Texte intégral
Michel FIELD :
Bonsoir à toutes, bonsoir à tous et merci de rejoindre le plateau de « Public », un plateau qui est illustré par la présence de François HOLLANDE, le premier secrétaire du Parti socialiste et qui vient je dirais à point nommé puisqu'on a une actualité politique bien chargée cette semaine et qui tourne beaucoup autour du Parti socialiste soit directement avec le débat parlementaire sur le PACS, soit indirectement avec cette fausse note de cohabitation dans la polémique entre le Premier ministre et le président de la République sur l'affaire des mutins de la guerre de 14-18 et puis nous essaierons de voir avec lui les autres thèmes de l'actualité, le référendum en Nouvelle-Calédonie, la place du Parti socialiste aujourd'hui dans le débat politique, un petit peu coincé entre une opposition qui reprends des couleurs et un gouvernement que le Parti socialiste par définition, est là pour soutenir. Et puis, parce que ça a été un thème important de ces semaines dernières – la grogne des lycéens, le malaise des enseignants, le bras de fer aussi entre les enseignants et le ministre de l'Éducation nationale – j'ai demandé à Monique VUAILLAT, la secrétaire générale du SNES FSU qui est le principal syndicat des professeurs du secondaire, de venir nous dire un petit peu où elle en est de ses rapports avec le ministère de l'Éducation nationale, où elle en est par rapport au projet de réforme et où elle en est aussi par rapport au Parti Socialiste puisque l'on sait, les enseignants constituent les groupes bataillons électoraux du PS. Voilà, vous savez tout. On va commencer comme d'habitude par une semaine en images. Le rappel des principaux faits de la semaine juste après la pub.
- Pause publicitaire
Michel FIELD :
Retour sur le plateau de « Public ». François HOLLANDE, le premier secrétaire du Parti socialiste, est mon invité. Avant d'en venir à la semaine en images, juste une question, François HOLLANDE. Il y a dans « Le Figaro Magazine » un sondage fort intéressant puisqu'il passe au crible toutes les personnalités politiques de gauche – j'ai d'ailleurs remarqué que vous n'y étiez pas, donc vous n'êtes pas une personnalité politique…
François HOLLANDE :
Peut-être que c'est « Le Figaro Magazine » qui n'a pas considéré que j'y avais ma place.
Michel FIELD :
En tout cas ils sont nombreux, quasiment tout le monde est là au sein du PS, sauf vous.
François HOLLANDE :
Voilà, donc cette émission avait au moins cet intérêt-là, c'est de rappeler qu'il fallait aussi mettre le premier secrétaire du Parti socialiste dans ce baromètre. En plus, tout le monde monte…
Michel FIELD :
Donc c'est là où je voulais en venir : tout le monde monte, notamment Lionel JOSPIN qui creuse même l'écart dans ce sondage et ce n'est qu'un sondage, avec le président de la République. Mais quand on regarde attentivement les réponses de ce sondage, on s'aperçoit que si la cote des personnalités est en hausse, eh bien les opinions ne sont pas du tout positives sur la politique du Gouvernement, ou en tout cas il y a beaucoup d'incrédulité, aussi bien sur la lutte contre le chômage où une très large majorité des gens la trouvent peu ou très peu efficace, une grosse crainte des conflits sociaux – 62 % ne croient pas à l'efficacité de l'action du Gouvernement contre la hausse des prix. On a donc l'impression que l'équipe au pouvoir séduit la majorité des Français mais qu'en même temps, la politique qu'elle mène, se heurte à une grande incrédulité et je pense que ça doit poser problème au socialiste que vous êtes.
François HOLLANDE :
Oui, d'abord il y a un problème de moment. C'était après les mouvements lycéens, c'était un mouvement où on s'interrogeait sur la croissance économique, sur la crise, et il pouvait y avoir un doute sur les résultats eux-mêmes…
Michel FIELD :
Il n'y a plus de doute…
François HOLLANDE :
Depuis quand même ces moments où se sont faits les sondages, il y a eu de très bons chiffres sur le chômage, il y a eu le sentiment que la crise internationale était quand même cantonnée au-delà de l'Europe même si elle a aussi des effets aussi sur l'Europe. Et ça se retrouve également sur les personnalités. C'est quand même un élément très important – y compris pour conjurer un certain nombre de menaces – d'avoir un Gouvernement qui donne confiance et qui permet aux Français d'avoir davantage confiance en eux-mêmes parce que c'est ça qui compte. Et quand même, depuis un mois, deux mois, on constate que malgré un certain nombre de nuages qui sont venus de l'étranger, il y a un moral qui reste constant des Français et plutôt vers le haut, même s'il y a toujours une incrédulité et un doute sur la politique et le rôle d'une formation politique comme la mienne, c'est d'essayer de surmonter justement ces suspicions pour donner confiance, non pas à tel ou tel homme ou femme politique mais donner confiance en la politique.
Michel FIELD :
On va voir dans cette semaine en images, qu'il y a un certain nombre de séquences qui ne plaident peut-être pas en faveur de cet effort.
- Agenda de la semaine.
Michel FIELD :
François HOLLANDE, la Nouvelle Calédonie, cette sanction donc par le suffrage universel de l'accord sur les accords de Nouméa, mais en même temps cette remarque de Jacques LAFLEUR, à savoir une persistance quand même notamment à Nouméa, c'est-à-dire notamment dans un haut lieu de la communauté caldoche, d'un refus de cet accord.
François HOLLANDE :
D'abord que de chemin parcouru. Il y a dix ans, on tuait et on se tuait en Nouvelle-Calédonie. Aujourd'hui, on vote à 70 % et on vote majoritairement, très majoritairement pour le oui. Et on vote même plus pour le oui dans ces zones, notamment dans la province du sud qui est davantage composée de Caldoches, disons les Calédoniens venant d'Europe, qu'on ne l'avait fait il y a dix ans, au moment des accords de Nouméa. Donc l'idée d'accession à la souveraineté a progressé y compris chez eux qui étaient à l'origine les plus réticents à cette émancipation.
Michel FIELD :
Mais ça fait naître une ambiguïté terrible…
François HOLLANDE :
Alors il y a une ambiguïté, vous avez raison de le souligner. L'ambiguïté c'est que beaucoup de Caldoches, dont ceux qui sont Européens, pensent qu'il n'y aura jamais l'indépendance et les autres pensent qu'il y aura l'indépendance. Mais cette ambiguïté qui permet la paix puisque de nouveau, dans quinze ans, dans vingt ans puisque la loi référendaire prévoit un rendez-vous dans vingt ans, il y aura une nouvelle consultation pour leur poser la seule question à ce moment-là : est-ce que vous avez, après l'expérience de souveraineté qui vous a été donnée, confiée, est-ce que vous voulez aller plus loin et aller vers l'indépendance ? Et c'est encore les calédoniens qui répondront. Donc je trouve que ce processus de consultation régulière de ce territoire, est un processus exemplaire qui aurait peut-être dû être suivi beaucoup plus tôt pour d'autres territoires.
Michel FIELD :
Vous ne craignez pas que cette ambiguïté que vous mentionnez vous-même, soit lourde aussi de déception et peut-être de conflits ?
François HOLLANDE :
Comme je le disais, elle est intimement liée à l'accord lui-même parce qu'en définitive, entre ceux qui voulaient à tout prix l'indépendance et ceux qui ne la voulaient pas, il y a eu le cheminement vers une négociation qui a été celle de 88, négociation aujourd'hui d'accession limitée sans doute encore à la souveraineté. Et si on voulait clarifier, tout de suite poser la question de l'indépendance, on détruirait justement ce qui a fait aujourd'hui le succès de ce référendum, parce que c'est un succès – 70 % de participation et près de 70 %, plus de 70 % pour le oui – personne n'imaginait un tel résultat. Et il faut avoir un mot quand même pour un des négociateurs qui est mort pour ces accords, qui est Jean-Marie TJIBAOU il y a dix ans. Je pense que sa démarche s'est trouvée là confortée.
Michel FIELD :
Alors on passe… évidemment on va feuilleter comme ça les pages d'une actualité fournie. Le PACS alors, vous vous retrouvez au coeur d'une bataille parlementaire éprouvante pour tout le monde, et surtout est-ce que vous n'avez pas le sentiment finalement d'avoir provoqué par la grosse bourde de l'absentéisme des députés, ce qui est en train de devenir une affaire politique et une épine dans le pied du Gouvernement. Les manifestants d'hier commençaient à rappeler le souvenir des grandes manifestations pour l'école libre etc., qui avaient quand même déstabilisé beaucoup le pouvoir de l'époque, vous vous en souvenez.
François HOLLANDE :
On n'en est pas là. Philippe de VILLIERS s'est arrogé le peuple puisqu'il a dit : ici, on n'écoute pas le peuple. Philippe de VILLIERS n'est pas le peuple, chacun le sait bien…
Michel FIELD :
Non, mais il y avait plusieurs dizaines de milliers de manifestants, plus qu'on ne l'imaginait.
François HOLLANDE :
Il est légitime qu'il y ait un débat dans ce pays : est-ce que l'on veut donner un statut particulier à ceux qui jusqu'à présent n'ont pas voulu se marier, les quatre à cinq millions de personnes qui vivent en union libre et qui veulent avoir des droits qui pour l'instant ne leur sont pas tous reconnus ; et puis ces couples homosexuels qui ne peuvent pas se marier, qui ne pourront jamais se marier puisque le PACS n'est pas le mariage, mais qui veulent avoir sur le logement, sur la couverture sociale, sur les droits fiscaux, un certain nombre d'avancées pour se couvrir par rapport à certains risques que chacun connaît pour la communauté homosexuelle. A partir de là, on peut avoir un débat ; il peut même donner lieu à des manifestations. On peut avoir au Parlement de longues séances pour apprécier les avantages et les inconvénients de telle ou telle formule ; mais est-ce qu'il est légitime, est-ce qu'il est acceptable que la droite empêche tout débat ? Parce que vous savez qu'on discute du PACS depuis maintenant 48 heures, même davantage, qu'il y a eu quinze heures qui ont été consacrées uniquement à des motions de procédure et qu'on en est toujours à l'article 1. Alors moi je veux bien croire que l'opposition doit prendre l'opinion à témoin…
Michel FIELD :
Il me semble que vous l'aviez fait vous-même quand vous étiez dans l'opposition…
François HOLLANDE :
Peut-être pas à ce point parce que nous étions moins nombreux ; mais je ne crois pas que ce soit la bonne formule. Si on veut croire au Parlement, on doit accepter le débat, accepter les amendements mais à un moment, il faut trancher. L'opposition peut demain, ça arrivera – je serai bien triste ce jour-là – être majoritaire, elle reviendra sur ce texte s'il ne lui plaît pas. Je ne suis pas d'ailleurs sûr qu'elle le ferait mais qu'importe. Elle peut donc demain abandonner ce texte ; il n'y a pas besoin aujourd'hui de bloquer l'institution parlementaire parce qu'on a des images qui sont assez dégradantes pour le Parlement, de voir des gens qui claquent le pupitre, qui parlent cinq heures et demi… Parler cinq heures et demie, c'est une prouesse physique, c'est un exploit sportif, ça n'a rien à voir avec les droits du Parlement…
Michel FIELD :
Oui, mais ce qu'on voit aussi, c'est une attitude assez immature des députés socialistes, des échauffourées, enfin tout le monde est responsable quand même de l'image déplorable de la vie parlementaire aujourd'hui.
François HOLLANDE :
Justement, tout le monde… peut-être certains plus que d'autres. Je pense qu'il y a un débat parlementaire qui doit être conduit sereinement et le président de l'Assemblée nationale y veille, sauf que lorsqu'il y a une même personne qui parle pendant cinq heures et demi, pas toujours pour dire des choses idiotes, mais quelquefois pour en prononcer, ça peut arriver, surtout cinq heures et demi, on peut s'oublier. Donc à partir de là, vous avez effectivement des réactions qui ne sont pas beaucoup plus honorables. Donc ce que je veux dire, c'est qu'à un moment, il faut qu'on prenne le Parlement pour ce qu'il est, c'est-à-dire un lieu où les lois sont votées. Elles ne plaisent pas aux minorités, c'est normal, elles sont dans l'opposition, mais c'est quand même la loi de la majorité. Ce que je veux dire, c'est qu'à partir d'un certain moment, le débat, une fois qu'il a été prononcé, établi, étalé même y compris dans la rue, il faut passer à ce qu'est la noblesse d'un Parlement, c'est-à-dire le vote de la loi.
Michel FIELD :
Des voix commencent à s'élever chez les socialistes pour modifier le règlement de l'Assemblée nationale, pour qu'il n'y ait pas d'obstruction. Vous êtes réticent à cette idée ?
François HOLLANDE :
Oui, je pense que ça doit se faire par consensus. Chacun doit être conscient des risques de l'image comme ça reportée par voie hertzienne, du Parlement. Le Parlement mérite mieux que ces images de claquements de pupitres ou de vociférations ou de monopolisation d'un micro. Je pense qu'on est des gens de droite, de gauche, qui ont été élus et qui doivent d'abord parler à leurs électeurs et montrer que s'ils ne sont pas auprès des électeurs, c'est qu'ils votent des lois, ce n'est pas qu'ils écoutent des discours sans jamais les sanctionner par un vote.
Michel FIELD :
Pas de réforme du travail parlementaire, hâtive ?
François HOLLANDE :
Si, réforme, mais pas hâtive. Je pense qu'il faut prendre son temps et regarder avec l'opposition ce qui doit être fait. Parce que, comme elle nous le dit, un jour, nous serons aussi dans l'opposition. Mais peut-être que l'obstruction parlementaire n'est pas une bonne façon de protéger les droits de l'opposition.
Michel FIELD :
Alors ce qui est tout à fait important dans l'actualité de la semaine, c'est cet accroc à la cohabitation. Le communiqué très sec de l'Élysée sur le côté inopportun, le moment inopportun de la déclaration de Lionel JOSPIN… alors ce débat sur les mutins de la guerre de 14-18, on ne va pas entamer le fond de l'affaire, mais on est quand même loin de l'accord qu'il y avait entre Lionel JOSPIN et Jacques CHIRAC sur d'autres questions historiques comme la responsabilité de Vichy, la rafle du Vel'd'Hiv, etc. Là on a vraiment le sentiment que les relations se tendent et que prétexte ou pas prétexte, en tous cas il y a un sérieux accroc dans la cohabitation.
François HOLLANDE :
Sérieux, je ne sais pas, mais en tout cas, les paroles qu'a prononcé le Premier ministre, sont des paroles à la fois humaines et de bon sens. Il y a un hommage le 11 novembre aux victimes de la Grande Guerre, toutes les victimes, les héros anonymes ou célèbres, ceux qui sont tombés au champ d'honneur, ceux qui s'en sont sorti et je vois qu'il y en a encore quelques-uns de vivants et c'est finalement miraculeux qu'ils soient à la fois sortis de cette Grande Guerre et toujours là aujourd'hui, qui servent justement de témoins et qui ont dit quoi ? Qui ont dit qu'il n'y avait que des victimes dans cette guerre, neuf millions de morts et combien de mutilés ! Et qu'à partir de là, que ceux qui ont été un moment las de partir au combat parce qu'ils savaient qu'ils allaient là-bas essuyer de nouveaux feux et de nouveaux tirs et sans doute mourir, qu'ils aient à un moment demandé à leurs chefs et des chefs qui étaient désolés de les envoyer ainsi au front, halte …non pas halte au feu, mais halte : est-ce qu'on ne peut pas se battre non pas plus humainement car on ne peut pas se battre plus humainement, mais plus intelligemment. Eh bien que le Premier ministre ait dit que ces hommes qui sont tombés, méritaient leur place dans notre mémoire collective, ne devait susciter aucune polémique. Ce qui est surprenant, ce n'est pas l'accroc dans la cohabitation, c'est qu'il puisse y avoir polémique sur une évidence. Alors comment un chef d'État peut-il lui-même entretenir une polémique ? Je vais immédiatement lui trouver des circonstances atténuantes : il a été entraîné, si je puis dire, sur ce mauvais chemin.
Michel FIELD :
Son mauvais génie serait Philippe SEGUIN ?
François HOLLANDE :
Oui, parce que je crois que Philippe SEGUIN…
Michel FIELD :
Ce serait une des rare fois où Jacques CHIRAC écoute Philippe SEGUIN quand même.
François HOLLANDE :
Eh bien oui, eh bien il devrait en tirer les leçons car Philippe SEGUIN voulait l'attirer absolument sur une stratégie d'opposition irréductible. Mais à s'opposer sur tout – et Philippe SEGUIN est un spécialiste – on finit par ne servir à rien. D'où effectivement la phrase un peu précise que Philippe SEGUIN a prononcé dans « Le Monde » : A quoi je sers ? Eh bien oui, la question est évidemment posée, car à faire une opposition sur tout, sur le PACS, sur la mémoire à ceux qui sont tombés, fusillés pour l'exemple disait-on, on finit par entraîner le président de la République là où il ne devrait pas être, c'est-à-dire sur un mauvais champ de bataille qu'est celui de l'opposition et de la majorité.
Michel FIELD :
Donc dans cette histoire, vous voyez le symptôme d'une volonté d'opposition radicale de la part du président du RPR qui aurait entraîné le président de la République ?
François HOLLANDE :
Oui, je pense que dans cette affaire, Jacques CHIRAC est une victime de Philippe SEGUIN.
Michel FIELD :
Bien, ça fera plaisir à l'un et à l'autre.
François HOLLANDE :
Aux deux, je pense, oui.
Michel FIELD :
Comment vous comprenez que de manière récurrente en France, il y ait comme ça des petits psychodrames qui s'ouvrent – d'ailleurs le dernier en date, Lionel JOSPIN n'y avait pas été tout à fait à son avantage si on se souvient bien – comme ça se fait que l'histoire nationale provoque comme ça des accès de colère et de radicalisation de conflits ? On a l'impression qu'on n'a pas de rapports pacifiés à notre propre histoire.
François HOLLANDE :
C'est vrai. C'est une maladie qui n'est pas proprement française. Vous savez qu'il y a une polémique à peu près identique en Angleterre parce que le gouvernement de Tony BLAIR a eu le même geste à l'égard de ceux qui avaient été également fusillés pour l'exemple. Mais plus particulièrement en France, on n'arrive pas à assumer tout ce que notre histoire porte à la fois de génies, d'exemples, de grandes fiertés, de gloire, et en même temps quelquefois d'actes qui n'auraient pas dû être commis. On pense bien sûr à la guerre de 14, ce général NIVELLE et d'autres qui avaient envoyé tant d'hommes se faire tuer pour rien ; on pense bien sûr à Vichy. On pense aussi à la guerre d'Algérie et je pense que la noblesse justement d'un responsable politique – et Lionel JOSPIN a eu raison et Jacques CHIRAC avait eu raison aussi pour le Vel d'Hiv – je crois que la noblesse des responsables politiques, c'est d'assumer l'histoire et de regarder ce qui a été, par nos anciens qui ne sont pas forcément tous disparus, ce qui a été plutôt à l'honneur du pays, quelquefois moins et d'essayer de le porter ensemble dans notre mémoire collective pour les générations qui viennent. L'histoire n'a de sens que pour ceux qui aujourd'hui sont porteurs de leur destin et de leur avenir.
Michel FIELD :
Les générations qui viennent – vous m'offrez une transition pour parler des lycéens – faible mobilisation des lycéens. On a l'impression que finalement Claude ALLEGRE a bien… je ne dirais pas bien manoeuvré, mais bien oeuvré en tout cas pour désamorcer ce mouvement. Monique VUAILLAT, merci d'être avec nous. Vous êtes secrétaire générale du SNES FSU. On le sait, le SNES est dans un rapport d'hostilité ouverte avec le ministère de l'Éducation nationale et avec la personne même de Claude ALLEGRE. Alors on va peut-être relativiser cette chose-là pour dire : où est-ce que vous en êtes aujourd'hui des rapports avec le ministère sur ces propositions de réformes, des réformes de temps de service, la mission qui commence à être une mission de concertation. On a le sentiment que Claude ALLEGRE vous tend des perches pour se réconcilier avec vous, disons.
Monique VUAILLAT, secrétaire générale du SNES FSU :
Écoutez, d'abord je voudrais dire que le SNES qui représente les enseignants du second degré dans leur grande majorité, est porteur de propositions pour améliorer le système éducatif. Aujourd'hui nous devons réfléchir à un système éducatif pour le XXIe siècle et nous considérons qu'il y a nécessité de faire encore beaucoup pour que tous les élèves de l'école maternelle à la terminale, réussissent. On devrait d'ailleurs se poser dans ce pays la question de la scolarité obligatoire jusqu'à dix-huit ans et la façon de faire réussir tous les élèves quel que soit le milieu dans lequel ils sont. Nous, nous faisons le constat tous les jours dans nos classes qu'il y a des problèmes au collège, qu'il y a des problèmes à l'école primaire, qu'il y a des enfants qui arrivent au collège, qui ne savent pas lire, qui ne maîtrisent pas correctement la lecture. Il faut faire quelque chose pour eux. Il y a nécessité donc de faire en sorte que si on veut que tous les enfants de tous les milieux reçoivent une bonne formation, eh bien on s'occupe de chacun d'eux de façon plus active et qu'on ait à la fois une ambition de formation forte, une transmission du patrimoine culturel, les former aux technologies nouvelles, les former au monde scientifique nouveau, il y a des exigences à avoir. Et je voudrais dire une chose, c'est qu'on ne se posait pas, il y a quelques années, la question des allègements de programmes quand une minorité de jeunes accédaient au lycée. Nous sommes très étonnés qu'aujourd'hui, on pose les problèmes dans ces termes-là alors qu'on ferait mieux de réfléchir à quel savoir enseigner pour le XXIe siècle.
Michel FIELD :
Mais ce que le ministre vous reproche, épousant là peut-être les préjugés, mais en tout cas la sensibilité d'une partie de l'opinion publique, c'est que sur ce constat du problème de l'école, tout le monde est à peu près d'accord, mais que vous répondiez toujours quantitativement par plus de moyens, plus d'enseignants avec cet aspect un peu tonneau des Danaïdes qu'on remplit sans fin.
Monique VUAILLAT :
Écoutez, il y a des problèmes multiples. Il y a des problèmes de définition de contenus d'enseignement, qu'est-ce qu'on doit enseigner demain et aujourd'hui ? Il y a des problèmes d'aide aux élèves qui ont le plus de problèmes, ce sont des problèmes à la fois quantitatifs et qualitatifs. Il y a des problèmes pédagogiques derrière ; il faut créer les conditions pour qu'un enseignant puisse exercer dans des classes avec des petits groupes – ce n'est pas le cas aujourd'hui. C'est à la fois quantitatif et qualitatif parce que vous savez, quand on a douze à quinze élèves dans une classe, c'est très différent du point de vue pédagogique que quand on en a 38 ou 28 en collège. Il y a aussi des problèmes liés au fait que la société, elle demande beaucoup à son école aujourd'hui. Nous sommes en tant qu'enseignants, chargés des problèmes de la société aujourd'hui. Il n'y a plus de références culturelles, il n'y a plus de références d'éducation dans une grande partie de la population ; et l'enseignant est la référence, le système éducatif est la référence. Donc il y a nécessité de faire beaucoup plus qu'on ne le fait aujourd'hui qualitativement et quantitativement. Et je voudrais dire une chose : le ministre, il est confronté aussi à un mouvement lycéen… il vient d'être confronté à un mouvement lycéen qui demandait plus de profs. C'était ça le mot d'ordre principal, tout simplement parce qu'ils font le constat que les enseignants…
Michel FIELD :
Et vous trouvez qu'il répond par moins de programmes. Ce n'est pas une bonne réponse.
Monique VUAILLAT :
Il ne répond pas exactement sur le sujet, oui, parce que les élèves étaient dans la rue pour demander moins d'élèves dans les classes ; écoutez, ils sont rentrés à la Toussaint, ils sont aussi nombreux dans les classes. Ils demandaient à ce que les enseignants en congé de maladie, puissent être remplacés, eh bien ils ne le seront pas davantage ou pas beaucoup plus. Il faut quand même que l'opinion sache que nous ne sommes pas remplacés à moins de trois ou quatre semaines. D'où la demande des lycéens d'avoir des profs pour terminer le programme, pour recevoir un enseignement de qualité. Donc on n'en a pas fini avec les problèmes quantitatifs dans ce pays et justement si on veut encore faire progresser la démocratisation, il faut que l'État investisse encore. Mais en même temps, nous, nous posons des problèmes qualitatifs, pédagogiques, de réformes à opérer de la maternelle à la terminale.
Michel FIELD :
Est-ce que vous êtes sensible au changement de ton du ministre dont on dit d'ailleurs qu'il est d'une certaine façon, lié à la pression de François HOLLANDE. Moi j'ai lu dans les journaux que HOLLANDE, vous étiez allé voir Lionel JOSPIN en lui demandant de calmer un petit peu les sorties de Claude ALLEGRE contre les enseignants.
François HOLLANDE :
Je n'ai pas besoin d'aller voir Lionel JOSPIN, je parle très facilement avec Claude ALLEGRE et c'est aussi mon rôle que de permettre que le dialogue s'établisse et je trouve qu'il y a matière à dialogue parce qu'on ne fera rien sans les enseignants et en même temps, je suis d'accord, il faut du quantitatif, il en a mis beaucoup. Claude ALLEGRE a été celui sans doute, dans ces dernières années, qui en a mis le plus. Et il faut aussi du qualitatif et pas conditionner l'un à l'autre. Les deux doivent se faire en même temps et je crois que ce qu'a dit Monique VUAILLAT et qui est d'ailleurs partagé par le ministre et partagé par les socialistes, c'est-à-dire l'idée qu'il faut du suivi personnalisé par petits groupes pour les élèves, c'est un point essentiel.
Michel FIELD :
Mais si vous êtes intervenu, c'est que vous sentiez aussi que votre base qui est largement composée d'enseignants et notamment d'enseignants proches du SNES, commençait à renâcler un peu.
François HOLLANDE :
Je ne veux pas impliquer Monique VUAILLAT dans les méandres du Parti socialiste, elle ne l'accepterait pas et elle aurait raison…
Michel FIELD :
Il y a beaucoup de profs au PS.
François HOLLANDE :
Il y a beaucoup de profs, mais il y a aussi des profs qui sont de droite…
Michel FIELD :
Oui, mais il y a beaucoup de profs au PS qui sifflent Claude ALLEGRE dans le dernier colloque que vous avez fait sur l'école de l'égalité.
François HOLLANDE :
Non, il n'y a pas eu de sifflet à l'égard de Claude ALLEGRE.
Michel FIELD :
Il y a eu des cris, vous avez l'oreille sélective François HOLLANDE, parce que moi je n'y étais pas et dans les reportages que j'ai vus, je les ai entendus. Vous n'auriez pas tendance à ne pas entendre ce qui vous dérange ?
François HOLLANDE :
Non, non, je vais vous dire, j'ai tendance à parler aussi de ce que je pense être vrai. Il y a beaucoup d'enseignants qui sont de gauche…
Monique VUAILLAT :
Ils sont très mécontents aujourd'hui, très déçus, Monsieur HOLLANDE, vous le savez.
François HOLLANDE :
Oui, ils sont très déçus…
Monique VUAILLAT :
Ils n'aiment pas être méprisés comme ils le sont aujourd'hui.
François HOLLANDE :
Je vais y venir.
Michel FIELD :
Là, vous l'entendez ?
François HOLLANDE :
Je l'entends, elle est très près de moi, oui, mais elle ne siffle pas, elle s'exprime. Ce que je veux dire, c'est que la politique de Claude ALLEGRE, c'est-à-dire de mettre en mouvement le système éducatif, de le faire bouger, de le réformer, ça, ça mobilise beaucoup d'enseignants.
Monique VUAILLAT :
Les enseignants sont pour le mouvement mais pas pour n'importe quel mouvement et pas pour n'importe quelle réforme. Nous, nous voulons du progrès.
François HOLLANDE :
Mais nous aussi, donc ça tombe bien, et Claude ALLEGRE également. Donc nous voulons que le système éducatif bouge, ce qui suppose plus de moyens – il en a mis beaucoup – ce qui suppose aussi d'en changer le mode de fonctionnement. Et pour arriver aux mêmes objectifs. Mais Claude ALLEGRE, il a beaucoup de talent, il bouge convenablement les choses, mais il n'a pas toujours un sens de la diplomatie parce qu'on ne peut pas être à la fois prix Nobel de géologie et maître expert en diplomatie. Donc notre rôle, c'est de lui dire : non, il faut aussi dialoguer, il faut aussi rencontrer, il faut aussi écouter. Et il a quand même suivi, et heureusement ; et je trouve que ce qu'il a dit sur les conditions du métier des enseignants, c'est vraiment une réponse tout à fait concrète aux problèmes qui étaient posés y compris dans ce colloque. Je veux dire par là : les problèmes d'horaires, les problèmes de logement, les problèmes de transport, les problèmes effectivement d'exercice du métier dans un environnement qui est plus violent, qui est plus difficile, je pense que Claude ALLEGRE a parfaitement pris la dimension du problème. Par ailleurs, sur le quantitatif puisque vous y êtes sensible, moi je suis extrêmement surpris que quelquefois, mais c'est normal, on est toujours plus exigeant à l'égard de la gauche qu'à l'égard de la droite et c'est bien ainsi, c'est que quand même il a fait progresser le budget là en un an, beaucoup plus que ce qui avait été fait durant les quatre années d'immobilisme…
Monique VUAILLAT :
Monsieur HOLLANDE, vous ne pouvez pas ignorer qu'il n'y aura aucune création de postes nouvelles dans les établissements du second degré, mais bien sûr que si, et vous le savez en tant que député et en tant que membre du Parti socialiste, donc on ne peut pas dire n'importe quoi. Et deuxièmement, je voudrais vous dire que le changement de ton, la main tendue, ça fait plusieurs fois qu'on nous tend la main soi-disant, on tend la main aux enseignants, je remarque qu'il n'y a toujours pas le moyen de discuter sérieusement et qu'en permanence, au lieu d'écouter, le ministre dont vous dites qu'il n'a pas la science infuse dans tous les domaines, n'entend pas véritablement les propositions que font majoritairement les enseignants du second degré.
Michel FIELD :
Vous ne saisissez donc pas cette main tendue pour peu qu'elle soit tendue ?
Monique VUAILLAT :
Écoutez, nous n'avons cessé de la saisir depuis la rentrée. Je constate qu'il la retirait en permanence ; et que du point de vue des réformes à opérer, il y a beaucoup de chose à dire. Je pense qu'on ne pas répondre aujourd'hui à la question de la démocratisation dans les collèges et les lycées par la seule réponse : diminution d'horaires des élèves, allègement des programmes. Il y a nécessité de faire en sorte que tous les élèves puissent recevoir une bonne formation. Pour ça, il faut du temps, il faut des enseignants formés et il faut un encadrement éducatif fort.
François HOLLANDE :
Oui, mais on ne peut pas non plus demander toujours plus de moyens, toujours plus d'argent public, toujours plus de créations de postes parce que quand Claude ALLEGRE, c'est 28 000 maîtres auxiliaires qui ont été réintégrés dans l'Éducation nationale, c'est 65 000 aides éducateurs, c'est la relance des ZEP, c'est aussi des créations de postes dans les zones sensibles et je crois que si on ne prend pas le dossier comme il doit être, c'est-à-dire à la fois avec les exigences de présence humaine dans les établissements, de suivi des élèves, mais aussi le changement d'un système qui s'était quand même beaucoup alourdi, beaucoup ankylosé sur une gestion de personnel qui n'était pas satisfaisante, alors je crois qu'on n'est pas dans notre rôle. Vous, vous l'êtes peut-être en tant que syndicaliste, mais en tout cas, moi en tant que député ou en tant que responsable du Parti socialiste, mon destin, ce n'est pas simplement d'offrir plus, c'est d'offrir mieux.
Monique VUAILLAT :
Encore une fois, vous n'entendez qu'une partie de ce que je vous dis. Nous, nous sommes par exemple pour un vrai travail sur les contenus d'enseignement, qui associe l'ensemble des enseignants, qui associe aussi les parents d'élèves et les jeunes. Ce travail ne doit pas être fait dans la précipitation comme cela vient d'être le cas. Nous sommes pour un enseignement moderne et par exemple nous ne comprenons pas pourquoi en science de la vie et de la terre, on a supprimé tout ce qu'est la formation en transgénique qui est quand même éminemment formateur du citoyen, il y a toute une série de réflexions de fond à mener que nous voudrions pouvoir mener dans la sérénité avec les enseignants qui ont quand même quelques compétences et qui sont en charge quotidiennement de la masse des jeunes.
Michel FIELD :
Monique VUAILLAT, merci. Je vous promets qu'on reprendra ce débat dans une émission qu'on fera sur les réformes de l'école parce que c'est quand même un sujet qu'on ne peut pas épuiser en cinq minutes. Ça chie quand même des bulles entre les profs et le Parti socialiste, François HOLLANDE. Si vous n'en étiez pas convaincu…
François HOLLANDE :
Mais, j'en suis convaincu, c'est pour cela que le rôle du Parti socialiste qui est un parti où on compte beaucoup d'enseignants, ce n'est pas de dire : les réformes ne sont pas bonnes, elles sont bonnes. Ce n'est pas de dire : il faudrait encore plus de moyens, il y a des moyens. C'est de dire : notre rôle, c'est d'écouter, de faire comprendre au ministre qu'il faut bouger, d'être aussi capable de dialoguer avec les enseignants, on en compte beaucoup, et avec les organisations syndicales. On l'a fait à travers ce colloque, pour leur dire : il faut bouger ensemble. On ne réussira qu'ensemble, que s'il y a les enseignants avec nous, que si aussi, il y a davantage les parents et les élèves.
Monique VUAILLAT :
J'espère que ce discours s'adresse au ministre.
François HOLLANDE :
Mais à vous aussi, puisque vous êtes là.
Michel FIELD :
Affaire à suivre. De la pub tout de suite et puis on continue après.
- Pause publicitaire.
Michel FIELD :
Retour sur le plateau de « Public » avec François HOLLANDE, le premier secrétaire du Parti socialiste. Il y avait une question que j'avais posée en introduction, à savoir : le Parti socialiste – et François HOLLANDE – est-il condamné à n'être que le porte-parole du gouvernement ? C'est une question qui m'intéresse. À mon avis, elle est assez dérangeante. En tout cas, Jérôme PAOLI est allé voir un petit peu depuis que vous étiez premier secrétaire, comment ça se passe les rapports du PS et du Gouvernement.
Journaliste :
À peine élu au poste de premier secrétaire du PS, François HOLLANDE soulignait le risque pour le parti du gouvernement de perdre sa liberté et son esprit critique. Soutien naturel des actions du Premier ministre, le patron du PS avait aussi prévenu : le PS proposera des idées. Mais après un an de pouvoir, François HOLLANDE s'est plus forgé une image de porte-parole du gouvernement que de chef de parti. Invité toutes les semaines à Matignon pour un tête à tête avec le Premier ministre, le premier secrétaire du Parti socialiste est envoyé sur tous les fronts pour défendre les réformes du Gouvernement. Quand, à l'Assemblée nationale, la majorité plurielle se déchire autour du changement de mode de scrutin pour les européennes ou sur l'affaire des sans-papiers, il intervient. Et quand Robert HUE critique la lenteur de l'action gouvernementale, il n'hésite pas à hausser le ton. Toujours en première ligne, le responsable du PS est aussi utilisé au plus fort de la crise ; quand les députés oublient de venir voter le PACS, c'est encore lui que l'on retrouve devant les caméras. Et ce n'est qu'en situation de désaveu de sa base qu'il ose enfin émettre des critiques. Des critiques bien feutrées qui ne masquent pas le manque de liberté et de propositions du parti du gouvernement.
Michel FIELD :
Bon, alors on ne revient pas sur les enseignants, on en a parlé, mais c'est vrai qu'on a cherché… c'est à peu près le seul moment où on a entendu un petit bémol de François HOLLANDE… Alors comme d'un autre côté, Philippe SEGUIN accuse quand même Lionel JOSPIN d'avoir désormais une stratégie présidentielle quasiment ouverte, on se dit que finalement votre rôle est assez ingrat, c'est de préparer l'élection présidentielle pour Lionel JOSPIN.
François HOLLANDE :
Vous avez commencé l'émission avec des sondages en disant : le Gouvernement est très populaire, en tous cas ceux qui le composent.
Michel FIELD :
Et sa politique, beaucoup moins. Vous entendez mieux d'une oreille que de l'autre, décidément !
François HOLLANDE :
L'oreille gauche surtout. Vous avez commencé par là pour dire : il y a une confiance pour ceux qui gouvernent. Ça serait quand même un paradoxe que le Parti socialiste, principal parti de la majorité soit celui qui conteste, critique, etc. Alors c'est vrai que l'opposition le fait mal mais on ne va quand même pas prendre sa place. Deuxièmement, nous, on a fait des propositions, c'est vrai, au-delà du soutien qui doit être loyal, qui doit être franc à l'égard du Gouvernement, il faut qu'on fasse des propositions. Il faut aussi qu'on soit une instance, un lieu de dialogue. Toutes les organisations syndicales… par exemple j'ai reçu, avec la direction du Parti socialiste, toutes les organisations syndicales pour faire le point des négociations sur les trente-cinq heures. Et on a appris beaucoup de choses, c'est-à-dire à la fois l'ampleur de la négociation, la dynamique et puis aussi les points de blocage, les dangers, les limites. Donc on est aussi capables d'apporter un certain nombre d'informations que le Gouvernement a sans doute, mais puisées au plus près du terrain, au plus près des acteurs. Et puis des propositions, en en a fait, par exemple sur la fiscalité. Moi je suis un grand défenseur de la baisse de la TVA. Alors je suis suivi sporadiquement, trop timidement, mais je le fais à chaque fois qu'il est nécessaire de le faire. Je suis favorable aussi à ce que l'on lutte contre la précarité avec plus de force qu'aujourd'hui et on a fait… on va faire une grande convention sur l'emploi, sur l'entreprise, dans les prochains jours justement…
Michel FIELD :
Mais ça reste verbal. On a l'impression que votre verbe est là pour bien ancrer à gauche et bien rassurer et puis qu'en même temps, la politique du Gouvernement est beaucoup plus pragmatique et s'éloigne quelquefois y compris de ses propres promesses électorales.
François HOLLANDE :
Non… je suis heureux d'avoir un verbe qui peut mettre de l'huile, j'en suis plutôt satisfait, c'est aussi le rôle du Parti socialiste de pouvoir entraîner aussi. Mais si ce n'était que cela, effectivement, je ne serais pas complètement dans la fonction qui est ce que je pense être le premier secrétaire du Parti socialiste puisque nous n'avons pas cette même tradition qui peut exister chez les gaullistes ou à droite… c'est-à-dire d'être simplement suivistes, encore que quand Alain JUPPE était lui-même aux responsabilités, je n'avais pas le sentiment qu'il était aussi suiviste que cela et qu'il y avait notamment de la part de Philippe SEGUIN beaucoup de critiques. Mais en tout cas pour nous, ce qui est important, c'est de faire avancer un certain nombre de propositions. Et l'imagination, elle doit être au Parti socialiste, je ne dis pas qu'elle n'est pas au pouvoir, elle doit être au Parti socialiste pour la simple et bonne raison que ce Gouvernement est né d'une dissolution, c'est une évidence. On n'était pas forcément prêt sur tous les sujets ; et donc le rôle du Parti socialiste, c'est d'apporter sur un certain nombre d'éléments – je citais l'entreprise et l'emploi, je citais la précarité, je pourrais aussi parler de la fiscalité – tout ce qui aujourd'hui doit être fait pour la justice sociale, fiscale et pour l'emploi ; et notamment par exemple sur les emplois jeunes. J'ai cité le nombre d'emplois jeunes dans l'Éducation nationale, aussi dans le secteur public, local, mais je pense qu'il faut aussi un volet emplois jeunes dans le secteur privé. Enfin, je sais que sur la réduction de la durée du travail…
Michel FIELD :
Vous êtes vraiment satisfait du bilan des trente-cinq heures ?
François HOLLANDE :
Justement, on va faire un bilan des négociations, c'est aussi notre rôle de le faire puisqu'on va être législateurs, puisque le Parti socialiste, c'est le principal parti au Parlement ; eh bien par rapport à ce bilan de la négociation qui est sur certains aspects tout à fait inattendu, notamment tout ce qui se passe dans la négociation dans les petites entreprises, le rôle par exemple qui est donné aux organisations syndicales qui ne pénétraient pas dans certaines entreprises ; et puis des accords dans le textile, même une partie du bâtiment, les artisans du bâtiment, qui ont été très loin pour les trente-cinq heures. Et puis il y a des blocages – on en a vu pour la métallurgie, on en voit aussi pour le bâtiment, pour les grandes entreprises – eh bien notre rôle, ce sera de préparer une deuxième loi qui devra mettre en cause tous ces accords qui ne sont pas conformes à l'esprit de ce qu'on a voulu faire. Les trente-cinq heures, c'est fait pour créer des emplois.
Michel FIELD :
Alors il y a le rapport du Parti socialiste avec le Gouvernement ; il y a le rapport aussi du Parti socialiste dans la coalition qui soutient le Gouvernement, et là il y a du tirage un petit peu entre vos alliés, c'est-à-dire entre les Verts et le Parti communiste, avec les déclarations de Daniel COHN-BENDIT qui sera d'ailleurs mon invité avec Dominique VOYNET la semaine prochaine ; le challenge de passer devant le Parti communiste, ça met du désordre visiblement dans la majorité plurielle.
François HOLLANDE :
Oui, on ne peut pas intervenir comme arbitre parmi les belligérants aujourd'hui bien pacifiques et sympathiques. Non, ce qu'on leur a dit, c'est que tout le monde pouvait progresser, que Daniel COHN-BENDIT que vous recevez…
Michel FIELD :
Mais vous n'en avez pas marre d'être comme ça, ce personnage du consensus perpétuel qui essaie de réconcilier perpétuellement la chèvre et le chou…
François HOLLANDE :
C'est un beau rôle ! C'est mieux que d'être un bougon – vous voyez à qui je pense – qui émet toujours de l'acide partout. Il vaut mieux être quand même un facilitateur, plutôt que celui qui met des difficultés. Moi mon rôle, c'est de faciliter, non pas le travail du gouvernement, mais la transformation du pays. Le rôle que j'assigne au Parti socialiste, c'est d'aider, pas simplement à gagner les élections puisque vous m'aviez entraîné sur ce terrain-là, non, à gagner pour le pays : c'est de faire que ce qu'on fait, on le fasse mieux. Quand il y a un problème avec les enseignants, je le dis. Quand il y a un problème avec telle ou telle catégorie – c'est arrivé avec le mouvement des chômeurs – je le dis. Quand il y a un problème sur tel ou tel aspect de la politique gouvernementale, j'en parle au Premier ministre.
Michel FIELD :
Donc pour reprendre le titre d'un excellent groupe musical méridional « Mets de l'huile », c'est un peu votre raison d'être.
François HOLLANDE :
De l'huile de Provence alors puisque dans la salade, ça peut aussi aider ; c'est un élément du condiment qui donne un peu de saveur. Moi, si je peux donner déjà un peu de saveur et puis si je peux rajouter un certain nombre d'éléments dans le débat, je le ferai. Mais je ne veux pas être ici… le rôle du Parti socialiste… de la mouche du coche qui se mêle de tout ou qui tient un discours verbal, purement verbal, qui fait des incantations pour dire : regardez comme nous sommes à gauche, mais enfin ce que fait le Gouvernement, ce n'est pas tout à fait nous. Non. Nous, on est à gauche parce qu'on a un gouvernement de gauche et qui reste à gauche. Je ne suis pas là pour faire des positionnements, c'est-à-dire pour être bien plus loin de la réalité, alors qu'il y aurait un gouvernement qui lui, serait obligé de se colleter au réel. Non, on fait la même chose. Ce que fait Lionel JOSPIN au Gouvernement, ce que je fais au Parti socialiste, ce que Jean-Marc AYRAULT et les députés font au groupe socialiste de l'Assemblée nationale…
Michel FIELD :
Vous êtes vraiment très content du travail de Jean-Marc AYRAULT comme…
François HOLLANDE :
Oui, en tout cas de ce qu'on fait en équipe.
Michel FIELD :
Non, mais répondez à ma question : c'est un très bon président de groupe parlementaire ?
François HOLLANDE :
Ce n'est pas facile d'être président du groupe, c'est sans doute là où il y a le plus de tensions. Et donc mon rôle, c'est de l'aider.
Michel FIELD :
Donc vous ne répondez pas à ma question.
François HOLLANDE :
Si, je vous réponds…
Michel FIELD :
Vous trouvez que c'est un très bon président ? Vous n'avez pas eu, une fois, il y a quelques jours, l'envie d'en changer ?
François HOLLANDE :
Non. Je pense que c'est un travail qui a toujours été délicat et que diriger le Parti socialiste, c'est peut-être en ce moment ce qu'il y a de plus commode puisque vous m'avez assigné le rôle de mettre de l'huile ; lui, il s'occupe du vinaigre, donc c'est plus compliqué.
Michel FIELD :
Dans l'actualité politique de la journée, il y a le congrès de fondation de Charles MILLON de la Droite. Les socialistes ont une stratégie en Rhône-Alpes vis-à-vis des présidents qui ont été élus avec le soutien du Front National, qui est une opposition systématique. Elle est quelquefois critiquée par vos alliés, le Parti communiste de Rhône-Alpes n'est pas d'accord avec cette stratégie d'opposition systématique. Alors où est-ce que vous en êtes, est-ce que c'est une stratégie que vous allez amender ou vous allez continuer… parce votre but, c'est de faire tomber les présidents… et visiblement vous n'y arrivez pas.
François HOLLANDE :
Cette stratégie, elle a été tout à fait utile pour refuser la banalisation. Le pire aurait été que ces quatre présidents de région fussent élus comme ils ont été élus et puis gouvernent tranquillement leur administration comme si rien ne s'était passé. Nous, par notre attitude d'opposition, nous avons bien marqué que leur alliance, elle était bien scellée avec le Front National.
Michel FIELD :
Vous en parlez au passé là.
François HOLLANDE :
Oui, parce que ce qui va se passer maintenant, c'est un acte de clarification. Est-ce que la droite républicaine veut ou ne veut pas faire tomber ces quatre présidents de région ? Ces quatre présidents de région, ils ne tiennent que parce qu'ils ont des alliés au Front National puisque ce sont des régions où nous aurions dû normalement aspirer à la responsabilité de présidence. Donc est-ce qu'ils vont continuer à soutenir ces quatre présidents de région ou ces élus de la droite républicaine vont mettre un holà à l'occasion du vote du Budget. Et moi je le fais pour le coup, sans esprit polémique ; nous avons fait tout notre travail, tout notre possible, pour empêcher cette poursuite d'alliance avec le Front National et ces quatre présidents de région. Maintenant, la balle, elle est vraiment dans le camp de Philippe SEGUIN et du président de l'UDF François BAYROU.
Michel FIELD :
Mais qu'est-ce que vous proposez concrètement ?
François HOLLANDE :
Et donc il faut qu'ils refusent le budget de ces quatre présidents de région. Si leurs élus RPR, UDF, ne votent plus le budget puisque ça va être le premier budget de ces présidents-là, alors ces présidents seront contraints à la démission. Et même nous avons fait la proposition qu'en Rhône-Alpes où nous étions bord à bord droite et gauche, nous ne revendiquions même plus la présidence, même si nous ne voulons pas participer à l'exécutif, nous resterons dans l'opposition, nous donnons cette présidence… nous confions cette présidence à la droite si elle le veut. Mais on ne pourra pas à ce moment-là, après cette épreuve de vérité, dire : MILLON ou SOISSON, Monsieur BORT ou celui du Languedoc-Roussillon, Monsieur Jacques BLANC, nous ne les connaissons pas, nous ne faisons rien pour les empêcher mais rien pour les aider. Non. Nous avons l'occasion de faire tomber ces quatre présidents de région. Nous, nous avons fait tout ce que nous pouvons ; maintenant c'est à la droite républicaine de montrer qu'elle est républicaine, et elle l'est puisque que j'entendais encore Philippe SEGUIN dire qu'il fallait dire de Charles MILLON ; à lui d'aller un peu plus loin, de ne plus voter les budgets, et c'est la fin de ces quatre présidents de région.
Michel FIELD :
Un thème politique qui va être dans l'actualité bientôt : le cumul des mandats et les polémiques qu'il entraîne. Alors est-ce qu'il y a du nouveau dans le discours socialiste sur cette question ?
François HOLLANDE :
Non, rien de nouveau parce qu'il ne faut surtout pas abandonner cette réforme. Cette réforme, c'est de limiter le cumul des mandats, c'est-à-dire qu'on ne puisse plus détenir un mandat de parlementaire national ou européen avec un mandat d'exécutif local : maire de grande ville, président de conseil général, c'est ce que nous proposons.
Michel FIELD :
Mais l'opposition a beau jeu de vous répondre que quand tel ministre abandonne son poste de maire, il reste premier adjoint et il continue à diriger la mairie de fait et vous le savez, parce que vous avez des amis à qui s'est arrivé, j'imagine.
François HOLLANDE :
Oui, c'est vrai, j'ai des amis au gouvernement, ça c'est vrai. Mais pour la première fois, les ministres d'un gouvernement ne sont plus chefs d'exécutifs. Alors on peut dire : oui, ils sont leur premier adjoint, second adjoint ou conseiller municipal, c'est vrai…
Michel FIELD :
Mais ça, c'est hypocrite !
François HOLLANDE :
Pourquoi c'est hypocrite ? Pour la première fois, ils ont abandonné leur fonction d'exécutif local. Je peux vous dire que quand vous abandonnez votre mandat de maire, vous pouvez toujours dire « oui, oui, mais c'est un ami, il me laissera la place la prochaine fois », en politique, on ne laisse généralement par la place facilement. C'est une loi qui se vérifie à droite comme à gauche. Donc ils ont pris leurs risques : ils sont allés au gouvernement, ils ont abandonné leur fonction d'exécutif local, pour la première fois ; parce que je dois rappeler que Monsieur JUPPE était en même temps Premier ministre, maire de Bordeaux, etc. ou que Monsieur CHIRAC avait aussi lui-même cumulé un certain nombre de mandats. Donc bref, ils sont là, mis en ordre leurs actes et leur parole. Ce que je veux ici signifier, c'est qu'il ne serait pas bon que la droite, parce qu'elle est majoritaire au Sénat, empêche le vote de cette réforme. C'est pourquoi je m'adresse ici au président de la République ; il a souhaité ouvrir une large consultation sur la modernisation de la vie politique, elle est engagée depuis le mois de mars. J'espère qu'il la finira un jour, avant la fin de son mandat, et donc au moins qu'il convainque ses propres amis d'accepter une réforme de limitation de cumul des mandats, c'est sans doute la première demande de nos concitoyens par rapport à la modernisation de la vie politique.
Michel FIELD :
Dernière question, il y avait dans « Le Monde » hier un violent réquisitoire d'Alain PEYREFITTE sur Roland DUMAS en disant que l'affaire DUMAS prenait aujourd'hui des proportions telles que ce n'était plus le moment de dire « c'est une affaire de conscience individuelle et c'est au président du Conseil constitutionnel de décider en âme et conscience s'il doit démissionner ou pas ». Est-ce que cet article que vous avez lu j'imagine, vous a ébranlé ?
François HOLLANDE :
Ce qui m'a gêné dans l'article, c'est le procès qui était fait par rapport à la vie privée de Roland DUMAS. Les élections américaines ont montré qu'il ne fallait pas confondre les genres et laisser les vies privées…
Michel FIELD :
Ce n'est pas seulement une affaire de vie privée !
François HOLLANDE :
Vous avez raison, ce n'est pas simplement une affaire de vie privée…
Michel FIELD :
C'est une affaire aussi d'utilisation des fonds publics…
François HOLLANDE :
Oui et puis il y a une affaire de mise en examen et donc ça justifie la question par rapport au fonctionnement.
Michel FIELD :
Il nous reste très peu de temps. Est-ce que pour vous, Roland DUMAS doit démissionner pour ne pas affaiblir le poids du Conseil constitutionnel ?
François HOLLANDE :
La question est posée à Roland DUMAS et en conscience, il faut qu'il voit si sa présidence peut être menacée par des actes de procédure et deuxièmement aux membres du Conseil constitutionnel parce que c'est cette institution qui est en cause.
Michel FIELD :
Mais le président du Conseil constitutionnel ne serait pas un ancien socialiste ou proche des socialistes, on imagine que le Parti socialiste aurait une position beaucoup plus ferme sur le sort du président du Conseil constitutionnel.
François HOLLANDE :
Vous ne connaissez pas d'autres responsables qui sont mis en examen ?
Michel FIELD :
Non, mais je parle de celui-là. Je parle de celui-là parce que sur le RPR, j'imagine que vous auriez une réponse beaucoup plus énergique en effet.
François HOLLANDE :
Pas nécessairement, parce que je pense que par rapport à ce fonctionnement d'une institution comme le Conseil constitutionnel, il faut que ce soit les membres du Conseil constitutionnel qui prennent leurs responsabilités.
Michel FIELD :
François HOLLANDE, je vous remercie. Comme je vous le disais, Dominique VOYNET et Daniel COHN-BENDIT seront mes invités la semaine prochaine. On parlera évidemment des Verts, des Verts en Europe et de la stratégie des Verts pour les prochaines Européennes. Vous serez en tête aux Européennes ?
François HOLLANDE :
C'est au mois de mars que ça se décide. C'est la différence avec les Verts, on fait un long processus de désignation. Et ce que je peux vous dire, c'est qu'on fera une campagne européenne avec tous les partis socialistes européens.
Michel FIELD :
Merci de ne pas répondre à mes questions. Au revoir François HOLLANDE.