Texte intégral
Après avoir fixé notre doctrine successivement sur la mondialisation et l'Europe, les acteurs de la démocratie et la politique économique, autant de propositions qui ont servi de base à nos engagements et qui inspirent aujourd'hui l'action gouvernementale, il nous est apparu nécessaire d'aborder le thème de l'entreprise.
Dans le contexte d'un nouvel âge du capitalisme, l'entreprise ne peut plus être pensée de façon sommaire ou caricaturale.
Face au libéralisme, les socialistes doivent proposer un contrat, un compromis offensif permettant de concilier le progrès social, la performance économique et le développement de l'emploi.
Face à un patronat dont le changement de nom ne s'est pas traduit jusque-là par un changement de ton, les socialistes doivent proposer un cadre qui offre plus de stabilité aux salariés, plus de dialogue entre les partenaires sociaux et plus de transparence quant aux décisions des actionnaires.
Face à une droite qui se targue de défendre l'entreprise alors qu'elle ne défend que certains chefs d'entreprise, la gauche doit faire les propositions qui démontrent que nous voulons promouvoir un modèle qui allie le développement des entreprises et la création d'emplois.
Il s'agit ni de diaboliser l'entreprise ni de lui vouer un culte, mais d'entretenir avec l'entreprise un rapport laïc, fondé sur des droits et des devoirs, s'inscrivant dans un contrat permettant d'atteindre le succès collectif, c'est-à-dire la croissance et l'emploi, dans le respect des initiatives individuelles de ceux qui investissent et de l'épanouissement personnel de ceux qui y travaillent. Ce contrat ne supprime ni le conflit ni la contradiction entre les uns et les autres, mais il les organise pour en assurer le déplacement.
* Démocratie et clarté
Le texte proposé aux militants est le fruit d'un travail collectif du parti, qui a associé toutes les composantes, toutes les sensibilités, et s'il y a au final des désaccords, d'ailleurs légitimes, d'ailleurs normaux dans un parti démocratique, mais aussi limités, je tiens à féliciter tous ceux qui s'y sont associés quel que soit leur vote.
Les conventions fédérales ont adopté un grand nombre d'amendements sur les thèmes essentiels : la précarité, la réduction du temps de travail, la fiscalité.
Quant à la gauche socialiste, elle a nourri par ses amendements nos échanges et je tiens à dire à Julien Dray, qui hier nous a interpellés amicalement, que je partage son point de vue. Le parti socialiste, au-delà de nos différences, est notre bien collectif le plus précieux, et au-delà de nos diversités, notre outil essentiel pour nos combats futurs. Je veillerai à ce que chacun s'y trouve bien, sans nuire à la réussite de tous.
Un socialiste sur deux s'est prononcé sur le texte ou sur les amendements, ou s'est abstenu. Ce qui est une participation comparable à celle des autres conventions. Mais nous avons pêché par une centralisation trop forte de l'élaboration de textes. C'est une nouvelle fois d'en haut, malgré l'association de tous, que se délibèrent et s'élaborent les textes. Il y a sans doute un souci exagéré du détail technique, un calendrier trop bref pour provoquer un débat approfondi et, je l'admets, des difficultés pour comprendre la présence d'amendements alternatifs et non complémentaires.
Nous voulons voter des amendements mais, en même temps, acceptons aussi et fièrement nos différences. Ne faisons pas comme si nous étions d'accord sur tout et qu'il suffirait de corriger telle ou telle phrase : ce n'est pas le volume des phrases et des textes qui compte, c'est leur sens. Ne faisons pas semblant d'être d'accord pour ensuite évoquer, à juste raison, nos différences : si nous ne sommes pas d'accord, mieux vaudrait parfois passer par des textes alternatifs que par des amendements.
Voilà pourquoi la prochaine convention devra adopter une autre forme de préparation et une autre méthode pour permettre aux militants de s'approprier dès le départ les questions et les choix en jeu, de faire vivre les échanges dans les sections en les impliquant à l'élaboration même des textes.
Dans les prochains jours, un appel au débat, peut-être sous forme de questionnaire, sera conçu dans cet esprit et adressé directement aux militants pour qu'ils s'en emparent et en débattent dans les sections. Le droit d'amendement sur le texte de synthèse sera ouvert beaucoup plus tôt, afin que les propositions majeures des fédérations soient également soumises au vote. Nous gagnerons à mes yeux en démocratie, sans forcément perdre en clarté.
Cette convention était un rendez-vous important car le thème lui-même n'était pas facile à appréhender. Il pourrait être tentant pour les socialistes, soit de se réfugier dans le commentaire poli de l'action gouvernementale au prétexte de ne pas la gêner, soit d'adopter une posture maximaliste au nom de je ne sais quel partage des rôles qui voudrait qu'au gouvernement on s'empare de la gestion de la réalité alors qu'au parti nous serions en quête de l'idéal. Dans les deux cas, c'était la certitude de ne pas peser sur les choix à venir, car le rôle d'un parti comme le nôtre, qu'il soit dans l'opposition comme hier, ou en responsabilité comme aujourd'hui, est d'anticiper et de marquer son identité. Le parti socialiste ne s'arrête pas de penser parce que ce gouvernement agit et agit bien. J'ai même la faiblesse de croire que le meilleur service que l'on puisse rendre à notre gouvernement, c'est de lui fournir des réflexions et des propositions pour ses décisions futures.
Voilà pourquoi nous avons veillé dans cette convention à respecter trois objectifs. Le premier est d'être capable de mettre en oeuvre, concrètement et dans un délai raisonnable, les engagements que nous prenons. Le deuxième est d'être capable de discuter, avec l'ensemble des organisations syndicales et des acteurs sociaux, de ces propositions pour renforcer leur crédibilité et favoriser leur compréhension. Le troisième objectif est d'être capable de mener avec des armes efficaces la confrontation idéologique avec les libéraux et au sein même de la gauche européenne.
* Une doctrine
Ne disposons désormais d'une doctrine qui nous permet de nous situer par rapport aux enjeux actuels.
Je retiendrai d'abord la réforme des prélèvements que nous avons souhaités depuis longtemps, avec la suppression de la base salaire dans les calculs. Dans le même esprit, nous souhaitons aujourd'hui la mise en oeuvre de la réforme des cotisations patronales. Nous voulons une extension de l'assiette pour qu'elle ne pèse plus exagérément sur le travail et touche d'autres facteurs de production. Car on ne peut pas vouloir des emplois et, en même temps, pénaliser les entreprises qui embauchent par rapport à celles qui licencient.
Cela vaut aussi pour les cotisations chômage : nous proposons un système qui permet de faire contribuer les entreprises aux coûts qu'elles font peser sur les collectivités par leur gestion de l'emploi.
Le gouvernement a commencé de le faire pour les préretraites.
Plus de 300 000 emplois ont été créés en 1998. Mais neuf embauches sur dix se font sous forme d'intérim, de CDD ou de temps partiel. Les entreprises ont besoin, dans une période de reprise, de souplesse et d'adaptation aux mouvements de la conjoncture. Mais quand ce processus se prolonge et devient un réflexe, donc un abus, n'est-il pas nécessaire de modifier les paramètres d'un calcul économique, en dissuadant financièrement les excès du recours aux emplois précaires et en rendant plus stricts les motifs de recours aux CDD et à l'intérim ?
Martine Aubry a eu raison de proposer aux partenaires sociaux une négociation sur ce sujet, le patronat aurait tort de ne pas s'y engager car c'est sans doute le cadre le plus adapté pour nouer les compromis utiles. Mais il est clair qu'à défaut d'accords contractuels satisfaisants, ce sera au législateur de reprendre la main, car la lutte contre la précarité est devenue une urgence absolue.
Trop de plans sociaux font des effectifs la seule variable d'ajustement. Voilà pourquoi nous avons repris la proposition que nous avions formulée dès 1996, le contrôle administratif des licenciements économiques et des plans sociaux. Cette mesure, qui passe nécessairement par la loi, n'a de sens que si elle s'inscrit dans la prévention des licenciements, très en amont d'un éventuel plan social, et donc dans le cadre d'une gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences. Mieux vaut prévenir assez tôt plutôt que de guérir trop tard.
Sur les 35 heures, partout des négociations s'engagent, des accords sont conclus. Mais les organisations ne nous ont pas caché les dangers et les menaces que contiennent un certain nombre d'accords. Nous devons proposer, dans la deuxième loi, un renchérissement des heures supplémentaires et une limitation de leur amplitude. Faut-il encore que les entreprises publiques soient exemplaires et que les négociations s'y développent le plus rapidement possible.
La loi ne peut pas tout et tout ne peut pas passer par la loi. La négociation sociale est indispensable, mais elle suppose des syndicats forts et responsables. Il faut développer le fait syndical en en facilitant l'exercice, renforcer le rôle et les moyens des institutions représentatives.
Nous lançons l'idée de conditionner la validité de certains accords collectifs à la signature d'organisations majoritaires, ou de permettre, ce qui revient au même, un meilleur usage du droit d'opposition lorsque les organisations minoritaires ont signé des accords dérogatoires. Nous ne proposons pas ici de légiférer sur cette question, il n'en est pas encore temps, mais nous ouvrons un débat qui a été engagé par d'autres.
J'en termine avec les services publics. Cette convention a permis de clarifier notre doctrine. Celle-ci avait beaucoup évolué au cours des dernières années, au point de se confondre avec un pragmatisme plutôt embarrassé. Reconnaissons que, là-dessus au moins, la dissolution nous avait pris de court.
Aujourd'hui, notre proposition se décline en trois principes :
Nous défendons une vision dynamique du service public. Si ses principes sont immuables, l'égalité, l'accès de tous, la péréquation, les missions peuvent évoluer selon les besoins de la population. Le champ du service public, lui, peut s'étendre en fonction des évolutions de la société ou des technologies. Ainsi, nous proposons que soit votée à intervalle régulier par le Parlement une loi-cadre définissant le périmètre et les moyens du service public, les contrats de plan avec les entreprises publiques en étant finalement la traduction.
Nous admettons l'ouverture du capital des entreprises publiques du secteur concurrentiel, lorsque, et seulement lorsque, des alliances industrielles le justifient.
Quant à la cession d'actifs qui sont parlé histoire dans le patrimoine public et non plus aucune légitimité à s'y trouver parce que ne concourant à aucune activité d'intérêt général, nous admettons qu'elle puisse intervenir.
Notre convention a beaucoup tourné autour de l'eau, les uns souhaitant la nationalisation, les autres affirmant le principe de régulation. Nous pouvons peut-être nous retrouver sur une triple évidence. L'eau relève d'une mission de service public. Une autorité de régulation du marché est nécessaire et la péréquation sur le territoire est indispensable.
Quant à la transparence des opérateurs, elle est aussi une exigence de premier ordre. J'en viens maintenant à la question des régions gouvernées en alliance avec le FN et aux élections européennes.
J'évoquerai le combat que livrent nos élus dans les quatre régions gouvernées en alliance avec le Front national. Nous avons engagé un travail d'opposition systématique qui doit permettre de renverser ces quatre présidents. Pour y parvenir, il faut que le RPR et l'UDF obtiennent de leurs élus qu'ils votent contre le budget qui sera discutés à la fin de cette année. Ce serait l'honneur même de la République que nous parvenions, les uns et les autres, et sans confusion des uns avec les autres, à renverser ces quatre présidents. Chacun maintenant saura où est la responsabilité.
* Élections européennes
J'en viens donc aux élections européennes. Il ne m'a pas échappé que certains étaient déjà partis en campagne et occupaient tous les espaces médiatiques, au risque bientôt, je les préviens, de les saturer ! C'est leur droit et, visiblement, l'un d'entre eux y prend un tel plaisir qu'il serait même cruel de l'en empêcher, même si, à force d'avoir un avis sur tout, sauf sur l'Europe (mais c'est un détail…), on adopte vite la panoplie du donneur de leçons.
Jusque-là, la gauche plurielle s'était plutôt bien débrouillée. Nous avons été capables, tout seuls (c'est-à-dire sans lui), de gagner les élections législatives, et même de gagner aussi les élections régionales et cantonales ! Je ne voudrais pas maintenant que ce soit différent parce qu'il serait là ! La politique, ce n'est pas simplement la parole, c'est aussi des actes qui témoignent de responsabilité. Un scrutin, ce n'est pas fait pour faire plaisir aux candidats, mais pour être utile aux électeurs.
Pour nous, il est possible, à travers les élections européennes, de renforcer l'ensemble de la gauche plurielle en permettant à chacune de ses composantes de gagner, mais au bénéfice de tous. L'émulation collective est un bien, une nécessité, et elle ne renvoie pas forcément à la compétition individuelle.
Nous allons faire une campagne sur la base d'un programme commun européen qui sera arrêté avec tous les socialistes européens. Nous agissons pour que le Parlement européen, pour la première fois, soit structuré entre la gauche et la droite, entre une gauche qui pourra aussi intervenir à cette échelle-là et, sans doute, une gauche plurielle au sein du Parlement européen pour peser sur les décisions de la Commission quand, dans le même temps, nos ministres et nos premiers ministres pourront peser sur l'avenir de l'Europe par les Conseils européens. Seul cet enjeu-là compte.
Chers camarades, d'ici notre prochaine convention, en mars prochain, d'ici les élections européennes, je souhaite que les socialistes ne se laissent sérieusement détourner par rien d'autre que l'essentiel, c'est-à-dire la réussite de notre action gouvernementale, l'affirmation de nos idées, la réponse aux attentes des Français et notamment la première : l'emploi, la vie.
Je demande donc aux socialistes ici rassemblés de ne se laisser empoisonner par aucun débat rétrospectif, par aucun sujet qui soit de nature à nous diviser. Je demande aux socialistes de ne préparer qu'une seule chose : l'avenir, l'avenir de leur pays et, donc, le leur.