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L'Information Agricole : Pour la première fois depuis 85 ans, le tourisme bénéficie d'un ministère à part entière. Quelle lecture, Madame, faire de cette nomination ?
Françoise de Panafieu : En créant ce ministère du tourisme, Alain Juppé et Jacques Chirac ont montré l'intérêt qu'ils portaient à ce secteur. Rappelons que les industries touristiques sont l'un des rares secteurs directement créateurs d'emplois pour les dix années à venir et la dernière chance de développement de 40 à 50 % des départements français.
L'Information Agricole : Depuis le traité de Maastricht le tourisme est reconnu comme une compétence possible de l'Union. Quelle peut être la spécificité de cette intervention et y-a-t-il selon vous un cadre à privilégier ?
Françoise de Panafieu : Le tourisme a fait une entrée timide dans le Traité sous forme de « mesures » aux conditions antérieures, c'est-à-dire en requérant l'unanimité. La conférence intergouvernementale de 1996 devrait être l'occasion d'examiner la question d'une intégration plus poussée de tourisme dans les politiques communautaires. Pour préparer cette échéance, la Commission a publié un livre vert sur le tourisme qui prévoit quatre scénarios pour l'avenir.
Afin d'adopter une position concertée, j'ai engagé une large consultation sur ce document, notamment auprès des fédérations professionnelles et par l'intermédiaire des délégués régionaux du tourisme pour les concertations locales. J'ai ainsi observé qu'il y avait une certaine attente pour que soient mieux précisés les contours d'une éventuelle politique communautaire du tourisme, préalablement à l'engagement d'un débat portant sur les instruments institutionnels. Beaucoup d'opérateurs attendent un programme d'actions clair et une stratégie plus qu'un débat de juristes.
Les objectifs de la France, déjà évoqués lors de la présidence française de l'Union européenne demeurent principalement :
- de reconnaître l'importance économique et sociale d'un secteur, créateur d'emplois et acteur de l'aménagement du territoire, qui représente déjà 5 % du PIB, 5,5 % du commerce extérieur et 6 % des emplois de l'Union ;
- de renforcer la cohésion des actions en matière de tourisme, qui relève actuellement de 14 directions générales de la Commission ;
- de faire jouer le principe de subsidiarité dans la mise en oeuvre des actions « tourisme » ;
- d'affirmer les intérêts du secteur touristique français.
L'Information Agricole : La France est la première destination mondiale. Quels sont les axes à privilégier pour maintenir et améliorer ce résultat ?
Françoise de Panafieu : La France est en effet la première destination touristique mondiale avec 60 millions de touristes étrangers par an. Ce chiffre stagne depuis 1992, aussi ne faut-il pas considérer notre leadership acquis à jamais. Si on rapporte les aides de l'État pour la promotion touristique au PIB, on constate que l'effort de l'Espagne, notre principal concurrent, est neuf fois plus important que celui de la France, celui de l'Irlande vingt-cinq fois plus. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes. J'entends pour ma part donner un sérieux coup de pouce à « Maison de la France », groupement de promotion de la France à l'étranger, financé à 49 % par le ministère du tourisme. En augmentant la part de l'État (170 millions de francs), j'attends de Maison de la France une réflexion sur les antennes existantes et celles à créer pour être encore plus performante. Je compte d'ailleurs prendre bientôt des initiatives dans ce domaine.
L'Information Agricole : Les activités de tourisme rural séduisent un public français et étranger de plus en plus important. Quel regard portez-vous sur ce tourisme d'espace et de rencontre ?
Françoise de Panafieu : Le tourisme rural ne représente pour l'instant que 28 % de la fréquentation et 22 % des dépenses touristiques. Les études et rapport réalisés ces dernières années ont confirmé qu'il répond à une forte demande solvable d'accueil de qualité d'activités de pleine nature, soucieuse d'une nature et d'un milieu préservés et authentiques. Pour améliorer l'organisation de ce secteur et faciliter la commercialisation des produits, plusieurs initiatives sont à développer :
- la constitution d'un plan marketing du tourisme en espace rural à partir d'études de clientèles sur les filières de produits ;
- la participation à la politique d'aménagement du territoire et en particulier des pays, en mettant en évidence la forte contribution de l'économie touristique ;
- l'amélioration de la commercialisation par la création d'un serveur national de réservation des produits du tourisme rural.
L'Information Agricole : Au sein d'un environnement fragile et mouvant, le tourisme apparaît comme un facteur de développement local. L'État peut-il, et selon quelles voies, favoriser l'initiative locale ?
Françoise de Panafieu : Bien sûr, l'État a un rôle à jouer pour les initiatives locales, chaque déplacement que j'effectue sur le terrain me le prouve. Afin de remédier aux lacunes actuelles du tourisme en espace rural (fragilité des entreprises, manque de coordination, inadéquation de certains produits), le rapport de J.-J. Descamps préconisait d'ailleurs un effort de tous les acteurs autour du concept de tourisme de pays. Je partage cette approche d'une contribution significative au développement local et à l'aménagement du territoire. Des actions liées à l'assistance technique aux porteurs de projets touristiques, à l'innovation dans le domaine du financement des entreprises, à des démarches-qualité prenant en compte une réelle approche marketing et à des actions de formation des acteurs locaux doivent être déployées dans le cadre de la politique du pays.
L'Information Agricole : La FNSEA a signé le 6 avril dernier un protocole avec la Fédération nationale de l'industrie hôtelière, l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture et la Fédération nationale des gîtes de France. Que pensez-vous de cette initiative ?
Françoise de Panafieu : Je me réjouis de la signature de ce protocole qui s'inscrit dans le prolongement du rapport Radelet. Il est bon, en effet, que les structures représentant des établissements agissant dans la légalité unissent leurs efforts pour lutter contre les problèmes du paracommercialisme, engendrés par la prolifération d'activités non déclarées. C'est un élément qui contribue de façon importante à l'action que mène le ministère pour résorber le paracommercialisme et développer l'activité au service du territoire. J'ai moi-même pris une mesure en ce sens : un décret sera signé dans les prochains jours faisant obligation à tout établissement d'accueil touristique d'une déclaration en mairie. Ce document sera la base de travail indispensable si l'on veut que le préfet puisse jouer correctement son rôle de surveillance.
Il est essentiel à mes yeux que tous ses acteurs oeuvrent pour améliorer la performance de cette forme de tourisme en réponse aux attentes de plus en plus fortes de la clientèle.
L'Information Agricole : Les agriculteurs sont des partenaires importants du tourisme rural. En tant qu'opérateurs touristiques (marques « Bienvenue à la Ferme », plus du tiers des produits « Gîtes de France » ...) mais également par leur contribution à la préservation d'un patrimoine naturel, bâti et de savoir-faire traditionnels. Quelles sont, selon vous, les voies d'une meilleure valorisation de leurs rôles ?
Françoise de Panafieu : Les agriculteurs contribuent effectivement pour une part importante au développement du tourisme rural. Dans le même temps, je constate un réel engouement pour les nouveaux produits en milieu rural. Il faut donc faire en sorte que cela se déroule de façon harmonieuse dans une meilleure synergie, comme je l'ai indiqué, de tous les acteurs.
Le tourisme à la ferme ne concerne actuellement que 20 000 agriculteurs, ce qui est très peu. Il y a là une possibilité de développement extrêmement forte.
Mais plus généralement, outre les opérations de réhabilitation du patrimoine bâti en cours d'étude ou de mise en oeuvre, je voudrais conclure sur le fait que le tourisme ne peut représenter qu'un complément de ressources pour les territoires et ne peut en aucun cas se substituer à l'agriculture, qui reste un facteur déterminant pour notre pays. Nous reconnaissons le rôle que jouent les agriculteurs dans l'image de la France pour l'entretien du patrimoine et des paysages ; une France en friches ne serait plus visitée !