Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, sur TF1 le 13 décembre 1998, sur la polémique entre Bruno Mégret et lui même à propos de la tenue d'un "congrès exceptionnel de l'unité afin de sauver le Front national" et l'exclusion provisoire des "mégrétistes" du Front national.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Public - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Michel FIELD : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous, bienvenue sur le plateau de « Public ». Jean-Marie LE PEN, bonsoir. Merci d'avoir accepté notre invitation. Le président du Front National est en effet l'invité de cette émission, en plein dans la tourmente qui secoue son parti. Et comme vous l'avez fait la semaine dernière dans une formule que visiblement vous avez plébiscitée et que du coup on va garder, vous avez été extrêmement nombreux, par fax, par Minitel, par Internet, par courrier, à poser vos questions à Jean-Marie LE PEN. Toute l'équipe a travaillé à organiser ces questions en grandes familles. Et la vérité oblige à dire que ces grandes familles n'étaient pas difficiles à faire parce que beaucoup de questions revenaient à l'identique et je m'efforcerai d'en être l'interprète et puis on essaiera d'en faire passer quelques-unes dans cette émission. Donc une petite page de pub et on démarre ; on a beaucoup beaucoup de choses à se dire.

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Michel FIELD : Retour sur le plateau de « Public ». Jean-Marie LE PEN, le président du Front National, est mon invité et donc vous vouliez commencer.

Jean-Marie LE PEN, président du FN : Oui, je souhaiterais mettre cette soirée sous l'égide de deux aphorismes...

Michel FIELD : En latin ou en français ?

Jean-Marie LE PEN : En français. Le premier, c'est : un bienfait ne reste jamais impuni. Et l'autre, c'est une pensée de Mark TWAIN : la nouvelle de ma mort a été très exagérée.

Michel FIELD : Et vous voulez nous commenter les deux aphorismes ?

Jean-Marie LE PEN : Non, non, pas du tout, simplement c'est en exergue si vous voulez.

Michel FIELD : Alors il y a moins d'une heure, Bruno MEGRET était l'invité de nos confrères du « Club de la presse » d'Europe 1. L'émission vient à peine de se terminer. Je vous propose juste d'en regarder et d'en écouter un extrait qui vous est directement adressé.

Bruno MEGRET : Je suis en mesure de vous dire aujourd'hui puisque Serge MARTINEZ, l'initiateur de cette démarche, vient de me le confirmer : nous avons les signatures. 10 203 exactement cet après-midi, mais elles continuent d'arriver très nombreuses. Et comme il en fallait 8 000 pour obtenir le quota, je considère maintenant que ces signatures sont acquises et on ira même beaucoup plus loin que les 20 % nécessaires d'après les statuts. Donc je pense que les conditions statutaires sont réunies pour organiser le congrès et je demande solennellement ce soir à Jean-Marie LE PEN s'il est d'accord pour l'organisation de ce congrès de l'unité afin de sauver le Front National.

Michel FIELD : Jean-Marie LE PEN, la réponse ?

Jean-Marie LE PEN : Tout procède dans cette affaire de l'hypocrisie, de la tartuferie, du bluff ! Enfin, Monsieur MEGRET affirme, il est vrai, sur les dires de Monsieur MARTINEZ, Serge le félon, pas l'autre, qu'il dispose de 10602...

Michel FIELD : Le félon ... j'ai une correspondance à lui, adressée par vous du 26 novembre 98 qui commençait par : mon cher Serge, bien à toi... la félonie est assez rapide.

Jean-Marie LE PEN : C'est ça un félon ! La félonie, c'est celui qui vous sourit par devant et vous poignarde par derrière et je vais en apporter la preuve.

Michel FIELD : Donc Jean-Claude MARTINEZ, pas le félon pour l'instant…

Jean-Marie LE PEN : Écoutez, Monsieur MARTINEZ, qui a été l'initiateur parait-il solitaire de cet appel au congrès extraordinaire, dont d'ailleurs les formulaires sont arrivés dans 80 000 ou 100 000 adresses... le lundi matin, alors qu'il parait que c'était les incidents du dimanche après-midi qui justifiaient cet appel. Bon. Il a eu une boite postale à Courbevoie, boîte postale qui contient toutes les réponses qu'il a reçues jusqu'à présent. Cette boite postale, je l'ai fait bloquer parce qu'elle était ouverte sur la délégation de ma signature et toutes les réponses à Monsieur MARTINEZ sont actuellement à la poste de Courbevoie et n'ont pas été délivrées à Monsieur MARTINEZ. Elles ne pourront l'être éventuellement, ce qui m'étonnerait, que lundi après-midi. Par conséquent, quand Monsieur MARTINEZ dit : j'ai tant de signatures et que Monsieur MEGRET renchérit, je les accuse tous les deux de mensonge éhonté.

Michel FIELD : C'est un refus catégorique de votre part cette perspective de congrès ?

JEAN MARIE LE PEN : Je vous dis que ces gens-là ...

Michel FIELD : Non mais c'est ma question ...

Jean-Marie LE PEN : ... vous racontent des histoires. Ils prétendent avoir 10 000 signatures ; outre le fait que tout ce processus est frappé d'illégalité et de caducité pour des raisons que je peux vous expliquer, en dehors de ça, ils ne peuvent pas compter leurs signatures pour une bonne raison, c'est que celles-ci sont totalement détenues à la boite postale à laquelle on devait répondre, qui est la poste de Courbevoie et que pour l'instant, le tribunal des référés n'a pas autorisé Monsieur MARTINEZ à les en retirer. Par conséquent, tout de suite, dès le début, on s'aperçoit que le mot clef de cette opération de subversion, c'est le mensonge.

Michel FIELD : Alors parmi les appels qu'on a reçus, il y en a beaucoup qui posent la question - et je la synthétise à ma façon - vous êtes volontairement partisan d'un référendum d'initiative populaire au plan national pour débattre directement et faire débattre les gens directement de questions qui les intéressent ; pourquoi refusez-vous un congrès qui à l'intérieur du Front National, pourrait être considéré comme l'équivalent ? Moi je me fais l'interprète de ces questions, je ne veux pas prendre de coups ...

Jean-Marie LE PEN : C'est vrai que le Front National a des statuts qui sont un petit peu copié dans l'esprit du temps sur les principes de la Ve République. Mais la Ve République n'a hélas pas pour l'instant reconnu l'initiative populaire des citoyens.

Michel FIELD : Mais dans vos statuts... 20% de militants se prononçant pour un congrès, il y a un congrès.

Jean-Marie LE PEN : Non, non... nous allons y venir. Et cette initiative n'ayant pas été prise, je rappelle les faits : j'ai été élu l'an dernier, président du Front National, réélu, à l'unanimité des congressistes pour trois ans. Le Président de la République, lui, il a été élu pour sept ans. Et s'il y avait des troubles dans le Midi de la France ou une inondation dans l'Est, Monsieur le Président de la République resterait sept ans ; eh bien moi je resterai trois ans. Tant pis pour les impatients et les ambitieux qui auraient pu tenter leur chance contre moi au congrès de Strasbourg ou qui pourront la tenter à ce congrès de l'an 2000 que je souhaiterais réunir dans la dernière semaine de l'an 2000 pour que le congrès du Front National passe d'un siècle à l'autre, du 20e au 21e siècle et du 2e au 3e millénaire, reconnaissez que ça serait public, ça !

Michel FIELD : Excusez-moi... si j'ai bien compris ce que vous dites, c'est que pour vous, il y a une sorte d'équivalence entre la tenue d'un congrès exceptionnel au mois de janvier comme le réclament les partisans de Monsieur MEGRET et le fait que vous y soyez mis en minorité ?

Jean-Marie LE PEN : Attendez, je vais me reporter à nos statuts qui font règle. L'article 24 prévoit que l'assemblée peut être convoquée extraordinairement en cas de circonstance exceptionnelle. Alors il va d'abord falloir justifier qu'il y a des circonstances exceptionnelles et j'ai pu constater tout à l'heure sur Europe 1 que quand on posait... qu'on réitérait la question à Monsieur MEGRET : mais quelles sont donc les raisons que vous avez de demander un congrès ? Il restait tout à fait évasif. À la fin, il a tout de même avoué les deux points, les deux seuls qui sont l'objet... c'est que j'ai pensé à un moment donné, j'ai émis l'hypothèse que comme à Vitrolles, ce pourrait être ma femme qui serait à ma place candidate ; et la deuxième, c'est que j'ai désigné quelqu'un d'autre que Monsieur MEGRET, en l'occurrence le plus brillant des députés européens alors qu'il faut bien le dire Monsieur MEGRET est le moins assidu de nos députés, pour diriger ma campagne. Ce qui me paraît correspondre à ce que souhaitait le bureau politique qui à l'unanimité m'a demandé de prendre la tête de la liste après que j'ai fait le recours en cassation et m'a chargé de la composition de la liste. Alors je reviens... circonstances exceptionnelles... elles n'existent pas. L'assemblée peut - et je peux vous dire que tous les professeurs de droit m'ont souligné que c'était imparable - peut être convoquée par le président soit de son propre chef, soit sur demande écrite d'un cinquième au moins des membres inscrits déposée au secrétariat. Mais aucune de ces conditions n'est remplie. Et je vous dis, le processus choisi par Monsieur MARTINEZ qui était un des collaborateurs... un secrétaire de Monsieur GOLLNISCH, n'a jamais averti personne de son initiative, ni son chef au nom duquel il envoie la demande à tous les adhérents, ni non plus le bureau politique dont il fait partie. Reconnaissez que faire appel à un congrès extraordinaire tant de la part de Monsieur MEGRET que de la part de Monsieur MARTINEZ, ça méritait tout de même un débat au bureau politique car c'est au bureau politique qu'il doit y avoir des débats. Par faiblesse, je dois le dire, j'ai fait entrer dans ce bureau politique un certain nombre d'amis de Monsieur MEGRET, proportionnellement en nombre plus important que ce qu'ils représentent mais ils peuvent parler, ils ne parlent pas, je vous le jure. Ces gens-là qui aujourd'hui expriment des réserves, qui lancent des attaques, ne nous les ont jamais amenées en débat au bureau politique.

Michel FIELD : On va voir quelques étapes de cette fracture aujourd'hui ouverte entre Bruno MEGRET et vous, c'est un petit sujet de Jérôme PAOLI.

Journaliste : Jean-Marie LE PEN et Bruno MEGRET face à face, la situation n'est pas nouvelle. Et si le Front National a véritablement implosé cette semaine, c'est que la rivalité entre le président du parti et son délégué général ne date pas d'hier. Alors que Jean-Marie LE PEN dirige extrême droite depuis plus de vingt-cinq ans, Bruno MEGRET a placé ses pions pendant plus de dix ans dans les instances dirigeantes du Front National. À tel point qu'en mars 97, au congrès de Strasbourg, Bruno MEGRET arrive en tête des votes pour le comité central. Inquiet de la nouvelle popularité de son délégué général, Jean-Marie LE PEN ne cessera par la suite de défendre ses positions. En août 97, le président du FN confie la responsabilité d'un gouvernement virtuel à Jean-Claude MARTINEZ, ennemi déclaré de Bruno MEGRET. Et quand on lui demande s'il ne risque pas de perdre sa place, la réponse est cinglante.

Michel FIELD (8 février 98) : Ça vous inquiète un peu cette montée en puissance de Bruno MEGRET dans votre parti ?

Jean-Marie LE PEN : Non, pas du tout. Le jour où ça m'inquiéterait, je prendrais les dispositions qui conviennent.

Journaliste : Une mise en garde qui n'impressionne pas Bruno MEGRET. En août dernier, le délégué général du Front National fait un coup d'éclat en se portant candidat pour la tête de liste FN aux européennes de juin 99 si Jean-Marie LE PEN est déclaré inéligible. La réaction du président est immédiate.

Jean-Marie LE PEN : Il n'y a qu'un seul numéro au FN, c'est le numéro un, élu à l'unanimité par le congrès.

Journaliste : Officiellement tête de liste pour les européennes après l'annonce de son pourvoi en cassation en novembre dernier, Jean-Marie LE PEN a franchi une nouvelle étape ces dernières semaines en licenciant du parti plusieurs proches de Bruno MEGRET. Une purge qui s'est terminée en fin de semaine par l'éviction de Bruno MEGRET du poste de délégué général du FN, désormais suspendu de toutes ses fonctions dans le parti, et par une véritable déclaration de guerre du président du FN.

Jean-Marie LE PEN : César prit sa toge et s'en couvrit la tête avant d'être immolé ; moi je sors mon épée et je tue Brutus avant qu'il ne me tue.

Michel FIELD : c'est du Shakespeare ou du mauvais Pagnol ? Certaines mauvaises langues ont pensé que c'était un hommage déguisé à César qui après la période d'expansion, était dans la période de compression.

Jean-Marie LE PEN : Je crois que c'est dans la pièce de Voltaire qu'il y a le fameux appel : tu dors Brutus, tandis que Rome est dans les fers ! Vous savez ... on ne sait pas si c'est son fils naturel ou son fils adoptif et il a rejoint la conjuration de Cassius et ils sont sur le point d'assassiner César...

Michel FIELD : À la différence que César était au pouvoir et que vous n'y êtes pas.

Jean-Marie LE PEN : Il voit venir vers lui son fils Brutus, le poignard à la main, il lui dit : tu quoque fili ! Même toi mon fils... et là il se couvre la tête de sa toge et accepte la mort de la main de son fils. Eh bien moi non ! Voilà. C'est clair. Je ne recevrai pas la mort du petit Brutus.

Michel FIELD : Mais il y a un changement de ton Jean-Marie LE PEN, dans cette semaine très agitée entre vous, parce que la semaine dernière à cette heure-là sur LCI, vous parliez du pu-putsch un petit peu ironique et goguenard, et puis d'un seul coup, aujourd'hui là, il y a cette sorte de dramatisation avec cette référence à César. Quelle cohérence finalement ?  Est-ce que vous avez pris la mesure en fait dans ce changement de ton de la gravité de la situation, et si c'était le cas, quel manque de clairvoyance pour le chef que vous êtes.

Jean-Marie LE PEN : Oui, Michel FIELD, c'est vrai. Je le confesse. Et ça arrive bien souvent aux hommes. Ils sont les derniers à s'apercevoir qu'ils étaient trompés. Bien sûr, c'est vrai que j'ai confiance à des hommes, que j'ai nommé ces gens-là à des postes très importants et que je me suis reposé sur eux car en plus ils me témoignaient de leur amitié et de leur affection. Je suis le parrain du fils de Monsieur MEGRET, Monsieur MARTINEZ - Serge, le félon, pas l'autre - lui, était un commensal habituel de chez moi. Il n'y a pas si longtemps, il me faisait des serments sur sa fidélité. Et dans le même temps, avec un autre collaborateur de Monsieur GOLLNISCH, un autre secrétaire adjoint important, Monsieur TIMERMENS (phon), ils organisaient la cabale, la conjuration qui allait déboucher sur ce qu'ils croient être l'arme ultime - je parle en français là - l'arme ultime du roi, c'est-à-dire le congrès extraordinaire. Mais Monsieur MEGRET est un polytechnicien, ce n'est pas un juriste. Il ne s'est pas entouré de suffisamment de conseils ni n'a pas étudié les statuts avant de savoir que le président du Front National est responsable de l'unité, de la durée, de l'équilibre du mouvement et c'est vrai que je voyais depuis un certain temps monter l'agitation d'un petit groupe de hauts fonctionnaires, dont d'ailleurs deux hauts fonctionnaires du ministère de l'Intérieur issus tous ...

Michel FIELD : C'est pour suggérer un complot...

Jean-Marie LE PEN : Il y a la formation professionnelle qui joue quand même... issus tous de groupuscules ésotériques et racialistes comme GRECE (phon), comme Nouvelle École, comme le Club de l'Horloge, et qui, ne représentant que très peu de choses, avaient fait de l'entrisme, ce qui ne m'avait pas trop inquiété, mais depuis quelque temps, faisaient du noyautage de plus en plus actif. Mais je vais vous dire, ce n'est pas d'aujourd'hui. Je vais diffuser bientôt un document qui s'appelle le document CARNIX. Et il avait été publié déjà... je crois que c'est par un journal qui a disparu, « info Matin ». Le titre, c'était « Document : les amis de MEGRET vous racontent comment ils vont déboulonner LE PEN ».

Michel FIELD : Vous devriez croire la presse plus souvent Monsieur LE PEN.
JEAN MARIE LE PEN : Cette affaire ne date pas d'hier et je dois dire qu'au moment où elle s'est révélée, eh bien j'ai pris mes responsabilités, voilà. Je suis le président du Front National, je le resterai, dans le respect des statuts et je procéderai à toutes les décisions, je prendrai toutes les décisions nécessaires. Encore un petit mot amusant : Monsieur MARTINEZ - Serge, le félon, pas l'autre - eh bien lui, il dit : c'est scandaleux, j'ai été indigné par les mesures de licenciement qui ont été prises. Mais c'est lui qui les a prises, il est vrai à ma demande, il était directeur du personnel ; mais c'est lui qui a licencié Monsieur FAYARD, c'est lui qui a licencié Madame DEBAILLE (phon). Par conséquent, que vient-il nous raconter aujourd'hui ? C'est-à-dire qu'il était obligé de continuer à faire semblant car les formulaires n'étaient pas encore imprimés, la machine n'était pas encore en route, mais admettez que le jour du conseil national, le jour où nos conseillers sont réunis pour se voir exposer pendant toute une journée les éléments de propagande, les étapes de la campagne européenne, la seule chose importante de l'actualité politique, la plus importante, car le Front National risque d'y faire un tabac et parce que la France y joue sa vie et sa liberté et son indépendance. Mais ce jour-là, pendant une heure, je n'ai pas pu parler, dans le Front National dont je suis le fondateur. Et il y avait là des furieux qui m'insultaient, qui me menaçaient et comme j'ai dit l'autre jour : il y avait même ce jour-là des racistes ; c'est qu'ils ont insulté et provoqué notre jeune élu de PACA, Stéphane DURBEC. Voilà pourquoi... je ne le tolère pas car la conception que j'ai, moi, de la nationalité française qui est celle du Front National, n'est pas une conception raciale ni raciste ; c'est une conception affective, c'est une conception spirituelle, c'est l'attachement à la France, c'est l'amour de la France et chaque fois que quelqu'un vient - et nous avons des élus musulmans, nous avons des élus de couleur ou des élus originaires d'autres pays du monde - nous disons : il n'y a qu'une seule condition pour être au Front National, c'est d'aimer la France.

Michel FIELD : Comment prétendre diriger la France qui est un pays où il y a beaucoup d'électeurs qui vous sont hostiles, quand on voit votre propre parti à feu et à sang alors qu'il n'est composé que de gens qui sont d'accord avec vous. Est-ce que ce n'est pas quand même un manque de crédibilité terrible qui va vous atteindre ? Parce qu'on se dit heureusement que vous n'êtes pas au pouvoir parce que la France serait dans un drôle d'état aujourd'hui.

Jean-Marie LE PEN : Vous savez bien que ce sont les guerres civiles qui sont les plus sanglantes car à la vérité quand vous êtes dans une tranchée à Verdun et que vous tirez sur un tailleur allemand de Hambourg, vous n'êtes pas très motivé. En revanche, vous avez pu voir ça dans les Balkans, les terrifiantes scènes de voisins qui se haïssaient depuis très longtemps et qui s'égorgent car...

Michel FIELD : C'est ce qui se passe métaphoriquement au Front National ?

Jean-Marie LE PEN : Non, on ne s'égorge pas pour l'instant. Les conjurés n'ont encore sorti que des canifs, ne prenons pas ça au tragique. Et je voudrais surtout dire à tous les gens qui nous écoutent, tous les gens du Front National ne prenez pas ça au tragique. Vous avez failli et nous avons failli tomber dans un piège ; nous avons failli être victimes d'une espèce de bataille de la Marne, d'une espèce d'offensive foudroyante, formidable, avec des moyens considérables. Et puis ils ne sont pas passés. Et par conséquent la contre-attaque est engagée et ils vont se replier. Alors je ne sais pas qui va gagner la bataille de la Marne, mais je sais bien qui l'aurait perdu, a dit Joffre.

Michel FIELD : Une auditrice au téléphone.

Auditrice : Bonjour. Je voudrais poser une question à Monsieur LE PEN. Est-ce que vous n'avez pas peur, Monsieur LE PEN, que Monsieur Bruno MEGRET prenne votre place. J'ai l'impression qu'il a quand même beaucoup d'amis et beaucoup de personnes derrière lui. Est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'il est prêt... de toute façon il est prêt à prendre votre place, ça c'est une certitude, mais est-ce que vous n'avez pas l'impression que c'est ce qui va se passer et que le mouvement va carrément se casser en deux et vous retrouver, vous, un petit peu seul. Merci. Au revoir.

Jean-Marie LE PEN : Qu'il en ait très envie, ça me parait évident. C'est une envie qu'il a d'ailleurs cachée sous des dehors extrêmement...
Michel FIELD : Oui, mais pour l'instant, lui ne vous met pas en cause ; c'est vous qui le mettez en cause personnellement.

Jean-Marie LE PEN : Tout le monde appelle papa au secours maintenant, même Monsieur MARTINEZ - le félon, pas l'autre - appelle : papa, il faut faire quelque chose. Alors je vais vous dire une chose, on parle de la clémence d'Auguste... je ne voudrais pas employer ces références historiques que même Bruno MEGRET ne saisit pas, ou culturelles, mais je suis et Je serai très indulgent au nom du bureau politique, je le rappelle, car le bureau politique est aux trois quarts derrière moi ; le groupe parlementaire aux trois quarts aussi ; le bureau exécutif aux sept huitièmes. Je dis aux gens qui ont été trompés : il n'y a pas de problème. Il va y avoir les vacances, il va y avoir Noël, la trêve de Dieu. Au retour, renoncez à cette stupidité criminelle que serait un congrès en pleine campagne électorale...

Michel FIELD : Elle n'a pas commencé la campagne électorale...

JEAN MARIE LE PEN : Ah si !

Michel FIELD : Officiellement non.

Jean-Marie LE PEN : Elle est commencée bien sûr. Et Monsieur MEGRET devrait nous expliquer comment n'arrivant pas à débattre à quarante et à s'entendre à quarante, on arriverait publiquement à s'entendre à deux mille ! Non, c'est dérisoire. Et là il faut se poser la question : pourquoi ces gens-là ont pris le risque de briser leur propre carrière pour faire ce qu'ils ont fait. Il faut que les motivations soient extrêmement puissantes et je crois qu'il faut les chercher du côté des ennemis du Front National car le Front National, quand les attaques sont venues de l'extérieur, ma foi, il a assez bien résisté, sans problème. Il a reçu des coups, il a été quelquefois bloqué mais il a continué d'avancer. Et c'est donc de l'intérieur qu'on a résolu de le détruire. Et qui peut souhaiter ça ? Eh bien il y a d'ailleurs la franc-maçonnerie puisque le Grand Orient de France a déclaré ...

Michel FIELD : Nous y voilà !

Jean-Marie LE PEN : Attendez... a déclaré au Front National une guerre à mort. Ce n'est pas moi qui ai déclaré une guerre au Grand Orient. C'est le Grand Orient qui a déclaré la guerre. Il y a la fausse droite qui évidemment tant qu'il y a LE PEN, sait qu'on ne s'alliera pas avec des partis dont nous considérons qu'ils ont été les facteurs de la décadence française et qui actuellement sont pour la plupart partisans du traité de Maastricht et d'Amsterdam, c'est-à-dire de la dissolution de la France dans une Europe fédérale. Il y a les Euro-mondialistes qui évidemment voient dans le Front National et l'exemple qu'il représente pour tous les partis européens - je reçois des télégrammes de tous les partis nationaux européens qui me disent : président, allez-y, tenez bon, vous n'êtes pas le premier à subir ce genre d'attaque. Alors il faut chercher... alors il y a évidemment l'ambition, l'impatience des uns ou des autres mais il y a des raisons beaucoup plus sérieuses. On a parlé - ce n'est pas moi qui en ai parlé - on a parlé de grand financier proche de l'Élysée, parce que vous avez vu aussi qu'il y a une espèce de rumeur qui court selon laquelle il pourrait y avoir peut-être, une campagne électorale présidentielle. Et la manoeuvre de MEGRET et de LE GALLOU, elle consiste justement à nous retirer et à me retirer le plus possible d'élus du Front National, pour espérer peut-être que je ne puisse pas me présenter aux élections présidentielles. Autrement dit, il y a des tas de gens qui ont intérêt à détruire la grande force nationale qui s'est constituée un peu avec mon aide quand même depuis vingt-cinq ans, ces gens-là sont des criminels. Et ils ont agi en permanence par la cautèle, par le secret, par le mensonge. C'est ça qui est insupportable. Alors on me dit : président, je vous en supplie, il faut s'entendre. On ne peut s'entendre que dans la loyauté, dans la vérité, dans la transparence. On ne peut pas s'entendre avec des gens qui ont pris tous les risques, risques que nous surmonterons bien sûr, nous serons dans la campagne électorale européenne et nous gagnerons malgré ces menaces et malgré ces manoeuvres. Mais nous subissons quand même une agression qui n'est pas sans peut-être nous affaiblir très provisoirement.

Michel FIELD : Beaucoup de questions notamment illustrées par celle de Monsieur GARNOT d'Évry : la peur de perdre votre fonction vous aurait-elle fait perdre le sens du devoir ? Et une autre : votre force a été de fédérer de nombreux courants différents, n'est-ce pas aujourd'hui votre principal échec ?

Jean-Marie LE PEN : Pour l'instant, je n'ai entendu que des questions hostiles à ma position.

Michel FIELD : Ce sont des questions qui vous permettent de vous expliquer.

Jean-Marie LE PEN : D'accord, mais écoutez ...

Michel FIELD : Non, non, j'ai mis de côté toutes les insultes d'un côté et tous les encouragements de l'autre.

Jean-Marie LE PEN : Tout le monde me rappelle que j'ai 70 ans.

Michel FIELD : Et que vous en aurez 74 en 2002 ...

Jean-Marie LE PEN : Et l'autre jour à Metz où, parait-il, je devais subir le test de la base, il y avait 70 journalistes pour voir le matador encorné par les taureaux de Monsieur MEGRET... bon, bref. Et il y avait 750 couverts à Metz. J'ai parlé pendant une heure et demie. Les amis de Monsieur MEGRET, une trentaine, ont quitté leur table et sont partis sous les huées de la foule. C'est-à-dire que le test de la base du Front National, je l'ai fait. Ce n'est pas le test des élus ...

Michel FIELD : Alors faites le congrès à ce moment-là, si vous n'en avez pas peur !

Jean-Marie LE PEN : Ce n'est pas le test des élus travaillé depuis des mois à l'aide d'un organisme sur lequel Monsieur MEGRET a mis une main complète et très bien d'ailleurs financé par les régions et les communes, c'est l'Institut de formation nationale qui est en quelque sorte le cheval de Troie de Monsieur MEGRET et de ses amis à l'intérieur du Front National. Mais si vous regardez le haut du Front, les responsables, les députés, le bureau politique, le bureau exécutif, tout cela est derrière Jean-Marie LE PEN. Et puis il y a une petite faille par le travail qu'a fait Monsieur MEGRET. Et puis en bas, il y a les adhérents que j'ai rencontrés à Metz et puis il y a les électeurs que je suis le seul pour l'instant à avoir rassemblé par millions sur le nom du Front National et sur son programme.

Michel FIELD : Un autre appel.

Homme : Bonjour, Monsieur POTIER, de Seine-Maritime. Monsieur LE PEN, ne croyez-vous pas que les dissensions au sein du Front National ne peuvent que nuire à ce parti et qu'il serait plutôt souhaitable de rentrer en concertation directe avec Monsieur MEGRET et ses amis plutôt que de les exclure du Front National ? Merci.

Jean-Marie LE PEN : C'est la question qu'a pu se poser le général de GAULLE en 1961, il ne se l'est pas posée. Bon. Il se trouve ... que cette concertation, elle aurait pu avoir lieu au bureau politique quand Monsieur MEGRET aurait dit quels étaient les points sur lesquels il n'était pas d'accord. Or je l'ai bien écouté tout à l'heure à Europe. Il y a deux points sur lesquels il n'était pas d'accord, le premier, c'est l'hypothèse que j'avais soulevée, de la candidature de ma femme au cas où je ne pourrais pas me présenter, ce qui était une hypothèse quand même assez peu certaine. Je l'avais trouvée normale, quand j'étais l'objet de la percussion judiciaire française de répondre dans le fond, comme avait répondu Monsieur MEGRET à Vitrolles ou comme avait répondu Monsieur LE CHEVALLIER à Toulon. Mais malheureusement cette hypothèse était en contradiction avec une idée qui m'a choqué un peu, c'est qu'on puisse se servir des persécutions que je subissais pour prendre ma place, pour prendre la place naturelle, celle du président du Front National, à la tête des élections européennes. Et puis la deuxième... alors je suis donc en place, avec l'unanimité du bureau politique, y compris Bruno MEGRET et ses amis : Jean-Marie LE PEN sera tête de liste, il formera la liste comme il lui plaira parce que c'est très difficile à faire, c'est un travail diplomatique terrible, il le fera. Alors ça évacué ! il n'y a donc plus de raison ; La deuxième raison, c'est que j'aurais désigné Monsieur MARTINEZ ...

Michel FIELD : Jean-Claude donc, pas le félon.

Jean-Marie LE PEN :Jean-Claude, pas le félon, l'autre, parce que Jean-Claude MARTINEZ est l'homme qui a découvert la vache folle... la maladie de la vache folle, qui est probablement le plus brillant des députés européens, qui a une inspiration, il faut bien le dire, affective, intellectuelle, c'est un homme remarquable qui a été premier prix de concours général de biologie en même temps qu'il était professeur de droit public...

Michel FIELD : Oui et qui a fait des sorties publiques extrêmement hostiles à Bruno MEGRET sans réprimande de votre part ...

Jean-Marie LE PEN : Non, non, le débat qui a eu lieu à Strasbourg, dans un colloque du Front National, il est vrai que se faisant le porte-parole des membres du bureau politique qui étaient lassés de voir l'équipe de Monsieur MEGRET pratiquer son entrisme et son agitation, lui a dit ses quatre vérités entre nous.

Michel FIELD : Il y a eu des fuites.

Jean-Marie LE PEN : Ah bien il y a eu des fuites. Mais ces fuites, je sais qui les a organisées... Je dois vous rappeler que vous avez... pas vous Monsieur FIELD, mais la presse de gauche a bénéficié d'une promotion dans les semaines qui ont précédé le conseil national, nos cadres jusqu'à l'échelon cantonal, recevaient tous les articles de « Libé », du « Monde », de « L'Événement du Jeudi », de « L'Express », à deux conditions, c'est qu'ils soient pour MEGRET ou contre LE PEN. Alors quand ce travail-là est fait de l'intérieur du Front National. Quand on met sur le fax de Monsieur MARECHAL un faux fax identifié maintenant comme tel, avec une liste tout à fait aberrante, dérisoire, des quinze premiers candidats aux élections européennes à sept mois des élections, c'est un gag. Mais ce sera repris par « Libération » et ça servira d'argument aux amis de Monsieur MEGRET. Alors voilà les circonstances exceptionnelles, c'est que Monsieur MEGRET n'a pas été choisi comme responsable de la campagne électorale, écoutez soyons sérieux ! Tout le reste, tout le trouble dont parle Monsieur MEGRET, c'est lui et ses amis qui l'ont organisé dans le Front National. Ce n'est pas moi, ce ne sont pas mes amis ! Je suis en place, je suis responsable de l'unité. Je suis élu pour trois ans, encore pour deux ans, par conséquent, je n'ai pas à me soucier... Je n'ai pas à intriguer pour avoir des pouvoirs supplémentaires. C'est lui qui est responsable... parce qu'il est à la tête, et puis un certain nombre de sicaires autour de lui. Je le rappelle, les trois têtes sont des hauts fonctionnaires et j'ai toujours fait attention que ni un clan ne puisse l'emporter sur un autre, ni une famille politique ou spirituelle sur l'autre, c'est très difficile de faire un mouvement de droite nationale uni et de le garder tel. J'ai peut-être été trop loin dans l'acceptation d'un certain nombre de gens qui m'ont fait porter le chapeau de leurs idées, eh bien voilà. Tant pis, si je l'ai fait, c'est de ma faute.

Michel FIELD : Une interruption publicitaire et on reprend ce dialogue.

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Michel FIELD : Retour sur le plateau de « Public » en compagnie de Jean-Marie LE PEN, le président du Front National avec au téléphone un militant, un vieux militant qui vous accompagne depuis longtemps et qui est troublé, comme je l'imagine beaucoup de militants du Front National.

Pierre PAQUINE : Bonjour. Je vous appelle de Saverne, Pierre PAQUINE. Je soutiens votre politique depuis notre rencontre à Alger et le combat pour l'Algérie française. Je suis maintenant choqué de votre comportement peu digne de votre passé et contraire à la démocratie et à la liberté.

Michel FIELD : Il y a des militants qui sont, sans faire partie du petit groupe de comploteurs, qui sont évidemment, j'imagine, extrêmement troublés de cette guerre des chefs et des clans puisque désormais c'est vous qui dites qu'il y a des clans au Front National. Vous nous en auriez voulu de vous le dire il y a quelque temps et maintenant c'est vous qui le dites. Bienvenue au club.

Jean-Marie LE PEN : Je comprends l'angoisse des militants, je comprends leurs craintes et je comprends leur peine. Qu'ils sachent que moi aussi j'en éprouve... quand je suis obligé d'appliquer la discipline salvatrice et quand je suis obligé de procéder à des exclusions ou à des sanctions. Mais je suis le chef responsable du mouvement. Vous savez, si j'ai réussi à faire le Front National car j'y ai quand même joué un certain rôle - et j'ai près de moi ce soir ici tous les gens qui sont du départ, depuis Roger HOLIN (phon), de CHABOCHE (phon), REVAUX (phon), tous ces gens-là étaient avec moi en 1972 et ils sont aujourd'hui à mes côtés - c'est que j'ai été à un moment ou à un autre, très proche de toutes les strates qui constituent le Front National. Si nous avons eu des voix ouvrières à gauche, c'est parce que je suis le seul homme politique à avoir été mineur de fond, à avoir été marin pêcheur de chalutier. Si les gens de l'Algérie française ou de l'armée ont confiance en moi, c'est parce que j'ai été un officier parachutiste de la Légion étrangère, que j'ai quitté mon banc de député pour aller avec les rappelés en Algérie, que j'ai été en Égypte, j'ai été en Indochine. J'ai été un militant. Vous me dites que vous êtes militant mais moi je suis militant et je suis toujours militant. Mon appartement avec mes enfants a explosé en plein Paris, je suis obligé de faire attention, de penser à eux, et je pense à tous ces militants... et si j'ai obéi à la demande de ma fille de venir le dernier jour de la campagne à Mantes, c'est justement non seulement pour elle parce que j'aime ma fille...

Michel FIELD : Laquelle ?

Jean-Marie LE PEN : Ma fille Marie-Caroline... J'ai pensé à tous ces militants qui étaient arrivés en tête des candidats au premier tour à Mantes-la-Jolie et elle et aussi il faut bien le dire Philippe OLIVIER, m'ont demandé de venir. Mes attachés de communication m'ont dit : président, il ne faut pas y aller ; nous avons fait une campagne formidable sans incident, ne prenez pas ce risque. Eh bien j'ai pris ce risque en pensant aux militants qui pendant toute la campagne avaient été agressés, avaient été battus, insultés, vilipendés, et j'ai voulu leur montrer que le président, même à 68 ans parce que c'était l'année dernière ou l'année d'avant, eh bien il était près d'eux, il prenait les mêmes risques qu'eux.

Michel FIELD : Mais pourquoi ces militants, vous ne voulez pas les entendre directement dans ce congrès extraordinaire qui réglerait toutes vos affaires ?

Jean-Marie LE PEN : Non, mais écoutez, moi je suis tout à fait démocrate.

Michel FIELD : C'est ça qui ne donne pas l'impression ...

Jean-Marie LE PEN : Je me soumets aux règles des congrès et des statuts. Je ne suis pas à la disposition d'un petit groupe de comploteurs qui prennent prétexte de l'agitation qu'ils ont créée pour tenter de la régler dans l'unité qu'ils ont rompue. Soyons sérieux. Mais je voulais vous dire tout à l'heure : à Metz, il y a un brave type qui m'a approché et qui m'a dit : Monsieur le président, soyez le patriarche. Et je l'ai regardé et je lui ai dit : tu m'as bien regardé en face ? Tu trouves que j'ai une tête de patriarche ? Eh bien ce n'est pas encore le moment, crois--moi !

Michel FIELD : Donc vous vous accrochez ? C'est un peu ça.

Jean-Marie LE PEN : Non, je ne m'accroche pas !

Michel FIELD : Quand Monsieur MEGRET tout à l'heure disait : finalement...

Jean-Marie LE PEN : Je suis élu à l'unanimité il y a un an ... Alors qu'est-ce qui s'est produit depuis un an pour qu'on essaie de provoquer l'empêchement de Jean-Marie LE PEN ?! On ne m'a pas vu avec ma secrétaire, on ne m'a pas vu la main dans la caisse ou des choses comme ça. Le seul grief de Monsieur MEGRET, c'est que je lui ai préféré MARTINEZ - l'honnête pas l'autre.

Michel FIELD : Quand Bruno MEGRET dit que vous avez une conception du parti finalement archaïque : un chef et un parti qui obéit et qui exécute de manière militaire alors qu'aujourd'hui c'est devenu un grand parti qui a des élus et que ces élus, vous ne les respectez pas, que ces militants, vous ne les écoutez plus, que finalement de vos propres rangs surgit la critique d'un autoritarisme, d'un népotisme, qu'est-ce que vous avez à répondre à ça?

Jean-Marie LE PEN : Ces élus régionaux sont ceux qu'avec la commission d'investiture dont j'ai établi la liste moi-même, j'ai joué un rôle là-dedans, je vous ai, dit tout à l'heure l'aphorisme... un bienfait... bon, bref. Eh bien ces gens ont vocation à travailler dans les conseils régionaux. Ils n'ont aucune vocation à jouer un autre rôle dans le Front National. S'ils étaient députés, ils joueraient un rôle à l'Assemblée nationale. Malheureusement, vous le savez, la loi prétendument démocratique de chez nous, nous prive de nos élus avec plusieurs millions d'électeurs. Mais je voudrais surtout dire une chose, c'est qu'on peut penser que la mission qu'est la mienne est facile, et on peut penser qu'elle présente des avantages, elle est pleine de risques, elle est pleine d'outrages pour moi, pour ma femme, pour ma famille, pour mes enfants, pour mes amis. Je ne le fais par devoir. Et je vais vous dire pourquoi je suis choqué de cette affaire, c'est que nous avons commencé la campagne européenne depuis trois mois. Jamais nous n'avions fait cela. On commençait généralement au mois d'avril d'abord parce qu'il n'y avait pas de sous. Cette fois-ci, il y a un financement de l'État et nous avons donc décidé de nous jeter avec tous les moyens possibles dans la campagne contre Maastricht et contre Amsterdam parce que nous avons le sentiment que la France va y perdre tout : ses lois, sa dignité, ses libertés et que dans une bataille comme celle-là...

Michel FIELD : Mais dans quel état allez-vous la mener cette bataille si le Front National...

Jean-Marie LE PEN : Je la mènerais pieds nus s'il fallait, en guenilles s'il le faut, mais je le ferais ; mais sous le tir dans le dos de ceux qui étaient hier mes amis.
Mais s'ils veulent démontrer leurs talents, leurs capacités, qu'ils fassent donc une liste, qu'ils fassent un parti ! Monsieur MEGRET a déjà fait un parti, il a échoué, il a fait un journal, il a fait faillite. Comme second, il est très bien. Quand le fauteuil est assuré, les locaux chauffés, la lumière payée, là oui, il a du talent, il faut le reconnaître, d'exécutant. Et il aura peut-être un jour, dans son propre parti, l'occasion de s'apercevoir que les responsabilités de chef dans un mouvement qui est attaqué de partout, sont lourdes et que si on n'est pas quelqu'un soutenu par le mouvement et soutenu par ses amis et ses collaborateurs, eh bien ça n'existe pas. Or il y a encore un grand chemin à faire pour le Front National pour arriver à faire prévaloir... à pouvoir proposer ses solutions car nous pensons que nos solutions sont alternatives de celles des partis de droite et de gauche qui n'ont su résoudre aucun des grands problèmes français, ni l'immigration, ni le chômage, ni l'insécurité, fiscalité, ni la corruption.

Michel FIELD : Justement sur les questions de stratégie politique, on a quelquefois dit que Bruno MEGRET avait comme stratégie à terme une alliance même critique, avec la droite traditionnelle, chose que vous refusez catégoriquement. Mais alors moi la question que je voudrais vous poser, c'est : vous allez arriver au pouvoir tout seul ? Vous êtes la seule force politique à ne pas avoir besoin d'alliances pour arriver au pouvoir ?

Jean-Marie LE PEN : Nous pensons qu'il est en train de se produire dans le pays une grande transformation de l'esprit public dont d'ailleurs les abstentions sont la preuve. Il y a de plus en plus d'électeurs et d'électrices qui refusent de voter aux élections partielles ou même générales. Ceci prouve que les gens sont en train de prendre conscience d'un certain nombre de phénomènes. Ils n'ont plus confiance dans les partis. Ils se rendent compte qu'il y a de plus en plus de misère...

Michel FIELD : Vous pensez que le spectacle que vous offrez en ce moment leur donne confiance dans le vôtre ?

JEAN MARIE LE PEN : Oh ! Vous savez, ce spectacle ...

Michel FIELD : J'ai des appels qui disent : l'image que vous donnez de votre parti, me déçoit, je croyais qu'il était différent des autres. On y découvre des bagarres d'ambition comme partout ailleurs.

Jean-Marie LE PEN : C'est vrai. Nous sommes des hommes et des femmes comme les autres ; peut-être un peu mieux puisque ça ne nous est arrivé qu'une fois en vingt-cinq ans ; mais c'est vrai qu'on peut avoir la bronchite, on peut tomber malade ; mais tout dépend de la capacité que l'on a à vaincre la maladie et à faire triompher la santé. C'est tout. C'est cela l'art de responsabilité.

Michel FIELD : Si Bruno MEGRET et ses amis convoquent un congrès avec une part des militants du Front National, est-ce que ce sera un congrès officiel, officieux, un Front National maintenu, historique, ça va ressembler à quoi ?

Jean-Marie LE PEN : Ils convoqueront leur congrès, avouant cette fois-là délibérément leur intention scissionniste et fractionniste. Les choses seront claires. Je ne donne pas six mois à ce parti pour disparaître et je ne donne pas 1 % des voix à la liste qu'ils pourraient constituer aux Européennes.

Michel FIELD : Vous l'avez mis en cause, c'est de mon devoir et de ma déontologie d'au moins lui accorder un droit de réponse. C'est le félon au téléphone. Serge MARTINEZ, bonsoir.

Serge MARTINEZ : Bonsoir. J'étais disposé à poser une question amicale car je souhaite... et j'avais beaucoup de respect pour notre président jusqu'à ce jour mais il m'a respectivement traité de félon et de malhonnête. Alors il a franchi une limite qui me permet de lui dire franchement ce que je n'aurais pas osé faire s'il n'avait pas agi ainsi. Je le traite, lui, de menteur, car il vient de dire que 80 000 ou 100 000 adresses correspondant au nombre d'adhérents ont été envoyées, il y a 42 000 adresses, d'ailleurs Monsieur GOLLNISCH que je vois à l'image, avouait lui-même 50 000 en exagérant déjà il y a peu de temps. Il se contredit, il perd son sang-froid. Il vient de dire à quelques minutes d'intervalle, que nous sommes un petit groupe de comploteurs et pendant une demi-heure, il a expliqué que nous avions des moyens considérables, le Grand-Orient etc.

Jean-Marie LE PEN : Les vôtres !

Serge MARTINEZ : Oui, les miens personnellement président ; et quand vous les avez demandés, ils ont été à votre disposition.

Jean-Marie LE PEN : Non, je n'en ai pas eu besoin.

Serge MARTINEZ : Oh si quelquefois. Bien. Ceci étant, s'il vous plaît, arrêtons-là le mensonge car j'ai des pièces qui pourraient prouver ce que je dis.

Jean-Marie LE PEN : Présentez-les !

Serge MARTINEZ : En ce qui concerne ma propre carrière dont vous disiez qu'elle pouvait être brisée, je tiens à vous dire cher président - cher est peut-être de trop aujourd'hui - que j'ai été pour vous, à votre disposition, et gratuitement, comme un militant bénévole, le gestionnaire des biens immobiliers du Front National, le gestionnaire du personnel, le gestionnaire des manifestations, le gestionnaire des fédérations et le gestionnaire du Gard.

Jean-Marie LE PEN : Et vous avez trahi ces quatre missions.

Serge MARTINEZ : Alors ou vous étiez complètement incompétent dans votre capacité à discerner les qualités de vos subordonnés...

Michel FIELD : Ça, c'est la question qu'on se pose...

Serge MARTINEZ : Ou vous changez d'avis aujourd'hui. Enfin...

Michel FIELD : Brièvement, Serge MARTINEZ... Parce que le droit de réponse, il ne faut pas en abuser.

Jean-Marie LE PEN : Mea culpa... mea maxima culpa car quand MARTINEZ le félon a présenté sa candidature au bureau politique...

Michel FIELD : Ne rentrez pas trop dans les détails.

SERGE MARTINEZ : C'est vous qui l'avez présentée, je ne vous l'ai même pas demandé...

Jean-Marie LE PEN : Neuf voix sur quarante-trois...

Michel FIELD : Mais alors méfiez-vous de Bruno GOLLNISCH que vous portez aux nues aujourd'hui, c'est votre numéro deux actuel mais moi je serais vous, je n'aurais pas forcément très confiance.

Jean-Marie LE PEN : La pression a été très forte pour que je n'accepte pas Monsieur MARTINEZ comme responsable du Front National. Je dois reconnaître... je confesse que j'ai poussé mes amis à admettre qu'il fallait que des gens comme lui qui représentent aussi, il faut bien le dire, une partie de notre peuple, soient présents dans notre bureau politique.

Michel FIELD : Mais alors est-ce que là vous ne signez pas l'échec justement de ce qu'a été votre succès, à savoir fédérer des tas de familles de la droite extrême, des nationalistes, des chrétiens traditionnels, des paganistes et aujourd'hui cette alliance-là, cette unité-là est en train de voler en éclats.

Jean-Marie LE PEN : J'ai cru qu'on pouvait faire entrer dans le Front tout le monde y compris...

Michel FIELD : Et vous vous retrouvez avec le noyau groupusculaire de vos débuts.

Jean-Marie LE PEN : Si vous aviez invité deux mille personnes, elles seraient là !

Michel FIELD : Vous les avez cités, les compagnons de la première heure...

Jean-Marie LE PEN : Je suis drôlement fier d'avoir conservé des amis pendant quarante ou cinquante ans.

Michel FIELD : Est-ce que vous ne retombez pas dans la tentation groupusculaire de ce qu'a été l'histoire de l'extrême-droite longtemps ?

Jean-Marie LE PEN : Pour l'instant, on n'est pas groupusculaire...

Michel FIELD : Non, mais ne vous énervez pas, répondez-moi !

JEAN MARIE LE PEN : Je ne m'énerve pas... Je suis un professionnel comme vous.

Michel FIELD : Moi j'ai moins d'ennuis que vous en ce moment.

JEAN MARIE LE PEN : Mais ça peut venir.

Michel FIELD : Merci de la menace.

JEAN MARIE LE PEN : Ah ! non ce n'est pas une menace !

Michel FIELD : Non, c'était pour de rire !

JEAN MARIE LE PEN
C'était une prévision... mais s'il se crée un petit parti d'extrême droite, eh bien ça sera plus clair après tout. Moi j'ai cru qu'on pouvait intégrer toutes les familles, même quelquefois les plus compromettantes.
Bon. Eh bien il s'avère qu'ils sont trop agités, qu'ils veulent se retrouver entre eux. Eh bien qu'ils y aillent, qu'ils fassent un mouvement. Nous aurons enfin un mouvement d'extrême-droite, c'est épatant, ça !

Michel FIELD : Vous préférez affaiblir le Front National plutôt que de vous concilier avec une partie des gens qui mettent en cause vos méthodes de fonctionnement ?

JEAN MARIE LE PEN : Les jardiniers et les pépiniéristes savent qu'il faut savoir couper pour renforcer l'arbre et en tout cas ils savent qu'il ne faut jamais couper le tronc, plutôt la branche.

Michel FIELD : Alors ça veut dire quoi ? Que pour vous, Bruno MEGRET ne fait plus partie du Front National et que ses amis non plus ?

JEAN MARIE LE PEN : Il me semble quand même dans le couloir qui conduit à la sortie, et ça de son propre chef, de sa propre volonté, de sa propre responsabilité puisqu'il a appelé et il a réitéré, à la désobéissance des consignes et des ordres donnés au nom du bureau politique par le président du Front National. Il ne peut pas y avoir deux chefs. On sait aujourd'hui qu'au Front National, il y a un pilote dans l'avion ; ou si on prend une comparaison maritime, le commandant est à la barre. Les seconds, le chef mécanicien... si Monsieur MEGRET veut remplir sa tâche comme il l'avait remplie auparavant dans l'obéissance, eh bien il peut revenir, je lui ferai l'aman - aman ... aman, entendons-nous bien - mais s'il persiste dans sa voie, il se condamne à n'être que le président du parti mégrétiste.

Michel FIELD : La dernière fois que vous étiez venu, vous m'aviez offert un disque, un compact de votre chanteuse etc ... je me permets de vous en offrir un parce que je suis un garçon poli, c'est le dernier Pierre PERRET avec une chanson qui vous est un peu destinée, ça s'appelle « La bête est revenue ». C'est une chanson antifasciste, antiraciste, je ne doute pas qu'avec vos bonnes intentions désormais, vous l'apprécierez...

Jean-Marie LE PEN : Et puis aussi anti-bretonne et anti-française.

Michel FIELD : Non, non, on retrouve le Pierre PERRET qu'on aime.

Jean-Marie LE PEN : Eh bien voyons, ce n'est pas trop dur de faire ça ! Eh bien écoutez, entre nous soit dit : je préfère Isabella à Pierre PERRET.

Michel FIELD : Vous avez rendez-vous avec les vingt heures. Merci à tous.