Interview de M. Lionel Jospin, membre du bureau national du PS, candidat à l'élection présidentielle de 1995, dans "Libération" du 2 mai 1995, sur son programme économique, notamment la réduction du temps de travail et le financement du déficit de la sécurité sociale.

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Média : Libération

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Libération : Vous proposez le passage à la semaine de 37 heures, par la négociation. Que ferez-vous si les partenaires sociaux ne parviennent pas à se mettre d'accord ?

Lionel Jospin : La date de 1997 pour le passage à une durée légale de 37 heures n'est pas négociable. Ce qui doit l'être, au niveau national dans la conférence sur les salaires, et surtout dans les branches et les entreprises, c'est la recherche de la meilleure combinaison entre salaire mensuel, baisse de la durée du travail, création d'emplois. En fait, c'est l'organisation du travail qui est à modifier par la négociation.

Libération : L'État réduira-t-il le temps de travail dans la fonction publique ?

Lionel Jospin : Il faudra examiner par exemple s'il n'est pas possible de réduire la durée du travail des fonctionnaires tout en allongeant les heures d'ouverture au public. Quand mari et femme travaillent, les démarches administratives deviennent souvent un casse-tête. Je crois possible, dans les grands services publics, de modifier par la négociation l'organisation du travail pour le plus grand bénéfice des usagers et des agents.

Libération : Vous appelez à des augmentations de salaires dans le secteur privé. L'État montrera-t-il l'exemple dans la fonction publique ?

Lionel Jospin : L'État montrera effectivement l'exemple en négociant avec ses salariés, comme il encouragera les entreprises à le faire. La négociation y portera de la même façon sur l'ensemble des éléments : le salaire, la durée du travail, l'organisation du travail et l'emploi. Il ne faut pas préjuger du résultat. L'ampleur récente de la dette de l'État ne permettra pas de faire tout à la fois, mais j'ai confiance dans la négociation avec les organisations syndicales pour trouver la meilleure solution.

Libération : Quelles modifications souhaitez-vous faire subir à l'impôt sur le revenu ?

Lionel Jospin : J'ai proposé que tous les revenus du capital, hormis ceux de l'épargne populaire (livret A, épargne logement, assurance vie de montant modeste), soient soumis au même prélèvement libératoire de 17 % que les actions et les obligations. Une autre proposition est de remettre à plat toutes les franchises et autres avantages fiscaux dont bénéficient les revenus et plus-values du capital d'un montant important.

Libération : Combattu par le PS, l'allègement fiscal de 45 000 francs pour l'emploi d'un salarié à domicile sera-t-il supprimé ?

Lionel Jospin : Cette exonération n'intéresse que ceux qui paient l'impôt sur le revenu et même que ceux qui paient un impôt important sur un revenu important. C'est donc une mesure « régressive » qui est à l'opposé du principe de progressivité de noire fiscalité directe.

Libération : Vous annoncez 50 milliards de francs d'économies budgétaires. Quels seront les postes et les ministères dont les crédits seront amputés ?

Lionel Jospin : Ce n'est pas à moi de répartir les économies à faire, qui ne toucheront évidemment pas au principe de stabilité d'emploi de la fonction publique, mais j'ai donné la méthode à suivre : l'utilité des dépenses de l'État sera évaluée en fonction de leur impact sur l'emploi.

Libération : Pour équilibrer les comptes de la Sécurité sociale, vous semble-t-il indispensable de supprimer dans d'hôpitaux ?

Lionel Jospin : Je défendrais l'hôpital public contre ceux qui veulent. Je remettre en cause, parce que c'est le premier garant de l'égalité d'accès aux soins pour tous. Il faut bien sûr prendre exemple des pratiques de terrain, de gestion et d'évaluation pour adapter le dispositif à la qualité et à la sûreté des soins et aux nouveaux besoins. De ce point de vue, plutôt que de fermer des lits d'hôpitaux, il me paraît plus urgent de les redéployer vers des besoins essentiels non satisfaits, en particulier à l'accueil et aux soins des malades du sida.

Libération : Pour financer le déficit de la Sécurité sociale vous engagez-vous à ne relever ni la TVA, ni la CSG ?

Lionel Jospin : Ce déficit est tel qu'il faudra le résoudre sur plusieurs années. Je propose pour ma part d'élargir la CSG sur l'ensemble des revenus du capital. Pour le reste, la croissance, qui ne doit pas être entravée p.tr de nouveaux prélèvement sur la consommation, de vraiment remettre un redressement progressif de l'équilibre des comptes.

Libération : À partir de quel niveau de revenue envisagez-vous de baisser les prestations familiales ?

Lionel Jospin : Compte tenu des aides directes et indirectes actuellement versées aux familles, une modulation est possible. Car une solidarité efficace suppose une solidarité mieux partagée. Il reviendra au gouvernement et au Parlement de débattre de cette question, mais cette modulation ne devrait concerner que les plus hauts revenus.

Libération : Si la Bundesbank allemande relève ses taux d'intérêt, la France maintiendra-t-elle le niveau actuel du franc, quitte à ce que la Banque de France relève ses propres taux ?

Lionel Jospin : La stabilité de la monnaie fait partie des acquis chèrement payés depuis 1983, après des décennies d'inflation endémique. Il n'est pas question de remettre en cause, ni en paroles ni en actes, la stabilité du franc.