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L'Hebdo : Alors que tout commande de développer les transports collectifs urbains, la France s'en donne-t-elle vraiment les moyens ?
Jean-Claude Gayssot : On peut difficilement nier la nette inflexion opérée par rapport aux politiques précédentes. Pour preuve, l'augmentation de 11 % des crédits alloués l'an dernier aux réseaux urbains de province et reconduite cette année. Ce qui, au regard de l'évolution générale du budget, représente un effort conséquent. Autre exemple, notre participation à différents projets de tramway pour un total de 131 kilomètres de nouvelles lignes. La marque d'un choix très clair. Si on ne développe pas les transports en commun, la situation va devenir invivable. La congestion urbaine due à une utilisation excessive de la voiture entraîne un gâchis de 2,5 milliards de francs par an pour le secteur public. On évalue à 120 millions le nombre d'heures perdues chaque année dans les embouteillages. Qu'on me comprenne bien, je ne suis pas contre l'automobile, mais contre l'asservissement de la ville à celle-ci. Je pense que les conducteurs seront gagnants le jour où ils pourront réellement choisir d'utiliser ou non leur véhicule. Dans les grandes métropoles, le trafic se situe de plus en plus de banlieue à banlieue. En région parisienne, 80 % de ces déplacements s'effectuent en voiture particulière, faute de moyens collectifs suffisants. Mais on peut inverser la tendance comme l'atteste l'ouverture des lignes en site propre Bobigny-Saint-Denis et Val-de-Seine. Elles dépassent largement toutes les prévisions de fréquentation. Et, fait non négligeable, elles permettent également de requalifier des espaces urbains jusqu'alors cloisonnés.
L'Hebdo : Se pose la nécessité d'un service public renforcé et amélioré. Est-ce compatible avec des entreprises de transport, privées comme publiques, guidées par la seule logique de rentabilité financière et qui ne voient dans l'usager qu'un client ?
Jean-Claude Gayssot : Je suis très attaché au service public. Que ses missions soient accomplies par une entreprise nationale ou concédées à une société privée avec un cahier des charges très strict pour éviter tout dérapage. Je ne crois pas qu'on puisse l'assurer correctement avec une vision étroitement capitaliste de rentabilité à court terme. La recherche de bénéfices n'intègre pas le coût social. Nous devons avoir une approche plus conquérante de cette question. Par exemple, la nécessité d'une présence humaine forte ne doit pas être perçue comme une charge supplémentaire, mais comme un moyen de renforcer l'attractivité des transports en commun. On peut accroître leur fréquentation si on améliore l'offre en matière de dessertes, de fréquences, de régularité, de confort, de sécurité, de tarif. J'ai bon espoir à en juger par ce qui se passe dans un certain nombre de grandes métropoles et de villes moyennes.
L'Hebdo : À propos de présence humaine, son recul se révèle l'une des causes majeures d'insécurité. Vous proposez de recourir aux emplois-jeunes. La solution ne passe-t-elle pas plutôt par des emplois durables et qualifiés ?
Jean-Claude Gayssot : Je n'oppose pas les deux choses, d'autant que pour moi, les emplois-jeunes ont vocation à être pérennisés. Quant aux emplois à statut, indispensables, ils se posent à la fois en termes d'embauches et de redéploiement. Il convient d'en débattre, en appréciant là aussi ce qui bouge : 1 800 personnels supplémentaires auprès de voyageurs sur trois ans à la SNCF et 750 à la RATP auxquels s'ajouteront près de 2 500 emplois-jeunes. Des jeunes dont certains, recrutés dans des quartiers sensibles, peuvent aider à renouer le dialogue. En Île-de-France, le nombre de gares ouvertes passera de 36 à 53 d'ici la fin de l'année et à 143 en 1999. Insuffisant ? Sans doute, mais je rappelle qu'il y a eu 81 000 cheminots en moins depuis 1985 sans que ni les uns, ni les autres, nous ne soyons parvenus à enrayer ce mouvement. Aujourd'hui, c'est fait. Ce n'est quand même pas rien.
L'Hebdo : Offrir des transports en commun modernes et accessibles à tous coûte cher. Ne faut-il pas revoir leur mode de financement ? En indiquant le « versement transport » sur le chiffre d'affaires des entreprises et non leurs effectifs et en récupérant un peu de la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Entre autres.
Jean-Claude Gayssot : Les bonnes idées ne manquent pas et je ne tiens pas à le décourager. Celles que vous évoquez seront abordés lors de la discussion de la loi de finances 2000. Sans attendre, je propose d'élargir l'assiette de la taxe alimentant le fond d'aménagement de la région Île-de-France. Désormais, les commerces de plus de 300 m2 et les entrepôts y contribueront au même titre que les bureaux. Je pense qu'il y a aussi des choses à faire sur la TVA, à l'image de ce qu'on vient de réaliser pour le logement social. Sa réduction pour les travaux de réhabilitation et de gros entretien contribue à relancer les activités du bâtiment. Incontestablement, le financement des transports collectifs pose problème, mais n'est pas sans solution. Dans les mois qui viennent, plusieurs occasions de traiter sérieusement ces questions vont se présenter : l'élaboration des contrats de plan, celle des schémas de service transport et le débat que je souhaite lancer sur la mobilité urbaine. Autant d'opportunités à saisir pour exprimer les besoins, avancer des propositions et déterminer les moyens de leur concrétisation. On ne saurait faire l'économie d'un débat démocratique.
L'Hebdo : Débat préalable qui aurait pu être évité certains choix discutables, tel Orly-Val ou Météor. Une politique de transports publics digne de ce nom peut-elle se mener en laissant de côté les usagers et les personnels concernés ?
Jean-Claude Gayssot : Évidemment non, puisqu'elle concerne à la fois les transporteurs et les transportés. Je suis un farouche partisan de croiser l'avis des experts d'en haut avec celui des experts du terrain, c'est-à-dire les élus, les syndicalistes, les associations. C'est le meilleur moyen pour que les choix proposés correspondent à l'attente des gens. Bien sûr, des contradictions surgissent, mais il ne faut pas les craindre. On ne perd jamais à oser la démocratie. S'agissant de la politique à mener, je considère qu'il faut changer de priorité. Jusqu'à présent, on a privilégié la route, il importe désormais d'inverser la tendance en faveur des transports collectifs. Sans aller jusqu'à l'interdiction de la voiture en ville. Une récente enquête souligne qu'un nombre grandissant de gens considèrent les transports en commun comme la réponse moderne à nos problèmes de société, voire de civilisation. Moi aussi.