Texte intégral
Michèle Cotta
Bonjour. Les Français et leur santé. La Sécurité sociale pour tous, la Sécurité sociale universelle, est-ce possible surtout à un moment où tous les gouvernements depuis des années dénoncent les dérives des dépenses de santé ? Le dopage, la drogue, la douleur, nous parlerons de tous ces aspects avec tous nos interlocuteurs, Bernard Kouchner, secrétaire d’Etat à la Santé et à l’Action sociale, Jean-François Mattei, député Démocratie libérale des Bouches-du-Rhône, médecin pédiatre et chef de service à la Timone à Marseille ainsi que Daniel Annequin, responsable de l’Unité d’analgésie c'est-à-dire de lutte contre la douleur à l’hôpital Trousseau de Paris, Valérie Fourneyron, médecin spécialiste du sport et premier adjoint au maire de Rouen, Pascal Hervé, numéro 2 – je crois qu’on peut le dire – de l’équipe Festina accompagné de son avocat maître Gilbert Collard. Alors avant de nous lancer sur la santé, Bernard Kouchner, quelques questions plus politiques à vous poser, à poser au membre du gouvernement Jospin que vous êtes. Nous allons vous les poser avec Sylvie Pierre-Brossolette du Nouvel Economiste, Jacques Chirac est remonté au front. A Rennes, il vient de prononcer un discours politique important sur la modernisation de la vie publique. Jacques Chirac, est-ce qu’il reprend du service pour vous ? Est-ce qu’il reprend du service dans la cohabitation ? Parce qu’il la menace en quelque sorte.
Bernard Kouchner
Moi, j’ai remarqué pour le voir souvent qu’il n’avait jamais cessé d’être en service. Mais j’ai trop de respect pour le président pour dire que Jacques Chirac sort du bois. Non, je pense qu’il reprend ou il souhaiterait – je n’en sais rien – reprendre de l’importance par rapport à sa propre majorité qui, apparemment, monsieur Pasqua quittant les instances supérieures du RPR, entre l’UDF et le RPR, ça ne va pas bien, je pense que c’était l’objectif. Mais qu’a-t-il dit ? Il a parlé de la parité. Ca tombe bien. Le président de la République s’intéresse à la parité. Nous allons la faire dans les mois qui viennent. Il a parlé aussi d’aménagement du territoire. La loi vient. Et puis, il a parlé du service minimum. Si vous permettez, il a parlé du service minimum en plein conflit ce qui, là, peut-être est un peu discutable.
Sylvie Pierre-Brossolette
Cela dit, est-ce que vous ne pensez pas que ce discours de Rennes montre que Jacques Chirac est un peu plus candidat que président aujourd’hui ? Enfin, je ne sais pas comment vous l’interprétez. Et si c’est le cas, est-ce que ça peut durer trois ans ou est-ce que son entrée en lice à Rennes ne présage pas d’une accélération du calendrier politique que ce soit avec une présidentielle ou des législatives anticipées ?
Bernard Kouchner
Je le sais trop fin politique pour voir un processus s’accélérer etc. Non, la cohabitation marche bien, je crois, il a pris…
Michèle Cotta
Ca doit être quand même dur de rester trois ans comme ça.
Bernard Kouchner
Pourquoi ?
Michèle Cotta
Non ? Si vous ne trouvez pas ça dur, nous non plus alors.
Bernard Kouchner
Enfin franchement, prenons les sujets…
Sylvie Pierre-Brossolette
Pour vous, il est candidat depuis avant-hier ?
Bernard Kouchner
Il faut le lui demander. Moi, je pense qu’il est candidat mais enfin, ça, c’est mon opinion personnelle. En tout cas, il est président de la République. Nous respectons absolument ses prérogatives et la cohabitation se déroule bien. Et il est intervenu dans trois domaines. Alors les deux, nous sommes en train de les faire. Alors, il doit être content de la gauche. Quant au service minimum, alors franchement, le service minimum au milieu d’un conflit, ça ne me paraît pas souhaitable.
Michèle Cotta
Oui mais c’est très populaire.
Bernard Kouchner
Oui, mais c’est très populaire, je le comprends. J’ai vu le sondage comme vous. Mais vous savez, moi, je connais le service minimum. A l’hôpital, il y a un service minimum, une sorte de service minimum. On peut en discuter avec les partenaires autour d’une table à mon avis pas dans un conflit et pas de manière brutale. Je suis partisan des diplomaties préventives. Je pense qu’il faut aménager avant les conflits. Service minimum, pourquoi ne pas en parler puisque les Français sont pour.
Michèle Cotta
Oui, mais vous, vous êtes pour ? On a l’impression quand même que monsieur Gayssot est assez contre en disant finalement « un service minimum dans les transports, ça équivaut à mobiliser les trois quarts du personnel. Donc, c’est attentatoire au droit de grève ». Vous, vous pensez que c’est attentatoire au droit de grève ou pas ?
Bernard Kouchner
Je pense qu’il faut si on l’envisage et je crois qu’on peut l’envisager puisqu’à l’hôpital par exemple, on l’envisage, le construire avec les partenaires et sans doute pas au milieu d’un conflit. C’est pour ça que monsieur Gayssot en effet a raison de dire que, non que ce soit attentatoire au droit de grève, mais pas question d’en parler maintenant.
Sylvie Pierre-Brossolette
Jacques Chirac dans son discours de Rennes a fait des propositions pour moderniser la vie politique. Il a omis de parler du quinquennat ce que regrette apparemment Valéry Giscard d’Estaing. Est-ce que vous-même vous pensez que le quinquennat est la clé de toute modernisation de la vie politique ?
Michèle Cotta
Et puis peut-être, moi, j’ai envie de vous demander ce que c’est que la démocratie de proximité pour vous ? Qu’est-ce que la démocratie de proximité ?
Bernard Kouchner
La démocratie de proximité, c’est donner plus de pouvoir, favoriser d’abord la parole échangée tout près, c’est donner plus de pouvoir aux maires, aux représentants élus…
Michèle Cotta
Vous êtes d’accord avec Jacques Chirac là-dessus ?
Bernard Kouchner
Bien sûr. Représentants élus de proximité, c’est le rôle des associations aussi dans la vie politique. Tout ça n’est pas une déclaration de guerre, au contraire. Et puis alors, permettez-moi de vous dire que n’étant ni Giscard d’Estaing, ni Jacques Chirac, je ne peux répondre à leur place.
Sylvie Pierre-Brossolette
Mais vous avez bien une idée sur le quinquennat ?
Bernard Kouchner
Oui. Moi, je ne suis pas contre le quinquennat. Mais je pensais que Jacques Chirac, le président de la République, un jour, sortirait le quinquennat de sa manche. Peut-être va-t-il le faire ? Laissons-le… Enfin, je ne vais pas aussi caractériser les « états » du président. Je ne sais pas quelle est sa pensée.
Michèle Cotta
Est-ce que, pour vous, Jospin doit-il passer à l’offensive ? Est-ce que Lionel Jospin se disant un peu remis en cause ou remis face à Jacques Chirac, est-ce qu’il doit reprendre l’offensive ?
Bernard Kouchner
Si l’offensive, c’est dès que le président de la République dit un petit mot, dire le contraire, je ne le pense pas. Si une polémique stérile succède à une autre polémique, je ne le pense pas. Mais l’offensive qui consiste avec difficulté parce que c’est compliqué à faire passer un certain nombre de lois qui caractérisent les réformes du Gouvernement, alors nous sommes à l’offensive en permanence. C’est peut-être même ça qu’on nous reproche. Il y a une telle tension en termes de travail pour que ces textes indispensables passent. Mais souvenez-vous, on a dit la même chose au moment où on a voulu faire passer les 35 heures, les lois jeunes, la loi contre l’exclusion « ça ne serait pas possible, il y aurait trop de travail ». Non seulement ces lois sont passées, elles caractérisent véritablement le septennat et elles produisent leurs effets. 160 000 jeunes au travail supplémentaires selon la forme que nous avons voulue. 750 contrats passés pour les 35 heures ce qui n’est qu’une étape. Ce n’est pas si mal que ça.
Sylvie Pierre-Brossolette
Mais enfin quand même, la majorité plurielle n’a pas l’air d’aller très, très bien. Est-ce que Jospin ne doit pas les reprendre en main du PC aux verts jusqu’aux socialistes qui traînent les pieds parfois pour certains textes ? Comment vous considérez par exemple les prises de position répétées de Daniel Cohn-Bendit et Dominique Voynet sur les sans-papiers ? Même Robert Hue qui se joint à eux pour réclamer un geste au Gouvernement. C’est ça, la solidarité gouvernementale ?
Bernard Kouchner
Ca, c’est la discussion libre. Et après, il y a une décision à appliquer. C’est vrai que ça étonne un peu, moi-même d’ailleurs qui ai connu d’autres Gouvernements qu’on s’exprime aussi librement d’accord au sein du Gouvernement dans les réunions que nous tenons où, c’est vrai, nous ne sommes pas d’accord. Mais enfin, franchement, on ferait semblant d’être d’accord, personne ne le croirait surtout sur les sujets que vous avez évoqués.
Sylvie Pierre-Brossolette
Mais là, une décision a été prise sur les sans-papiers, donc…
Bernard Kouchner
Oui, une décision a été prise, une loi a été votée. En effet, maintenant, certains s’expriment et je le comprends. Ne laissons l’apanage du cœur à personne. S’il s’agit de se prononcer avec sentiment, avec compassion, avec solidarité, comme on veut, bref, parce qu’on se sent proche des gens qui, chez nous, en effet, se trouvent dans une situation après être régularisée qui humainement nous émeut, je le comprends. Ils le disent, c’est normal. Une loi est votée. Nous allons voir mais plus haut si j’ose dire ou plus largement. On se rend mal compte. Il y a un numéro de la revue de l’UNESCO qui est sorti hier. C’est formidable… les frontières, qu’est-ce que ça va être ? Je ne réponds pas à côté, je réponds en plein dans le sujet. Bientôt, il n’y aura plus de frontières. On laissera passer les hommes comme on laisse passer les capitaux et les marchandises. Ce n’est pas pour demain mais c’est cette terre là qu’il nous faut penser. Il est vrai que, entre la pauvreté et la richesse, les flux s’organiseront. Organisons-les, pas dans l’anarchie. C’est difficile. Nous abordons un vrai siècle nouveau. Pour ça, on ne va pas se contenter de boucler nos frontières. C’est une réponse européenne et une réponse mondiale qu’il faut. Alors que les gens s’expriment à ce propos, Dominique Voynet. Cohn-Bendit que je n’ai pas remarqué dans le Gouvernement, lui, il dirige une liste européenne des Verts.
Michèle Cotta
Et c’est votre ami Cohn-Bendit.
Bernard Kouchner
Non, mais il y a plein d’amis qui ne sont pas dans le Gouvernement. Lui n’est pas dans le Gouvernement.
Michèle Cotta
Est-ce que vous pensez quand même que c’est un formidable trublion à avoir mis dans la majorité plurielle c'est-à-dire qu’avec lui, la majorité plurielle…
Bernard Kouchner
Moi, je trouve le débat avec lui très intéressant et passionnant et ce n’est pas moi qui l’ai mis dans la majorité plurielle.
Michèle Cotta
Il est le bienvenu alors. Ca vous paraît dangereux ou pas ?
Bernard Kouchner
Dangereux pour qui ? Pour le débat, certainement pas et le débat est toujours bon. Certainement pas. Et je crois que, en particulier – enfin, ça dépend. Il y a d’autres idées qui l’agitent – sur l’Europe, faire que l’Europe soit proche dans tout ce dont nous avons parlé, l’Europe se situe pour les chemins de fer qui nous intéressent en ce moment, pour les sans-papiers, pour le froid qui est dans nos rues, une décision sur les migrants, une décision sur ces flux. Quota, je ne sais pas mais organiser des flux. Tout ça, c’est l’Europe. Pardon « Quota, je ne sais pas », franchement, c’était mauvais mais je n’ai pas fait exprès.
Sylvie Pierre-Brossolette
Mais alors quelle est la meilleure contre-attaque pour le Parti socialiste lors des européennes ? Bon, vous faites désormais partie du Parti socialiste. Pour vous, quelle est la meilleure tête de liste pour contrebalancer cette influence et ce charme de Daniel Cohn-Bendit auquel vous semblez sensible ?
Bernard Kouchner
Je baisse les yeux, je ne sais pas répondre. Je ne sais pas. François Hollande, Jack Lang.
Sylvie Pierre-Brossolette
Quel est le profil robot ?
Bernard Kouchner
Jack Lang, oui, il y en a plusieurs.
Michèle Cotta
Vous n’en savez rien.
Bernard Kouchner
Comment voulez-vous que je le sache ? Personne n’en sait rien.
Sylvie Pierre-Brossolette
Vous avez bien un préféré ?
Bernard Kouchner
Un préféré ? Moi, j’aimerais bien Jack Lang.
Michèle Cotta
Et vous-même, vous y pensez ?
Bernard Kouchner
Mais personne ne me le propose. Alors que j’y pense… ça me fait mal et creuse mon ulcère que je n’ai pas. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? On m’a déjà dit ça trois fois y compris devant Cohn-Bendit « et vous et vous ». Moi, je suis au Gouvernement et avec une loi très – enfin, ce n’est pas une loi. Oui, d’ailleurs, ça sera une loi un jour - pas de cumul. Donc, je suis très content d’être au Gouvernement. Ce n’est pas toujours facile, croyez-moi. Avec la santé qui n’est déjà pas simple, il y a l’Action sociale. Donc, je ne peux pas tout faire et il n’en est pas question.
Michèle Cotta
Alors, une question sur le Front national puisque vous avez vu hier – tout le monde l’a vu d’ailleurs – que l’affrontement entre monsieur Le Pen et monsieur Mégret bat son plein. Est-ce que vous pensez que c’est une bonne chose que le Front national ne présente pas ce front uni ? Est-ce que c’est une bonne chose qu’il se divise pour la gauche ou est-ce que, au contraire, c’est une bonne chose pour la droite qui risque de récupérer une partie des électeurs du Front national ?
Bernard Kouchner
Je poserais les choses différemment. Est-ce que c’est mieux qu’il explose ou qu’il implose ? Moi, je préfère qu’il implose. Et on voit bien qu’à l’intérieur de cette machine à exclure, de cette machine plus qu’excessive, intolérante, dangereuse, eh bien, il y a aussi des conflits d’hommes, des petits et des grands, les mêmes conflits pour les mêmes raisons de pouvoir. Ca démystifie un peu l’image – comment dirais-je ? – du « pas de l’oie ».
Sylvie Pierre-Brossolette
L’élection de Charles Million à la tête de la région Rhône-Alpes risque fort d’être annulée la semaine prochaine.
Bernard Kouchner
Je ne pleurerai pas.
Sylvie Pierre-Brossolette
Est-ce que vous pensez qu’il faut que la droite et la gauche classiques s’organisent pour présenter quelqu’un contre Charles Million s’il se représentait ?
Bernard Kouchner
Hypothèse de travail. Nous verrons la décision du Conseil d’Etat. Et puis, je n’en sais rien. Mais que la gauche et la droite s’organisent, ça ne me paraît pas mauvais face à une situation de blocage comme celle-là en effet encore faut-il que ce soit sur des projets et encore faut-il qu’ils en discutent. C’est pareil. On parlait de la proximité de la vie politique. Nous ne pouvons pas comme ça de Paris dire « organisez-vous ». Ils ont dû y penser. Personnellement, moi, j’en serai partisan, personnellement.
Michèle Cotta
Peut-être un dernier mot sur la réforme de l’audiovisuel. Est-ce que ce rejet, enfin, ce délai, ce…
Bernard Kouchner
Ce report.
Michèle Cotta
Ce report et ce délai à cette loi, est-ce que ça vous paraît une bonne chose ou le signe d’une impréparation dans un monde où tout le monde fait des lois tout le temps ?
Bernard Kouchner
D’abord, on en fait beaucoup. Donc, ça nous permettra de souffler.
Michèle Cotta
Ca veut dire beaucoup trop ?
Bernard Kouchner
Elles sont toutes nécessaires mais l’état des lieux, je veux dire, des députés et des gens qui travaillent au sein de l’Assemblée nationale et du Sénat, tout ça les mettent à rude épreuve. Alors, c’est un report. Réfléchissons. Moi, j’ai une habitude peut-être un peu plus de mémoire…
Michèle Cotta
Vous ne pouviez pas réfléchir avant ?
Bernard Kouchner
Si, c’est mieux en général. C’est mieux, ça, je le reconnais. Mais en général, les lois sur l’audiovisuel ne portent pas bonheur. Méfions nous de cela. Et puis, faut-il avoir tant de lois sur l’audiovisuel ? Pourquoi ne pas faire une bonne télévision, ce serait si… enfin, je ne sais pas.
Michèle Cotta
Passons aux dépenses de santé si vous le voulez bien. Elles restent considérables malgré tous les plans Juppé, Aubry et Kouchner. Elles sont d’ailleurs reparties à la hausse depuis février dernier, le point par Jean-Michel Mercurol.
Martine Aubry (Ministère de l’Emploi et de la Solidarité)
Il y a des gâchis, des gaspillages, des excès de prescription, des examens redondants ou inutiles.
Jean-Michel Mercurol
100 milliards de francs de gâchis par an sur un budget de 600 milliards. L’estimation vient tout droit de la Direction de la caisse maladie et cette année encore, le plafond des dépenses prévu a été crevé. 7 % de hausse par exemple sur les 50 000 médecins spécialistes conventionnés d’où le choix de l’Etat de les pénaliser financièrement.
Gérard Morvan (Radiologue)
On ne fait pas des économies en disant « on va taper sur la tête des gens, on va réduire les honoraires ». En fait, on arrive à faire des économies en faisant de la qualité.
Jean-Michel Mercurol
Les spécialistes rejettent toute sanction collective mais les généralistes, eux, sont d’accord.
Bruno Deloffre (Médecin généraliste)
A partir du moment où on est médecin conventionné, on est responsable des dépenses que l’on induit vis-à-vis de la société et vis-à-vis des assurés sociaux. La moindre des choses, c’est effectivement d’assumer cette responsabilité.
Jean-Michel Mercurol
Pour parvenir à l’équilibre des comptes en 99, l’Etat compte sur la coopération des prescripteurs. Mais les médecins spécialistes qui voient déjà les revenus baisser fauter d’accord avec les caisses s’insurgent contre la logique punitive de la loi. Selon eux, la vision comptable du gouvernement conduit inéluctablement au rationnement des soins. En attendant la grève des cabinets médicaux d’ici la fin de l’année, les radiologues par exemple n’ont pas hésité à stopper la campagne de dépistage du cancer du sein. Bref, tout une guérilla dont peuvent faire les frais les malades mais aussi les contribuables.
Débat sur la politique de la santé en présence de Jean-François Mattei
Michèle Cotta
Alors, nous avons donc rejoint le professeur Mattei qui est professeur de pédiatrie à Marseille, à la Timone qui est aussi député Démocratie Libérale, le mouvement d’Alain Madelin. Monsieur Mattei, merci donc d’avoir accepté ce débat et puis nous passerons après à tous les problèmes de santé mais sur la politique de santé, qu’est-ce que vous répondez, Bernard Kouchner quand Alain Madelin dit « le plan Aubry, donc le vôtre, c’est le plan Juppé en pire et, est-ce qu’il n’a pas raison de dire que la condamnation collective des médecins aboutit à faire condamner un médecin vertueux et un autre qui le serait beaucoup moins ?
Bernard Kouchner
Deux questions très différentes. Le plan Juppé en pire, non. D’ailleurs, ce sont les mêmes qui ont accepté le plan Juppé qui critiquent maintenant notre plan. Tout cela est un peu polémique, si je peux me permettre. Mais s’il ne faut pas dépenser plus que ce qu’on a, comment mettre un litre et demi dans un litre, ça oui, c’est la même problématique. Ce qui est important et je crois qu’avec Jean-François Mattei, nous serons d’accord là-dessus, c’est de poursuivre dans un système de soins, un prise en charge des Français, qui soit performante, qui ne sélectionne pas les risques, et qui ne rationne pas les soins nécessaires. Mais « soins nécessaires », quand je dis « nécessaires », il y en a des tas qui sont excessifs et qui grèvent le budget. Alors attendez, pour répondre à la deuxième question, un médecin vertueux par rapport à un médecin qui ne le serait pas. C’est vrai qu’il faudrait s’approcher au plus près d’abord de la région et puis faire des différences par spécialité. Mais, nous n’avons pas envie de sanctionner les médecins, nous devons leur faire comprendre, et ils doivent le comprendre, si cela ne tient pas, nous aurons un système pire parce que les dérives sont mondiales. Et donc, nous ne voulons pas les sanctionner mais nous voulons leur signifier qu’il ne faut pas dépasser un certain seuil de dépenses.
Michèle Cotta
Alors Jean-François Mattei, je ne sais pas si vous êtes d’accord avec Bernard Kouchner mais vous vous êtes déclaré « consterné » par le projet de loi.
Jean-François Mattei (Député Démocratie Libérale)
Oui, je suis consterné par le projet de loi mais je voudrais d’abord répondre à Bernard Kouchner qui, avec le sens de la polémique – d’ailleurs adapté à cette émission – a remarqué que c’était les mêmes qui avaient acceptés le plan Juppé qui aujourd’hui critiquaient. Alors, permettez-moi d’abord de vous renvoyer la balle car vous avez critiqué le plan Juppé, c’est là-dessus que vous avez fait campagne en disant aux médecins que vous ne les sanctionneriez pas comme le faisait Juppé. Vous avez naturellement compris qu’il fallait le faire dans votre vision des choses. Et aujourd’hui, c’est effectivement la sanction collective aggravée car vous n’avez rien fait d’autre que d’ajouter des mesures invraisemblables. Alors, on ne va pas… On ne va pas s’appesantir là-dessus…
Michèle Cotta
« Invraisemblables », cela veut dire quoi ?
Jean-François Mattei
« Invraisemblables », cela veut dire que…
Bernard Kouchner
Nous n’avons pas sanctionné simplement les médecins, Jean-François Mattei, mais l’industrie du médicament ce qui nous paraissait logique.
Jean-François Mattei
Non, si vous ne m’aviez pas interrompu, vous m’auriez laissé aller jusqu’au bout et je vous aurais dit…
Bernard Kouchner
Oui c’est… c’est pour cela que je l’ai fait !
Jean-François Mattei
… Que vous avez inventé une structure qui est invraisemblable, c'est-à-dire la variation au cours de l’année de la valeur de l’acte c'est-à-dire la lettre clé flottante. Ca, c’est une invention je dois dire qui est assez exceptionnelle. Alors, en revanche, ce que je veux dire et où nous sommes d’accord, c’est qu’il faut voir les choses différemment. Et moi, je fais volontiers mon mea culpa. J’ai défendu le plan Juppé qui est un excellent plan à l’exception de cette réversion car il est absolument inique et injuste de sanctionner collectivement les médecins dans leur exercice. Alors, la différence entre vous et moi, vous me direz que c’est peut-être plus facile dans l’opposition que dans la majorité mais entre vous et moi, la différence c’est que j’ai compris que nous ne ferions pas une réforme de l’assurance maladie et de notre système de soins si nous n’emportions pas l’accord et l’adhésion totale des médecins. Et donc, je pense qu’il faut innover et je pense qu’il faut sortir de cette maîtrise, qu’on l’appelle comptable, qu’on appelle médicale, elle a commencé en 80, avec Jacques Barrot et les conventions, elle s’est poursuivie, on a eu le plan Evin, le plan Teulade, le plan Juppé, le vôtre maintenant. Il faut en sortir car nous n’aboutissons pas. On ne peut plus augmenter les cotisations. On ne peut pas diminuer les remboursements et je crains, et je crains, et je suis même convaincu que le système de maîtrise a fait la preuve de son inefficacité. Donc, je pense qu’il faut faire autre chose.
Bernard Kouchner
Alors, d’abord une réponse partielle et puis sur le fond, je crois que c’est en effet le débat, nous allons y venir. Non, Jean-François Mattei, on ne veut pas moduler le remboursement des clefs c’est-à-dire la consultation ou la clef qui définit la spécialité. Ce que l’on veut faire et cela me semble aller dans votre sens, au lieu d’avoir une vue d’ensemble tous les ans seulement, on essaie d’avoir tous les quatre mois une vision du développement des dépenses, où cela pêche, où dépense-t-on en excès, de façon à pouvoir corriger avec les médecins et que ne s’applique pas ce que l’on appelle la clause de sauvegarde qui les fait tant protester et que nous souhaitons ne pas appliquer. Vous avez raison de dire que pour transformer le système, il faut l’appui des médecins. Simplement, quand ils ne veulent pas du tout comme certaines spécialités, nous sommes obligés de dire « cela dérive tellement que le système va exploser ». Et là seulement, dans un cas, nous avons fait varier la lettre mais, il n’est pas question de le faire par système. Au contraire. Connaître les dérives après l’hiver, c’est mieux pour les adapter. Maintenant, sur le fond si vous permettez, parce que c’est en effet…
Michèle Cotta
Oui mais pardon, moi, je voulais vous poser comme question, il y a quand même beaucoup de médecins qui sont contre. Alors, qu’est-ce que vous allez faire pour les…
Bernard Kouchner
Non, mais attendez, dès qu’on fait une réforme, les médecins sont contre. Toutes les réformes citées par Jean-François Mattei depuis de début des années 80, j’ai été ministre de la Santé il y a quelques années…
Jean-François Mattei
C’est bien pour cela qu’il faut changer le système, si vous me permettez…
Bernard Kouchner
Justement, en parlant de cela si vous voulez, parce qu’on n’a pas beaucoup de temps, parlons du changement. Moi, je suis d’accord que Jean-François Mattei pose le problème. Il l’a posé à l’Assemblée nationale, qui est le problème du monde, de tous les systèmes de soins. Est-ce que l’on tente de conserver ce système très socialisé qui est le nôtre, qui est très performant, très performant, coûteux, trop coûteux ou est-ce qu’on le remplace…
Michèle Cotta
Alors, vous n’allez pas faire ses arguments parce qu’il pourrait les faire tout seul…
Jean-François Mattei
C’est qu’il voudrait…
Bernard Kouchner
Non pardon, moi, j’ai compris mais je suis…
Michèle Cotta
Mais alors monsieur Mattei, peut-être…
Bernard Kouchner
…L’introduction des assurances privées, il va s’en expliquer
Jean-François Mattei
Non, non, non. Le problème est beaucoup plus complexe que cela. Il s’agit de définir la place de l’Etat dans notre système de santé. Est-ce qu’il est du rôle de l’Etat aujourd’hui d’aller négocier avec les médecins, d’aller négocier avec les infirmières et de s’intéresser à l’exécution des objectifs qu’il lui appartient de fixer ? Nous sommes convaincus désormais aujourd’hui, comme aux Pays-Bas, comme en Allemagne qui ne sont pas des pays particulièrement ultra libéraux – je ne cite pas la Suisse que l’on pourrait également mettre dans le lot – l’Etat aujourd’hui a des tâches qu’il faut bien préciser. Définir les objectifs sanitaires, définir une politique de santé publique, définir les moyens à mettre en œuvre…
Bernard Kouchner
C’est ce que nous faisons, c’est ce que nous faisons…
Jean-François Mattei
…Définir un cahier des charges, c'est-à-dire, c'est-à-dire assurance obligatoire, remboursement au premier franc…
Bernard Kouchner
C’est ce que nous faisons…
Jean-François Mattei
Pas de discrimination du risque, égalité absolue d’accès aux soins pour tout le monde, vérification des résultats et formation des bons professionnels. Mais, une fois que tout cela a été fixé, eh bien, il nous apparaît désormais indispensable que les caisses d’assurance maladie soient autonomes voire qu’elles soient concurrentielles et l’on pourrait à titre expérimental, à titre expérimental ouvrir la concurrence entre les caisses publiques, des mutuelles parapubliques voire des assurances privées, si elles respectaient scrupuleusement le cahier des charges que je viens de vous donner.
Michèle Cotta
Alors, Bernard Kouchner, votre réponse à cette proposition ?
Bernard Kouchner
Oui parce que là, le tableau est clair. Et logique et intelligent, c’est ce qui se pose dans le monde entier. Mais d’abord, c’est ce que nous faisons, toute l’énumération importante que vous nous avez proposée, c’est le rôle de l’Etat et nous le remplissons. Simplement, au moment, vous avez omis quelque chose, où l’on passe à la discussion, c’est en effet la CNAM, l’assurance maladie et les médecins qui doivent passer des conventions, nous sommes pour la politique conventionnelle…
Jean-François Mattei
Sous votre contrôle… sous le contrôle de l’Etat quoi ! Sous le contrôle de l’Etat.
Bernard Kouchner
Non, non, non ! Franchement non ! Non, ne dites pas cela, vous savez, on se connaît assez, ce n’est pas vrai, pas sous contrôle. Nous signons simplement à la fin, c’est à la CNAM et aux syndicats médicaux de négocier et ils négocient. Pour le moment, il n’y a que MG France, j’espère qu’il y en aura d’autres mais de toute façon, dans notre système, vous le savez…
Jean-François Mattei
C’est quand même l’Etat qui impose les reversions. C’est l’Etat qui impose les reversions.
Bernard Kouchner
Oui mais Jean-François Mattei, dans notre système, ce qui est curieux, c’est qu’il n’y a qu’un seul syndicat qui signe, mais tous les autres appliquent. On pourrait peut-être aussi revoir cela. En tout cas, ce n’est pas notre rôle, c’est aux partenaires sociaux de le faire. En revanche, après, installer un système… vous avez cité deux pays dont l’un est intéressant, c’est la Hollande, l’Allemagne aussi parce qu’ils ont régionalisé. Sur la régionalisation, vous n’avez, pas tort non plus et vous le savez, je vous l’ai dit publiquement. Nous ne sommes pas encore assez près du terrain. Il y a les agences régionales d’hospitalisation, c’est une chose et c’est un bon élément du plan Juppé, mais il n’y a pas assez de répartition régionale et peut-être même pourquoi pas, je prononce le mot dangereux, pourquoi pas de « concurrence » ? Mais avec des garde-fous tels…
Jean-François Mattei
Mais je vous les ai donnés parce qu’ils sont indispensables ! Ils sont indispensables !
Bernard Kouchner
Vous les avez donnés mais aussitôt après, vous avez dit deux mots très dangereux, Jean-François Mattei, et le dernier seulement pour aller vite des « assurances privées ». Non pas que pour moi ce soit l’épouvantail. Simplement, si nous en venons là, c’est que notre système a échoué…
Jean-François Mattei
Je ne crois pas…
Bernard Kouchner
…Notre système ayant échoué, nous irons vers les autres. Vous avez dit la Hollande. Je vous dis un seul mot sur la Hollande où il y a trois systèmes de caisse etc., ce qui est intéressant d’ailleurs… eh bien, en Hollande en ce moment, Jean-François Mattei, on fait neuf mois d’attente pour une cataracte et douze mois pour une arthrose de hanche… pour une coxarthrose et donc, vous comprenez, toutes les dérives sont des dérives à l’américaine, évidemment…
Jean-François Mattei
Non, surtout pas ! Surtout pas…
Bernard Kouchner
Non, mais, je sais… « surtout pas » ! Vous dites cela en permanence, mais cela va vers ce système américain…
Michèle Cotta
Non, mais, Bernard Kouchner, laissez Jean-François Mattei se démarquer…
Jean-François Mattei
Je ne veux pas du système américain, on ne peut pas accepter que 35 millions…
Bernard Kouchner
Mais c’est le même Jean-François !
Jean-François Mattei
Non, non parce qu’il n’y a pas de cahier des charges. Alors moi, je voudrais ajouter deux choses. Premièrement, le contexte a considérablement changé parce que l’assurance maladie dont nous pouvons nous enorgueillir en France, c’est formidable d’avoir inventé la Sécurité sociale, mais c’était pour l’assurance maladie des travailleurs salariés. Or, aujourd’hui, il nous faut une Sécurité sociale universelle.
Bernard Kouchner
Et nous sommes en train de la construire.
Jean-François Mattei
Deuxièmement, il nous faut une véritable politique de santé publique et ce n’est pas l’assurance maladie qui la finance.
Bernard Kouchner
C’est vrai !
Jean-François Mattei
Troisièmement, nous avons le vieillissement avec la longévité. Or, le vieillissement, n’est pas à proprement parler une maladie ou alors il faut modifier complètement le système de fonctionnement…
Bernard Kouchner
Je le souhaite !
Jean-François Mattei
…Et je trouve donc que le contexte international qui s’ajoute à cela fait que nous ne pouvons pas garder un monopole d’Etat. D’ailleurs, vous avez changé d’avis dans un certain nombre d’autres domaines. Vous avez changé pour les transports aériens, vous avez changé pour les télécommunications, vous êtes en train de changer sur la fabrication de l’électricité…
Bernard Kouchner
Non mais ne mélangeons pas tout !
Michèle Cotta
Vous répondez sur la privatisation…
Jean-François Mattei
Je veux dire simplement qu’il est quelquefois honorable de changer d’avis et d’essayer un nouveau système quand tous les autres ont échoué.
Bernard Kouchner
Perseverare diabolicum…
Michèle Cotta
Vous répondez, Bernard Kouchner, nous avons d’autres problèmes de santé.
Bernard Kouchner
J’ai dit, faisons un effort collectif les uns et les autres, les patients, il faut éduquer les patients, nous consommons trop, nous bouffons des médicaments, n’importe lesquels etc., on va y venir. Bon. On va essayer de faire cet effort. Les médecins doivent comprendre que vous et moi en tout cas mais, tous les autres, nous ne sommes pas contre eux, personne ne leur propose un système contraignant où on les fait rentrer avec un tire-bouchon, voyons ! Il faut qu’ils comprennent que c’est la dernière chance. Si l’année prochaine, l’équilibre de la Sécurité sociale est atteint et avec le plan Martine Aubry et ce que nous avons fait, théoriquement, il serait atteint pour la première fois depuis vingt ans… Si nous y parvenons, il sera temps de respirer et de voir avec eux. Sinon, nous assisterons comme les autres pays à l’introduction d’un certain nombre de concurrences au début, puis de systèmes privés qui font qu’aux Etats-Unis, quatre cents médecins viennent de se retirer d’un de ces systèmes. Vous savez ce qu’on leur demandait ? On leur disait « vous n’avez pas le droit de prononcer le mot "scanner" ». S’ils le prononçaient parce que comme cela grevait…
Jean-François Mattei
Non mais attendez, vous caricaturez…
Michèle Cotta
Vous terminez là-dessus, monsieur Mattei, parce qu’il y a des questions sur…
Bernard Kouchner
C’est une caricature parce que ça commence comme la Hollande et ça se poursuit comme les Etats-Unis.
Michèle Cotta
Jean-François Mattei, vous répondez et nous passons à…
Jean-François Mattei
Je pense que nous devons innover. Nous devons expérimenter et nous devons naturellement affirmer que personne ne doit souffrir dans ce pays de l’inégalité dans l’accès aux soins mais je pense que nous devons essayer autre chose.
Bernard Kouchner
Peut-être mais attention à la sélection des risques qui accompagnent toujours les systèmes, l’introduction des assurances privées, je sais que vous êtes contre.
Jean-François Mattei
Et dernier mot, dernier mot, par pitié en juin 97, je vous ai laissé une réforme des études médicales clef en main, nous avons besoin, nous avons besoin de changer…
Bernard Kouchner
C’est vrai !
Jean-François Mattei
…La formation de nos médecins et de l’adapter…
Bernard Kouchner
Mais vous savez qu’on a beaucoup avancé sur cette affaire mais là, vous avez raison, nous avons besoin de changer radicalement.
Emission « Polémiques » diffusée sur France 2 le 6 décembre 1998
Le débat : le dopage et la lutte contre la douleur
Michèle Cotta
Alors, le dopage, gros problème de santé dont on a parlé cette année avec la mise en cause de l’équipe Festina depuis le dernier tour de France. Alors, moi, je voulais vous demander, Pascal Hervé, qui êtes donc dans cette équipe Festina, est-ce que vous trouvez que toute la médiatisation autour du dopage est au fond une médiatisation presque politique ? On a essayé de vous faire porter je ne sais quelle opprobre ? Qu’est-ce que vous pensez ? Comment vous analysez ce qui est tombé sur vous ? D’abord, est-ce que vous vous dopez et est-ce que la lutte sur le dopage n’est pas tout de même quelque chose de très important pour les jeunes et puis pour tout le monde, pour la morale des sports…
Pascal Hervé (Equipe Festina)
Sincèrement, je connais beaucoup de sportifs, je n’en connais pas qui sont pour le dopage. Il y en a… de toute façon, il y a toujours des pommes pourries dans la caisse. Donc, ça, on ne l’empêchera jamais. Mais, depuis le mois de juillet, depuis qu’on est dans le feu de l’actualité, je n’ai pas l’impression que la lutte antidopage a avancé. On a mis en place certaines choses mais j’ai plus l’impression qu’on a essayé de détruire des sportifs, qu’on s’est servi de nous peut-être… je ne sais pas pourquoi, peut-être pour faire passer une loi, c’est une très bonne loi mais maintenant, il va falloir l’appliquer. Et sincèrement, depuis quelques temps, j’ai l’impression qu’on s’en prend toujours aux mêmes, on s’en prend à Richard Virenque, à Pascal Hervé, à l’équipe Festina, au cyclisme. Je ne sais pas si on parle de sport en général. Il faut savoir que les cyclistes ont été les premiers à accepter les contrôles antidopage, les contrôles sanguins, on va être les premiers à mettre en place un contrôle longitudinal… donc, ce qui est une bonne chose, c’est une prévention, la lutte antidopage…
Michèle Cotta
Gilbert Collard, vous êtes l’avocat de l’équipe Festina…
Gilbert Collard (Avocat)
Non, non, de Pascal Hervé et de Richard Virenque…
Michèle Cotta
De Pascal Hervé… est-ce que l’on a vraiment voulu désigner comme cela une catégorie de sportifs pour pouvoir faire passez une loi ? Est-ce que l’on peut croire à cela ?
Pascal Hervé
On n’est pas une catégorie, on s’en prend à un sportif depuis…
Michèle Cotta
Oui, à Richard Virenque, oui…
Gilbert Collard
On a du mal à comprendre ce qui se passe réellement. Il y a dans le courant du mois de juillet, août, cette affaire de dopage qui concerne le Tour de France. Il n’y a pas que l’équipe Festina qui est concernée, il y a beaucoup d’autres équipes qui sont concernées. Et l’on va, on s’en rend compte aujourd’hui…
Michèle Cotta
C’est tout de même le soigneur de Festina qui a parlé le premier…
Gilbert Collard
Oui, ça, pour ça il parle ! Pour ça, c’est un piqueur et un parleur, il n’y a pas de doute, oui. Mais, ce dont on s’est rendu compte, c’est que la médiatisation de l’affaire se concentre essentiellement sur Richard Virenque et Pascal Hervé. Alors, la question que je veux poser, tout simplement, c’est est-ce que l’on pose le problème de la lutte contre le dopage parce que ce n’est pas du dopage dont il faut parler, c’est des moyens que l’on a de lutter contre le dopage ou est-ce que l’on fait le procès de la parole d’un homme auquel, je m’épuise à le répéter, aucun juge en France ne reproche quoi que ce soit. Parce qu’on a ce paradoxe, on a ce paradoxe, c’est que Richard Virenque, Pascal Hervé sont partie civile dans l’affaire et que sans cesse, mais sans cesse, d’une manière parfois même méchante, on met en cause Richard Virenque non point parce qu’il se serait dopé mais parce qu’il n’aurait pas avoué, alors qu’il affirme ne s’être point dopé comme Pascal Hervé. C’est le procès de la parole d’un homme qui est fait actuellement.
Michèle Cotta
Alors, Valérie Fourneyron, vous êtes donc médecin du sport très attachée à la lutte contre le dopage. Alors, qu’est-ce qu’il faut faire, c’est vrai, est-ce que ce ne sont pas des boucs émissaires quand même, Pascal Hervé et Richard Virenque ?
Valérie Fourneyron (Médecin spécialiste du sport)
Je ne crois pas que ce soient des boucs émissaires mais je crois que ce qu’il faut dire, c’est que toutes ces affaires qui sont sorties un peu cet été nous prouvent une chose, c’est que le temps un peu des biologistes confinés à l’urologie est terminé. C’est terminé. La lutte contre le dopage c’est faire une politique de santé publique pour protéger la santé des sportifs. Cela doit être le rôle aujourd’hui, c’est une fonction régalienne de l’Etat, la protection de la santé. Et, je crois que confiner la lutte antidopage à simplement, j’ai envie de dire « l’analyse pipi », est une grosse erreur. Est une grosse erreur parce que ces sportifs sont en danger sur le plan santé. Il y a des signes cliniques qui montrent qu’ils ont des signes de dopage. C’est cela qui est important. Ce n’est pas uniquement, uniquement le contrôle positif ou négatif, c’est l’avenir sur le plan de la santé des jeunes en particulier.
Gilbert Collard
Je voudrais revenir sur un point, je voudrais apporter une rectification. On vous pose la question, est-ce que Richard Virenque et Pascal Hervé ne sont pas des boucs émissaires et vous dites « non ». Moi, je suis en mesure de vous dire aujourd’hui, aujourd’hui, que Richard Virenque n’aura pas d’équipe, n’aura pas d’équipe. C'est-à-dire que ce champion, hein, parce que tous les donneurs de leçons, je voudrais qu’ils en fassent le quart sur un vélo, ont fait en sorte qu’aujourd’hui, il ne peut plus courir.
Michèle Cotta
Est-ce que c’est le cas de Pascal Hervé ? Non apparemment.
Pascal Hervé
Non, moi, j’ai reconduit mon contrat avec Festina mais aujourd’hui Richard va certainement mettre un terme à sa carrière. Et c’est quelque chose de très grave.
Gilbert Collard
On est en là ! On en est là !
Michèle Cotta
Alors, monsieur Mattei et monsieur Kouchner, quand même, est-ce que c’est un problème de santé ? Est-ce que vous considérez que c’est un grand problème de santé aujourd’hui le dopage ?
Jean-François Mattei
C’est un problème de santé publique absolument majeur et nous avons eu le débat à l’Assemblée nationale, un débat extrêmement intéressant et qui d’ailleurs a mis pratiquement tout le monde d’accord. C’est un problème où la médecine doit s’engager au premier plan car il s’agit d’une surveillance…
Gilbert Collard
Je dirais, je dirais – entre nous – il serait temps !
Jean-François Mattei
Oui mais naturellement, naturellement !
Gilbert Collard
Parce que quelle bande d’hypocrites vous êtes… entre nous…
Jean-François Mattei
Et pourquoi ?
Gilbert Collard
Pas forcément toi, Jean-François mais d’une manière générale…
Bernard Kouchner
Ah ils se connaissent ! Ils se connaissent !
Michèle Cotta
Ils sont marseillais ! Ils sont marseillais tous les deux, bien sûr qu’ils se connaissent. Ils ont pris le même avion ce matin pour venir à l’émission.
Bernard Kouchner
Ce n’est pas une raison supplémentaire mais ils se connaissent…
Gilbert Collard
Je peux aussi vous appeler Bernard !
Bernard Kouchner
Oui, s’il vous plaît !
Gilbert Collard
Pas Tapie mais Kouchner évidemment.
Bernard Kouchner
Oui, oui ce n’est pas le même mais enfin, ça ne fait rien, il était marseillais.
Gilbert Collard
Enfin bon, je trouve quand même qu’il y a une hypocrisie incroyable franchement. Depuis 1925 à la suite des articles d’Albert Londres on sait qu’il y a du dopage dans le cyclisme…
Bernard Kouchner
Non mais pardon, on ne peut pas…
Gilbert Collard
…Et vous semblez découvrir cela maintenant, faisant une loi mirifique, magique et vous avez le culot de vous présenter en plus comme ceux qui viennent…
Bernard Kouchner
Non, non… non mais attendez, vous n’êtes pas en train de plaider, maître !
Gilbert Collard
Non, vous n’êtes pas encore accusé !
Bernard Kouchner
Non, mais j’ai le sentiment de l’être, alors si vous me permettez, j’ai envie de répondre !
Gilbert Collard
…Comme ceux qui viennent de régler d’un seul coup le problème du dopage.
Bernard Kouchner
Mais il n’en est pas question. Mais de quoi parlons-nous ? Est-ce que je peux répondre sur la santé publique…
Gilbert Collard
…Si vous permettez, pour quelqu’un qui est favorable…
Bernard Kouchner
Il défend… mais moi, je ne l’attaque pas… alors…
Gilbert Collard
Mais je ne vous attaque pas du tout, pourquoi ça, pas du tout ! Je voudrais vous dire une chose très franchement. Premièrement, je ne vous attaque pas. Vous n’êtes pas mon adversaire, vous n’êtes pas mon ennemi, je ne vous attaque pas, d’accord, bon.
Bernard Kouchner
Bon. Ca me rassure.
Gilbert Collard
Deuxièmement… Non mais c’est vrai en plus et puis je vous aime beaucoup. J’ai le sentiment que l’on fait un méchant procès à des sportifs…
Bernard Kouchner
D’accord mais parlons un peu plus loin, s’il vous plaît !
Gilbert Collard
Ils mériteraient quand même que vous veniez un peu à leur secours !
Bernard Kouchner
Oui mais laissez-nous répondre!
Gilbert Collard
Eh bien, faites-le alors ! Allez-y !
Bernard Kouchner
Ah, merci ! Bon, alors Richard Virenque n’est pas attaqué par moi, ce n’est pas un tribunal, ni un plaidoyer pour personne, je comprends que vous soyez, lui son ami, et vous son avocat, dans une situation difficile. Et je comprends bien que cet acharnement qui s’est porté sur lui et sur d’autres sportifs et pas seulement sur les cyclistes, c’est malheureusement comme cela que fonctionne notre société médiatique, cruelle, qui déclenche ce qui aurait dû être déclenché plus tôt, vous avez raison.
Michèle Cotta
C’est encore de notre faute quoi ! C’est encore de notre faute…
Bernard Kouchner
Désolé, mais c’est quand même comme cela que cela s’est fait, ce n’est pas de votre faute mais c’est comme cela que cela s’est fait.
Gilbert Collard
Quand vous prenez l’Equipe Magazine par exemple, vous avez l’impression qu’ils ont décidé une fois pour toutes de se payer Richard Virenque, quoi qu’il arrive !
Bernard Kouchner
Revenons à la santé publique, s’il vous plaît, voilà ça, la seule chose qui me concerne. Et puis ne mélangeons pas les choses mais quand même, élargissons. Il y a le dopage, il y a la toxicomanie, il y a la consommation médicamenteuse en France, nous sommes dans une société de pharmacodépendance et donc, je n’accuse ni les sportifs ni les autres. Je mets cela tout de même dans une même préoccupation. Qu’est-ce que nous avons voulu faire avec cette loi dont parlait Jean-François Mattei ? Nous avons voulu que les médecins – et c’est vrai qu’ils ont trop attendu… et on a laissé les médecins du sport avec des contrats bizarres, bizarres, passés avec les équipes… être une manière de…
Gilbert Collard
Des intéressements aux résultats, des intéressements aux résultats !
Bernard Kouchner
Pardon ? Non, mais ce n’est plus les médecins, maintenant ce ne sera plus cela. Qu’est-ce qu’on veut ? On veut que les médecins soient responsables de la santé pour les sportifs car c’est non seulement leur problème à eux, après tout, on est libre, on pourrait faire ce qu’on veut, mais non parce que cela dénature complètement le sport. Ce n’est pas le problème que la toxicomanie. Sinon, il faut faire monter les pharmaciens sur le podium. Ceux qui se débrouilleraient mieux avec des substances invisibles, évidemment c’est ceux qui gagneraient. Et qu’est-ce qu’on fait dans cette loi ? Et cela a posé un problème, la discussion que Jean-François Mattei rappelait à propos du secret professionnel des médecins. Nous sommes là évidemment pas pour dénoncer et dans cette loi, on ne dénonce pas, mais nous sommes là pour protéger la santé des gens et des autres.
Michèle Cotta
Je crois que les médecins sont obligés de déclarer toute suspicion de dopage, non ?
Bernard Kouchner
Non, non, non… pas du tout. Ils sont obligés d’agir eux-mêmes, c’est-à-dire que s’ils voient, non pas dans le pipi, vous avez raison, on a mis l’homme au milieu, pas le pipi, et donc on s’intéresse à l’homme. Si on voit son évolution devenir négative aux yeux d’un médecin, on lui fait un certificat d’arrêt de travail, d’arrêt de sport comme on fait un certificat d’arrêt de travail.
Jean-François Mattei
Je voudrais juste dire un mot…
Bernard Kouchner
Je termine Jean-François ! Et à ce moment-là, s’il veut mais ce n’est pas obligatoire, c’est très important, s’il le souhaite, si cela dépasse sa compétence, il prévient d’autres médecins dans une commission indépendante et jamais le nom du patient, du sportif en l’occurrence…
Jean-François Mattei
Ce qui a fait prendre conscience aux médecins que leur rôle était désormais majeur… juste à partir d’un exemple que tout le monde va comprendre, on a commencé par aller en altitude pour se préparer parce qu’en altitude, on augmente sa quantité de globules et, quand on revient, en plaine, on est au contraire mieux oxygéné. Dans un deuxième temps, on s’est dit, pour augmenter la quantité de globules, il faut faire de l’auto-transfusion. Donc, on prélève le sang de quelqu’un, on le garde et puis on le réinjecte. Bon, on a déjà changé de palier. Troisièmement, on s’est dit, mais plutôt que d’aller en altitude, plutôt que de faire de la transfusion, on prend de l’érythropoïétine et alors là, nous entrons dans un dérapage dramatique, et les médecins doivent intervenir.
Michèle Cotta
Valérie Fourneyron, et puis…
Gilbert Collard
Je voudrais poser une question à monsieur Kouchner…
Michèle Cotta
Attendez, je voudrais que…
Gilbert Collard
Oui pardon, excusez-moi !
Valérie Fourneyron
Je voudrais vous donner un bon exemple, quand il y a un sportif qui se fait un claquage musculaire, il est arrêté pendant trois semaines au minimum parce que son corps a dit « halte ! ». Quand vous avez un sportif qui a des paramètres biologiques au ras du plancher parce que son corps est épuisé, ses hormones sont épuisées, vous avez le médecin garagiste qui, lui, va lui donner des hormones pour mettre à niveau alors que quand il aurait une blessure, on l’arrêterait. Eh bien là, on ne l’arrête pas, on lui donne ce qu’il faut pour continuer et ça, c’est grave en terme de santé !
Michèle Cotta
Pascal Hervé, on vous fait cela, à vous ? Pas seulement l’altitude mais…
Pascal Hervé
Nous, on s’en remet à des médecins, à des médecins du sport. Donc, c’est peut-être à ces gens-là…
Bernard Kouchner
Qui eux-mêmes s’en remettaient aux directeurs sportifs.
Gilbert Collard
Tout à fait !
Pascal Hervé
Un médecin c’est un médecin non ?
Bernard Kouchner
Et c’est cela qu’on a voulu arrêter et nous surveillons…
Gilbert Collard
Qui s’en remettaient à la boîte !
Bernard Kouchner
Qui s’en remettaient à l’argent !
Gilbert Collard
Je voudrais poser deux questions.
Michèle Cotta
Rapidement parce que j’ai une question à poser à monsieur…
Gilbert Collard
Oui, une pour vous, est-ce que vous n’avez pas l’impression quand même qu’il serait utile que les pouvoirs publics aillent jeter un coup d’œil de proximité sur le fonctionnement des fédérations sportives ? Parce que franchement, les gens qui nous regardent ne peuvent pas croire que la Fédération française de cyclisme par exemple découvre seulement aujourd’hui ce qui se passe… bon…
Bernard Kouchner
Et quant à la position du Comité olympique international qui dit que tout cela n’a pas d’importance, tout cela est une caricature…
On est d’accord
Gilbert Collard
Et une question si vous me permettez, est-ce que l’on peut et c’est une question d’importance pour nous, est-ce que l’on peut détecter l’EPO ?
Michèle Cotta
L’EPO, c'est-à-dire ?
Gilbert Collard
Erythropoïétine…
Michèle Cotta
Erythropoïétine…
Gilbert Collard
Moi, je préfère l’EPO.
Valérie Fourneyron
A la date d’aujourd’hui, moi, je ne suis pas spécialiste de laboratoire. Je crois qu’il y a un certain nombre de progrès qui sont faits dans la recherche de ce type de produits mais la difficulté, ce sont toutes les hormones que les sportifs fabriquent eux-mêmes et qu’il faut aller chercher.
Gilbert Collard
Donc, c’est très difficile.
Bernard Kouchner
Oui mais il ne faut pas que ce soit…
Jean-François Mattei
L’étude longitudinale dont parlait tout à l’heure monsieur
Hervé…
Gilbert Collard
Non, non, mais d’accord mais si on examine aujourd’hui un coureur, est-ce que l’on peut dire aujourd’hui d’une façon formelle, il a pris de l’EPO ?
Bernard Kouchner
Mais ne faut pas le dire seulement sur les examens biologiques. Ce que l’on veut dire maintenant c’est que la transformation du sportif lui-même, de sa silhouette, de sa mentalité, de sa psychologie…
Gilbert Collard
Oui mais d’accord mais nous parlons…
Bernard Kouchner
De plus, les résultats biologiques créent un tout que nous devons comparer dans le temps, que nous devons surveiller…
Gilbert Collard
Non c’est important parce que tout le débat porte là-dessus, vous comprenez, nous sommes donc d’accord, on ne peut pas d’une manière formelle porter une conclusion à la prise d’EPO.
Bernard Kouchner
Non mais, maître, le débat porte là-dessus pour votre client, nous avons souhaité élargir et faire en sorte que cela ne soit pas le résultat à demi… vous savez, le résultat de ce que Jean-François Mattei disait, est-ce que ça peut-être contrôlé par un test qui s’appelle l’hématocrite…
Jean-François Mattei
50 %
Bernard Kouchner
50 %, à 49 % on dit « ça va » et à 51, ça va pas ? Voyons ! Ce n’est pas sérieux.
Valérie Fourneyron
Le dosage en plus d’autre chose, eh bien, vous allez améliorer effectivement le dépistage de ce médicament.
Michèle Cotta
Dernier mot sur ce point, Pascal Hervé, vous vous sentez, vous, l’objet de soins constants de la part des médecins, du Gouvernement, c’est difficile à vivre ?
Pascal Hervé
C’est assez difficile. Bon, moi, j’ai fait abstraction là-dessus mais je sais que pour un garçon comme Richard c’est difficile à vivre. C’est quand même qui a été le centre…
Michèle Cotta
Mais vous vous sentez blanc bleu là-dedans ? Vous dites « nous, on n’y est pour rien, les médecins nous ont donné quelque chose, on l’a pris, point final » ?
Pascal Hervé
A quoi on doit s’en remettre ? On fait confiance à une médecine du sport. Est-ce qu’on doit mettre en doute la parole du médecin ?
Bernard Kouchner
Il n’a pas tort, et puis cela ne se passait pas seulement à son niveau, on sait maintenant que cela se passe à tous les niveaux. C’est pour cela que nous avons fait cette loi, que Marie-George Buffet a fait cette loi, ce n’est pas nous qui l’avons faite, les médecins ont eu une toute petite portion mais au niveau des critériums, pour se sélectionner, ça se passait comme ça. C’est ça qu’il faut refuser parce que sinon…
Gilbert Collard
Et l’argent qu’il y a au bout de cela quand même !
Valérie Fourneyron
Les vétérans du vélo à Paris, pour démarrer dans le Bois de Boulogne le dimanche matin, il y a en a un certain nombre qui prennent leur petite pilule. On est dans un système effectivement de pharmacodépendance et il ne faut pas le nier.
Michèle Cotta
Alors, nous ne parlons pas du Viagra, mais c’est aussi une pharmacodépendance… juste un mot sur la douleur si vous voulez bien. Bernard Kouchner, vous, vous avez fait de la lutte contre la douleur un de vos axes privilégiés. Le docteur Annequin est aussi de cet avis, mais il trouve que cela va lentement. C’est ça ? Pourquoi est-ce qu’on est lanterne rouge en matière de douleur ?
Daniel Annequin (Hôpital Trousseau, Paris)
Je ne sais pas si… enfin, moi, je m’occupe de la douleur de l’enfant donc je m’exprimerai sur le sujet. D’abord, je crois qu’il faut remercier Bernard Kouchner pour toutes les mesures qu’il est en train de prendre et cela nous aide beaucoup sur le terrain. Alors, c’est vrai que l’on a fait cette enquête financée d’ailleurs par le ministère de la Santé sur comment est prise en charge la douleur dans les hôpitaux français pour les enfants ? Eh bien, on a bien vu qu’en effet, il y avait de bons résultats. C'est-à-dire que 50 % grosso modo des équipes avaient amélioré leur protocole mais qu’il y avait 50 % qui restaient un petit peu sur la touche, qui n’avaient pas actualisé leur protocole et c’est cela tout notre travail, c’est un peu de sensibiliser toutes les équipes parce que s’il n’y a pas la motivation. Eh bien, on sait qu’on aura beau leur mettre des « pompes » à la morphine, eh bien, elles ne seront pas utilisées par exemple.
Michèle Cotta
Alors, pourquoi lanterne rouge, pourquoi la France ? Docteur Mattei ?
Jean-François Mattei
Je voudrais dire trois choses. D’abord, parce que les médecins n’ont pas été formés à cela correctement et je me souviens du début de mon internat avec quand on voulait donner un antalgique un peu fort, il fallait trois clefs, trois bons, trois… Or, on doit soulager la souffrance. Pour ce qui concerne les enfants, il faut que les familles, en tout cas que les mères soient à côté parce que ce sont les meilleures intermédiaires et puis enfin, il faut que les infirmières qui sont là, au lit du malade soient responsabilisées à cet égard.
Daniel Annequin
Oui donc ce que je voulais aussi sur… il y a toute une série de mesures essentielles, hein, on a vu en effet que les… morphiniques sont sous-utilisées, notamment chez l’enfant et là, souvent l’argument qu’on nous donne « on ne peut pas l’utiliser parce que les personnels ne sont pas éduqués », on vient…
Bernard Kouchner
C’est fini tout cela !
Daniel Annequin
On vient de faire un film, financé toujours par Bernard Kouchner sur l’utilisation de la morphine chez l’enfant. Eh bien, dans ce film de trente minutes, eh bien, tout équipe pourra surveiller un enfant qui est sous morphine.
Michèle Cotta
Cela ne va pas assez vite quand même, selon vous, cela ne va pas assez vite, c’est ce que vous avez dit…
Bernard Kouchner
Cela a commencé il y a six mois, une seconde, mais les trois questions qui ont été posées, la première, la formation, vous avez tout à fait raison, il y avait une école de clinique française qui traitait la douleur comme un symptôme et qui maîtrisait…
Michèle Cotta
« Enfanteras dans la douleur »…
Bernard Kouchner
« Enfanteras dans la douleur » par exemple…
Michèle Cotta
C’est connu… une magnification de la douleur…
Bernard Kouchner
Nous allons changer, multiplier… oui il y a un beau livre qui marche bien, multiplier les heures d’enseignement car cela n’existait pas, la formation médicale continue était insuffisante en matière de douleur. Deuxièmement, on n’a jamais accès, eh bien, nous supprimons le carnet à souche, dans quelques semaines, il n’existera plus, il n’y aura plus de prétexte à ne pas prescrire des antalgiques majeurs. Et, pour les infirmières – et c’est peut-être le geste le plus révolutionnaire – je fais attention à mes mots… que nous avons mis en place, c’est que la nuit, ou lorsque le médecin ne sera pas là à l’hôpital, l’infirmière pourra sur prescription générale, mais pourra se saisir des antalgiques et prescrire elle-même et ça, c’est une avancée formidable. Encore faut-il qu’elle le fasse et qu’elle n’ait pas peur des médecins.
Michèle Cotta
Daniel Annequin, je sais que c’est difficile pour un médecin de s’adresser à son ministre de la Santé mais, néanmoins, il va assez vite ? Les choses vont assez vite ou pas ?
Daniel Annequin
Oui, je crois que ce que fait le ministère actuel est vraiment… Il met vraiment les bouchées doubles voire triples et c’est…
Bernard Kouchner
Je vais répondre pour lui, je ne vais pas assez vite !
Daniel Annequin
Non mais néanmoins, moi, je vois que même quand la loi est là, quand les médicaments sont là, quand les consignes sont là, eh bien elles ne sont pas appliquées, c’est ça mon…
Bernard Kouchner
Ca, c’est la culture très particulière très particulièrement française. Nous traitons beaucoup moins la douleur et chez les enfants, Jean-François Mattei le sait, vous aussi, on disait même « enfin, c’est scandaleux, les enfants ne souffrent pas, ils n’ont pas de système miélinique (phon), le système nerveux se développe après et on faisait pour les gestes élémentaires, pour les examens élémentaires souffrir…
Jean-François Mattei
Ce que dit monsieur Annequin est tout à fait vrai et je le vois bien parce que j’ai les deux versants, je vote les lois et je suis à l’hôpital. Eh bien, entre la loi votée et son application, il y a un monde !
- Bien sûr.
Michèle Cotta
Gilbert Collard, vous avez quelque chose à dire là-dessus ?
Juste pour finir.
Gilbert Collard
Oui, je crois que ce n’est pas pour entrer dans le débat mais on aurait pu parler de la différence qu’il peut exister entre le dopage et le traitement de la douleur chez les sportifs. Parce qu’il y a souvent une confusion entre ce qui est traitement de la douleur et ce qui est dopage.
Daniel Annequin
C’est un dossier particulièrement…
- Le sportif n’est pas un malade.
Michèle Cotta
Je vous remercie.
Bernard Kouchner
Oui, le problème c’est que, le sportif, il y a une égalité nécessaire entre eux, deuxièmement, est-ce qu’on le considère comme un malade ? On ne peut pas le considérer comme un malade !
Michèle Cotta
Eh bien, nous allons continuer effectivement… pour assister à l’émission, vous tapez 3615 code France 2. A 13h, le journal est présenté naturellement par Béatrice Schonberg. A la semaine prochaine.