverte il y a 6 mois ; elle s'est engagée dans les traitements de substitution, et elle a porté le projet du "Sleep'in".

Je sais toutes les difficultés et les craintes que vous avez dû affronter pour y parvenir. Mais vous avez su convaincre les uns et les autres de l'intérêt de votre projet. Le bon fonctionnement de ce lieu d'accueil est aujourd'hui pour tous ceux qui se sont impliqués dans le projet, y compris les services de l'État, un précieux encouragement à renforcer et diversifier la politique de prise en charge des toxicomanes, et je suis heureuse de pouvoir annoncer aujourd'hui l'ouverture prochaine d'un second "Sleep'in" à Marseille.

Je souhaite donc, Mesdames, Messieurs, que grâce à vous tous, ce centre soit un lieu d'accueil et d'insertion. Et je souhaite à tous ceux qui viendront s'y abriter pour une nuit, qu'ils y trouvent la force de quitter la dépendance et de retrouver leur liberté et leur dignité.