Texte intégral
B. Masure : Est-ce que vous partagez le sentiment de M. Aubry qui a déclaré : "nous sommes tous responsables de ne pas avoir répondu assez fortement au discours de xénophobie du FN" ?
H. Emmanuelli : Je constate que je suis de plus en plus souvent en train de faire des manifestations de protestation. J'étais à Marseille au mois de février, il y avait un crime, il y en a un deuxième. C'est pas les deux seuls. Ils se multiplient et on atteint la cote d'alerte. Et je crois qu'il faut non seulement appliquer la loi républicaine, le faire avec une certaine fermeté. Nous avons fait aussi voter des lois contre le racisme. Mais que l'existence et l'activité de certains groupes se posent. Ces skinheads, que sont-ils à part des pourvoyeurs de violence ?
B. Masure : Ils ne sont pas organisés en groupe structuré donc on ne peut pas les interdire.
H. Emmanuelli : Peut-être pas organisés mais enfin je constate que chaque fois qu'ils ont l'occasion de frapper, ils le font, donc il y a un certain nombre de problèmes. De même qu'on peut se poser la question de ce qu'est le FN, son existence, son discours raciste, xénophobe. J'ajouterai pour ma part que les lois Pasqua n'ont pas contribué à améliorer l'atmosphère. La multiplication des interpellations au faciès sous prétexte de vérifier l'identité, tout ça participe d'un climat dangereux qui n'est pas digne de la République Française et qui est très inquiétant.
A. Chabot : Êtes-vous favorable au renforcement des lois anti-racistes ?
H. Emmanuelli : Elles ne sont pas très efficaces. Il faut qu'elles existent quand même et qu'il faut qu'on dise avec beaucoup de fermeté que le racisme est un crime odieux et que ceux qui pensent comme cela, doivent savoir qu'au bout de tout cela, il n'y a que la tragédie, le sang. Ceux qui commettent un acte répréhensible, le leur dire, le leur répéter et puis aussi faire de la pédagogie. Expliquer aux gens que tout le monde a droit à la dignité, au respect.
B. Masure : N'avez-vous pas de regret que L. Jospin n'ait pas été plus offensif ?
H. Emmanuelli : Ce genre de débat se prête mal à l'agressivité. On a eu un débat où L. Jospin a essayé de faire preuve de pédagogie, d'honnêteté intellectuelle. Ce qui n'a pas été le cas de J. Chirac. Le J. Chirac du premier tour qui faisait du social avait complétement disparu hier soir. C'est vrai qu'il n'a pas résisté à sa pente naturelle qui est la démagogie. Des petites phrases du genre "le socialisme tire les choses vers le bas", il l'a répétée trois ou quatre fois. Cela fait partie de la liturgie de la droite la plus classique. Au long de ce siècle, le socialisme – à côté d'autres forces, politiques, syndicales – a été, au contraire, le moteur du progrès, du bien-être social. Je n'ai pas très bien compris ce que monsieur Chirac allait faire pour combattre contre le chômage, à part diminuer les charges sociales au bénéfice d'entreprises qui vont transférer sur le compte des salariés en le mettant sur la TVA, tout cela ne me paraît pas déboucher sur quelque chose de concret.
A. Chabot : Il n'y a pas de différences fondamentales entre les deux programmes.
H. Emmanuelli : J'ai trouvé que monsieur Chirac avait un programme de droite classique. Il nous a fait toute une théorie sur l'entreprise, et donc la politique de l'offre, c'est-à-dire la continuité de la politique que vient de suivre monsieur Balladur avec les succès que l'on connaît en matière d'emplois depuis deux ans. J'ai trouvé chez L. Jospin la volonté d'une société solidaire avec davantage de redistribution, de partage de la richesse produite, c'est-à-dire un projet gauche-droite. Il ne faut pas se laisser abuser par la démagogie de monsieur Chirac. J'ai entendu aussi la "paperasse". Il s'y connaît en matière de paperasse, monsieur Chirac. La taxe professionnelle, qui est la paperasse la plus longue à remplir, c'est lui qui nous inventé ça. En revanche, la déclaration d'impôt sur les grandes fortunes, qui était vite remplie, ça il l'a vite supprimée. Tout cela ne m'a pas paru très convainquant de sa part.
A. Chabot : Vous n'avez pas trouvé un J. Chirac différent, bien installé dans son projet…
H. Emmanuelli : J'ai trouvé que l'enveloppe avait un peu changé, mais que le propos n'avait pas changé. Ce que je viens d'entendre sur les planches à Metz, me confirme que J. Chirac sera toujours égal à lui-même. Il parlait de bilan. Mais monsieur Chirac a été Premier ministre deux fois. Et puis, il l'a été de 86 à 88. On a très bien vu ce qu'était la politique de monsieur Chirac. Il faut donc beaucoup de bonne volonté pour se laisser abuser par le slogan "le Chirac nouveau est arrivé". Il me semble que c'est un peu tard, et je pense que L. Jospin a eu raison en disant : "La France veut changer de cheval."
A. Chabot : Si L. Jospin est élu Président on sait ce qu'il fera. S'il ne l'est pas, il deviendra le leader de l'opposition ?
H. Emmanuelli : L. Jospin aura une place particulière dans le combat de la gauche, parce qu'on résistera. Il ne faut pas en douter.