Interview de M. Daniel Cohn-Bendit, tête de liste des Verts pour les élections européennes de 1999, à Europe 1 le 29 octobre 1998, sur la préparation des élections européennes, la place des Verts dans la gauche plurielle et la question du nucléaire dans le débat européen.

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Circonstance : Investiture de Daniel Cohn-Bendit pour mener la liste des Verts aux élections européennes de 1999, le 25 octobre 1998

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach. – Vous revenez au pays pour de nouvelles batailles, heureux comme Ulysse.

D. Cohn-Bendit. – Ah oui, je suis bien dans mes pompes.

J.-P. Elkabbach. – Le plus français des Allemands avez-vous dit à France Soir, le plus allemand des Français va donc conduire les Verts français aux élections européennes. Vous pensez que les Français vont comprendre et vont peut-être suivre ?

D. Cohn-Bendit. – Ce sont des élections européennes, donc il est temps de parler de l'Europe, et je suis un citoyen européen né en France, ayant vécu en France et en Allemagne, un symbole de l'Europe.

J.-P. Elkabbach. – Homme de deux cultures, de deux identités, c'est vous qui avez dit : bâtard franco-allemand.

D. Cohn-Bendit. – Oui, oui, moi je suis très bien en tant que bâtard.

J.-P. Elkabbach. – Mais la politique, on voit bien qu'à un moment donné, elle veut des choix clairs. Ni la bâtardise, ni la mixité ne paye ou ne passe non ?

D. Cohn-Bendit. – Si, cela passe très bien. Qu'est-ce que cela veut dire, des choix ? Nous sommes dans une société, aujourd'hui, qui change profondément. Et de plus en plus de citoyennes et de citoyens ont des histoires, des origines différentes et ils se mélangent et c'est très bien comme cela.

J.-P. Elkabbach. – Et pourquoi votre retour a cette odeur de poudre ? Et à votre avis qui a besoin de vous ?

D. Cohn-Bendit. – Je ne sais pas si quelqu'un a besoin de moi. Ce retour, je l'ai voulu. Donc d'abord, je ne suis pas le sauveur suprême. Non, au contraire, j'ai voulu mener une bagarre politique en France sur les européennes avec les Verts. Donc nous allons ensemble mener une bagarre politique, parce que mon rêve, c'est l'Europe. Moi, je suis un doux naïf qui croit que l'avenir de nos sociétés, c'est l'Europe. L'Europe, c'est un mode de vie, c'est un projet de société et c'est ce que je veux défendre là.

J.-P. Elkabbach. – Et on le veut assez dans la gauche plurielle ?

D. Cohn-Bendit. – Si vous voulez, dans la gauche plurielle, les Verts, après une bagarre intéressante et passionnante, l'ont voulu puisqu'ils ont décidé à 76,38 % que je sois tête de liste. À l'intérieur de la gauche plurielle, disons qu'on veut que la partie du gâteau de la gauche plurielle s'agrandisse. Donc, si on arrive à mobiliser les abstentionnistes, c'est bien. Et puis, il y a la compétition démocratique à l'intérieur de la gauche plurielle. Cela, c'est la démocratie.

J.-P. Elkabbach. – Je regardais, hier, votre ami J. Fischer allant chez H. Védrine, il est pratiquement méconnaissable. C'est une sorte de métamorphose du rebelle.

D. Cohn-Bendit. – Oui, mais si on veut être ministre des affaires étrangères, il faut qu'on ait, qu'on exprime ou qu'on montre une métamorphose. Moi, je veux être député européen, j'ai choisi de ne pas vouloir être ministre, dans mon projet de vie, mais je trouve extraordinaire ce qui nous arrive en Allemagne et ce qui arrive à J. Fischer.


J.-P. Elkabbach. – Ils ont beaucoup de postes et des postes importants. Est-ce que cela veut dire que L. Jospin est plus résistant que Gerhard ou que J. Fischer est plus malin que Dominique.

D. Cohn-Bendit. – Cela veut dire d'abord que le système politique français est plus lourd, parce que nous avons le scrutin majoritaire. La proportionnelle amène les gens à une autre structure de pouvoir et donc, c'est vrai que les Verts allemands sont au centre de l'architecture du pouvoir en Allemagne.

J.-P. Elkabbach. – Et ils vont inspirer le reste du débat peut-être en Italie, dans d'autres pays européens et en France ?

D. Cohn-Bendit. – Mais déjà aujourd'hui, cela détone. Déjà aujourd'hui, vous avez une nouvelle composante dans la conception de la gauche. Et les Verts sont maintenant vraiment ancrés dans ces nouvelles majorités alternatives.

J.-P. Elkabbach. – C'est probablement à cause des Verts que le nucléaire est placé au coeur du débat national et européen. Est-ce que D. Voynet et les Verts doivent se battre comme les Allemands pour l'arrêt progressif des centrales ?

D. Cohn-Bendit. – Je crois que le nucléaire est une technologie du passé. Et je crois que D. Voynet rend un service à la France en obligeant les élites technocratiques et politiques françaises à se poser un problème qu'ils sont pratiquement maintenant les seuls à ne plus vouloir se poser.

J.-P. Elkabbach. – Mais jusqu'où doit-elle aller ?

D. Cohn-Bendit. – Se battre. Et là, je crois qu'il faut qu'elle joue avec l'opinion publique, avec les scientifiques. Il faut qu'elle montre, effectivement, qu'il y a un blocage en France. Et c'est en démontrant cela, qu'elle fera avancer les choses.

J.-P. Elkabbach. – Même si la majorité de la majorité, à laquelle elle appartient, n'en veut pas ?

D. Cohn-Bendit. – Il faut, en politique, avoir sa force tranquille pour avancer. Je crois que la gauche plurielle française, mais même l'élite française, est plus intelligente qu'on ne le croit.

J.-P. Elkabbach. – Donc il doit y avoir une exigence de D. Voynet et des Verts auprès du PS, du PC, de l'opinion française là-dessus ?

D. Cohn-Bendit. – Il faut qu'il y ait de la part des Verts français une poussée de remise en question du nucléaire.

J.-P. Elkabbach. – Il faut qu'elle en fasse un casus belli ?

D. Cohn-Bendit. – En politique, les casus belli, cela ne paye jamais. Cela ne veut rien dire.

J.-P. Elkabbach. – Mais la passion, même si elle est en désaccord avec son chef ?

D. Cohn-Bendit. – Oui, c'est cela qui différencie. Tout le monde sait qu'il y a des désaccords à l'intérieur des majorités et des coalitions de majorité.

J.-P. Elkabbach. – Vous notez que le chancelier Schröder a dit : pas de précipitation parce que pour les Allemands, je pense que c'est 60 milliards de dédommagement. Et vous avez noté, hier, la déclaration en Suisse du président de la République qui ne veut pas d'une sortie du nucléaire. M. Chirac dit : avec 80 % de notre électricité d'origine nucléaire, nous avons un prix bas et permanent ; le prix de l'énergie nucléaire ne bouge pas alors que le prix du gaz et du pétrole évoluera d'autant plus qu'on sollicitera davantage ces matières premières. Puis il dit : l'électronucléaire est propre, le reste non.

D. Cohn-Bendit. – Le prix du pétrole n'arrête pas de baisser. Je crois qu'il n'y a que J. Chirac et quelques « nucléocrates » français qui rêvent de cette manière. Je crois que la responsabilité de l'élite française, c'est de bien comprendre que d'être conservateur sur le nucléaire, c'est isoler la France. Et quand on isole la France, après on paye très cher.

J.-P. Elkabbach. – Mais est-ce que le nucléaire vaut une crise à la fois dans la cohabitation et au sein de la majorité et du gouvernement pluriels ? ce ne serait pas de l'idéologie ?

D. Cohn-Bendit. – Quand on décide de parler du nucléaire et de l'avenir du nucléaire, on ne fait pas de crise. Aujourd'hui, on a dix ans devant nous. Mais avant qu'on change de politique, il faut qu'on change dans la tête. Et le débat aujourd'hui est : est-ce qu'on change dans la tête ? Et moi je dis : quand on refuse de changer dans la tête, après sur le terrain, on le paye cher.

J.-P. Elkabbach. – Vous dites aussi à R. Hue qui dit : abandonner le nucléaire, c'est un coup à notre indépendance nationale, c'est un retour à la lampe à pétrole ?

D. Cohn-Bendit. –Mais c'est la vieille alliance gaullo-communiste. Je crois que R. Hue est bien plus intelligent que G. Marchais, le Parti communiste français d'aujourd'hui n'est pas celui d'hier. Lui aussi, je fais confiance en son intelligence et d'ailleurs, je vais le rencontrer bientôt. J'espère le rencontrer d'abord autour d'une bonne table, on ne va pas pacser tout de suite mais je crois qu'on peut trouver une forme de convivialité très intéressante.

J.-P. Elkabbach. – Vous lui direz que là il se trompe ?

D. Cohn-Bendit. – D'ailleurs il a vu J. Fischer il y a quelques mois en Allemagne. J. Fischer lui a très bien expliqué...

J.-P. Elkabbach. – Apparemment, il n'a pas bien compris puisqu'il l'a répété après son entretien.

D. Cohn-Bendit. – Vous savez, nous sommes tous, des fois, lents de compréhension. Il n'y a pas que R. Hue qui est lent, moi aussi sur des sujets, peut-être, je suis lent. Mais je crois que lentement, les communistes français vont comprendre que l'intérêt de la France, c'est la diversification, parce qu'il y a des milliers de postes de travail à la clef de la diversification énergétique.

J.-P. Elkabbach. – Des postes perdus, vous voulez dire !

D. Cohn-Bendit. – Non. Le nucléaire emploie très peu de gens. Mais la diversification énergétique emploie bien plus, c'est un facteur de modernisation de la société.

J.-P. Elkabbach. – Quels reproches faites-vous au PC aujourd'hui ?

D. Cohn-Bendit. – Ce n'est pas mon rôle de faire des reproches au PC. Le PC fait ce qu'il veut – ce qu'il peut je dirais même. Moi, je veux une gauche plurielle, rééquilibrée autour du projet de société des Verts en France.

J.-P. Elkabbach. – Donc vous parlerez avec R. Hue. Vous irez d'égal à égal ?

D. Cohn-Bendit. – Oui, je crois que les périodes où les Verts se mettaient à genoux devant quelqu'un sont révolues. Nous sommes des forces politiques égales dans une coalition. Et nous voulons que cette coalition ait du succès.

J.-P. Elkabbach. – Et vous continuez à penser que la compétition est ouverte entre tous les partis de gauche et les Verts et le PC, que si vous leur prenez des voix et que vous devenez les premiers, parmi eux, ce ne serait pas illogique, voire impossible ?

D. Cohn-Bendit. – On veut prendre des voix. Donc, s'il y a un miracle et que tout le monde gagne et que la gauche plurielle fasse 70 % et que tout le monde s'y retrouve, très bien. Mais les Verts, effectivement, veulent doubler leur score. Ils avaient 3,5 % ou je ne sais pas combien aux dernières européennes, il faut qu'ils doublent leurs voix. Et maintenant, je ne vais pas compter dans les urnes d'où viennent les voix. Il faut que les Verts, effectivement, définissent des objectifs. Mais moi mon rêve, ce n'est pas de battre le Parti communiste, mon rêve, c'est de battre le Front national.

J.-P. Elkabbach. – Politiquement ?

D. Cohn-Bendit. – Voilà. Le Parti communiste, c'est un phénomène, c'est une réalité. Mais le vrai... Ce n'est pas facile, je l'avoue, mais si les Verts devenaient le troisième parti en France, cela, cela voudrait dire quelque chose.

J.-P. Elkabbach.  – Un mot sur le Pacs. On ne vous a pas tellement entendu parler du Pacs, qu'on va évoquer dans quelques jours. Il va être voté comme on avale une potion amère, c'est bien, ce n'est pas bien ?

D. Cohn-Bendit. – Non. Moi je dis : il faut. Le Pacs, c'est bien. C'est reconnaître que les modes de vie ont changé. Et quand on veut le Pacs, on pacse à la mairie. Et qu'on arrête de trouver des préfectures, des tribunaux. On se marie à la mairie. On pacse à la mairie et on vit dans son appartement comme on veut.

J.-P. Elkabbach. – Et cela, vous le dites aussi aux élus socialistes ?

D. Cohn-Bendit. – Je le dis à tout le monde. C'est comme le débat sur la peine de mort ! N'ayez pas peur, la France veut simplifier et que soient reconnus tous les modes de vie. Entre hétérosexuels, entre homosexuels, comme on veut, avec qui on veut et cela ne fait pas mal.

J.-P. Elkabbach. – Les Français sont trop conservateurs encore ?

D. Cohn-Bendit. – Les Français sont très bien, les politiques sont trop conservateurs.