Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, à France Inter le 10 décembre 1998, sur la polémique l'opposant à Bruno Mégret au sein du Front national.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q - L'imprimatur du chef est publiquement mis en cause par B. Mégret. Êtes-vous, ce matin, politiquement encore vivant ?

« Oui, je pense, parce que le putsch qui a été tenté et qui tente de se développer a évidemment échoué, car il reposait sur l'effet de surprise, sur la violence et sur la préméditation. Malheureusement, il se situe hors des statuts et hors des règles de notre mouvement. Le président du FN est élu pour trois ans, comme le président de la République l'est pour sept. J'ai été élu à Strasbourg il y a un an, à l'unanimité, et par conséquent, j'entends poursuivre mon office, remplir ma mission jusqu'en l'an 2000.

Q - B. Mégret dit lui aussi qu'il est élu, qu'il l'a été par le comité central et que le seul comité central peut lui retirer sa délégation ?

« Moi j'ai été élu par l'assemblée générale, et le poste de délégué général ne figure pas dans les statuts du mouvement. C'est un poste que j'avais créé spécialement pour monsieur B. Mégret, et comme son nom l'indique, c'est une délégation. Par conséquent, c'est un pouvoir délégué. Quand le déléguant retire la délégation, le délégataire n'est plus rien. »

Q - Mais faut-il comprendre que vous êtes le propriétaire du FN ?

« Pas du tout, mais j'en suis le fondateur, j'en suis le président, et à ce titre j'ai en charge son unité et la discipline du mouvement. »

Q - Sans aucun débat à l'intérieur ?

« Bien sûr que si. »

Q - La preuve que non.

« Mais bien sûr que si. Mais l'opération de M. Mégret n'a jamais été débattue devant le bureau politique auquel il appartient. J'en prends un exemple : quand le bureau politique m'a demandé il y a quelques semaines d'être tête de liste aux élections européennes, à l'unanimité, dont la voix de monsieur B. Mégret. Cet organisme se réunit une fois tous les quinze jours. Il comporte quarante membres. Il y a donc toujours la possibilité d'ouvrir là une discussion que M. Mégret et ses séides n'ont jamais voulu ouvrir. Pourquoi ? Parce que c'était de l'extérieur qu'ils préparaient une opération-commando sur le mouvement pour s'efforcer de me remplacer et de prendre les leviers de commande. D'ailleurs, on fait des menaces au FN sur le personnel. On leur dit : « attention, attention, c'est nous qui allons être les patrons ici. » Ce jour n'est pas venu. »

Q - Il paraît que dans les couloirs du Front, certains parlent d'un parti stalinien où on se fait fouiller quand on sort, etc. C'est dire le climat qui règne !

« Vous pensez que les immeubles sont staliniens à partir du moment où on fouille ? »

Q - Je cite les propos d'un militant ?

« Je vais vous dire pourquoi on fouille : c'est parce que le personnel de la délégation générale, par exemple, a enlevé tout le matériel des ordinateurs, enlevé tous les logiciels, il l'a sorti de la maison. »

Q - Quelle image du débat politique quand même…

« Oh, écoutez, écoutez ! Vous en avez bien d'autres dans les autres partis politiques. »

Q - Est-ce qu'au fond, un congrès ne donnerait pas le moyen d'avoir la vraie lecture, aujourd'hui, de la réalité du FN ?

« Mais quelle lecture ? »

Q - Mais de savoir qui veut quoi et comment ?

« Il y a des institutions. Je vous ai, tout à l'heure, cité le cas du président de la République. Ce n'est pas parce qu'il y aurait des incidents, soient-ils graves, qu'on réclamerait un référendum dans le sud de la France et qu'on mettrait en cause la durée du mandat du Président. M. Mégret, je comprends qu'il ait de l'impatience, cela se voit, mais il peut attendre deux ans. Il pouvait d'ailleurs, l'an dernier, se présenter contre moi, mais il était à ce moment là mon fidèle serviteur. »

Q - Mais est-ce que de fait, tout déjà n'est pas engagé ? Quand on voit – en tout cas la lecture des journaux ce matin – que les élus régionaux les uns après les autres sembleraient basculer du côté de M. Mégret, et même, tenez ! Dans les pays de Loire, c'est-à-dire le fief de votre propre gendre, S. Maréchal !

« Un élu régional, vous savez, n'a pas d'autre voix au FN – au congrès – que celle d'un simple adhérent. Par conséquent, tout cela ce sont des apparences. M. Mégret mène depuis plusieurs mois, peut-être même un peu plus, une action de subversion, de séduction et d'intrigue auprès des élus grâce à un organisme qui s'appelle l'Institut de formation nationale – qui est assez bien doté financièrement, qui permet d'inviter les gens dans les grands hôtels et leur offrir un dîner –, et il se fait comme cela une petite cour d'élus auxquels d'ailleurs on promet, à travers une perspective politique d'union, ou d'association avec la droite, de transformer les élus régionaux en députés. Et ça, ça chatouille toujours un élu de penser qu'il pourrait être député. »

Q - Quelle image donnez-vous ce matin de ce parti politique que vous avez si longtemps voulu montrer en exemple et où, à vous écouter, tout était possible, y compris certaines magouilles financières ?

« Quelles magouilles financières ? »

Q - Mais quand vous dites, apparemment qu'il se servait, comme cela, de l'argent ?

« Non, non. »

Q - Vous avez montré souvent le FN comme un parti exemplaire ?

« Je ne vous ai pas dit cela. J'ai dit qu'il y avait un organisme chez nous sur lequel monsieur B. Mégret a la haute main, c'est l'Institut de formation nationale. Cet institut bénéficie de la part des régions, de la part des communes, etc., d'un budget important, budget que M. Mégret a mis au service de sa propre propagande. Mais ce n'est pas le problème. J'ai là un document strictement personnel et confidentiel qui comprend trente pages. C'est un vade-mecum de l'agitation interne du FN. Et ceci est fait par des membres du bureau politique qui siégeaient devant moi les yeux dans les yeux, en toute loyauté. Le contenu est révélateur qu'ils étaient en train d'essayer de saper les institutions auxquelles ils appartenaient. Qu'est-ce que c'est ? De la subversion. »

Q - N'y a-t-il pas aussi au fond toute une succession d'aveux, ces jours-ci, y compris d'ailleurs celui du racisme et de l'extrémisme ? Si vous dites que M. Mégret est raciste, c'est que vous reconnaissez qu'il y a du racisme au FN ?

« Je n'ai pas dit cela. »

Q - Vous avez dit cela sur l'antenne de RTL ?

« Non, je suis très précis, moi. Évoquant la tenue du conseil national qui devait entendre, sur son ordre du jour, l'exposé des mesures proposées pour la campagne européenne, j'ai été interrompu brutalement, violemment, par un petit groupe d'hommes supporters de M. Mégret et qui appartient, on peut le dire, – chaque parti a son extrême – à l'extrême droite de notre mouvement. À ce moment là, un de nos élus, noir, S. Durbet, conseiller régional de Marseille, a été pris à partie par certains de ces gens-là et s'est fait traiter de « négro ». C'est ce que j'appelle une attitude raciste et c'est celle-là que j'ai relevée. Elle est le fait d'un certain nombre d'excités, de supporters de M. Mégret. Mais M. Mégret n'a pas, comment dirais-je, condamné cette attitude. »

Q - Vous êtes le président d'un mouvement qui s'appelle le FN et publiquement, vous dites qu'il y a du racisme dans ce mouvement ?

« Non, je n'ai pas dit cela. Je viens de vous le préciser, Monsieur, que ce n'était pas le cas… »

Q - Ce n'est pas un mot indifférent dans votre bouche ?

« C'était circonstanciel. Peut-être l'ont-ils dans le fond du coeur. Mais pourriez-vous juger que dans cette maison ou au Parti communiste, au Parti socialiste, il n'y a pas de racistes ? Vous ne jureriez, n'est-ce pas ? »

Q - La réalité de la situation à laquelle vous êtes confronté ce matin, si 20 % des adhérents du FN réclament la tenue d'un congrès, est-ce que vous n'êtes pas obligé d'accéder à leur demande ?

« Mais il y a des conditions de légalité qui doivent être remplies et qui paraissent ne pas être remplies. Je veux dire que politiquement, demander un « congrès de l'unité », entre guillemets – je serais tenté de dire sic – pendant la campagne électorale européenne où va se jouer le sort de la France, à travers l'approbation ou la condamnation du traité d'Amsterdam, c'est un crime contre le pays. On sait très bien qu'un congrès, surtout dans ces circonstances, va se traduire par une compétition, par des affrontements. »

Q - Ou par deux listes au FN ?

« Peut-être, c'est un problème. Mais ceux qui prétendent faire un congrès pour renforcer l'unité du FN se moquent du monde, il y a un président du FN. Il y a un bureau politique du FN, il y a des institutions qui maintiennent son unité. Vouloir aujourd'hui provoquer un congrès extraordinaire, c'est saboter le FN, c'est le diviser et c'est l'empêcher, en tous les cas le gêner dans le combat qu'il doit mener pour les élections européennes où justement il avait en cette circonstance, une chance extraordinaire, puisque sur l'espace des 50 % de gens qui avaient voté contre Maastricht, il n'a pratiquement pas de concurrent. Et donc la possibilité non seulement de passer la barre des 20 %, mais même d'aller bien au-delà. »

Q - Il est évident pour tout le monde et j'imagine pour vous aussi, ce matin, qu'il n'y a pas d'unité au FN ?

« Là, il semble qu'il y a une crise. Oui cela me paraît… »

Q - Votre mouvement y résistera-t-il ?

« Je le souhaite. Je suis là pour ça. Je suis le garant de l'unité du FN, je suis le garant de son équilibre, je n'ai jamais laissé un clan l'emporter sur un autre, ni une famille ni une tendance. C'est cet équilibre qui a permis au FN d'exister, de se renforcer, et d'exister comme une force politique en France. »

Q - C'est le chef qui compte ?

« Pas seulement, mais c'est le chef qui est le gardien, comme dans la République, vous savez bien. Nos institutions sont somme toute copiées sur celles de la Ve République. »