Texte intégral
Q - 33 000 chômeurs de plus au mois d'août, c'est un renversement de conjoncture ?
– « C'est la question que tout le monde se pose. C'est difficile de juger sur un mois, surtout sur les mois d'été qui, souvent, sont un peu erratiques. Alors il y a deux interprétations : ou bien ce serait un renversement de tendance – dans ce cas-là, ce serait évidemment très sérieux… »
Q - Vous ne les suivez pas ?
– « Je n'en sais rien. Il faut regarder les chiffres qui vont venir en septembre. Ou bien c'est simplement l'anticipation, la présentation sur le marché du travail de jeunes qui, d'habitude, s'y présentent en septembre. Cela veut dire, en tout cas, qu'il faut absolument continuer l'effort de réformes de fond et qu'il faut consolider tout ce qui est à la fois consommation et investissement puisque c'est maintenant cela, la croissance française. »
Q - Puisque les députés vont rentrer à l'Assemblée nationale, est-ce que vous vous attendez à des débats mouvementés au sein de la gauche ? On entend les communistes qui crient beaucoup et puis les députés socialistes ont écouté L. Jospin, avant hier, à Tours, ils ne l'ont pas critiqué mais enfin, ils n'ont pas été très enthousiastes non plus.
– « Je ne m'attends pas à des débats très difficiles. Je crois qu'il y aura des débats, c'est d'ailleurs normal dans ce concept de majorité plurielle qui plaît aux Français parce que c'est à la fois une majorité mais pas d'embrigadement. Il y aura donc des débats. Et après tout, le Parlement, c'est la parole au sein de la majorité et entre la majorité et l'opposition. Je ne m'attends pas du tout à des débats trop difficiles, et à une crise encore moins. »
Q - Réformes de fond, disiez-vous. Vous, vous insistez beaucoup sur deux choses : il aurait fallu réduire davantage la dette de l'État et réduire les impôts.
– « Il y a pas mal de réformes de fond qui sont engagées et qui ont commencé d'ailleurs à porter leurs fruits. Les fondamentaux de l'économie restent quand même bons. Je crois qu'il faut saluer ces réformes en direction des jeunes, en direction de l'emploi, en matière de Sécurité sociale. Mais en ce qui concerne les impôts et les charges, je pense depuis longtemps que le niveau des impôts et des charges, en France, est trop élevé. Je sais bien que c'est plus facile à dire qu'ensuite à les réduire ; mais je crois, notamment pour des raisons économiques, comme le développement de l'emploi, ou des raisons psychologiques, qu'au moment où la France s'ouvre, est ouverte vis-à-vis de l'Europe et du reste du monde, il faut vraiment faire un effort pour réduire un peu les charges. Et cela ne peut pas se faire, évidemment, sans un examen précis du budget et de l'efficacité de la dépense publique. »
Q - Dans la discussion budgétaire qui va avoir lieu, vous pensez qu'il peut y avoir un infléchissement dans ce domaine ?
– « Il y aura sûrement des amendements. La ligne générale du budget proposé par le Gouvernement, qui est bonne, sera maintenue, mais il y aura des discussions. On parle de discussions en matière fiscale, par exemple, d'allégements de TVA. C'est vrai qu'en France, on a un taux moyen, surtout, qui est plus élevé qu'ailleurs. Alors la difficulté, c'est que l'on ne peut pas baisser les taux sans que cela soit eurocompatible. Il y a donc des demandes qui ont été faites à Bruxelles : est-ce que l'on baissait tel ou tel taux ? Il y a deux secteurs, en particulier, qui ont été évoqués et qui sont très intéressants : d'une part, est-ce que l'on pourrait baisser les taux sur la restauration parce que cela crée beaucoup d'emplois ? La deuxième piste sur laquelle actuellement il est travaillé, c'est la TVA sur les taux des travaux pour la maison que font les artisans. Mais cela demande à être eurocompatible, c'est cela qui est en train d'être vérifié. »
Q - On prête au Gouvernement l'idée de baisser le taux minimal de TVA de 5,5 à 5 %. Ce serait utile ?
– « Évidemment : 5 %, c'est mieux que 5,5 %. Mais enfin, la différence n'est quand même pas énorme. »
Q - Quand on regarde les chiffres du chômage, on s'aperçoit que depuis que la gauche est au pouvoir, le chômage a décru environ de 130 000 personnes. C'est bien mais c'est lent ! Est-ce que, finalement, poursuivre les réformes au même rythme, comme le dit L. Jospin, cela suffit à mobiliser les troupes de gauche ?
– « On ne peut pas renverser une tendance aussi profonde puisque cela fait des années et des années que le chômage augmente. En quelques mois, 130 000, pour les personnes qui ont retrouvé un emploi, qui sont d'ailleurs beaucoup plus nombreuses, c'est quand même un acquis considérable. Je crois qu'il faut continuer les réformes, solidifier tout ce qui est consommation et investissement et puis, il y a peut-être des points où on peut aller plus loin. On a parlé de l'allégement des charges sur, notamment, les bas salaires. Je suis un partisan de cela. Il y a aussi un élément qui pourrait donner davantage de créations d'emplois pour les jeunes, et il y a des discussions là-dessus : c'est ce qu'on appelle le fameux accord Arpe. Vous savez ce dont il s'agit. Il s'agit, pour des gens qui normalement partaient à la retraite à 60 ans, de partir un peu plus tôt s'ils ont quarante annuités de cotisations et à condition qu'il y ait en face un recrutement de jeunes. Donc, ce sont des pistes. Il faut vraiment explorer toutes les pistes et, je le répète, maintenir un certain nombre de réformes qui ont été engagées ou mener à bien celles qui sont amorcées mais pas encore terminées. »
Q - Il y a une inquiétude, aussi, sur ce que l'on appelle la volatilité des capitaux, c'est-à-dire qu'ils passent de l'Asie à l'Europe, de l'Europe aux États-Unis, etc. Est-ce que vous croyez que la création de fonds de pension en France pourrait amener une plus grande stabilité que celle de ces capitaux, de ces fonds de pension américains qui vont, comme cela, parcourir le monde ?
– « Oui et non. Les fonds de pension, je n'y suis pas hostile. Je crois même qu'il faudrait créer des fonds partenariaux, c'est-à-dire des éléments qui permettent de compléter le système de retraite par répartition. Actuellement, la retraite par répartition fonctionne, c'est très bien, il faut la maintenir. Mais on sait qu'à l'horizon de 2005, cela posera des problèmes financiers considérables. »
Q - À part la différence sémantique, quelle est la différence entre fonds de pension et fonds partenariaux ?
– « La différence pratique, c'est qu'on associe les partenaires sociaux à la gestion de ces fonds, ce n'est donc pas du tout pareil. Je suis partisan d'un complément à la répartition par ces fonds partenariaux. En même temps, il faut bien voir qu'il y a une logique des fonds de pension. Les fonds de pension, qu'est-ce qu'ils demandent ? Ils demandent que les dividendes apportés par les entreprises soient très importants, donc il y a des compressions salariales. Cela, que ce soit à l'étranger ou en France, cette logique-là sera maintenue. Mais je préférerais qu'il y ait des fonds partenariaux de pension à base française, ce qui éviterait – parce que cela peut se produire – que par exemple les Américains viennent faire le marché en France avec leur caddie. Il y a pas mal de grandes entreprises françaises qui, excusez la trivialité du propos, sont aujourd'hui à ramasser, et pourraient l'être. »
Q - Le Fonds monétaire international, une fois n'est pas coutume, dit que l'Europe est une zone un peu privilégiée dans la tourmente financière et économique mondiale mais elle devrait baisser ses taux d'intérêt. Vous croyez que M. Tietmeyer et M. Trichet, en attendant la Banque centrale européenne, vont entendre ce discours ?
– « C'est vrai que l'Europe est une zone "privilégiée" et je crois que cela montre l'importance de la construction européenne. Une des significations principales du voyage de G. Schröder, hier, en France, est de dire qu'il faut que les grands pays d'Europe coordonnent leurs politiques économiques pour aller vers l'emploi. Maintenant par rapport aux taux d'intérêt, oui je pense qu'il faut aller vers une baisse des taux d'intérêt. C'est en particulier le rôle très important de la future Banque centrale. Je suis pour un euro stable mais pas pour un super euro. Le dollar, comme c'est probable, va continuer sa glissade ; il ne faut pas, nous, que nous fassions ce que j'appellerais de la gonflette, en disant : voilà, on a un super euro mais qui pénalise nos exportations et notre activité économique. C'est là où il faut – Allemands, Français, d'autres – que nous respections le rôle de la Banque centrale mais que nous disions, comme cela existe d'ailleurs aux États-Unis, avec la Federal Reserve : il faut que la Banque centrale travaille, pour lutter contre l'inflation mais au moins autant – puisqu'il n'y a plus de risque d'inflation – pour développer la croissance et développer l'emploi. C'est un des grands débats des mois qui viennent. »